Après les voix, les basses et les cordes, Output s’attaque aux instruments à vent en appliquant la recette qui a fait son succès. Reste à voir si cet Analog Brass & Winds a du souffle.
Il n’aura fallu que 4 ans à Output pour se faire un nom dans le monde des instruments virtuels, et surtout imposer une identité qui fait défaut à quantité de sociétés plus anciennes. La recette est simple : proposer dans une interface aussi belle qu’ergonomique des outils simples pour réaliser des sons complexes à partir de samples acoustiques et synthétiques, en arrosant le tout d’une large rasade de presets de qualité.
Le concept marchait déjà formidablement bien avec Rev (dédié aux sons inversés) au point d’entendre ce dernier et son extension X-Loops dans quantité de musiques pour le petit et le grand écran depuis, puis de le voir décliné sur plusieurs thèmes : les sons synthétiques courts avec Pulse, les voix avec Exhale, la basse avec Substance, les cordes avec Analog Strings et enfin les cuivres et bois avec Analog Brass & Winds qui nous occupe aujourd’hui.
Les mangeurs de pop-corns seront ravis de découvrir cela avec nous dans ce nouvel épisode d’On Refait Le Patch :
Quant aux amateurs de lecture, c’est en dessous que ça se passe… ;-)
Des cuivres bien astiqués
Comme à l’accoutumée avec Output, le design de l’interface ne déçoit pas, mélangeant habilement flat design et 3D. Si l’organisation de cette dernière est identique à celle d’Analog Strings, le bleu et la rondeur des filaments caoutchouteux cèdent la place à l’oranger et à des tubes de cuivre sur les glissières de l’écran qui nous accueille. C’est vraiment mignon tout plein en dépit de contrastes pas toujours très lisibles (le gris foncé sur gris un peu plus foncé, c’est sans doute très joli mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus évident à lire).
Au-delà de cette sympathique variation graphique, on retrouve au cœur du logiciel le même moteur composé de deux lecteurs de samples disposant chacun de sa propre section d’effets, de sa propre section de modulations et de son propre arpégiateur, le tout étant couronné d’une ultime section d’effets : une organisation qui n’est pas sans rappeler celle d’Omnisphere dans des proportions plus modestes et qui, si elle n’est pas bouleversante d’originalité, n’en est pas moins très efficace pour créer des sons originaux très simplement. Nous y reviendrons, non sans avoir préalablement fait le tour de l’interface qui se divise comme pour Analog Strings en 5 onglets : main, edit, fx, rhythm et arp.
Messieurs les onglets
Main offre les contrôles de base de l’instrument, à savoir dans la partie haute quatre glissières permettant de piloter des macros (différentes pour chaque presets), et dans la partie basse les deux lecteurs de samples avec, pour chacun, la possibilité de régler le volume, l’accordage mais aussi le mode de lecture. En un clic, on accède au ‘source menu’ qui rassemble dix samples de type orchestral, synthétique et créatif dans les catégories ‘one shot’, ‘pad’ et ‘tape’. Le calcul est simple : 10 × 3 × 3, ça nous fait 90 sources à combiner, soit 4005 combinaisons à traiter et moduler, ce qui offre un assez beau terrain de jeu, convenons-en, d’autant que les sources sont variées et très intéressante pour la plupart : ça va de la brass synthétique à la section d’orchestre en passant par des sons de flutes mais aussi des choses sans rapport aucun avec le thème et qui seront intéressant en combinaison, tel des sons de piano, du bruit blanc ou de bêtes pulse.
Précisons que l’assignation des glissières de macros se fait très simplement en cliquant sur le coin supérieur droit de l’interface, sachant qu’une macro ne peut pas piloter plus de 6 paramètres simultanément, et que tous les paramètres de l’interface ne sont pas assignables. Impossible par exemple de piloter la signature rythmique des delays ou des arpégiateurs, ce qui serait pourtant très intéressant en sound design.
Vient ensuite l’onglet Edit donnant accès pour chaque lecteur au paramétrage des enveloppes de pitch et volume, de la stéréo et du flutter (les variations de pitch typiques d’une bande usée et produisant une sorte de charmant vibrato), ainsi qu’aux détails de mapping MIDI : zone de clavier concernée par le lecteur, plage du glide et sensibilité à la vélocité.
On passe après cela à l’onglet FX qui donne accès aux sections d’effets de chaque lecteur (Filter, EQ, disto, compresseur, delay & réverbe) ainsi qu’à une section d’effet globale (Filter, EQ, disto, compresseur, modulation, double delay & réverbe), sachant que l’effet disto comprend une simulation de tube, un overdrive et un bitcrusher/downsampler tandis que Motion réunit un phaser et un chorus. Les interfaces de chaque effet ont l’avantage d’aller à l’essentiel en quelques paramètres, ce qui permet à l’instrument de rester simple même si cela se fait au prix de quelques lacunes.
Sur les delays par exemple, on ne dispose d’aucun filtre ou d’aucune modulation, juste le temps de retard uniquement synchronisable à l’hôte (pas de réglage en millisecondes donc), le feedback et le dosage de l’effet. Sur la réverbe à convolution globale, on dispose de 6 paramètres en plus du choix de la réponse impulsionnelle (à choisir parmi 16 réverbes réalistes ou 16 réverbes/échos créatifs), mais les réverbes affectées à chaque moteur ne proposent que trois paramètres (Predelay, Size & Wet) sans aucun choix de l’algo.
Bref, Output a fait le choix du minimalisme, avec tout ce que ça a d’intéressant comme de limitant.
L’onglet suivant est baptisé Rhythm et c’est ici que sont consignés quatre modulateurs débrayables (deux pour chaque lecteur) pouvant être réglés en mode LFO (avec 24 formes d’ondes possibles) ou en séquenceur à pas (avec 72 presets), sachant que les 8 destinations de modulation sont fixes : volume et panoramique du lecteur concerné, fréquence de coupure et résonance de son filtre et contrôle de tous les effets de saturation/dégradation (tube, drive, bits et sample rate).
En vis-à-vis de ces modulateurs très classiques qui ne sont réglable que rythmiquement (et non en ms), on soulignera tout l’intérêt du meta-modulateur baptisé Flux. Autrement plus original, ce dernier est un ‘step rate sequencer’, soit un séquenceur à 8 pas qui permet de définir pour chaque pas la signature rythmique qui s’appliquera au LFO ou au séquenceur à pas, et le nombre de cycles pendant lequel cette signature s’applique. De quoi mettre un beau bazar dans un groove !
On finit avec l’onglet Arp qui, comme son nom l’indique, propose un arpégiateur à 32 pas pour chaque lecteur, avec toutes les options habituelles pour ce genre d’outil dont la possibilité de régler le swing des séquences et 72 arpèges prêts à l’emploi.
Comme vous le voyez, il y a pas mal de choses sur lesquelles intervenir, ce dont ne se privent pas les 500 presets livrés avec l’instrument et qui disposent d’un sympathique navigateur par tags pour vous aider à trouver ce dont vous avez besoin. Vous l’aurez compris, l’heure est à présent venue de parler son.
Tatapouet 2.0
Un clic sur le preset affiché au sommet de l’interface permet en effet d’accéder à un onglet caché : le navigateur de presets. C’est à cet endroit que nous attendent les 500 sons réalisés par les sound designers d’Output, sachant qu’on dispose d’une trentaine de tags pour les filtrer, ainsi que d’un système de marquage de favoris.
L’intention est louable car on voit encore trop d’instruments pour Kontakt se contenter d’aligner des dizaines de patches dans l’interface rustique du sampler de Native Instruments, ou se contenter d’être compatibles avec le format NKS, reportant sur le logiciel Komplete Kontrol la fonction de navigateur. Deux petits bémols toutefois : outre certains tags qui manquent (short/long par exemple) et l’impossibilité de rajouter ses propres tags, on regrettera surtout de ne pas pouvoir faire de recherche par exclusion de tags (impossible par exemple de supprimer de la liste tout ce qui est lié à ‘dirty’ ou ‘agressive’ par exemple) ou par simple mot-clé. Ces reproches sont vite oubliés toutefois dès lors qu’on commence à jouer avec les sons concoctés par les gens d’Output car les bougres ont du talent, c’est indéniable.
Voici quelques exemples réalisés à partir d’une simple séquence MIDI soumise à différents patches :
- Tick Tock 00:05
- Fragments 00:05
- Lightinthe darkness 00:05
- Analog Air Bed 00:05
- Inconsistency 00:05
- Flippant Jumps 00:05
- Resolution 00:05
- Stardust 00:05
- Dirty Sax 00:05
- Current State 00:05
- Causality 00:05
- Major Wind Bender 00:05
Comme vous l’entendez, il y a de quoi faire, sachant que je vous fais grâce des sons de brass plus communs que l’on trouve parmi les 500 presets, mais qui n’en demeure pas moins présent, et que l’instrument peut s’aventurer bien au delà de sa thématique de base. Petite remarque tout de même : certaines sources sont harmonisées 'en dur’ dans le sample même. Du coup, leur usage et leur transposition ne sera pas forcément très heureuse suivant les contextes harmoniques ; mieux vaut le savoir. Cela ne nuit en rien à la qualité première de ce corpus car les sons sont pour la plupart très inspirants et quelques notes sur le clavier suffisent souvent à mettre en branle la machine à idée.
Voici d’ailleurs quelques mises en situation d’Analog Brass & Winds réalisée par Red Led et moi-même, complétées au besoin d’une boîte à rythmes ou d’une batterie virtuelle et de sonorités provenant d’autres réalisations de l’éditeur (les excellents Substance pour les basses et Exhale pour les voix, notamment) :
- OUTPUTbrassyeah 02:40
- OUTPUTbrass chinesepolka 00:23
- OUTPUTwoodloop 00:09
- BRASSoprano 01:36
- Output Red Led Rocky 00:45
- Output Red Led Only 00:54
- Output Red Led 2 00:51
- Output Red Led 1 01:20
Electro, hip hop, cinematique : tout y passe sachant que les idées viennent assez vite sitôt qu’on pose les mains sur le clavier grâce à la qualité des presets. Indubitablement, la grande force de cet Analog Brass comme des autres productions Output tient dans la confrontation intéressante qu’il propose entre sonorités acoustiques et synthétiques avec toujours beaucoup de mouvement. Il en résulte une forte personnalité qui devrait ravir la plupart des musiciens, d’autant qu’il n’est pas bien compliqué de se jeter à l’eau pour créer ses propres patches, ou d’éditer les presets d’usine.
C’est vraiment à cet instant qu’on prendra la mesure du potentiel créatif d’Analog Brass & Winds… tout comme de ses limites.
Liberté conditionnée
Il faut en effet bien avoir conscience de ce qu’est Analog Brass & Winds et de ce qu’il n’est pas. Rien qu’avec la combinaison des différentes sources sonores, les effets et les possibilités de modulation qui nous sont proposés, il y a vraiment de quoi faire beaucoup, beaucoup de choses. Il n’est toutefois pas question de faire ce que l’on veut pour autant.
C’est ainsi que, comme nous l’avons mentionné, les destinations de modulation ont été fixées par Output et que vous ne pourrez pas moduler le paramètre qui vous chante comme il vous chante. Il en est de même avec les macros qui ne sont pas susceptibles de piloter n’importe quel réglage de l’interface. Par ailleurs, si tous les effets peuvent être désactivés, leur chaînage reste fixe, et les différents delay qui nous sont proposés ne peuvent être utilisés qu’en synchro avec l’application hôte : on peut certes définir si le delay va tourner à la noire, à la croche ou encore la double croche pointée, mais certainement pas régler le temps de retard en millisecondes pour obtenir quelque chose de moins carré.
Au-delà de ces limitations, on pourrait encore regretter le manque de véritables outils liés à la synthèse. Si l’on regarde au-delà des sections d’effets qui demeurent malgré tout relativement sommaires en termes de réglages comme de choix (pas de processeur de transitoire, pas de résonateur, pas de modulateur en anneau, pas d’harmonizer, pas de leslie, pas de simulateur d’ampli/HP) et du système de modulation dont nous venons d’évoquer les limites, force est de constater que la partie synthèse se résume à jouer avec la combinaison de deux samples et les enveloppes associées au pitch, au volume et au filtre multimode qui leur sont affectées, soit quelque chose de très basique. On aurait pourtant bien vu tout cela s’aventurer du côté de la synthèse granulaire par exemple.
Si l’on trouve des instruments multisamplés parmi les sources proposées, on regrettera enfin que la chose ne soit pas plus systématique car même s’ils ne visent pas à être réalistes, les cuivres et bois trafiqués qui ressortent du dernier né d’Output ont souvent du mouvement grâce aux effets et modulations, mais ils n’en sont pas moins un peu dénués d’expressivité et de la sensation d’avoir à faire à des instruments à vent, basés sur du souffle. Quand vous jouez une note pianissimo ou une note fortissimo sur de nombreuses sources, c’est en effet toujours le même sample qui est joué plus ou moins fort, et c’est bien dommage, d’autant que la vélocité n’est pas utilisable comme modulateur d’aucun paramètre. Dans le même ordre d’idée, on soulignera que la fonction glide proposée par le logiciel ne comble pas le manque d’un vrai legato sur beaucoup de sources.
Je le redis : toutes ces limitations n’empêchent pas Analog Brass & Winds d’être un beau petit labo d’expérimentation sonore, mais il faudra se faire à l’idée que derrière le mouvement artificiel essentiellement créé par les delays et les modulateurs, c’est une matière un peu trop inerte qui sert de base au logiciel, ce qui réduit le potentiel d’un instrument qu’on aurait voulu plus organique, plus tourné vers le souffle et toute l’humanité et l’émotion qu’il véhicule. Soyons honnêtes toutefois : quantité d’utilisateurs seront déjà comblés avec les 500 presets qui sont fournis de base sans aller voir plus loin que ça…
Conclusion
Output fait une fois de plus montre de son savoir-faire et de la pertinence de la recette mise au pont dès le premier Rev : des outils simples dans une belle interface pour animer des samples choisis avec soin, et servis avec une vaste collection de presets de très bon goût. De ce point de vue, il ne fait aucun doute qu’Analog Brass & Winds devrait plaire, même si les plus exigeants lui reprocheront certaines de ses limitations du côté du sampling comme du côté de la synthèse, de sorte que le mouvement créé par les effets et modulations ne dissimule pas toujours un manque d’expressivité dans les instruments. Il y a donc suffisamment de petits défauts pour espérer voir Output améliorer sa formule, et suffisamment de grosse qualité pour attendre avec impatience la suite du programme.