On connaît les basses Ibanez pour leurs classiques : les séries SR, avec leur manche fin et leur électronique active embarquée ; les BTB plus caractérielles ; l’ATK dont le pavé triple résonne dans les boutiques depuis les années 90 et l’EDB présentée à l’origine en matériaux composite puis revisitée en bois… Mais l’objet de ces lignes concerne une autre tendance, moins extrême et à la mode d’antan. Voici donc la Jet King JTKB 300 : à nous les Sixties !
Blanche neige et mes dix doigts
Avant la JTKB300, il y avait la JTKB200 (toujours présente au catalogue). De l’une à l’autre, deux choses ont particulièrement changé : la couleur et l’électronique. La nouvelle est donc proposée en blanc. Aussi blanche que la faïence d’un bloc opératoire, plus blanche que l’Arctique avant le réchauffement climatique, tellement blanche qu’il me faut mes Ray-Ban pour la regarder sans cligner de l’oeil. Vous l’aurez compris : blanc, c’est blanc.
Le bending l’est aussi, tout comme les micros, la plaque scindée en deux, les potards et le logo (nuancé tout de même de gris). Si vous êtes joueurs comme moi, je vous laisse chercher les deux intrus et écrire sur le forum ce qui ne l’est pas (attention : la touche, la visserie et l’accastillage ne comptent pas).
Le premier qui répond juste gagnera… Toute ma considération ! Donc le second truc neuf, c’est l’électronique. Qui a le bon goût de rester passive, mais passe de deux humbuckers (façon Gibson) à trois simples (Jazz Bass). Ça pour du changement, c’est du changement ! Les micros doubles ACHB qui équipent toujours la première Jet King, que l’on retrouve aussi sur l’ARTB (une Les Paul très Seventies), comme sur les séries ArtCore (deux modèles Thin Line) ont une teinte caractéristique assez vintage.
Quant aux micros Jazz Bass qui équipent cette nouvelle JTKB300, ils sonnent, ma foi et sans prendre beaucoup de risques, comme des micros Jazz Bass. Mais on parlera des sonorités un peu plus bas pour se concentrer sur la plastique de la Jet King.
La première fois que je l’ai vue en boutique, les proportions du corps en aulne, assez menu, m’ont induit en erreur. Au point de croire qu’il s’agissait d’un diapason court. Ça n’est pas le cas ici puisque l’on compte bien 34 pouces en mesurant la longueur du manche.
La largeur de la touche en palissandre, encadrée par un joli Bending, est de 40 mm au sillet. C’est plus large qu’une SR et plus fin qu’une BTB. À la dernière Frette, la largeur est de 64 mm, soit deux de plus que sur la SR mais de mesure égale que sur la BTB. On en déduit donc que le manche de la Jet King se resserre légèrement plus en son sillet que celui d’une BTB.
Par contre question Radius, la touche de la JTKB300 et bien plus plate que chez ses consoeurs.
Voilà un petit tableau récapitulatif et comparatif pour ceux qui connaissent bien les références Ibanez (et les autres aussi…) :
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Diapason du manche | Largeur de touche au sillet | Largeur de touche à la dernière frette | Radius |
Jet King |
34 Pouces (864 mm) |
40mm | 64mm |
400mmR |
SR 500 |
34 Pouces (864 mm) |
38mm | 62mm | 305mmR |
BTB 700DX |
35 Pouces (889 mm) |
41mm | 64mm | 305mmR |
Le manche tient bien en main, même s’il est plus épais (de 20 à 23 mm d’épaisseur) et plus large que la moyenne, il n’encombre absolument pas la main gauche, qui chez moi est bien petite (j’ai des mains de bassiste lémurien). Comptant presque deux octaves, la touche se prolonge jusqu’à la vingt-deuxième case (soit le Fa sur la corde de Sol). On a donc trois micros, commutés par trois switch, un volume et une tonalité : un système simple, adéquat si l’on joue un peu embrumé par quelques vapeurs d’alcool ou emporté par moult substances prohibées (les affres du Rock’n’roll).
À ce sujet, le rédacteur responsable que je suis déconseillera aux lecteurs assidus que vous êtes l’usage de l’un ou de l’autre dans un cadre musical (non, mais qu’elle idée !). On peut être « Rock » sans se déglinguer, regardez Henri Rollins ! (il est marrant de constater que c’est le seul exemple qui me vient à l’esprit). Évitant malgré tout les plaintes de parents concernés, je continue la visite guidée.
On a donc des réglages assez évidents : passant à loisir d’un micro à l’autre, les appairant ou en jouant avec les trois en un tour de switch ; il y a de quoi s’amuser le plus simplement du monde et se familiariser très vite avec la palette que propose cette basse tripolaire. Le double Cutaway assez prononcé permet un accès facile aux aigus. Je le répète, le corps est assez petit et arrondi dans ses contours. Rien ne semble dépasser de sa silhouette qui rappelle vaguement un hybride improbable entre le cul d’une Wal Mk1 et le haut d’un corps inversé de Thunderbird. On aurait du mal à se représenter la chose, le rendu général n’en reste pas moins agréable à regarder. Pour qui aime le blanc éclatant…
À noter enfin, le pan coupé de la table toujours le bienvenu chez moi et le bloc chevalet massif et expansif (mais non traversant), qui semble annoncer un joli sustain et un grain bien solide. Pour finir tout à fait, j’attribuerai un bon point à la plaque fermant l’accès à la tige de réglage. Ici, pas besoin de tournevis ni de s’énerver pendant de longues minutes contre trois vis rendues hors d’atteinte par le passage des cordes ; impossible aussi de perdre la plaque une fois démontée (parce que généralement, l’instant qui précède le réglage, on n’a plus du tout envie de remonter cette maudite plaque, alors on la met de côté pour la perdre à tout jamais). Le monde de la musique a bien mis plus de trente ans pour nous pondre une solution providentielle, mais ça y est ! On a enfin un système de plaque rotative, amovible, mais non démontable ! La plaque tourne sur elle-même sur une simple pression de l’ongle.
Bravo l’innovation ! Par contre, avant d’applaudir, il s’agirait de s’assurer que le système puisse survivre à moult réglages. Vu l’épaisseur de la chose et la fragilité affichée de la matière qui la compose, je reste quelque peu dubitatif.
Dactylo Rock
Si la JTKB200 est un hommage rendu aux années 60, aussi bien par sa forme que par son look ; il semble que la nouvelle JTKB300 cherche un son résolument plus moderne, moins rondouillard et par la même, plus agressif. Deux micros simples auraient tendance à sonner plus fluet que deux doubles.
Mais qu’en est-il lorsqu’on dispose de trois Jazz Bass ? Situés aux extrêmes polaires et en plein milieu de la table de résonance ? Verdict presque immédiat : on a presque autant de puissance avec de la niaque en plus.
Le grain est plus incisif sans devenir fluet et on peut jouer sur la diversité sonore qu’offre le troisième pôle magnétique, puisque sept configurations s’offrent à nous. J’en viens aussi à penser que le troisième capteur doit sa présence embarquée à la seule volonté des concepteurs de rester dans la tendance rock, sans se rapprocher tout à fait du son d’une Jazz Bass. Et cette idée simple fonctionne : ça sonne un peu plus dur que Funky, bien que le rendu général demeure souple. La présence d’un pôle médian s’imposant aux autres, ni le micro grave, ni le micro aigu ne sont placés comme à l’habitude. Et cela a, bien entendu, son incidence dans le rendu de chacun, une fois amplifié. En toute franchise, si on s’en tenait aux seuls micros grave et aigu, on sortirait un peu déçu du voyage.
Côté grave, c’est pas si mal en soi. Le son est bien rond, légèrement creux, mais assez exploitable pour poser des lignes bien roots, la tonalité poussée dans les graves. C’est pourtant en tournant le même potard au dessus de 6 sur ce même micro que je trouve le son qui m’attire le plus. Stimulant légèrement les hauts médiums, doublés de fréquences graves clairement favorisées par la position haute du micro, ce réglage ouvre les portes d’un paysage complètement rétro et pourtant encore cher à la mémoire. Ça rappelle le timbre de la basse dans la ballade de Melody Nelson ou les Bandes originales de François de Roubaix.
Côté aigu, ça pèche par excès de brillance. Trop étriqué à mon goût, le son de ce micro est relativement inexploitable quand on l’utilise seul. Il faut dire qu’avec sa position à quatre centimètres des pontets, il ne fallait pas s’attendre à ce que cela sonne comme du Bartolini.
Mais là franchement sur 7 configurations, j’en jetterais bien une à la poubelle.
Le micro médium (qui la plupart du temps n’existe pas…) est assez intéressant puisqu’il tire presque toute la couverture à lui. La plage des fréquences qu’il couvre est clairement plus large et l’on ressent même un gain de puissance quand on le compare aux deux autres.
- jet king micros grave+medium00:58
- jet king Micro grave00:58
- jet king micro median mediator00:58
- jet king micros median+aigu00:27
- jet king Slap 3 micros00:58
- jet king micro median doigts00:19
- jet king micro aigu00:58
Quand j’ai déballé la basse et surtout après l’avoir branché pour la première fois, cette prédominance m’avait clairement interloqué. Durant les jours qui ont jalonné cet essai, je me suis vraiment interrogé quant à l’origine d’un tel contraste. Je suis allé sur le site d’Ibanez, et je me suis rendu compte que la fiche technique cite trois références de micros (Respectivement PSJ neck, mid et bridge PU). Là je me suis dit : bon à ce prix (oui, je comptais en parler dans la conclusion, mais tant pis, je le concède dès maintenant, cette basse n’est pas chère du tout) je ne vois pas pourquoi le fabricant se compliquerait la vie avec trois micros différents d’une même taille pour une même basse. Ne reculant devant rien pour trouver réponse à ma question, je dus me résoudre à opérer pour vérifier la singularité des capteurs.
Une fois démontés, tous ces micros portaient les mêmes références à l’arrière. Et en les remontant j’ai compris : la basse était tout simplement mal réglée, le micro médium bien trop haut par rapport aux autres. Une fois l’équilibre rétabli, le contraste était beaucoup moins frappant, mais toujours un peu présent. En fin de compte, tout l’intérêt de ces trois micros réside surtout dans leur combinaison et leur complémentarité.
Il est surtout intéressant de combiner le grave ou l’aigu avec le micro médium. En fonction de l’attaque que l’on veut : du massif au tranchant, les possibilités sont très larges et il faut avouer que les grains obtenus seront pour la plupart efficaces.
Après le bon point vient le bémol : une basse montée en micro simple à tendance à rayonner et à créer quelques désagréments en matière de parasitage (écoutez les enregistrements). C’est ici le cas, avec une masse souvent présente même avec la tonalité en dessous de 4.
Made in République Populaire de Chine
Concluons sur le rapport qualité-prix de cette petite Chinoise qui ne coûte que 400 €. En soit, pour une basse de ce prix, mis à part les micros un peu cheap (faut pas rêver, trois micros de qualité coûteraient plus de la moitié du prix de cet instrument !), le travail rendu est tout à fait justifié. Je rajouterai que sous ces airs de basse à la mode vieille école, elle est tout à fait capable de faire le boulot sur un répertoire rock moderne. Pour moi ce test est tout à fait positif. Il est agréable de constater que certains fabricants sont capables de mettre sur le marché des instruments qui sortent de la norme, sans tirer les prix vers le haut, ni aboutir sur un concept à l’usage limité, car bien trop typé. Comme quoi, quand le tout-venant est produit et utilisé par tous, il est toujours intéressant de se risquer sur le bizarre.