Se connecter
Se connecter

ou
Créer un compte

ou
FR
EN

Le salon de la peinture

  • 191 réponses
  • 20 participants
  • 16 776 vues
  • 22 followers
Sujet de la discussion Le salon de la peinture
Amis amateurs de peinture, c'est par ici que ça se passe. De Ucello à Alechinsky, on parle de toutes les toiles, celles qu'on aime et qu'on déteste, celles qui nous font ruminer toute la semaine et celles dont on ne se rappelle déjà plus assitôt qu'on a détourné le regard.

Si vous avez des liens, des peintres que vous voulez faire découvrir, envoyez ça par là.

Un super site qui référence des tonnes d'oeuvres classiques : https://www.wga.hu/
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
Afficher le sujet de la discussion
151

Citation : Et là, tu as oublié de nommer ou de localiser la "partie artistique", comme tu l'appelles



Ici:

Citation : la grandiose harmonie mise en place pour l'exprimer



Mais il faut savoir de quoi on parle.
Quand je dis "harmonie", qui est un terme bien usé, ayant traîné partout et justifié trop de choses, je ne parle pas de tel ou tel canon, telle ou telle recette en vogue ici ou là, en effet présents dans la plupart des oeuvres du passé.
Là c'est ce qui permet à qqu'un de faire des images sans être un tant soit peu aventurier: "porté par le système du moment, je le perpétue, il me justifie".

Je parle de la résonnance PLASTIQUE entre tous les éléments du tableau, lorsque tout se met à concorder, à concourir au tout, quand la "mayonnaise prend". C'est une autre paire de manches, mais ça transcende et réunit tous les genres, tous les styles, toutes les aventures individuelles.
Mais là c'est vrai je parle en peintre.
Scusi!

Quant à la musique instrumentale ou logicielle, je vais réfléchir encore avant de me prononcer: le truc est plus complexe qu'il n'y paraît.


Citation : On peut aussi dire que la vraie, la grande musique, celle qui transmet et qui exprime, c'est celle qui agence des éléments sonores pour les transformer en un tout cohérent


C'est que la façon précise dont les choses sont agencées afin de "se tenir" dit elle-même bp de choses, porte sens.
Qqch peut très bien se "tenir", être cohérent...ça c'est la cuisine, le minimum syndical pour passer sur les ondes.
Les arrangeurs de Mlle Spears possèdent cette technique, car ce n'est qu'une technique. Ils l'ont apprise, elle correspond à une mode, un canon, difficilement repérable quand on est dedans jusqu'aux yeux évidemment...Ces gens n'inventent rien, tu comprends: ils font du pognon et on ne leur demande rien d'autre. On leur a enseigné cette technique-là, ou ils l'ont apprise seuls en écoutant, animés par de médiocres ambitions.
Bref, ils se sont conformés.
Ce sont des artisans scrupuleux et rien d'autre, au service d'un piètre métier..

Cependant, cet arrangement particulier des éléments entre eux porte sens, encore une fois, et ce qui est dit là peut aller de la plus grande attention délicate et particulière à la plus parfaite vulgarité.

Ainsi l'art Pompier est techniquement cohérent vis-à-vis de lui-même et de la (bonne) société qui l'a produit.
Mais c'est de la merde. Le message est vulgaire, superficiel; la vision, la perception n'y sont pas questionnées, et sont utilisées en tant que préconçu, que convention universelle.
Un assemblage de recettes, l'application de savoir-faires.
Une espèce d'artisanat, koâ... :langue:

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

152
Intéressant, mais j'a pas le temps de répondre, là...
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
153
Je n'ai pas envie de développer, mais pour quelqu'un qui travaille activement à sa lucidité et à son éveil, Oryjen, ton discours est très décevant. Parfaitement justifiable dans une optique de goût subjective, mais ton espèce de classification complètement aberrante de ce qui est un art et de ce qui n'est que de l'artisanat est terriblement peu objectif et ressemble parfois à du conservatisme poussiéreux.

J'espère que ce post ne lancera pas un débat monstrueux.
154
J'espère que si.
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
155

Citation : ton espèce de classification complètement aberrante de ce qui est un art et de ce qui n'est que de l'artisanat



Je ne l'ai pas inventée. J'essaie juste d'expliquer ce que je comprends.
Evidemment, on aimerait n'avoir à faire aucun effort pour comprendre quelque chose; on aimerait que tout soit facile et à la portée de tout un chacun d'un simple claquement de doigts.
Et je vois aussi combien il est facile d'assimiler ce que je dis au discours de qqu'un qui gesticule bp en ce moment.

Il s'agit d'un dévoiement de l'idée de démocratie/démocratisation, etc...

Si tu veux comprendre le chinois, il faut travailler dur.
Si tu veux comprendre l'art, pareil.

Je ne parle pas des sous-produits artistiques qui effectivement sont à la portée de tout un chacun immédiatemùent. En fait ils sont faits pour ça: Gros gros gros marchés derrière.

J'aurais voulu dire aussi à propos de la composition logicielle, super-facile, à la portée de tous, etc...Il y a de ça aussi, mais il convient de nuancer, et je dois réfléchir encore pour trouver la façon de le dire.


Il y a UNE chose qu'il faut dire à propos de tout ça, et qui règle tout je crois:
L'art, non en tant que produit édulcoré pour tel ou tel marché, mais en tant qu'effort plus ou moins solitaire pour reposer chaque fois TOUTE la question de la condition humaine, est une des plus hautes formes de la pensée.
Rien que ça.
Evidemment je ne parle pas de Beach Boys, comprenez bien.

Croyez-vous que ce genre d'interrogation essentielle ait pour vocation d'être instantannément à la portée de tout un chacun?

Non.
Il faut faire la moitié du chemin.
Se cultiver un peu, même s'il n'est au fond pas question de culture, puisque l'art la transcende.

Maintenant cher Pluche, si tu veux discuter, commence par m'expliquer ce que ma "classification" a d'aberrant, je tâcherai de répondre.

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

156
C'est difficile à expliquer, d'autant plus que de me refaire tes posts avec la balise "citation" sous le bras ne m'intéresse pas. Disons que ton opinion se tient en soi, mais tu pars de postulats de base qui semblent (et je dis bien qui semblent, peut-être que j'ai mal interprété ou que tu t'es mal exprimé) indiquer qu'une seule conception de l'art est possible, qu'il n'a qu'une finalité, que toute la production tend ou devrait tendre vers un seul objecrtif. Je ne parle pas du tout en terme d'hermétisme, d'effort ou d'art démocratisé, uniquement en terme de jugement. On a l'impression que tu ne conçois pas qu'on puisse apprécier la chose différemment de toi sans avoir tord.
157

Citation : Il y a UNE chose qu'il faut dire à propos de tout ça, et qui règle tout je crois:
L'art, non en tant que produit édulcoré pour tel ou tel marché, mais en tant qu'effort plus ou moins solitaire pour reposer chaque fois TOUTE la question de la condition humaine, est une des plus hautes formes de la pensée.


J'ai la flemme de rechercher, mais c'est pas toi qui, quelques posts plus haut, évacuait l'universalité de l'art du revers de la main ?

Citation : Quant à la musique instrumentale ou logicielle, je vais réfléchir encore avant de me prononcer: le truc est plus complexe qu'il n'y paraît.



J'ai longtemps souffert du même genre de contradiction que je tenais pour définitivement aporétique. Il suffit d'une comparaison toute bête. Qui, d'après toi, entre André Rieu et Aphex Twin, est musicien, et qui ne l'est pas ?
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
158

Citation : indiquer qu'une seule conception de l'art est possible, qu'il n'a qu'une finalité, que toute la production tend ou devrait tendre vers un seul objecrtif.



Chacun aborde la chose d'une façon qui lui est propre, c'est pourquoi une cruxifiction par exemple, ne dira pas exactement la même chose chez Rembrandt, Grünewald ou El Greco.
Rembrandt s'attachera à l'aspect mystique de l'évènement, Grünewald au tragique humain de la situation, El Greco à la transfiguration, etc...
(précision: je ne suis pas de la calotte, et coupe court à tout mauvais procès...c'est juste un exemple de sujet abondamment traité et mettant en jeu une forte charge de signification).

Je ne prétends donc pas qu'il n'a qu'une seul finalité.
Mais j'affirme que l'art ne sert pas à décorer les intérieurs bourgeois, même si les "artistes" se sont souvent laissés aller à ce travers.

On pourrait faire aussi toute une discussion à propos de la destination de l'art: pour qui, comment, que devient l'oeuvre après l'achat, etc...C'est peut-être un peu hors-sujet...


Il y a donc différentes approches, mais qui boit à cette source n'est plus maître de la destination de ses efforts.

Evidemment, disant ceci, vous m'aurez compris, je fous à la poubelle tout art à visées politiques ou propagandistes, etc...
Quoiqu'il faille nuancer aussi, car on a vu plus haut à propos de "La Liberté guidant le Peuple" que plusieurs niveaux coexistent.
Certains aussi (Gauguin par exemple, ou Mondrian), croyant élaborer un contenu hautement intellectuel et savamment codifié produisent quelque chose qui les dépasse et dont la valeur réelle leur échappe un peu.

Disons que dans le réalisme soviétique, dont l'esthétique fait d'ailleurs bigrement penser au réalisme nazi ou au réalisme maoiste, il n'y a rien d'autre qu'un message d'un symbolisme à la mords-moi-le-noeud, propre à être compris par les foules éduquées en ce sens dès le plus jeune âge, reposant sur une articulation d'idées, de notions, etc...
Aucune dimension plastique
--> poubelle!

On peut, à travers les préoccupations visiblement personnelles qui transparaîssent dans de nombreuses oeuvres du passé, se superposant au sujet apparent, ou s'y enfouissant, tracer un fil qui les relie.
Toute la diversité d'approche tenant à des raisons d'ordre culturel, psychologique ou autres se résout en une unicité de tendance, qui nous permet de jeter, à travers 350 siècles, un regard touché, concerné, sur les fresques de la grotte Chauvet, quelles qu'en aient été les origines ou la fonction sociale.

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

159
A.k.a: André Rieux est un exécutant habile mais dépourvu d'imagination (quoiqu'il faille sans doute un peu d'imagination pour "interpréter" comme on dit, une partition). C'est donc un musicien, puisqu'il fait de la musique.

Aphex Twin est un compositeur souvent convaincant et parfois malhabile, ce qui est le revers de la médaille de tout "créateur" impliqué dans une recherche qui engage sa sincérité.
C'est donc aussi un musicien.

Non?
On voit que le truc est éminemment relatif, fonction de présupposés culturels.

Citation : c'est pas toi qui, quelques posts plus haut, évacuait l'universalité de l'art du revers de la main ?



Nous n'avons peut-être pas la même notion de l'universalité?
J'en suis pourtant d'habitude un tenant...J'ai dû mal m'exprimer.

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

160

Citation : André Rieux est un exécutant habile


Je t'arrête tout de suite : n'importe quel gars qui sort du conservatoire avec un DFE en fait autant. Vraiment. En fait, il fallait remplacer le terme "musicien" par "artiste", et là, normalement, ta réponse change.

Citation : On voit que le truc est éminemment relatif, fonction de présupposés culturels.


Evidemment, oui. Pas de secrets à ce niveau là.

Pour l'universalité, c'est moi qui me suis planté, tu avais déjà la même position (post 56), c'est encore Hegel qui avait foutu la merde, pour changer. :mrg:
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
161
:mrg: :bravo: :mdr:

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

162
Puisqu'on est en pleine célébration des "zévènements" de 68, j'en profite pour faire un peu de pub pour un collègue de bistrot : http://vascogasquet.blogspot.com/ dont on vient de rééditer le recueil d'affiches.
163
Et ça, c'est pas beau, ça :



La Salomé de Gustave Moreau (clic droit > afficher pour une meilleure résolution).
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
164
C'est très étranges ces choses léchées, même pourléchées(!) de Moreau, qui était le maître bien-aimé de Matisse, Rouault, Dufy, etc...
Ce pourrait être précieux si ces jeux de surfaces et d'écritures superposées, comme flottant à la surface l'une de l'autre, ne dégageaient un charme mystérieux -les corps comme supports d'écritures mystérieuses et sans doute (Moreau était un érudit) chargées de sens anciens et profonds- et ne proposait un espace réellement renouvelé, comme feuilleté, lui aussi d'un effet des plus étranges.
J'aime beaucoup Moreau, la plupart de ses oeuvres!

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

[ Dernière édition du message le 22/07/2009 à 15:18:03 ]

165
Je viens de tomber dessus en lisant A Rebours de Huysmans, qui était aussi critique d'art.

Voici ce que Des Esseintes, le héros, en pense :

Citation : Il avait acquis ses deux chefs-d'oeuvre et, pendant des nuits, il rêvait devant l'un deux, le tableau de la Salomé ainsi conçu:

Un trône se dressait, pareil au maître-autel d'une cathédrale, sous d'innombrables voûtes jaillissant de colonnes trapues ainsi que des piliers romans, émaillées de briques polychromes, serties de mosaïques, incrustées de lapis et de sardoines, dans un palais semblable à une basilique d'une architecture tout à la fois musulmane et byzantine.

Au centre du tabernacle surmontant l'autel précédé de marches en forme de demi-vasques, le Tétrarque Hérode était assis, coiffé d'une tiare, les jambes rapprochées, les mains sur les genoux.

La figure était jaune, parcheminée, annelée de rides, décimée par l'âge; sa longue barbe flottait comme un nuage blanc sur les étoiles en pierreries qui constellaient la robe d'orfroi plaquée sur sa poitrine.

Autour de cette statue, immobile, figée dans une pose hiératique de dieu hindou, des parfums brûlaient, dégorgeant des nuées de vapeurs que trouaient, de même que des yeux phosphorés de bêtes, les feux des pierres enchâssées dans les parois du trône; puis la vapeur montait, se déroulait sous les arcades où la fumée bleue se mêlait à la poudre d'or des grands rayons de jour, tombés des dômes.

Dans l'odeur perverse des parfums, dans l'atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant à la hauteur du visage un grand lotus, s'avance lentement sur les pointes, aux accords d'une guitare dont une femme accroupie pince les cordes.

La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d'argent, lamée d'or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d'acier, tigrés de vert paon.

Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille, ni l'hermaphrodite ou l'eunuque qui se tient, le sabre au poing, en bas du trône, une terrible figure, voilée jusqu'aux joues, et dont la mamelle de châtré pend, de même qu'une gourde, sous sa tunique bariolée d'orange.

Ce type de la Salomé si hantant pour les artistes et pour les poètes, obsédait, depuis des années, des Esseintes. Combien de fois avait-il lu dans la vieille bible de Pierre Variquet, traduite par les docteurs en théologie de l'Université de Louvain, l'évangile de saint Mathieu qui raconte en de naïves et brèves phrases, la décollation du Précurseur; combien de fois avait-il rêvé, entre ces lignes:

"Au jour du festin de la Nativité d'Hérode, la fille d'Hérodias dansa au milieu et plut à Hérode.

"Dont lui promit, avec serment, de lui donner tout ce qu'elle lui demanderait.

"Elle donc, induite par sa mère, dit: Donne-moi, en un plat, la tête de Jean-Baptiste.

"Et le roi fut marri, mais à cause du serment et de ceux qui étaient assis à table avec lui, il commanda qu'elle lui fût baillée.

"Et envoya décapiter Jean, en la prison.

"Et fut la tête d'icelui apportée dans un plat et donnée à la fille et elle la présenta à sa mère."

Mais ni saint Mathieu, ni saint Marc, ni saint Luc, ni les autres évangélistes ne s'étendaient sur les charmes délirants, sur les actives dépravations de la danseuse. Elle demeurait effacée, se perdait, mystérieuse et pâmée, dans le brouillard lointain des siècles, insaisissable pour les esprits précis et terre à terre, accessible seulement aux cervelles ébranlées, aiguisées, comme rendues visionnaires par la névrose; rebelle aux peintres de la chair, à Rubens qui la déguisa en une bouchère des Flandres, incompréhensible pour tous les écrivains qui n'ont jamais pu rendre l'inquiétante exaltation de la danseuse, la grandeur raffinée de l'assassine.

Dans l'oeuvre de Gustave Moreau, conçue en dehors de toutes les données du Testament, des Esseintes voyait enfin réalisée cette Salomé, surhumaine et étrange qu'il avait rêvée. Elle n'était plus seulement la baladine qui arrache à un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un cri de désir et de rut; qui rompt l'énergie, fond la volonté d'un roi, par des remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse; elle devenait, en quelque sorte, la déité symbolique de l'indestructible Luxure, la déesse de l'immortelle Hystérie, la Beauté maudite, élue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles; la Bête monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de même que l'Hélène antique, tout ce qui l'approche, tout ce qui la voit, tout ce qu'elle touche.

Ainsi comprise, elle appartenait aux théogonies de l'extrême Orient; elle ne relevait plus des traditions bibliques, ne pouvait même plus être assimilée à la vivante image de Babylone, à la royale Prostituée de l'Apocalypse, accoutrée, comme elle, de joyaux et de pourpre, fardée comme elle; car celle-là n'était pas jetée par une puissance fatidique, par une force suprême, dans les attirantes abjections de la débauche.

Le peintre semblait d'ailleurs avoir voulu affirmer sa volonté de rester hors des siècles, de ne point préciser d'origine, de pays, d'époque, en mettant sa Salomé au milieu de cet extraordinaire palais, d'un style confus et grandiose, en la vêtant de somptueuses et chimériques robes, en la mitrant d'un incertain diadème en forme de tour phénicienne tel qu'en porte la Salammbô, en lui plaçant enfin dans la main le sceptre d'Isis, la fleur sacrée de l'égypte et de l'Inde, le grand lotus.

Des Esseintes cherchait le sens de cet emblème. Avait-il cette signification phallique que lui prêtent les cultes primordiaux de l'Inde; annonçait-il au vieil Hérode, une oblation de virginité, un échange de sang, une plaie impure sollicitée, offerte sous la condition expresse d'un meurtre; ou représentait-il l'allégorie de la fécondité, le mythe hindou de la vie, une existence tenue entre des doigts de femme, arrachée, foulée par des mains palpitantes d'homme qu'une démence envahit, qu'une crise de la chair égare?

Peut-être aussi qu'en armant son énigmatique déesse du lotus vénéré, le peintre avait songé à la danseuse, à la femme mortelle, au Vase souillé, cause de tous les péchés et de tous les crimes; peut-être s'était-il souvenu des rites de la vieille égypte, des cérémonies sépulcrales de l'embaumement, alors que les chimistes et les prêtres étendent le cadavre de la morte sur un banc de jaspe, lui tirent avec des aiguilles courbes la cervelle par les fosses du nez, les entrailles par l'incision pratiquée dans son flanc gauche, puis avant de lui dorer les ongles et les dents, avant de l'enduire de bitumes et d'essences, lui insèrent, dans les parties sexuelles, pour les purifier, les chastes pétales de la divine fleur.

Quoi qu'il en fût, une irrésistible fascination se dégageait de cette toile, mais l'aquarelle intitulée L'Apparition était peut-être plus inquiétante encore.

Là, le palais d'Hérode s'élançait, ainsi qu'un Alhambra, sur de légères colonnes irisées de carreaux moresques, scellés comme par un béton d'argent, comme par un ciment d'or; des arabesques partaient de losanges en lazuli, filaient tout le long des coupoles où, sur des marqueteries de nacre, rampaient des lueurs d'arc-en-ciel, des feux de prisme.

Le meurtre était accompli; maintenant le bourreau se tenait impassible, les mains sur le pommeau de sa longue épée, tachée de sang.

Le chef décapité du saint s'était élevé du plat posé sur les dalles et il regardait, livide, la bouche décolorée, ouverte, le cou cramoisi, dégouttant de larmes. Une mosaïque cernait la figure d'où s'échappait une auréole s'irradiant en traits de lumière sous les portiques, éclairant l'affreuse ascension de la tête, allumant le globe vitreux des prunelles, attachées, en quelque sorte crispées sur la danseuse.

D'un geste d'épouvante, Salomé repousse la terrifiante vision qui la cloue, immobile, sur les pointes; ses yeux se dilatent, sa main étreint convulsivement sa gorge.

Elle est presque nue; dans l'ardeur de la danse, les voiles se sont défaits, les brocarts ont croulé; elle n'est plus vêtue que de matières orfévries et de minéraux lucides; un gorgerin lui serre de même qu'un corselet la taille, et, ainsi qu'une agrafe superbe, un merveilleux joyau darde des éclairs dans la rainure de ses deux seins; plus bas, aux hanches, une ceinture l'entoure, cache le haut de ses cuisses que bat une gigantesque pendeloque où coule une rivière d'escarboucles et d'émeraudes; enfin, sur le corps resté nu, entre le gorgerin et la ceinture, le ventre bombe, creusé d'un nombril dont le trou semble un cachet gravé d'onyx, aux tons laiteux, aux teintes de rose d'ongle.

Sous les traits ardents échappés de la tête du Précurseur, toutes les facettes des joailleries s'embrasent; les pierres s'animent, dessinent le corps de la femme en traits incandescents; la piquent au cou, aux jambes, aux bras, de points de feu, vermeils comme des charbons, violets comme des jets de gaz, bleus comme des flammes d'alcool, blancs comme des rayons d'astre.

L'horrible tête flamboie, saignant toujours, mettant des caillots de pourpre sombre, aux pointes de la barbe et des cheveux. Visible pour la Salomé seule, elle n'étreint pas de son morne regard, l'Hérodias qui rêve à ses haines enfin abouties, le Tétrarque, qui, penché un peu en avant, les mains sur les genoux, halète encore, affolé par cette nudité de femme imprégnée de senteurs fauves, roulée dans les baumes, fumée dans les encens et dans les myrrhes.

Tel que le vieux roi, des Esseintes demeurait écrasé, anéanti, pris de vertige, devant cette danseuse, moins majestueuse, moins hautaine, mais plus troublante que la Salomé du tableau à l'huile.

Dans l'insensible et impitoyable statue, dans l'innocente et dangereuse idole, l'érotisme, la terreur de l'être humain s'étaient fait jour; le grand lotus avait disparu, la déesse s'était évanouie; un effroyable cauchemar étranglait maintenant l'histrionne, extasiée par le tournoiement de la danse, la courtisane, pétrifiée, hypnotisée par l'épouvante.

Ici, elle était vraiment fille; elle obéissait à son tempérament de femme ardente et cruelle; elle vivait, plus raffinée et plus sauvage, plus exécrable et plus exquise; elle réveillait plus énergiquement les sens en léthargie de l'homme, ensorcelait, domptait plus sûrement ses volontés, avec son charme de grande fleur vénérienne, poussée dans des couches sacrilèges, élevée dans des serres impies.

Comme le disait des Esseintes, jamais, à aucune époque, l'aquarelle n'avait pu atteindre cet éclat de coloris; jamais la pauvreté des couleurs chimiques n'avait ainsi fait jaillir sur le papier des coruscations semblables de pierres, des lueurs pareilles de vitraux frappés de rais de soleil, des fastes aussi fabuleux, aussi aveuglants de tissus et de chairs.



Il parle aussi d'Odilon Redon, qui a fait rencontrer Mallarmé à Huysmans. Une biogalerie par ici : http://www.odilonredon.net/biographie.html
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
166
Grâce au conseil de a.k.a, j viens quémander de l' aide ici:
Je cherche un tableau certainement période cubiste, on y voit au premier plan sur la droite un soldat (poilu avec son manteau gris bleu?) casqué, en arrière plan des canons, un train ? désolé, que de vagues souvenirs... je ne suis clairement pas un visuel...
Merci !!!
167
Merci Kumo
Marcel Gromaire - La Guerre



Petite info: savez vous que Google Earth vient de mettre en fonction une possibilité de zoom sur les plus belles toiles du Prado, à des niveaux de résolution extraordinaires permettant de distinguer des détails infimes ??? ça vaut vraiment le coup d' oeil.
168



La tempête
ou La fiancée du vent par Oscar Kokoschka. C'est Alma Mahler/Gropius à droite. Aime beaucoup.
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
169
'gnifique.
170
Je déteste Gromaire. Enculage de mouches au canon de 105. Beurk.

Pour Kokoschka, il y a des trucs complètement oniriques dans les paysages, comme:
http://www.smart-art.at/alpen/alpenkunst/h-kokoschka.gif
ou:
http://www.leopoldmuseum.at/bilder/Kokoschka_trecroci.jpg
Ou encore:
http://www.framemuseums.org/images/photos/1004/img_1157723064761.jpg

https://2.bp.blogspot.com/_vxRM7z378Jk/SMlkHtrsypI/AAAAAAAAORY/oKVEqeWi-Ps/s320/Matterhorn_I%5B1%5D.JPG

J'aime bp aussi les nombreux autoportraits:
http://www.epdlp.com/fotos/kokoschka8.jpg

GRRR... Qui m'explique comment insérer une image avec cette *¤#£°§ de V4?
A+

--------------------------------------------------------------------------------

L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

[ Dernière édition du message le 20/07/2009 à 16:06:51 ]

171
Très chouette. Je préfère quand il utilise des couleurs froides (les trucs trop vifs genre fauvisme, je n'y arrive pas).
Pour insérer une image, clique sur l'appareil photo ligne du milieu à gauche et copie l'url en haut à droite de la fenêtre qui s'ouvre : "insérer une image externe".
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
172
Deja entendu parler de Thomas Kinkade , le Kenny G. du pinceau ?

http://allday.ru/uploads/posts/1180539931_thomas_kinkade_61.jpg

 
173
174
J' arrête après celle là, promis mrgreen 
Il est aussi "America's most collected artist", Born Again Christian, se définit comme le "Painter of Light™" (vous ne rêvez pas, c' est une dénomination protégée).
 

175
La dernière est vraiment géniaaale!!!

[ Dernière édition du message le 20/10/2009 à 00:26:08 ]