L'art du mastering consiste à ajouter une touche finale au mixage d'un ou plusieurs morceaux (par exemple en modifiant le son, en contrôlant la dynamique, en vérifiant que les niveaux sont homogènes, etc.) et, dans le cas d'un album, à assembler les différentes pièces pour créer une expérience d'écoute cohérente. Au mastering, on peut même faire des choses comme raccourcir une intro ou un solo, ajouter de la réverbe ou des traitements encore plus radicaux, bref tout ce qui permet d'obtenir un enregistrement au son irréprochable.
Cependant, pour un mastering réussi, vous devrez posséder des années d’expérience, une bonne paire d’oreilles et toute une série de qualités. Et la meilleure façon d’emmagasiner de l’expérience consiste à se remonter les manches, commencer à masteriser et apprendre les tenants et aboutissants du processus de travail. Si vos mixages sonnent mieux après votre mastering, vous êtes sur la bonne voie.
Nous allons aborder des techniques de mastering spécifiques dans de prochains articles. Mais avant même de démarrer votre ordinateur, je vous recommande fortement de créer un environnement approprié au mastering. Voyons ce à quoi vous devez penser pour commencer à masteriser.
L’importance du lieu
Le paramètre le plus important en matière de mastering n’est pas un plugin ni un processeur rackable ou un logiciel mais un lieu à l’acoustique corrigée. La qualité des enceintes de monitoring et le type de système importent peu si vous ne pouvez pas évaluer correctement le son en raison de problèmes acoustiques dans la pièce. Inversement, un lieu à l’acoustique adaptée pourra révéler des problèmes au niveau de certains éléments de la chaîne du signal.
L’acoustique est l’une des raisons principales pour lesquelles de si nombreux mixages issus de home studios ne sont pas « transportables » : souvent, la musique sonnera bien dans votre home studio et nulle part ailleurs. C’est parce que vous avez mixé puis masterisé en compensant les déficiences acoustiques de votre studio alors que les autres lieux présentent des défauts différents. Avec un lieu dont la réponse est suffisamment précise, les déviations ne seront pas aussi importantes lorsque vous diffuserez votre musique dans d’autres lieux.
La correction acoustique est un thème tellement vaste qu’il nécessite des livres entiers ; à ce sujet, Mitch Gallagher en a écrit un bon intitulé Acoustic Design For The Home Studio (Thomson Course Technology, ISBN-10 : 159863285X, ISBN-13 : 978–1598632859). Bien que vous puissiez certainement améliorer certaines choses vous-même, si vous avez le budget, il sera préférable d’appeler un professionnel. Lorsque Spencer Brewer, un ami et compagnon musical, a construit son studio, il a pris la sage décision d’allouer une part importante de son budget aux honoraires d’un concepteur de studio professionnel particulièrement compétent en acoustique. Au fil des ans, il a ajouté puis retiré divers équipements de son studio tandis que l’acoustique du lieu restait la constante dans tout son travail.
Hormis l’ouvrage mentionné ci-dessus, vous trouverez de nombreuses sources d’information relatives à l’acoustique. Les sites Internet de sociétés telles que Real Traps, Auralex, Primacoustic et bien d’autres sont généralement très informatifs et proposent différentes idées pour améliorer l’acoustique d’une pièce. Et de mon côté, j’ai quelques conseils.
Si vous ne disposez pas d’un lieu à l’acoustique corrigée et pensez qu’il est inutile de faire quoi que ce soit, utilisez un analyseur de niveau audio pour analyser le niveau à l’endroit du poste de travail. Asseyez-vous avec l’appareil au milieu de la pièce, diffusez une onde sinusoïdale (générée par un oscillateur) avec les enceintes et observez l’analyseur. À moins d’avoir d’excellents moniteurs et une pièce à l’acoustique corrigée, l’afficheur de l’analyseur bouge comme une feuille prise dans une tornade. Les enceintes elles-mêmes ne possèdent pas une réponse parfaitement linéaire, mais elles font figure de régulateur par rapport à l’acoustique non corrigée de la pièce.
Ill. 2 : le fait de placer une enceinte contre un mur engendre souvent une amplification subjective des basses fréquences ;
le fait de la placer dans un coin de la pièce accentue encore plus le grave.
Vous n’aurez même pas besoin d’analyseur de niveau pour réaliser le test suivant : diffusez un son constant aux alentours de 5 kHz puis bougez la tête. Vous percevrez des variations de volume très franches (si vous n’entendez pas le signal test à 5 kHz, il n’est peut-être pas trop tard pour chercher un nouveau domaine d’activité !).
Ces variations apparaissent lorsque le son rebondit sur les murs car les réflexions deviennent partie intégrante du son global, ce qui crée des annulations et des additions.
Pour avoir un autre exemple de l’importance de l’acoustique sur le son perçu, essayez de placer une enceinte contre un mur pour amplifier le grave. Voici l’explication : tous les sons émanant de l’arrière de l’enceinte ou diffusés à partir de la face avant (les basses fréquences sont très peu directionnelles) rebondissent sur le mur. Étant donné que la longueur d’onde des basses fréquences est très longue, les réflexions tendent à renforcer l’onde principale. Il s’agit d’une explication simpliste mais elle suffit à donner une idée du principe.
Étant donné que les murs, le sol et le plafond interagissent avec les enceintes, il est important que les moniteurs soient disposés symétriquement dans la pièce. Par exemple, avec une enceinte placée à un mètre et l’autre à trois mètres d’un mur, les réflexions seront très différentes et affecteront la réponse en conséquence.
Certains essaient de compenser les imperfections de la pièce en insérant un égaliseur graphique juste avant l’amplificateur de puissance pour gommer les anomalies acoustiques du lieu. Cette technique est attrayante en théorie. Mais dès que vous déviez un tant soit peu de l’endroit où était placé le microphone utilisé pour l’analyse, la réponse en fréquence est de nouveau faussée. De même, en égalisant fortement un espace acoustique pauvre, vous n’obtiendrez qu’un espace acoustique pauvre fortement égalisé. Comme pour la réduction du bruit, qui fonctionne d’autant mieux que le signal contient peu de bruit, la correction acoustique d’une pièce donne les meilleurs résultats avec une pièce sans sérieuse irrégularité acoustique parce que tous les problèmes sous-jacents ont déjà été résolus.
Les enceintes de monitoring
Outre la pièce (et vos oreilles, bien sûr), les enceintes de monitoring sont l’élément le plus important en matière de mastering car, répétons-le, vous devez pouvoir avoir confiance en ce que vous entendez. Les studios traditionnels possèdent de grosses enceintes de monitoring placées à une distance considérable (2 à 3 mètres) de la table de mixage et encastrées dans le mur pour que leur façade soit affleurante, mais aussi une cabine d’écoute à l’acoustique corrigée pour minimiser les irrégularités de la réponse. Le « sweet spot », autrement dit le point d’écoute idéal car l’acoustique est y la plus favorable, désigne l’endroit où l’ingénieur du son doit être assis à la console.
Dans les lieux de plus petite taille, notamment les home studios, les moniteurs de proximité sont la solution d’écoute la plus répandue. Dans ce cas, les enceintes compactes sont placées à 1 ou 2 mètres des oreilles de l’ingénieur du son dont la tête et les enceintes forment un triangle.
Si les enceintes sont légèrement plus hautes que vos oreilles, orientez-les vers le bas en direction de vos oreilles. Les moniteurs de proximité réduisent l’influence de l’acoustique du lieu sur le son global car le son direct des enceintes est beaucoup plus fort que les réflexions renvoyées par les surfaces de la pièce. Parmi les avantages induits, les moniteurs de proximité n’ont pas besoin de développer une puissance élevée puisqu’ils sont très proches des oreilles de l’auditeur. Cela permet d’abaisser les exigences en matière d’amplification.
Cependant, la position dans la pièce reste délicate. Si les enceintes sont trop proches des murs, on obtiendra une accumulation du grave. Les hautes fréquences ne sont pas affectées par ce paramètre parce qu’elles se propagent de façon beaucoup plus directionnelle. Si les enceintes sont éloignées du mur, les réflexions arrière renvoyées par le mur peuvent engendrer des annulations et des additions pour les raisons évoquées plus haut.
Tout sera plus simple si les enceintes sont placées à 2 mètres du mur ou plus dans un espace d’écoute suffisamment grand (ce qui place le seuil d’annulation de fréquences sous le spectre normalement audible), mais tout le monde ne bénéficie pas d’autant de place. Ma solution, aussi triviale soit-elle, a été d’espacer légèrement les enceintes du mur en les plaçant sur la table où est posée ma console et de traiter le mur derrière les moniteurs avec des matériaux aussi absorbants que possible.
Mais les réflexions de la pièce ne sont pas le seul problème : lorsque les moniteurs sont placés au-dessus d’une table de mixage, les réflexions causées par la console elle-même peuvent engendrer des imprécisions sonores. Pour contourner ce problème dans mon studio, les moniteurs de proximités sont adaptés aux dimensions de la console et légèrement surélevés. Cela permet aux sons diffusés d’avoir une trajectoire aussi directe que possible des haut-parleurs jusqu’aux oreilles.
À propos des moniteurs de proximité
Il existe de très nombreux moniteurs de proximité déclinés en différentes tailles et différents prix. La plupart sont des systèmes deux voies équipés d’un woofer 6" ou 8" et d’un tweeter. Bien qu’alléchant de prime abord, un système trois voies qui utilise un transducteur médium séparé peut compliquer les choses en ajoutant un filtre et un transducteur. Un système 2 voies bien conçu surclassera une enceinte 3 voies de qualité moyenne.
Il existe deux grandes familles de moniteurs : les passifs et les actifs. Les moniteurs passifs contiennent uniquement les haut-parleurs et l’étage de filtrage et nécessitent donc un ou plusieurs amplificateurs externes. Les moniteurs actifs embarquent l’étage d’amplification qui permet d’alimenter directement les haut-parleurs avec un signal de niveau ligne. Généralement, je préfère les moniteurs amplifiés parce leurs développeurs ont (en théorie !) conçu l’amplification et les transducteurs de sorte qu’ils forment un attelage homogène et efficace. Les problèmes tels que la résistance des câbles disparaissent et le système de protection peut être intégré à l’ampli pour prévenir toute panne. Les moniteurs amplifiés fonctionnent généralement en bi-amplification, c’est-à-dire qu’ils utilisent des amplificateurs séparés pour le woofer et le tweeter, ce qui minimise la distorsion d’intermodulation et permet d’adapter précisément les fréquences de coupure et la réponse en fréquence aux haut-parleurs utilisés.
Cependant, il n’y a pas de mal à choisir des moniteurs passifs (ils sont moins chers que les versions actives), surtout si vous disposez déjà d’un amplificateur de puissance. Assurez-vous simplement que votre amplificateur possède une réserve d’énergie suffisante. Chaque écrêtage qui apparaît dans l’ampli génère de nombreuses harmoniques dans l’aigu (demandez à n’importe quel guitariste féru de distorsion) tandis qu’une surcharge durable pourra même détruire les tweeters.
Il est important de noter que la qualité des moniteurs a énormément augmenté ces dernières années tandis que les prix chutaient. À présent, on peut trouver une paire d’enceintes de bonne qualité pour bien moins de 1000 euros.
Le « meilleur » moniteur existe-t-il ?
Sur la toile, vous trouverez des discussions infinies à propos des meilleurs moniteurs de proximité. Bien sûr c’est un cliché, mais je vous conseille d’écouter plusieurs moniteurs et de choisir le modèle que vous préférez. Je ne pense pas que vous trouverez le moniteur parfait pour la simple raison qu’il n’existe pas. Choisissez simplement le moniteur au son le plus neutre et le plus précis possible. Certains vous recommanderont de choisir un moniteur qui colore le son conformément à vos goûts, ce qui est l’approche à adopter pour choisir des enceintes hi-fi mais pas pour des moniteurs de mastering.
Le choix d’une enceinte est tout un art. J’ai eu la chance de pouvoir écouter ma musique sur les systèmes extrêmement chers et très proches de la perfection de différents studios de mastering et d’enregistrement, donc je sais exactement comment elle devrait sonner. Mon critère de choix d’un moniteur est simple : celui avec lequel le son de mon « CD de test » est le plus proche de celui obtenu avec des moniteurs de très grande classe remporte la mise.
Si vous n’avez pas bénéficié de ce type d’expériences d’écoute, offrez-vous une demi-heure dans un très bon studio et écoutez l’un de vos CD préférés (on vous fera certainement un bon prix parce que vous n’utiliserez qu’une petite partie du studio). Écoutez le CD pour savoir comment il doit sonner puis comparez à cet idéal tous les moniteurs que vous testez. Par exemple, si le piano de vos mixages est un peu faible avec des moniteurs haut de gamme, choisissez des enceintes avec lesquelles le piano est tout aussi faible.
Un avertissement en passant : lorsque vous comparez directement deux paires de moniteurs, si l’une d’elles sonne légèrement plus fort que l’autre (même une fraction de dB peut faire la différence), vous trouverez certainement que la paire la plus bruyante est la meilleure. Vérifiez donc que les volumes sonores sont aussi proches que possible pour bénéficier d’une comparaison valable.
Connaître ses moniteurs et son studio
Pour finir, étant donné que votre situation d’écoute sera au moins légèrement imparfaite, vous devrez « faire connaissance » avec la réponse de votre système. Par exemple, supposons que vous masterisiez une production dans votre studio et obteniez un son de bonne qualité qui soit cependant trop chargé en grave à l’écoute dans un très bon studio. Cela signifie que votre environnement d’écoute est plutôt timide dans les basses fréquences et, par conséquent, que vous avez gonflé le grave pour compenser cette faiblesse (il s’agit d’un problème courant dans les home studios de petite taille). À l’avenir, vous saurez que vous devez tendre vers un grave plus léger pour obtenir un master réellement équilibré.
Comparez également le médium et l’aigu. Si les voix ont tendance à ressortir de votre système mais à être en retrait avec d’autres, il se peut que vos enceintes possèdent un médium dominant. Une fois encore, compensez en sous-mixant légèrement les passages chargés en médium.
Casque, enceintes hi-fi et systèmes avec satellites
Les musiciens désargentés envisagent souvent de mixer au casque plutôt qu’avec des moniteurs car une centaine d’euros suffit pour avoir un très bon casque audio. Bien que cela ne soit pas une bonne idée de mixer uniquement au casque, je vous recommande vivement de conserver un bon casque à portée de main comme outil de vérification (évitez les casques totalement ouverts et préférez un type qui entoure entièrement les oreilles). Parfois, vous aurez une meilleure lecture du grave avec un casque qu’avec des moniteurs de proximité. Mais prudence : en travaillant au casque, vous pourrez facilement endommager votre système auditif sans même vous en rendre compte. Surveillez le volume sonore (et soyez vraiment prudent afin d’éviter tout feedback qui, à volume sonore suffisant, pourrait entraîner des dommages auditifs permanents).
Concernant les enceintes hi-fi, voici une petite anecdote. Il y a environ 15 ans, je mixais avec une paire d’enceintes hi-fi dans mon home studio. Ces enceintes étaient parmi les moins excitantes et des plus ennuyeuses du monde. Mais elles étaient neutres et linéaires et, plus important, j’avais appris à les connaître à force d’emporter mes mixages dans des studios professionnels pour les traiter ou les masteriser. En fait, lorsque j’écoutais mon travail sur des moniteurs très chers, le son correspondait presque toujours à ce que j’escomptais à une exception près : les portions de signal sous 50 Hz disparaissaient totalement avec mes enceintes. Ainsi, je devais mixer les instruments très chargés en grave de façon visuelle à l’aide des afficheurs de niveau. Ensuite, je vérifiais le résultat dans un autre lieu. Depuis, j’ai heureusement remplacé mes enceintes hi-fi par de « véritables » moniteurs !
Par conséquent, et bien que je ne vous le recommande pas, vous pouvez mixer avec des enceintes hi-fi à condition qu’elles sonnent de façon relativement droite et non colorée (attention : certaines enceintes hi-fi « accentuent » le haut et le bas du spectre). Et n’oubliez pas que ces enceintes ne sont généralement pas conçues pour fonctionner à pleine puissance, donc faites attention à ne pas les griller. Un autre conseil : suivez les indications du fabricant concernant le positionnement horizontal ou vertical de l’enceinte ; cela fait vraiment une différence.
Plus tard, les systèmes avec satellites ont fait leur apparition dans les situations nécessitant des moniteurs de proximité très compacts – en fait, trop compacts pour produire un grave suffisant (certains souligneront qu’aucun haut-parleur de 6" ou 8" ne peut produire un grave suffisant, mais il est parfois nécessaire de réconcilier les finances et l’espace disponible avec les lois de la physique). Pour compenser, un troisième élément, le subwoofer (caisson), ajoute un grand haut-parleur au système. Ce transducteur est alimenté par un signal filtré très bas de sorte que seul le grave soit reproduit. Généralement, on placera le subwoofer au sol contre un mur ; toutes proportions gardées, le positionnement n’est pas réellement important car la diffusion des basses fréquences est assez peu directionnelle.
Peut-on utiliser un système à base de satellites pour diffuser l’audio d’un ordinateur ? Oui. Si l’espace est réduit, ce type de système est-il une bonne solution pour réaliser un ensemble hi-fi moins envahissant ? Oui. Est-ce que vous mixeriez le projet d’une major avec ces enceintes ? Non pour ce qui me concerne. Vous feriez certainement l’apprentissage du système au fil du temps ; personnellement, je me méfie du « grave déporté » sur les mixages importants.
Faites des tests avec différents types de système
Finalement, quelle que soit la qualité de vos enceintes et l’acoustique de votre studio, avant de livrer le résultat de votre travail de mastering, faites une ou deux copies de test et écoutez votre master avec tout ce que vous pouvez : systèmes auto, enceintes hi-fi, gros moniteurs de studio, enceintes de sonorisation, casques, etc. Cela vous permettra de juger l’impact du morceau avec toute une variété de systèmes de diffusion. Si tous donnent de bons résultats, super, mission accomplie. Mais si le CD sonne trop brillant avec cinq des huit systèmes essayés, il faudra envisager de tamiser légèrement le haut du spectre.
Originellement écrit en anglais par Craig Anderton et publié sur Harmony Central.
Traduit en français avec leur aimable autorisation.