Après des heures à travailler seule sur votre mix, l'heure est venue de recourir au regard d'autrui pour valider vos choix ou révéler des problèmes qui vous auraient échappé.
Juger de façon sincère un mixage est l’une des choses les plus dures qui soient. Après toutes ces heures passées à malaxer la matière sonore en son cœur, il est effectivement bien difficile d’aborder une œuvre avec une écoute d’une justesse à toute épreuve en fin de mix. C’est d’autant plus le cas pour le home studiste puisqu’il cumule (trop) souvent les casquettes de compositeur, interprète, ingénieur du son et réalisateur artistique. Cependant, il existe une méthode simple permettant de retrouver rapidement le recul nécessaire à l’analyse de votre travail en toute objectivité…
L’écoute externalisée
Ce que j’appelle « l’écoute externalisée » se base sur une idée à première vue enfantine puisqu’il s’agit de faire écouter votre mixage à une personne de votre entourage, proche ou non, peu importe. J’en entends déjà certains s’écrier que c’est bien joli comme histoire, mais tout le monde n’a pas la chance de connaître quelqu’un doté d’une finesse d’oreille suffisante pour lui permettre d’émettre une critique avisée sur un sujet aussi spécifique. Et vous avez raison… Sauf que l’efficacité de cette méthode ne repose absolument pas sur les qualités auditives de votre « cobaye », car c’est vous qui allez bel et bien faire tout le travail ! En effet, ce qui compte ici n’est pas l’écoute de cette personne, mais plutôt le recul qu’elle va apporter à la vôtre…
N’avez-vous jamais remarqué ce curieux phénomène ? Lorsque vous faites écouter l’une de vos productions à quelqu’un, il y a toujours au moins un moment où vous voulez intervenir pour expliquer, justifier, ou simplement faire entendre telle ou telle chose en particulier à votre auditeur. Or, si vous ressentez ce besoin impérieux, c’est qu’il y a certainement un problème. Vous en étiez jusqu’à présent probablement plus ou moins conscient, mais le fait de soumettre votre travail au regard de l’autre vous force à en prendre pleinement conscience et cela vous apparait alors comme une évidence. Vous voyez de quoi je parle, n’est-ce pas ?
Honnêtement, je ne sais absolument pas à quoi est dû ce phénomène. C’est peut-être une forme d’empathie qui nous fait tout à coup percevoir notre musique au travers des oreilles de l’autre, ou peut-être une vieille ruse de Sioux, un sortilège vaudou, ou tout simplement le même concept qui sert de socle à la psychologie moderne… Mais qu’importe, le résultat est là : nous savons, mais nous ne savions pas que nous le savions, et la seule présence d’un quidam suffit à remettre toutes les pendules à l’heure. Amusant, non ?
Du coup, plutôt que de perturber l’écoute quiète de votre sympathique audience avec un bla-bla qui lui paraîtra certainement abscons, je vous invite à mentalement prendre note de toutes ces remarques qui brûlent vos lèvres ; couchez-les sur papier au besoin. En revanche, n’essayez pas d’imaginer tout de suite des solutions aux problèmes que vous venez de soulever, chaque chose en son temps. Concentrez-vous simplement sur cette écoute externalisée afin de tirer pleinement parti des bienfaits de cette objectivité retrouvée. Puis, une fois revenu dans le calme de votre station de travail, analysez ces nouvelles données et agissez en conséquence. Essayez, vous m’en direz des nouvelles !
Ceci dit, à présent que vous avez recouru à un tiers en faisant fi de son avis, il est intéressant de refaire la démarche en s’intéressant justement à ce qu’il pense. Aussi efficace soit-elle, cette façon de faire ne vous dispense pas en effet de prendre en compte les remarques et autres réactions de votre gentil cobaye, et ce, même si la personne en question ne gravite pas de près ou de loin autour du monde de la musique. Après tout, votre chef-d’œuvre ne se destine certainement pas qu’à un public de connaisseurs, n’est-ce pas ?
Comme dirait l’autre
Avant même de faire un débriefing en fin d’écoute, la première chose à prendre en considération se résume au comportement de votre auditeur pendant la lecture du morceau. Ses réactions physiques sont d’excellents indicateurs quant à l’impact émotionnel du titre. A-t-il dodeliné de la tête ou battu la mesure d’une façon ou d’une autre si la musique s’y prête ? Et si tel est le cas, à quel(s) moment(s) ? A-t-il marqué des signes de surprises aux passages voulus ? Semble-t-il devoir faire des efforts pour rester dans la musique ? Observez attentivement tous les signes externes : les mouvements des yeux et des sourcils, les mimiques des lèvres, les gestes des mains et des bras, le balancement des jambes, et guettez même les éventuels dressages de poils ! Mine de rien, toutes ces choses relèvent du réflexe et représentent donc les effets directement provoqués par votre musique sur quelqu’un qui la découvre pour la toute première fois. Prenez donc ces signes en compte et confrontez-les à la vision que vous avez de votre mix. Si tout correspond à vos attentes, c’est que vous avez bien fait votre job, sinon, c’est qu’il y a peut-être quelque chose à revoir…
Débriefing en fin d’écoute
Dans un premier temps, lâchez-le fameux « Alors ? » afin de solliciter l’avis de l’auditeur et écoutez religieusement ses premières impressions. Car, même si la verbalisation implique une certaine part d’intellectualisation, les premiers mots ont eux aussi quelque chose d’instinctif et sont donc, à ce titre, révélateurs des émotions véhiculées par votre musique. Le vocabulaire employé par un néophyte en matière de mix n’est pas à prendre à la légère, car il peut toujours se traduire d’une façon ou d’une autre dans le domaine technique de manière concrète. La difficulté réside bien sûr dans cette traduction. Afin de mieux comprendre votre interlocuteur, il peut être utile de connaître au préalable ses goûts musicaux. De plus, si l’un des termes qu’il emploie vous paraît trop abscons, n’hésitez pas à lui demander quelques éclaircissements sous forme d’exemples audio issus de titres connus afin de mieux cerner son discours. Attention cependant, attendez bien qu’il ait fini sa première salve verbale avant de lui poser des questions, sous peine de le couper dans son élan originel.
Une fois ces premières impressions livrées, vous pouvez enchaîner avec des questions plus spécifiques sur des points qui vous intéressent particulièrement. Par exemple, demandez si le chant est bien compréhensible, si la basse et la batterie s’entendent bien, ou si tel ou tel passage a bien attiré l’attention. Bref, c’est le moment de poser toutes les questions sur les petits détails qui vous tarabustent. Vous remarquerez certainement que la plupart de ces points ne sont pas si importants que ça aux yeux de l’auditeur et vous l’entendre dire par un autre est une excellente chose puisque cela vous permettra de vous recentrer sur ce qui est réellement essentiel.
Et ce qui peut être plus intéressant d’ailleurs, c’est d’analyser votre mixage par le truchement d’un public choisi. Cette fois-ci, le principe se résume très simplement : faire écouter votre mix à un ensemble de personnes sans que ces dernières ne sachent qu’il s’agit d’une de vos oeuvres…
L’avis des autres à l’aveugle
Avant de rentrer dans le vif du sujet, prenons un instant pour discuter de l’intérêt de la manoeuvre. Ne trouvez-vous pas parfois difficile de donner votre avis sur le travail de quelqu’un qui vous est cher ? N’avez-vous pas peur d’éventuellement blesser la personne, surtout si l’objet de la critique est d’une grande importance à ses yeux ? Et vous sentez-vous toujours légitime pour exprimer un avis dans un domaine que vous ne maîtrisez pas forcément ? Il me semble que tout être humain doté d’un tant soit peu d’empathie répondrait par l’affirmative à ces questions. Il y a donc de fortes chances pour que les personnes que vous sollicitez en priorité se retrouvent dans cette situation ô combien inconfortable à l’heure de s’exprimer sur votre travail de mixage. Avouez que ce n’est pas franchement le meilleur moyen d’obtenir des remarques franches, objectives et constructives. De plus, comme vous avez déjà sûrement conscience de ce phénomène, même si votre interlocuteur réussit à se plier avec brio à l’exercice, vous ne serez vous-même jamais certain que tel est le cas et une forme de doute subsistera toujours dans votre esprit quant à la véracité et la justesse des propos recueillis. Par conséquent, l’idée de faire écouter votre mix à « l’insu du plein gré » de votre auditoire n’est pas si saugrenue que cela.
Comment ?
Maintenant que nous sommes d’accord sur le bienfondé d’une telle démarche, voyons comment procéder. À première vue, il paraît simple de glisser votre mix au sein d’une playlist que vous diffuserez à l’occasion d’une soirée entre amis. Mais n’oubliez pas une chose : votre morceau n’est pas encore masterisé ! Du coup, en agissant à la va-vite, vous risquez fort de passer totalement à côté du but recherché car la différence de volume sonore perçu entre votre mix et les autres titres ne jouera pas en votre faveur. Il est bien entendu possible de subtilement augmenter le volume de diffusion au moment opportun, mais la manoeuvre a quelque chose de trop aléatoire pour être réellement satisfaisante. Afin de remédier à tout cela, je préfère préparer minutieusement ma fameuse playlist en amont afin d’aligner le volume sonore de chacun des titres sur celui de mon mix. Pour ce faire, j’importe tous les morceaux de la playlist dans ma STAN et je modifie le gain de chacun d’eux en fonction de ce que me disent mes oreilles, mais également en me référant à un plug-in d’analyse de Loudness tel que le freeware Youlean Loudness Meter. Une fois cela fait, j’exporte le résultat et le tour est joué !
Passons à présent à l’analyse des réactions des gens lors de cette écoute-test en mode « fourbe ». Aussi bizarre que cela puisse paraître, l’absence totale de réaction est l’une des meilleures choses qui soient. En effet, si votre mix n’interfère pas le moins du monde avec l’atmosphère générale, quelle qu’elle soit, cela veut tout simplement dire qu’il est a minima du même niveau technique et artistique que les autres titres de la playlist. Si l’écoute de votre morceau contribue à l’évolution de l’ambiance de la soirée, c’est encore mieux ! En revanche, si la diffusion de votre titre entraîne une rupture quelconque du climat alors que la playlist en elle-même est censée être cohérente de ce point de vue là, ou si certaines remarques ou réactions négatives adviennent, comme quelqu’un qui souhaite baisser le son pour mieux discuter ou parce que ça le fatigue, c’est qu’il vous faut sans doute revoir votre copie.
Pour finir, un mot sur un point que je n’ai pas encore évoqué. Il est primordial pour tout apprenti ingénieur du son de savoir différencier les remarques concernant son travail de celles relatives au morceau en lui-même. En effet, il est très facile de tout mettre sur le dos du travail de mixage alors que bien souvent, le problème vient de la composition elle-même. La difficulté en situation de home studio, c’est que l’ingénieur du son et l’auteur/compositeur sont généralement deux moitiés d’un même tout… Quelle moitié devez-vous donc réprimander ? Là n’est pas la question, l’autoflagellation ne faisant jamais avancer le schmilblick à mon humble avis. En revanche, identifier d’où vient réellement le problème vous permettra de savoir exactement à quel niveau il vous faudra reprendre le travail, ce qui est autrement plus productif. À bon entendeur…