Guitar Pro est plus qu’un logiciel. C’est devenu un standard pour tous ceux qui utilisent des tablatures. De fait, lorsqu'Arobas présente la septième version de son produit vedette plus de 7 ans après la précédente, on est forcément curieux de voir la bête.
Plus de sept ans se sont écoulés depuis la sortie de Guitar Pro 6, au point qu’on finissait par se demander si son éditeur envisageait de lui donner une suite. Sans qu’on ne voie rien venir, c’est pourtant au dernier Winter NAMM que le successeur Guitar Pro 7 a pointé le bout de ses tabs pour une sortie quelques mois plus tard au cours du Musikmesse de Francfort. Et quelle sortie ! Soucieux sans doute de tenir son calendrier au détriment d’un bêta test sérieux, Arobas Music a dans un premier temps livré une version vraiment très boguée et instable de son logiciel phare, au point de s’attirer le courroux de tous les utilisateurs qui s’étaient payé la mise à jour et qui n’ont pas trop apprécié d’essuyer des plâtres décidément trop frais. Quelques mois et correctifs plus tard, le logiciel est enfin stable et parfaitement utilisable, de sorte que l’on peut juger des apports de cette septième mouture.
Kind of blue
Indubitablement, c’est sur le design et l’ergonomie que le gros du travail a d’abord porté, avec un relooking complet du logiciel. On abandonne ainsi les tons grisés de la version 6 pour passer à des nuances de bleu et un parti-pris plus marqué pour le flat design tellement à la mode en ce moment. Mais au-delà de cet aspect cosmétique qui n’est pas pour nous déplaire, c’est le moteur graphique complet qui a été réécrit pour offrir une partition de meilleure facture, gérer les écrans à haute résolution ou offrir des aperçus du manche et du clavier redimensionnables.
L’interface a pour sa part été réorganisée, le logiciel regroupant désormais tous les contrôles et outils dans trois panneaux escamotables cernant la partition. Le volet de gauche, appelé palette d’édition, rassemble tous les outils d’écriture et d’édition (notes, silences, accidents, armatures, techniques de jeu, etc.), celui de droite, appelé inspecteur, les propriétés de la partition ou de la piste en cours de sélection, et le volet du bas, appelé vue globale, le mixeur et la grille d’arrangement du morceau. Il n’y a rien de révolutionnaire là-dedans dans la mesure où la plupart des fonctions consignées dans ces panneaux existaient dans la version précédente, mais à l’heure où le petit monde du logiciel explore le concept du ‘distraction free’, la possibilité de les escamoter pour se concentrer sur la partition est vraiment agréable. On appréciera par ailleurs la nouvelle barre de transport située au sommet de l’interface et qui permet de naviguer bien plus efficacement dans les différentes pages que par le passé, avec la possibilité notamment de se rendre directement à une mesure précise.
Les petites améliorations
Dans le sillage de cette refonte d’interface, Guitar Pro 7 a encore d’autres choses à nous offrir au rayon de l’ergonomie comme la simplification du passage d’un son de guitare à un autre depuis la partition ou le fait que les tablatures soient désormais disponibles pour toutes les pistes du logiciel, quelles qu’elles soient, et notamment pour la batterie ou le piano.
Même s’il s’agit là a priori d’une demande de certains utilisateurs, on restera sur ce sujet relativement sceptique, car ces dernières se font sur une grille de guitare (!) au moyen de numéros parfaitement énigmatiques, ce qui aboutit à un système de notation très loin d’être intuitif pour un batteur ou un pianiste, voire pour un guitariste. C’est d’autant plus étrange qu’il existe des systèmes de tablatures pour batterie relativement efficaces, tandis que pour le piano, on aurait pu imaginer quelque chose s’inspirant de la notation Hao au lieu de ce système bien capilotracté.
On se réjouira en revanche de l’intégration de nouvelles techniques de jeu (golpe, pick scrape ou dead slap font ainsi leur apparition) et d’une flopée de nouveaux instruments : des guitares Dobro, flamenco, manouche, sept cordes nylon, un sitar électrique, une basse fretless, une contrebasse jazz, des accordéons, un Mellotron, des harmonicas, une cornemuse et de nouveaux synthétiseurs et boîtes à rythmes.
Pour gérer tout cela, le Realistic Sound Engine (le moteur de rendu audio maison) nous arrive lui aussi dans une version améliorée sur laquelle il convient de s’arrêter.
Really realistic?
Côté RSE, l’éditeur a amélioré la gestion du bend et des vibratos pour obtenir des résultats plus naturels, ce qui est une très bonne chose. On notera aussi le passage en stéréo de la plupart des instruments et une « spatialisation automatique des éléments de batterie ». Une batterie stéréo, quoi…
Le seul problème, c’est qu’en dépit de ces diverses améliorations et d’une section d’effets fournie par Overloud (a priori gage de qualité) qui permet à l’éditeur de décliner ses sons de bases dans de multiples presets, le réalisme des playbacks produit par ce Guitar Pro 7 est souvent loin d’être convaincant en regard de ce qu’il est possible de faire en 2017.
Ce sont évidemment les guitares qui s’en sortent le mieux, encore qu’il ne faille vraiment pas être exigeant pour les strummings qui sonnent souvent mal (c’est en fait très variable d’une tablature à l’autre, même quand celles-ci proviennent du site de référence MySongBook), que ce soit en son clair ou en acoustique. Et on est d’autant plus déçu de cela que les guitares virtuelles ont fait de remarquables progrès au cours des dernières années en termes de réalisme. Du coup, même si les bends et vibratos sonnent effectivement mieux qu’en V6, les progrès du moteur de rendu ne sont pas flagrants.
Mais c’est surtout sur le reste de la banque que le bât blesse car au-delà de la guitare, on se situe au niveau d’une banque GM vieillotte, loin d’égaler la qualité d’un simple GarageBand. Comprenez par là qu’on manque vraiment de détails sur le sampling et qu’en plus d’une gestion des nuances très perfectible, on pestera surtout sur l’absence de Round Robins qui nuit vraiment au réalisme des instruments lors de staccatos (la batterie notamment) tandis que la plupart des samples sont gavés de réverbe de base (ou alors il y a une réverbe cachée dans le soft que je n’ai pas réussi à désactiver). Résultat, la qualité des playbacks proposés par ce Guitar Pro 7 oscille de fait entre des choses tout à fait correctes et d’autres franchement médiocres, Arobas ayant préféré miser sur la quantité d’instruments fournis plutôt que sur la qualité de ces derniers.
Voyez d’ailleurs ce petit pot-pourri réalisé à partir de partitions tirées de MySongbook (et donc a priori qualitatives).
Le Shine On des Floyd se débrouille très bien, tout comme le Brothers in Arms de Dire Straits, mais que dire de Whole Lotta Love ou de la version acoustique de Jumpin’ Jack Flash ? Disons que ça servira de retour son pour bosser la mise en place mais il n’y a vraiment pas de quoi vanter les performances du moteur maison. Et certainement pas de quoi se servir du logiciel pour faire ses maquettes.
Certes, les logiciels concurrents ne font pas forcément mieux, mais après 7 ans d’attente, on espérait que l’éditeur ait à coeur de nous fournir au minimum des batteries qui ne sonnent pas comme des Soundfont des années 90.
À vous de jouer
Arobas se rattrape toutefois en proposant une toute nouvelle fonctionnalité : la possibilité de jouer directement avec sa guitare dans le logiciel.
Pour peu que vous connectiez votre guitare à l’entrée instrument de votre interface audio, vous disposez désormais de la possibilité d’utiliser la section d’effets du logiciel, ce qui pourra s’avérer pratique pour travailler mais qui, en l’absence de possibilité d’enregistrement, ne présentera pas un grand intérêt pour parfaire vos maquettes ou réécouter votre jeu pour y percevoir les erreurs.
Accompagnant cette fonction, un accordeur polyphonique fait son apparition, de même que la possibilité d’exporter un rendu de votre projet aux formats MP3, Ogg ou Flac en plus du PCM (WAV/AIFF) qui était déjà géré. Bien évidemment, les réserves émises sur le réalisme des instruments amoindrissent forcément l’intérêt de cette fonction, mais on ne va pas cracher dessus, d’autant que c’était la dernière nouveauté majeure de ce Guitar Pro 7.
Putain 7 ans !
Indubitablement, cette septième mouture est meilleure que la précédente à présent qu’un sérieux débogage est passé par là, et il ne fait pas l’ombre d’un doute que Guitar Pro demeure l’un des meilleurs — si ce n’est le meilleur — éditeurs de tablatures sur le marché. Sur ce point, on a donc tout lieu de se réjouir. On se dit aussi que quantité de choses importantes pour l’avenir du logiciel ont été faites et qu’elles ne sautent pas forcément aux yeux, comme la réécriture d’une bonne partie du code qui s’avère probablement plus maintenable et capable d’évoluer désormais.
Mais il faut l’admettre : après plus de sept ans, on attendait mieux qu’un coup de peinture, un accordeur et une entrée audio. On espérait notamment de vrais progrès du côté des instruments embarqués qui ne nécessitaient pas pour la plupart une petite amélioration mais une refonte complète des banques comme du Realistic Sound Engine, quitte à s’acoquiner avec des gens dont c’est le métier. On espérait aussi une meilleure gestion du mixage et notamment de la réverbe. Sans vouloir faire de Guitar Pro un Cubase, le fait de gérer la réverbe en envoi plutôt qu’en insert sur chaque piste éviterait probablement à quantité de playbacks de sonner aussi fouillis du point de vue audio, au point qu’on peine parfois à distinguer certaines parties.
Le relatif immobilisme du logiciel se retrouve d’ailleurs dans l’offre de mySongBook, la boutique en ligne proposée par l’éditeur pour acheter des tablatures de qualité et dont le catalogue s’avère vraiment trop lacunaire. Nul doute que si vous voulez jouer du Pink Floyd, du Dire Straits, du Rolling Stones ou du Beatles, vous devriez y trouver votre bonheur (encore qu’on soit loin de disposer des intégrales), mais pour le reste… deux morceaux seulement pour les White Stripes, la même chose pour Leonard Cohen ou Prince quand on ne dispose que de quatre titres de Muse, six pour James Brown et douze titres seulement pour toutes les années 2010 ! Radiohead ? Sorti d’OK Computer, n’y comptez pas trop. Quant aux Artic Monkeys, à Amy Winehouse, à Metronomy, à Tame Impala, aux Black Keys ? Ils pointent aux abonnés absents de ce catalogue qui a vraiment pris un gros coup de vieux. Encore une fois, on se demande ce qu’il s’est passé, en dehors des portages sur tablette, au cours des sept dernières années.
Un autre problème vient du fait que Guitar Pro semble avoir toutes les peines du monde à se réinventer, notamment sur le plan pédagogique. S’il y a vingt ans de cela, la tablature demeurait l’un des seuls et uniques moyens d’apprendre la guitare en dehors d’un prof, le phénomène YouTube est passé par là et que ce soit sur cette plateforme ou chez les spécialistes de l’apprentissage en ligne payants, il n’y plus personne pour se passer de la vidéo comme support de cours. Le pire, c’est qu’Arobas propose quelques vidéos de ce genre sur YouTube… De fait, le débutant qui veut juste apprendre à jouer Seven Nation Army ne vas pas trop se poser de question entre acheter un Guitar Pro ou visionner quelques vidéos gratuites sur le web. Notez que je ne dis pas que la tablature n’a plus d’intérêt, mais que la pertinence d’un éditeur de tablatures dans un contexte pédagogique telle que le revendique Arobas me semble aujourd’hui bien plus discutable qu’autrefois.
Au-delà du recours au multimédia pour la pédagogie, ce n’était pourtant pas les idées qui manquaient pour rendre ce nouveau Guitar Pro plus attractif, en s’inspirant de produits novateurs ou en licenciant des technologies. On pense notamment à JamOrigin dont le MIDI Guitar permet une saisie naturelle des notes via la guitare, ou encore à SuperMegaUltraGroovy dont le Capo aide à l’isolation, à la reconnaissance d’accords ou au déchiffrage. On pense encore à la gamification intéressante à laquelle se sont livrés Ubi Soft avec Rocksmith et Yousician. Quant à la possibilité intéressante de jouer dans le logiciel, on l’aurait vraiment plus appréciée avec la possibilité de s’enregistrer car en l’état, ça ne présente pas un grand intérêt, que ce soit pour étudier son propre jeu ou pour réaliser des maquettes. Guitar Pro deviendrait alors une sorte de STAN ? Et pourquoi pas ? Avec de telles améliorations, le coût du logiciel s’en ressentirait probablement. Mais il serait également bien plus attractif car pour l’heure, si ce GP7 n’est pas un mauvais bougre, on a l’impression qu’il n’apporte pas grand-chose qui change la donne depuis Guitar Pro 6.
Conclusion
Enfin débarrassé des bugs qui ont perturbé son lancement, Guitar Pro 7 s’affirme comme le digne successeur de Guitar Pro 6, soit le logiciel qui est probablement le plus complet et pratique à ce jour pour écrire ou éditer des tablatures de guitare/basse, avec une qualité de playback qui surpasse souvent ses concurrents directs. On le conseillera donc sans réserve à ceux qui ont besoin de produire ou lire des partitions dans ce format, d’autant que son prix est relativement intéressant, que ce soit en version complète ou en mise à jour.
En dépit des améliorations proposées, on peine tout de même à comprendre ce qui a pris plus de sept ans à Arobas pour nous proposer cette mise à jour qui ne fait pas grandement avancer le schmilblick. Oui, l’interface est un peu mieux pensée. Oui, on dispose désormais de la possibilité de jouer dans le logiciel et d’un accordeur polyphonique. Mais ces bonnes choses peinent à nous faire oublier les banques de sons vieillottes et le fait que le soft, sur le plan fonctionnel comme technologique, n’a pas grandement évolué.
Bref, que vous soyez un ancien utilisateur du logiciel ou que vous envisagiez son achat, je ne saurais que trop vous conseiller de télécharger la version d’évaluation disponible sur le site de l’éditeur pour vous faire votre propre idée sur le bénéfice que vous pourriez en tirer, sachant que pour ma part, j’attends déjà avec impatience la version 8 qui, espérons-le, ne se fera pas autant attendre et se montrera plus ambitieuse.
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