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J'ai goûté, c'est dégueulasse

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Sujet de la discussion J'ai goûté, c'est dégueulasse
Le riz au lait.
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Merci KB! Cet article me fait remonter le souvenir d'une des émissions nocturnes d'Alain Veinstein sur France-Culture dans les années 90 (émission dont le titre était, je crois "Du Jour au Lendemain"): Il interviewait l'auteur d'un livre dont le titre était "Les goûts de l'Eau: Eloge de la fadeur".
(Edit: Je viens de retrouver les références: C'était en 1993, l'émission était bien "Du Jour au Lendemain", l'auteur s'appelait François Jullien; il s'agit d'un philosophe spécialiste de la pensée chinoise. La référence aux goûts de l'eau était dans son discours, pas dans le titre).
Le type défendait l'idée que dans toute perception humaine, la perception de l'intensité était toujours illusoire/relative, et que l'on peut toujours découvrir un monde riche, complexe et aussi complet (et propre à procurer une satiété sensorielle) chaque fois que l'on descend d'un degré vers le rien.
Il faisait à un moment un parallèle avec les mathématiques en expliquant qu'entre zéro et un existe un intervalle aussi grand qu'entre zéro et l'infini.
Il attirait ainsi notre attention sur le fait qu'avant toute opération d'évaluation de quoi que ce soit, on opère inconsciemment une sorte de "calibration" de l'esprit en plaçant l'attention à un niveau de sensibilité compatible avec la chose examinée, ce que l'on en sait, ou ce que l'on en suppose.
Le fait de ne trouver "rien" où que ce soit en ce monde résultait pour lui surtout d'une erreur de calibration.
En fait, rejoignant le bouddhisme zen, l'auteur en arrivait à la constatation que le néant n'existe pas, que dans ses moindres recoins le monde est en réalité plein, que l'infiniment grand et l'infiniment petit ne sont en rien distincts, que l'univers est une sorte d'hologramme, et que la conclusion en vacuité à propos de quoi que ce soit résulte seulement d'une erreur de perception.
Entre moins l'infini et plus l'infini ne se trouve que le résultat d'une adaptation de la forme de l'attention.
Cette gymnastique est difficile à acquérir, raison pour laquelle l'enseignement des philosophies pratiques traditionnelles (comme le zen) est si long.

La beauté de cette démonstration, et sa parfaite coïncidence avec ce que mon jeune esprit avait pu confusément constater dans ses rapports au monde m'ont laissé un souvenir durable et précis, et je n'ai jamais oublié ces excellentes paroles!

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

[ Dernière édition du message le 07/09/2019 à 03:06:45 ]

922
Mais est-ce qu’on n’est pas en train de parler de saveurs délicates par opposition à intenses ? On peut effectivement trouver beaucoup de plaisir dans des choses subtiles. En revanche l’adjectif « fade » fait plutôt penser à une déception par rapport à une attente.

Ou bien est-ce qu’il s’agit vraiment de parler du plaisir à être déçu ?
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Là ça devient TRES subtil!:bravo:

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

924
Ben non. Pour moi « fade » c’est péjoratif. Donc à moins d’être dans une démarche masochiste (pourquoi pas ? ), l’opposé de « intense » et qui donne du plaisir, c’est « délicat ».

Par exemple un bon poisson grillé, et sans sauce, c’est délicat. Par contre le chocolat d’une barre chocolatée genre mars ou nuts, c’est fade. Et une tablette de chocolat Bonnat ou Valrhona, c’est intense et c’est bon. :bave:
925
Oui le mot est sans doute (dans certains cas) mal choisi.
Mais il y a la question de l'habituation.
Là où, par l'habitude "naturelle" d'augmenter peu à peu l'intensité des stimuli afin de maintenir (ou d'augmenter, dans une recherche de confort, de plaisir) le niveau de satisfaction immédiate, on perçoit de la fadeur, si l'on s'habitue à une diminution de l'intensité des stimuli, on pourra peut-être (dans certains cas) découvrir de la subtilité.
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Hors sujet :
Valrhona, c'est à Tain l'Hermitage, le pays du Croze-Hermitage et du Saint Joseph, que tu connais peut-être. C'est tout près d'ici. Si un jour l'envie te prend de faire halte en passant sur l'A7, tu pourras faire d'une pierre deux coups!:boire: Valrhona est l'exemple d'une entreprise vertueuse qui, volontairement, et par dégoût de la vulgarité, en reste à un certain volume de production qui lui permet de rester concentré sur la plus grande qualité, et refuse obstinément toute publicité. Le siège social se trouve toujours implanté sur son lieu historique en pleine ville, et non pas dans un bâtiment en plastique ondulé en périphérie à la place d'un ancien verger.
photo-stephane-marc-1554290603.jpg

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

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+1 :bave:

Incrédule sur tout, sceptique sur le reste

927
Ha tiens marrant, là où j'achète mon café, ils proposent aussi cette marque, j'en achète souvent, c'est pas dégueu du tout, maintenant je saurais même d'où ça vient ! :bave:
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Ory> j'ai le bouquin de François Jullien mais ne l'ai pas encore lu. J'en ai lu d'autres et c'est souvent très intéressant et bien mené, malgré un style qui fait un peu "barbelé" dans les premières pages, forme d'épreuve avant d'arriver à saisir l'articulation de l'auteur.

Pour ce qui est du zen, de la vacuité et du bouddhisme je te renvoie, du moins si tu ne connais pas déjà tout ça vers deux des mouvements essentiels du bouddhisme, à savoir le mouvement Cittamatra/Yogacara pour qui tout relève de la conscience:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chittamatra
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vij%C3%B1%C4%81na


et le mouvement Madhyamika pour qui tout est vacuité, ce qui veut dire que rien n'existe en soi mais uniquement par relations interdépendantes.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Madhyamaka

Jean-Marc Vivenza a écrit un livre extrêmement clairs et assez complets sur chacun de ces mouvements:

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Malgré ce qu'on pourrait croire au premier abord, nous ne sommes pas là dans le new-age ou je ne sais quelle spiritualité prête-à-penser. On est plus proche d'une certaine philosophie, de la phénoménologie pour être plus précis. Husserl lui-même a d'ailleurs qualifié le Bouddha de "proto-phénoménologue".

Sinon, une interview fleuve de Michel Bitbol, chercheur peu orthodoxe qui devrait te plaire:

Partie 1
http://www.actu-philosophia.com/entretien-avec-michel-bitbol-autour-de-la-519/

Partie 2
http://www.actu-philosophia.com/entretien-avec-michel-bitbol-autour-de-la-520/

Partie 3
http://www.actu-philosophia.com/entretien-avec-michel-bitbol-autour-de-la/



[ Dernière édition du message le 07/09/2019 à 12:57:59 ]

929
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Hors sujet :
Citation :
Alain Veinstein

:aime:
L'un des seuls qui parlait cent fois moins que ses invités, rarement invités ailleurs, souvent laissés sans direction, quitte à avoir de grandes secondes de blanc, et où ceux-ci finissaient par dire tout ce qu'ils avaient à dire sur leur sujet, parfois ce à quoi ils n'avaient même pas pensé jusque là.
930
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Hors sujet :
Oui je me rappelle même une émission où l'invité (on se demande pourquoi il s'était déplacé) n'avait presque rien dit, répondait par monosyllabes... Veinstein, d'abord soucieux d'éviter le malaise, avait pris le parti de faire de très longs commentaires, de très longues questions, pour meubler... Puis peu à peu il avait laissé s'installer le silence... On les entendait respirer... se racler la gorge... Incroyable moment de radio!!! Héroisme du bonhomme aussi: Faire du tabou suprême de la radio (le "blanc") la matière même de son émission! C'était pas du prime-time, excusez du peu, mais cammèmeu!


Merci beaucoup KB pour cette belle matière! Je prendrai un moment cet apm...;)

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L'artiste entrouvre une fenêtre sur le réel; le "réaliste pragmatique" s'éclaire donc avec une vessie.

[ Dernière édition du message le 10/09/2019 à 10:32:43 ]