Après nous être intéressés la semaine dernière à la vision du monde des descendants des Incas, voyons aujourd'hui de quelle manière ils structurent leur musique.
Je me reposerai pour cet article en grande partie sur les travaux de Raoul et Marguerite d’Harcourt, un couple d’ethnomusicologues reconnus qui a énormément oeuvré au 20e siècle pour faire progresser nos connaissances autour des traditions musicales des peuples d’Amérique du Sud.
Les caractéristiques mélodiques
Nous avons vu dans l’article 9 que bon nombre de musiques présentées comme authentiquement indiennes n’étaient en fait que des adaptations plus ou moins occidentalisées de thèmes traditionnels. Il existe certains indices qui ne trompent pourtant pas sur le véritable caractère de ce qui est proposé à notre écoute dans ce domaine. Une partie de ces indices réside dans l’instrumentation des œuvres et nous y reviendrons dans le prochain article. L’autre partie révélatrice, celle à laquelle nous nous intéressons aujourd’hui, concerne la structure musicale de ces mêmes œuvres.
Tout d’abord, il faut savoir que les musiques andines traditionnelles ne sont jamais harmonisées. Il ne s’agit strictement que de lignes mélodiques qui ne sont pas non plus contrapuntées. De plus, la gamme employée est toujours pentatonique.
Toutefois cet emploi de la gamme pentatonique reflète déjà une influence espagnole, car avant la conquista les peuples indigènes utilisaient plutôt une gamme pentaphonique, c’est-à-dire qu’ils divisaient l’octave en six intervalles (5 sons) de valeur strictement égale. Dans la gamme pentatonique employée aujourd’hui par les habitants de l’Altiplano, on distingue l’utilisation de plusieurs modes selon les types de musiques. Tous ces modes suivent une pente descendante, ce qui est une autre caractéristique révélatrice des véritables mélodies indiennes.
Selon les d’Harcourt, le mode le plus usité est le B, puis le A, puis le D et enfin le C. Le E n’est jamais utilisé. Enfin, une autre caractéristique des mélodies typiquement indiennes est que contrairement aux nôtres, elles ne sont pas régies par la loi des intervalles conjoints (cf article 22 des bases de l’harmonie) : les Indiens ne craignent en effet pas de faire parfois effectuer de larges bonds à leur progression mélodique !
Les caractéristiques rythmiques
Le rythme des musiques Incas est comme pour bien d’autres musiques traditionnelles parfois difficile à rendre en notation occidentale. Ici aussi les époux d’Harcourt ont effectué un important travail de recherche et de défrichage. Ils ont notamment pu constater que les signatures rythmiques les plus employées étaient le 6/8 et le 2/4. Certains rythmes sont plutôt simples, comme dans l’exemple ci-dessous :
Mais les rythmes binaire et ternaire peuvent parfois aussi se mélanger et être exécutés même simultanément (oui, oui !) comme dans l’exemple ci-dessous où les « X » marquent les battues rythmiques :
Un certain nombre de rythmes incas restent toutefois très libres et ne se laissent définitivement pas réduire à notre division habituelle à la mesure. Enfin, les d’Harcourt ont pu constater qu’à côté du rythme marqué par les instruments mélodiques, il pouvait exister un rythme indépendant dévolu aux instruments percussifs. Il résulte de cette juxtaposition une polyrythmie complexe à traduire en notes.