2005 aura indéniablement été une année charnière pour les claviers maîtres, avec l'apparition de deux nouveaux acteurs sur le marché. Après E-MU et ses Xboard, c'est ainsi au tour de CME et de sa série UF de montrer qu'on peut faire d'excellents claviers de contrôle pour un prix ultra-démocratique. La preuve en 61 touches avec l'UF6.
Avec le développement du monde du home studio et de la MAO, l’offre en matière de claviers maîtres est de plus en plus étendue. Régulièrement, de nouveaux produits sortent, toujours plus beaux, toujours plus forts, offrant toujours plus de possibilités, rasant gratis et faisant la vaisselle, le tout pour un prix toujours plus accessible.
Comme dans tous les secteurs de l’audio et de l’audionumérique, les chinois ne sont pas en reste et fournissent des produits à des tarifs passablement agressifs… sauf pour nos bourses de musiciens forcément fauchés (sinon, que deviendrait la tradition ?).
Les claviers CME ont ainsi débarqué par l’intermédiaire de l’importateur baulois Arbiter France. Dotés d’une connectique USB et MIDI, de potars, de sliders de contrôles, et de tout un ensemble de boutons pour gérer le clavier lui-même et les instruments connectés, ces produits au tarif alléchants méritent un coup d’œil d’autant plus sérieux qu’ils proposent des fonctions inédites dans cette gamme de prix.
La série se décline en 4 modèles : UF5 (49 notes), UF6 (61 notes), UF7 (76 notes) et UF8 (88 notes), le seul à proposer un toucher lourd là où les autres font dans le semi-lesté, comme l’UF6 dont il est question dans ce test.
Sur le papier…
En dehors de ce point de détail, les caractéristiques sont communes à tous les modèles de la gamme. Doté des classiques molettes de pitch bend et de modulation, l’UF6 propose ainsi un clavier de type semi-lesté gérant l’aftertouch : un très bon point puisque ce genre d’option est extrêmement rare dans cette gamme de prix.On notera aussi la présence de touches de contrôle pour séquenceur (play, rec, stop, etc.), de 8 potentiomètres rotatifs assignables, de 9 faders assignables (utilisables en mode drawbar pour le contrôle d’orgues virtuels), et d’un ensemble de boutons pour contrôler les changements de patch/programme, d’octave, de canaux MIDI, la transposition et le split du clavier puisque celui-ci est splitable. On peut aussi l’utiliser en mode dual, pour émettre simultanément sur deux canaux MIDI. Du bon, donc, au niveau des contrôles, à quoi il faut ajouter un potentiomètre rotatif pour la saisie des données ou le réglage rapide et enfin, un traditionnel afficheur à segments de trois caractères.
Côté entrées/sorties, on ne dispose, en plus de la connexion USB, que d’une sortie MIDI OUT, ce qui est bien dommage quand on sait à quel point il est pratique de pouvoir utiliser un clavier maître USB comme une interface midi supplémentaire sur son ordinateur. Il faudra acquérir la carte d’extension Firewire (en option) pour disposer d’un classique trio MIDI IN / OUT / THRU. Enfin, les claviers sont munis d’une entrée pour pédale sustain, d’une autre pour pédale d’expression et, bien plus original dans cette gamme de prix, d’une prise pour breath controler. Quand on voit ce qu’un tel ustensile peut apporter, c’est une encore une excellente nouvelle…
Côté caractéristiques, ces claviers sont donc blindés et en offrent beaucoup pour le prix, même si l’on regrettera les quelques limitations côté MIDI.
…et hors du carton !
C’est quoi ce gros carton ? Un Triton, un Karma, un Motif ? Un piano de scène ? Non, juste l’UF6 dont la la carcasse est pour le moins impressionnante… en terme de volume. Pas tant en largeur, où les deux flancs genre alu brossé rouge du plus bel effet n’élargissent pas outre mesure le clavier lui même, ni en épaisseur, où l’on est dans les standards du genre, mais bien en profondeur… On se croirait devant un gros synthé ou une workstation. La bête rappelle d’ailleurs le profil d’un Yamaha Motif, ce qui semble un peu disproportionné pour un « simple » clavier maître.Cette taille généreuse permet certes une disposition intéressante des contrôles (notamment avec les potars au dessus des (grands) faders, ce qui est plutôt agréable), mais elle n’est pas sans poser des problèmes de place, tant en home studio que sur scène. Si l’UF6 tient largement sur un stand ou un pied en X, on risque d’avoir du mal à atteindre ses contrôles dans le cas où on l’empile plusieurs claviers ou synthés sur un stand (voir photo ci-contre).
Trois points peuvent expliquer le choix d’un tel volume :
- la possibilité d’ajout de cartes d’extensions (dont l’optionnelle Firewire).
- le coût de la miniaturisation : rentrer la même chose dans un plus grand espace revient bien moins cher en conception et en fabrication, et facilite d’éventuelles évolutions (usine) du produit.
- S’il s’agit bien de la reprise d’une carcasse d’un produit existant, le fabricant a ainsi évité des coût de conception, d’outillage…
Autant le dire, cette taille XXL n’est pas un élément très positif à mettre à la charge de ce clavier maître qui occupe une place importante par rapport à son nombre de touches et ses fonctions. Pas évident de disposer harmonieusement la bête dans un home studio où la place est souvent comptée, d’autant qu’il faut toujours ajouter l’espace pris par les connexions en face arrière, qui, rappelons-le, doivent toujours être facilement accessibles.
Quitte à avoir fait une bête aussi grosse, un placement judicieux des connecteurs eut été intéressant et l’on regrettera, de ce point de vue, le positionnement du tout petit l’interrupteur près de la prise d’alimentation, alimentation qui nécessite d’ailleurs un transfo externe (fourni). Ah bon ? Parce que dans un si gros boîtier, il n’y avait pas la place de caser une alim ?
Ze look !
Côté look, on aime ou pas. Le produit représente en effet un curieux mélange de « grosse machine » sérieuse, de bric et de broc et de design antédiluvien ! Les bords en faux alu brossé rouges sont, pour mon goût, du plus bel effet, mais des défauts d’ébavurage du plastique et l’impression de faible épaisseur que celui-ci dégage, viennent ternir l’enthousiasme. Et des possesseurs se plaignent déjà dans les forums de la disparition rapide des sérigraphies sur la façade. Du coup, on se demande à quoi les flancs rouges ressembleront après quelques aléas scéniques.
C’est plutôt dommage quand on songe que CME vante le choix du métal là où la concurrence fait dans le plastique, et que les bords comptent justement parmi les points les plus exposés aux chocs et aux frottements …
Plus gênant, les sliders : leur tête se balade, ce qu’il fait qu’ils sont de guingois par rapport à leur glissière, ce qui n’est pas très élégant. En les manipulant, ils offrent toutefois un toucher agréable, avec une course sans frein ni blocage, mais le toucher est très, très léger.
Les potars sont beaucoup plus plaisants : fermes, avec ce toucher légèrement caoutchouteux qui les rend agréables sous les doigts. On regrettera seulement qu’ils soient trop rapprochés pour les manipulations simultanées de réglages adjacents (type cutoff / resonnance sur un filtre). Bien entendu, ce genre de petit défaut n’est pas propre à ce clavier et on le retrouve même sur beaucoup de produits concurrents. Au vu de la place disponible, les concepteurs auraient simplement pu en profiter pour donner un peu d’espace.
Les boutons de contrôle et de paramétrage ne sont, pour leur part, ni bons ni mauvais. En plastique rigide gris, ils s’enfoncent avec un cran qu’il est agréable de percevoir, mais produisent un bruit assez moyen. Les commandes du séquenceur sont à elles-seules une curiosité : elles ont le look délicieusement rétro des interface d’il y a 20 ans (au moins), ce qui serait savoureux si c’était en cohérence avec le design d’ensemble du clavier…
Côté contact, elles offrent un toucher plutôt satisfaisant, bien que très léger, avec un clic d’enclenchement nettement perceptible au toucher et à l’oreille. Un clic peu agréable d’ailleurs, comme tous les bruits émis par ce clavier. Deux bons points en revanches : les boutons Play et Record sont chacun surmontés d’une led, ce qui s’avèrera pratique à l’usage.
Finissons sur la partie potars et boutons avec la molette de réglage qui permet de contrôler rapidement des paramètres. Celle-ci s’avère très agréable, plaisamment crantée quand on la tourne et très précise. Elle est entourée d’une couronne de leds du plus bel effet et… totalement inutile puisqu’il s’agit en fait de quatre segments de 3 leds. Les positions midi (ou 0 heure), 3, 6 et 9 heures se retrouvent de fait dépourvus de led ! Les molettes de Pitch Bend et de modulation sont, quant à elles, très plaisantes à manipuler et respirent la qualité.
Venons-en, maintenant au clavier lui-même. C’est après tout le plus important et là, après l’impression mitigée laissée par le reste, c’est la grosse surprise ! Le clavier dispose en effet d’un toucher très agréable : un peu ferme mais sans excès. Du coup, c’est un vrai plaisir de poser les doigts dessus et, si l’on verra tout à l’heure comment il se comporte à l’usage, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il est emballant au contact. Petit bémol tout de même : il émet sur les fortes attaques un bruit assez fort avec une désagréable résonance de plastique/ressort, un détail qui peut s’avérer dérangeant en jeu à faible volume et carrément ennuyeux pour le home-studiste qui travaille tard au casque juste à côté de la chambre où dort sa chère et tendre ou sa progéniture. Dommage.
En conclusion de cette première approche, on a donc une impression de « cheap » à presque tous les niveaux, d’un assemblage de bric et de broc à partir de composants choisis chez différents fournisseurs selon des critères inconnus (probablement le prix), mais certainement pas selon une qualité uniforme et un aspect cohérent. Heureusement, le clavier fait envie et on se précipite pour installer tout ça et le tester en situation.
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Installation
Je passe rapidement sur l’installation car celle-ci se réalise sans aucune difficulté. Notons que le manuel n’est pas terrible sur ce point alors qu’il est dans l’ensemble plutôt clair, même si celui qui était mis à ma disposition était en anglais (les acheteurs ont toutefois une traduction française sur la qualité de laquelle je ne puis me prononcer).L’installation se fait donc comme pour la quasi totalité de périphériques USB ou FireWire : on lance une application qui installe les drivers dans le répertoire de notre choix et lorsque celle-ci nous le demande, on branche le clavier à l’ordinateur et on l’allume. C’est tout.
Les drivers sont donc installés en un rien de temps. Et le reste ? Ben, il n’y a pas de reste. Eh non ! Voici un clavier USB qui n’offre pas le moindre logiciel pour le programmer. Ni conserver des mémoires. Et justement, de mémoires, le clavier en est dépourvu : impossible de stocker quelques configurations à rappeler à la volée en fonction de ce qu’on veut contrôler. Une lacune importante pour certains, notamment ceux qui souhaitent contrôler du hardware. Bien moins grave pour qui ne travaille qu’avec des logiciels, la plupart de ceux-ci disposant aujourd’hui d’un apprentissage MIDI (MIDI Learn) qui leur permet de s’adapter au contrôleur et non l’inverse.
Bien sûr, on peut quand même programmer les contrôles du clavier, mais il faudra le faire à la main, ce qui se fait facilement pour qui est familier avec le MIDI et sera, comme toujours, fastidieux pour les débutants dans ce domaine.
Finissons en précisant qu’a l’inverse de la plupart des claviers USB ou FireWire du marché, aucun bundle logiciel n’accompagne l’UF6. C’est dommage pour les débutants qui commencent à s’équiper mais reste un détail sans intérêt pour les autres qui ont déjà, généralement, leur(s) logiciel(s) de prédilection.
Let’s Play !
C’est à l’usage (et c’est après tout le plus important) que ce clavier montre vraiment ces qualités. Les sliders peu engageants visuellement répondent parfaitement et s’avèrent précis. Idem pour les boutons rotatifs. Des utilisateurs évoquent certains problèmes de potars fonctionnant mal mais je n’ai, pour ma part, rien constaté d’anormal et ce genre de petit tracas semble toutefois être pris en charge par le SAV.Les boutons poussoirs sont moins réjouissants. Leur comportement est un peu flou et il faut parfois une pression franche pour les utiliser. Heureusement, ils servent normalement peu puisqu’ils permettent de passer directement de configurations GM (general MIDI) à XG (la norme GM améliorée par Yamaha) et GS (la norme GM améliorée par Roland).
Les molettes de pitch bend et de modulation tiennent parfaitement leurs promesses. Le ressort du pitch bend est peut être un peu fort, mais c’est une question d’habitude et, point essentiel, il n’émet aucun rebond quand on relâche brutalement la molette comme cela arrive parfois sur des claviers peu chers.
Le bouton rotatif pour entrer des données s’avère très agréable et efficace à l’usage. Rapide, précis : bref, impeccable. On s’agace juste un peu de la couronne de leds qu’on aurait voulu plus utile que décorative.
Par contre, on constate avec surprise l’absence d’un bouton « bank change ». Si on dispose évidemment d’un « program change » pour changer de patch à l’intérieur d’une banque, je n’ai pas trouvé comment changer de banque à partir du clavier. Autre chose : si le bouton rotatif s’avère pratique et rapide, on peut tout de même regretter de ne pas pouvoir taper d’une façon ou d’une autre directement des numéros de patch, ce qui reste, à mon avis, le moyen le plus rapide et le plus précis pour changer de son en live.
Confirmant la bonne impression du déballage, le clavier est, lui, vraiment l’excellente surprise de cet UF6. Sa fermeté le rend agréable à jouer et il se montre précis, même si sa gestion de l’aftertouch est un poil « bourrin » et réclame une assez forte pression pour être enclenchée. A ce niveau, on est plus près du « tout ou rien » que d’une douce variation de 0 à 127, ce qui n’a rien d’une catastrophe dans la mesure où l’affectation de l’aftertouch dans les patchs nécessite rarement une grande subtilité de contrôle. Et, rappelons-le, il est déjà plus qu’appréciable de disposer d’une telle fonctionnalité pour un prix si serré.
Bref, le clavier s’en tire vraiment bien en regard du prix de l’UF6. Pour information, j’ai un Edirol PCR, un Roland A-33, un Yamaha DX7 et un piano à queue Gaveau… J’ai eu, utilisé ou testé des claviers Roland, Novation, Evolution et M-Audio et, à l’exception du P120 de chez Yamaha, le CME est, sur bien des aspects un des meilleurs claviers MIDI sur lesquels j’ai posé les doigts.
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Conclusion
Ce clavier m’a surpris : peu engageant au départ, il offre pour son prix une qualité de jeu qu’on ne trouve généralement que sur des gammes bien plus hautes et plus chères. En l’abordant, j’ai d’abord cru que c’était un n’importe quoi fait n’importe comment à pas cher, pour profiter d’un marché en pleine extension où chacun a une chance de prendre une place. En approfondissant mon examen, je me suis toutefois rendu compte que je m’étais complètement trompé et qu’en fait, ce clavier semble avoir été pensé pour une cible très précise, par des gens qui la connaissent bien : les home-studistes travaillant sur MAO.
Si son absence de mémoires, son unique sortie MIDI et son apparente fragilité le rendent impropre à l’usage scénique avec de multiples matériels, l’UF a en effet été très bien pensé pour un usage home studio branché sur ordinateur. En faisant l’impasse sur beaucoup de fonctions peu importantes en home-studio (ou qui peuvent être prises en charge par l’ordinateur), en réalisant apparemment des économies sur la conception et certains composants, CME a réussi à sortir un clavier à un prix vraiment bas. Et les économies réalisées sur certains points ont permis de ne pas mégoter sur ce qui concerne le jeu lui-même, en assurant un belle qualité au clavier, aux molettes de pitch bend et modulation, tout en offrant l’aftertouch et une prise breath controler…
On a ainsi plaisir à jouer sur ce clavier qui offre d’importantes possibilités expressives et, pour peu qu’on s’arrange de ses quelques défauts (dont la taille) et de son aspect cheap, force est de constater qu’à moins de 300 €, l’UF6 est une excellente affaire, qui fera le bonheur de plus d’un petit budget…
[+] Richesse des contrôles.
[+] Qualité du clavier.
[+] Prix plancher.
[+] Possibilité d’évolution audio.
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[-] Finition et look un peu limites.
[-] Risque de dégradation de l’aspect dans le temps.
[-] Limité pour l’usage sur scène.
[-] Bruits d’utilisations peu flatteurs
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