Cette semaine, je vous propose de nous intéresser à la vision du monde qui sous-tend la musique traditionnelle andine.
Philosophie de la musique andine
Comme pour la plupart des musiques traditionnelles, la musique andine est perçue par ceux qui la pratiquent comme un fort marqueur identitaire. Comme je l’évoquais dans le précédent article, les Indiens des campagnes de l’Altiplano distinguent fortement leurs traditions musicales de celles des métis des villes. Mais cela ne va pas sans difficultés car cette distinction accentue une certaine discrimination dont ils peuvent faire l’objet de la part des populations citadines. Et pour les Quechuas et les Aymaras, adopter la musique de l’autre, c’est se fondre en l’autre. On peut alors d’autant mieux comprendre les difficultés qu’ils peuvent éprouver à accepter ce « sacrifice » lorsque l’on sait à quel point leur musique est intimement liée à leur vision du monde.
Cette dernière est basée sur deux principes: la dualité et l’ancrage dans le temps. La dualité en question est celle qui se matérialise notamment par la séparation entre le monde d’en haut habité par les dieux et le monde d’en bas habité par les morts et les esprits des ancêtres. La musique des Indiens, longtemps principalement rituelle, porte encore aujourd’hui cette symbolique en elle. Ainsi les orchestres traditionnels sont-ils par exemple composés de paires d’instrumentistes. De plus, la nature verticale des flûtes qui composent souvent la part essentielle de l’instrumentarium desdits orchestres contribue à en faire des symboles du lien entre ces deux mondes. Pour ce qui est de l’ancrage dans le temps, non seulement certaines musiques sont dédiées à des événements précis dans l’année comme dans de nombreuses autres cultures, mais c’est également le cas pour certains instruments dont l’usage est proscrit en-dehors de certaines dates. Enfin, l’accordage du charango, petite guitare inspirée par les Espagnols, diffère lui aussi en fonction de l’époque de l’année, ainsi que géographiquement d’un village à l’autre. Et parfois même la manière de tenir et de jouer l’instrument peut varier en fonction des circonstances, ce qui ancre encore davantage la notion de temps dans le corps-même des instrumentistes. On mesure donc l’intensité du lien qui rattache les peuples de l’Altiplano à leur musique.
Mais le mouvement de rapprochement et de métissage évoqué plus haut s’avère finalement inéluctable. Et dans le fond, il ne s’agit que de l’extension du phénomène qui avait déjà eu lieu entre les tribus indiennes elles-mêmes, que ce soit tout d’abord sous l’empire Inca puis avec l’encouragement des nouveaux maîtres occidentaux.
Les deux styles principaux: yaravi et huayno
Nous avons d’ailleurs vu que le métissage des musiques indiennes avec celles de l’Espagne avait déjà eu lieu depuis longtemps, notamment au niveau des musiques religieuses. Ceci avait eu entre autres pour effet de rendre profanes certaines musiques adressées initialement aux divinités. C’est le cas par exemple du harawi que l’on adressait à l’Inca, le dieu-empereur, et qui après l’invasion espagnole est devenu le yaravi, base musicale souvent employée pour des chansons d’amour.
Le yaravi reste sans doute l’une des manifestations musicales les plus authentiques de l’Altiplano, l’autre étant le huayno. Celui-ci est déjà fortement mâtinée d’éléments espagnols, notamment le charango évoqué plus haut mais également la harpe ou le violon. Ce qui ne l’empêche pas toutefois d’être l’une des danses les plus représentatives de cette région du monde.
Je vous invite la semaine prochaine à étudier ensemble les caractéristiques mélodiques, harmoniques et rythmiques des traditions musicales andines.