La version 5 de Sibelius était particulièrement attendue, car elle fait pour nous suite à la 3, la version 4 n’ayant pas été traduite dans la langue de Molière. La simplicité du logiciel semble permettre toutes les fantaisies, et ce, dès les premières approches… Pari réussi ?
La version 5 de Sibelius était particulièrement attendue, car elle fait pour nous suite à la 3, la version 4 n’ayant pas été traduite dans la langue de Molière. La simplicité du logiciel semble permettre toutes les fantaisies, et ce, dès les premières approches… Pari réussi ?
Autant dire que c’est avec attention que nous avons scruté les performances de ce logiciel qui tend à s’imposer de plus en plus largement auprès des musiciens professionnels et des enseignants de la musique. Sibelius a construit sa réputation sur sa facilité d’accès, mais pêchait par un certain nombre d’erreurs de jeunesse qui le laissait un peu en marge des références habituelles de l’édition de partitions. Avec la version 5, les défauts que l’on pouvait reprocher aux précédentes moutures ont disparu et il semble difficile de piéger le logiciel.
Pour qui?
Avant toute chose, à qui s’adresse un logiciel comme Sibelius ? À une époque où les principaux DAW tels Cubase, Logic proposent des fonctions d’édition de partitions plus que respectables, est-il vraiment utile d’investir dans un produit dédié spécifiquement à la partition? À l’inverse, sera-t-il indispensable d’acquérir l’un de ces monuments, dès lors que l’objectif musical de son utilisateur se limite à une utilisation de traitement de partitions? Sibelius convaincra assurément tous ceux qui sont amenés à avoir un traitement professionnel de la musique écrite, sans pour autant avoir des impératifs d’imprimeur ou d’ingénieur du son. Bien moins orienté création qu’un Garage Band ou qu’un Cubase, il présentera des atouts indéniables dès lors que l’on aura à traiter un document musical comme outil de travail ou de communication. L’un des avantages majeurs d’un logiciel tel Sibelius par rapport à un séquenceur généraliste est l’assignation automatique des sons aux pistes créées, avec les transpositions et les clés conventionnelles, permettant au musicien d’être immédiatement opérationnel, sans passer un long moment au paramétrage. Cerise sur le gâteau, la possibilité d’avoir une fenêtre vidéo que les compositeurs de musique à l’image apprécieront…
Les performances audio ne sont pas à l’égal d’un Cubase ou un Logic, mais est-ce réellement ce dont a besoin un compositeur? En gros, un portable et Sibelius, c’est l’équivalent actuel du bloc de papier-musique ou du papier-score que l’on utilisait, il y a encore une petite vingtaine d’années! Que ce soit pour construire un arrangement, réaliser un relevé, noter une idée à la volée, Sibelius semble, avec un peu d’entraînement, aussi facile et raide à utiliser que ce fameux papier musique en offrant de surcroît, la possibilité de l’écoute immédiate et tous les avantages du traitement informatique: transposition, mise en page, impression…
On démarre
L’installation du logiciel, tant sur Mac que sur PC ne pose pas la moindre difficulté. Sur ce dernier, il faudra au moins Windows XP SP2. En même temps que le programme proprement dit sont installés ‘Sibelius Sound Essentials’, la banque de sons utile au fonctionnement du programme, et selon le choix retenu, PhotoScore Lite, livré avec Sibelius dont la fonction est de permettre le scan de partitions existantes, et Scorch qui autorise l’exploitation de partitions récupérées entre autres, sur le site www.sibelius.com ou www.sebeliuseducation.com. La validation définitive du logiciel se fait en ligne, après saisie du numéro de série. Il est toutefois possible d’utiliser Sibelius sans le valider, mais les fonctions de sauvegarde et d’impression sont alors inactives.
La procédure de lancement du logiciel permet d’entendre un extrait de la 3e Symphonie de Sibelius. L’idée est sympathique et originale pour un programme musical, même si ce n’est pas la fonctionnalité la plus remarquable du logiciel et si… ce n’est sans doute pas la partie la plus spectaculaire de l’œuvre qui a été choisie! Toutefois, si après de nombreuses utilisations, vous ne supportez plus ce fragment musical, il est heureusement possible de le désactiver. La fenêtre de lancement propose un navigateur qui offre différentes options de travail. (Fig.1) et qui peut aussi être désactivé au profit d’un accès conventionnel aux menus. Pas d’inquiétudes pour les switchers provenant d’un autre logiciel d’édition bien connu, les fichiers s’ouvrent instantanément et conserveront, après sauvegarde en XML, la majorité des options de mise en page, nous y reviendrons plus loin…
Comment ça marche?
Fig 3: la table de mixage de Sibelius. Les indications d’origine du son (quel plug-in joue quoi…) ainsi que les fonctions Solo, Mute et ½ Mute sont immédiatement accessibles. |
Pour tester un logiciel d’édition de partitions, il y a plusieurs approches: soit on copie un fragment d’une partition existante en évaluant la facilité de saisie, soit on crée un morceau de toutes pièces, soit encore, on l’importe d’une autre application. Nous avons expérimenté les trois exercices, et avons complété le second de la création d’exercices pédagogiques, tels que pourrait le réaliser un enseignant.
La police d’écriture, tout comme la texture du papier musique virtuel de Sibelius sont paramétrables: grand luxe ! Dix-huit types de polices ‘musique’ et près de 60 configurations de papiers sont ainsi disponibles, depuis le coton blanc défini par défaut en passant par le marbre, le cuir, la… peau de tigre (fig.2), qui au-delà de l’aspect ethnique (!) de la partition, ne donne pas vraiment tous les gages de lisibilité… Le résultat imprimé reste en revanche standard…
Fig. 2 : l’affichage écran peau de tigre. Sophistiqué, mais pas très lisible! |
L’affichage à l’écran se fait en mode classique, figurant la partition à l’intérieur de laquelle on peut circuler grâce à la fonction Navigateur. Nouveauté de la version 5, le mode ‘vue panoramique’, qui permet de voir la partition sur un affichage défilant linéairement de gauche à droite, sans obliger de déplacements verticaux au cas où plusieurs systèmes figureraient sur la même page. L’adaptation de la taille d’affichage est paramétrable par l’utilisateur.
Sur le plan sonore, Sibelius est livré avec une banque de sons Garritan sélectionnée pour le logiciel et tout à fait respectable, mais il est possible d’utiliser un module de sons externe en Midi ou de choisir d’autres plug-ins au format VST (Windows et Mac) et Audio Units (Mac seulement). Le compositeur un peu exigeant pourra donc exploiter ses instruments virtuels ou sa banque de sonorités préférée (Halion, Vienna Symphonic ou uneau format Kontakt 2) et pourra disposer d’effets applicables sur les instruments (réverbérations, égalisations…). On est loin des fonctionnalités des plug-ins haut de gamme spécialisés, mais le résultat est tout à fait honorable, il faudra cependant bien prendre en compte les performances de la machine hôte pour ne pas avoir de mauvaises surprises. Tout cela est bien entendu dosable au travers des fonctions d’une table de mixage qui désorientera peut-être les techniciens du son, car les potentiomètres sont horizontaux (Fig.3) et reprennent l’ordre des portées de la partition; les musiciens, en revanche, apprécieront! À noter une ingénieuse fonction ‘½ mute’, qui permet de réduire significativement le niveau de pistes qu’on ne souhaite pas entendre au premier plan, au moment de la relecture, par exemple.
L’exploitation
Pensé comme un outil de saisie musicale, Sibelius favorise les techniques de saisie rapide. Quatre procédures de saisie sont exploitables:
Saisie à la souris : c’est la plus évidente, si l’on se rapproche à nouveau de l’objectif bloc-note musical. En utilisant la panoplie de raccourcis-claviers correspondant aux touches du pavé, qui regroupe en une seule palette, la plupart des symboles utiles, on atteint très vite une vitesse de saisie diabolique. Seul hic, ce pavé trouve principalement ses raccourcis sur le pavé numérique du clavier de l’ordinateur… Les portables seront donc déconseillés, même si rien n’empêche d’utiliser le verrouillage numérique, mais ça devient plus acrobatique…
Saisie alphabétique : cette fois-ci, c’est le clavier alphabétique de l’ordinateur qui sera utilisé, en repérant les notes selon leur désignation anglo-saxonne (C pour Do, D pour Ré, etc.). Là aussi, un bon apprentissage des raccourcis clavier, rappelés au dos de la notice d’emploi, sera primordial pour une utilisation rapide.
Saisie en mode pas-à-pas : assez identique au précédent mode d’entrée de notes, en utilisant un clavier Midi.
Saisie en mode ‘Flexi-Time’ : sans doute la plus naturelle, pour… les pianistes . Comme avec un séquenceur conventionnel, on enregistre en temps réel en jouant au clavier. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est la possibilité d’infléchir automatiquement le tempo de saisie pour un rubato ou un accelerando : le métronome évalue les fluctuations et suit le rythme de votre saisie pour peu que les ruptures de rythme ne soient pas trop brutales. Une fenêtre de paramétrages (Fig.4) permet l’ajustement des critères de saisie automatique: valeurs du rubato, figures rythmiques complexes, quantification du jeu…
Les retouches se feront en basculant instantanément dans l’un des modes précédents, qui sont accessibles sans manipulation particulière. Par défaut, Sibelius écrit les instruments transpositeurs en Ut au moment de la saisie. Un simple raccourci clavier permet de basculer dans la partition transposée.
L’importation
Fig. 5 : l’un des deux onglets de paramétrage d’import d’un MDF |
La récupération de fichiers numériques est dans l’ensemble, sans problèmes, hormis l’import de fichiers numérisés par PhotoScore, sur laquelle nous ne nous attarderons pas… Pas de soucis en revanche, en ce qui concerne l’ouverture d’un fichier MidiFile, pour lequel on peut définir un certain nombre de paramètres d’importation (quantisation, phrasé…) (fig. 5)
Un peu de manipulation sera nécessaire pour d’éventuelles retouches liées aux répartitions des voix dans une partie polyphonique, mais le résultat final sera sans faille.
Sibelius sait aussi récupérer les fichiers Finale, son grand concurrent. Là aussi, rien à redire, un petit tableau de bord (fig.6) affine les conditions d’importation, optimisées par ailleurs si le fichier a au préalable, été sauvegardé en XML. Selon la nature du document, il peut être utile de retoucher les balances de la table de mixage et les program changes, mais en quelques minutes au plus, on est prêts à travailler.
La mise en page
Bien évidemment, la mise en forme du document musical est le point le plus sophistiqué d’un éditeur de partitions que l’on peut à ce niveau, considérer comme la rencontre d’un programme de traitement de texte et de PAO. Les fonctions de mise en page et de finalisation du document musical dans Sibelius sont particulièrement simples à paramétrer. La fenêtre ‘paramétrage du document’ (Fig.7) permet de définir les options générales de l’allure de la partition.
Fig. 8 : les réglettes d’objets et de portées permettent le repositionnement des objets de la partition |
Les positions des objets figurant sur la partition sont modifiables, en utilisant les réglettes de mise en page (Fig.8). L’objet (signe de nuance, d’interprétation, paroles…) se déplace en cliquant dessus. Même remarque en ce qui concerne l’espacement des portées, dont le déplacement réajuste en temps réel la mise en page globale de la page.
Il est à noter qu’il est particulièrement aisé de modifier l’allure de la partition, après que le choix initial de l’orchestration ait été fait : l’ajout d’un instrument nouveau, ou d’une portée vierge (option intéressante pour le travail de formation musicale) ou au contraire, la suppression ne pose pas le moindre problème. Le logiciel recalcule tout seul les nouvelles options de mise en page et positionne le nouvel instrument au bon endroit par rapport à l’allure conventionnelle du score d’orchestre.
La boîte à idées
Fig 9 : la bibliothèque de la boîte à idées. Notez le commentaire concernant le fragment sélectionné |
Vous allez adorer ou détester cette fonctionnalité, mais elle ne vous laissera pas indifférents! Sibelius propose une bibliothèque de 2000 modèles d’extraits musicaux variés qui sont instantanément récupérables dans la partition en cours de réalisation. (Fig.9) et pour lesquels un petit commentaire indique la nature, l’exploitation possible et les mots clés permettant si besoin, une recherche rapide.
D’une certaine manière, on pourrait considérer que l’on est quasiment dans la logique d’un lecteur de boucles tel Garage Band sur Macintosh, assemblables à volonté, ou d’un dictionnaire de rimes ou de synonymes : on peut trouver rapidement des formules susceptibles de ne pas tomber dans le syndrome de la page blanche ! Mais on travaille ici avec des fragments de partitions boucles qui se transposeront automatiquement dans la tonalité du morceau et s’adapteront à son tempo. Les grincheux critiqueront le côté musique préfabriquée du dispositif, qui peut en effet être discutable si l’on se contente d’exploiter ce qui est livré, mais ce qui est intéressant, c’est que l’on peut enrichir cette base de données de fragments personnels qui seront exploitables ultérieurement. (Fig.10)
Les enseignants en formation musicale apprécieront particulièrement cette fonctionnalité pour la préparation d’exercices: il leur suffira en effet de se construire une bibliothèque de modèles de référence qu’ils pourront ensuite coller dans le texte de leurs exercices sans avoir à ressaisir le ou les fragments musicaux à chaque fois.
Fig 10 : une nouvelle idée est capturée et vient s’ajouter à la bibliothèque |
Le matériel d’orchestre
Sibelius offre la possibilité de réaliser une réduction d’orchestre pour piano, ou de réorchestrer le travail effectué à destination d’un autre type de formation. Le logiciel fait lui-même la configuration des voix la plus homogène possible après paramétrages des choix de tessiture par l’utilisateur. Les partitions séparées (Fig.11) sont qualifiées de dynamiques par Sibelius, qui conserve l’interaction entre partition d’orchestre et parties d’instruments: la mise à jour d’une note dans l’une des deux est retranscrite dans l’autre… Le logiciel sait faire mention des ‘à défaut’ et des ‘répliques’, permettant d’indiquer les notes repères d’une autre partie que celle éditée. Les musiciens d’orchestre apprécieront. On peut aussi créer des groupes de parties, dans notre modèle, il peut être judicieux d’imprimer ensemble les parties de chœur, par exemple. Les symboles d’accords de guitare, d’instruments de percussion sont insérables dans la partition. Sibelius permet aussi la réalisation de tablatures de guitare, de luth, et sait réaliser une basse chiffrée pour la basse continue. Il sera tout aussi à l’aise dans certaines écritures contemporaines.
Les techniques de jeu, les articulations, nuances, accents et autres trilles sont prises en compte dans la restitution sonore de la partition: un paramétrage personnalisé permet d’affiner la définition d’un crescendo ou la valeur des staccatos, par exemple. Les symboles musicaux additionnels pour la notation de la musique ancienne ou contemporaine, comme les ornements baroques et les clusters sont intégrés dans les objets insérables. Le texte des paroles peut être ajouté directement depuis un fichier texte.
Les exercices
Les développeurs de Sibelius ont accordé une attention particulière aux enseignants de la musique. Un menu spécifique est prévu dans le logiciel et six catégories d’exercices sont proposées : éléments de théorie (Fig.12), écriture et création, répertoire, références, posters et jeux, ainsi qu’un support pour les programmes pédagogiques des écoles de musique… anglaises !
Fig 12 : deux exemples d’exercices, personnalisés ‘à la française’ |
Le site www.sibeliuseducation.com, hélas en anglais, offre des modèles d’exercices supplémentaires à télécharger et exploiter dans le logiciel au moyen de l’utilitaire Scorch. Les utilisateurs enregistrés peuvent uploader leurs exercices afin de le proposer à l’utilisation de la communauté des enseignants. La conception d’exercices est aisée, que ce soit en utilisant un modèle existant ou en partant d’une feuille vierge.
Partition à l’image
Comme nous l’avons évoqué plus haut, Sibelius dispose d’un module de lecture vidéo, qu’apprécieront particulièrement les compositeurs travaillant pour le cinéma. Les fichiers lisibles par le logiciel sont aux formats .avi, .mpg, .wmv. et.mov. Un menu de synchronisation permet de positionner un éventuel offset entre son et image. Une fois le calage fait, la vidéo sera parfaitement asservie sur le déroulement de la partition, qui peut afficher les codes temporels à chaque mesure (Fig.13), ainsi que les points de montage éventuels.
Fig. 13 : l’insertion de la vidéo dans la partition. Notez les codes temporels affichés au-dessus des portées |
Conlusion
Sibelius 5 confirme ce que l’on avait pu découvrir avec les versions précédentes: c’est du lourd! Les développeurs anglais ont réussi un beau programme, plutôt convivial et redoutablement efficace. On peut encore regretter, mais en devenant difficiles, que la fonction ‘All Note Off’ ne soit pas plus évidente, quand d’aventure, un bug plante la transmission Midi, ainsi que des fonctions locators permettant un accès rapide à une section du morceau, mais cela devient du pinaillage!
La prise en main est rapide, même si la notice – le manuel de référence compte 680 pages - sera utile pour mémoriser les raccourcis claviers qui rendent le logiciel, une fois assimilés, diaboliquement efficace. Les compositeurs et orchestrateurs adoreront son ergonomie qui leur permettra de ne pas perdre de temps en manipulations informatiques et de se consacrer totalement à leur écriture. Profitant d’une attention particulière, les enseignants de la musique trouveront avec Sibelius un outil parfaitement adaptable à leurs besoins et ne nécessitant pas des heures de découverte pour l’utiliser. Presqu’un sans faute.