Depuis un an, Access continue à asseoir sa notoriété avec le Virus C. La version 6 de l’OS et la série limitée Redback sont pour nous l’occasion de dresser le bilan d’une machine devenue, au fil du temps, emblématique, pour ne pas dire incontournable. La tuerie !
(Test initialement paru en août 2003)
Depuis 6 ans, Access propage ses Virus dans le monde entier. Lorsqu’on se balade en studio, il n’est pas rare de croiser un Virus, le plus souvent sous forme de console. Mais la concurrence est rude sur le marché des synthétiseurs à modélisation analogique : Clavia a contre-attaqué avec ses Nord 2X et 3, Novation a lancé la série KS et Waldorf a décliné ses Q. Tout comme les Workstations il y a 10 ans, la course a l’armement a repris de plus belle. Les constructeurs semblent tous avoir axé leurs efforts sur une trilogie bien établie : plus de mémoire, plus de polyphonie et plus de modulations. Avec la toute nouvelle version 6 de l’OS, la gamme des Virus C semble avoir atteint une maturité extraordinaire, forte d’un certain nombre d’avantages compétitifs qui enfoncent littéralement le clou.
Petit trapu
Le Redback est une série limitée de l’Indigo 2, abandonnant les couleurs hi-tech lumières bleues sur fond aluminium pour une ambiance plus sombre et plus impressionnante de nuit, lumières rouges sur fond noir. Ca sent le pacte avec le diable, d’autant qu’une sympathique araignée (la Redback, une espèce australienne noire au dos rouge dont la morsure de la femelle peut être mortelle) est discrètement sérigraphiée autour de la diode BPM. Attention les doigts ! La construction est solide et la machine très trapue : 9 kg pour un modèle 37 touches. Le Redback est signé de ses géniteurs, Guido Kirsch et Chris Kemper. Les molettes de modulation sont directement placées sur la façade, couverte de commandes qui émettent des contrôleurs Midi : 32 rotatifs, 35 boutons poussoirs et 69 diodes. Au centre, un LCD 2 × 16 caractères surplombe 2 rotatifs qui agissent comme éditeurs ou contrôleurs temps réel programmables. Le clavier 3 octaves, au toucher agréable, est sensible à la vitesse de frappe et à la pression. Parfait !
L’ergonomie est sans faille : visualisation simultanée de la valeur en cours d’édition et la valeur stockée du paramètre, modes seuil / saut / relatif (en avant ou inversés) des boutons, menus locaux dans chaque section pour trouver rapidement certains paramètres additionnels, touches Store, Undo / Compare, raccourcis clavier. Tout est conçu pour que la machine s’efface devant l’utilisateur. Cela a d’ailleurs toujours été le cas chez Access. Bravo et merci ! Sur le panneau arrière, on n’est pas déçu : alimentation interne (seul le Virus C console conserve cette mauvaise manie de l’alimentation externe), une paire d’entrées audio stéréo, 3 paires de sorties audio stéréo, un trio Midi, une prise casque et 2 prises pédales. Mais pas de connectique numérique en vue ou de port USB.
Panel sonore complet
Le Virus C comprend 8 banques de 128 programmes réinscriptibles bourrées de sons d’usine orientés techno / dance : arpèges filantes, balayages de filtre et autres motifs rythmiques. Vu l’ergonomie et les possibilités de la machine, il est bien dommage de s’en tenir là. Il y a toutefois un certain nombre de programmes très rassurants quant aux qualités intrinsèques et variées de l’instrument. PowerStrnJ est une nappe de cordes dans la plus pure tradition Juno Roland : PWM, filtre passe-bande, chorus ; Compress K est une pêche de cuivres que n’aurait pas reniée Oberheim ; StarPad est une nappe basée sur une combinaison filtre passe-bas / filtre passe-bande en parallèle affectant un LFO à chaque canal filtré : résultat, un son ample et planant, presque organique, évoquant l’OB-8 ; Finger est une surprenante émulation de basse électrique, qui démontre à la fois l’attaque des enveloppes et la chaleur du son ; Ham&X est un excellent programme de B-3, avec attaque de percussion, légère saturation, simulation de leakage des roues phoniques et haut-parleur tournant.
Toutes les percussions analogiques sont très bien reproduites, des grosses caisses aux hit-hat : le punch des DCO, le générateur de bruit, la qualité du filtre et la vitesse des enveloppes sont parfaitement mises à contribution. Le Virus C s’en tire également remarquablement bien sur le plan des sonorités numériques. Aliser est un son typique de nappe PPG avec reproduction de l’aliasing grâce au réducteur de fréquence ; Choir2 est un son de chœur synthétique assez réussi, créant des formants grâce à un filtre à réjection de bande en série avec un filtre passe-bas. En poussant sur le Phaser, on crée des résonances de Tubular Bell et le son se rapproche d’un PPG. Clockwork utilise la FM différentielle, ce qui ravira les amateurs de DX7.
Moteur musclé
Le Virus C fait un pas en avant supplémentaire par rapport à ses prédécesseurs. Mieux, avec 32 voix de polyphonie et 16 canaux multitimbraux, il est plus puissant que ses rivaux en versions de base. Chaque voix est composée de 3 DO et 1 Sub DO. Dans cette utilisation la plus gourmande, on sacrifie 25% de polyphonie, ce qui fait 24 voix comme un Supernova II à 3 DO. Les 32 voix sont assurées à 100% avec 2 DO + 1 Sub DO, ce qui est déjà pas mal. Chaque DO dispose d’un nombre impressionnant de formes d’ondes : soit 64 formes d’ondes discrètes générées sur un cycle, soit une (quasi) continuité d’ondes comprises entre une dent de scie et une onde rectangulaire. La largeur de cette dernière est variable (du carré à l’impulsion nulle) et entièrement modulable.
Tout comme sur le Virus B, le DO 3 a un comportement un petit peu moins souple que ses alter ego. Soit il est la copie désaccordable du DO 2, soit on accède aux paramètres de forme d’onde, volume et accord. Cela n’est en définitive pas trop gênant, juste une habitude à prendre. Côté modulations, on dispose de la synchro, de la FM et de la modulation en anneau des 2 premiers DO. La FM agit sur le DO 2, à partir d’une source interne ou d’un signal audio externe. Les sources internes peuvent être le DO 1 ou le générateur de bruit, ce qui permet d’obtenir très facilement des sons de percussions riches en transitoires. La couleur du générateur de bruit est entièrement variable, grâce à des filtres passe-haut ou passe-bas attaquant un bruit blanc. Les DO peuvent être regroupés à l’unisson : le nombre de voix groupées dépend alors de la polyphonie jouée. Des réglages de désaccord, de déphasage de LFO et de séparation stéréo permettent d’obtenir un son monstrueux. On peut également s’appuyer sur la fonction Punch, qui accélère et booste le segment d’attaque de l’enveloppe d’amplitude pour renforcer l’impact du son.
Double filtre résonant
Le signal passe ensuite par l’étage de mixage (balance des DO, volume du Sub oscillateur, niveau global avec saturation, volume du bruit et niveau de la modulation en anneau). Il est alors envoyé dans la section de filtrage. Celle-ci est composée de deux filtres résonants qui peuvent être placés en série, en parallèle ou en séparation audio. Chaque filtre dispose des modes passe-bas, passe-haut, passe-bande et réjection de bande 2 pôles, avec suivi de clavier. En mode série, on dispose d’un mode spécial 6 pôles pour accentuer la pente de coupure. Radical !
En mode séparation, les signaux du DO 1 et du Sub DO sont envoyés sur le premier filtre et les signaux des DO 2, DO 3 et du générateur de bruit sur le second filtre. Ceci permet d’enrichir le son. Le premier filtre dispose d’un étage de saturation doté de 14 modes d’action : léger, doux, moyen, dur, numérique, Shaper, rectification de signal, réduction de bit, réduction de fréquence d’échantillonnage, passe-bas 1 pôle et passe-haut 1 pôle (avec ou sans suivi de clavier pour les 2 derniers). Lorsqu’on utilise le réducteur de fréquence, il se crée de l’aliasing et des distorsions métalliques assez caractéristiques des machines PPG. Idéal pour simuler la bête. Le seul reproche que l’on peut faire à ces filtres est de ne pas pouvoir entrer en auto-oscillation, effet qu’il faudra simuler avec une forme d’onde sinusoïdale, ce qui n’est tout de même pas la même chose.
Matrice de modulation
Les modulations font partie des points essentiels des synthés à modélisation analogique. On conçoit difficilement qu’une telle section soit négligée ou manque de souplesse, tous les paramètres étant sous contrôle numérique donc faciles à connecter. Les concepteurs des Virus l’ont bien compris, améliorant à chaque nouvelle série les possibilités de modulation. On commence par 3 LFO synchronisables via Midi et 2 générateurs d’enveloppes ADTSR ultra rapides (T étant un paramètre régissant le temps de Sustain). Les LFO représentent la section la plus complexe et complète du rayon modulations. Chacun dispose de 68 formes d’ondes et peut moduler 6 destinations, figées par le constructeur, avec intensités bipolaires indépendantes. De plus, on trouve d’une septième destination programmable, à choisir parmi plus de 120 possibilités, c’est-à-dire l’intégralité des paramètres de synthèse et d’effets. Très fort !
Mieux, les LFO disposent d’un paramètre de contour, qui permet de modifier les formes d’ondes élémentaires (passage progressif d’une onde triangle à une onde carrée, modification de la largeur d’impulsion de l’onde carrée). Encore mieux, les LFO peuvent être transformés en courbes d’enveloppes, ce qui ouvre de nouveaux horizons sonores, comme sur les modulaires. Enfin, une matrice de modulation permet d’assigner 6 sources à 9 destinations (les sources 2 et 3 ont respectivement 2 et 3 destinations simultanées, les autres étant des liens simples). Dans la liste des 27 sources, on trouve les enveloppes, les LFO, la vélocité, le suivi de clavier et les contrôleurs physiques. Il y a plus de 120 destinations, identiques à celles des LFO. Enfin, un arpégiateur permet de mettre un peu d’agitation, s’il en était encore besoin. Il dispose de 6 modes basiques (dont aléatoire et accord), de 64 patterns en Rom, d’une plage de 1 à 4 octaves, d’une durée de note programmable et d’un mode swing. Pas mal, d’autant qu’en mode multitimbral, on peut avoir 16 arpégiateurs simultanés. Pour ceux qui aiment les jeux de hasard, un mode Random global permet de créer des sons plus ou moins proches de l’original. Dont acte.
Effets complexes
Depuis le Virus originel, la section effets des produits Access ne cesse de s’améliorer. La section du Virus C se divise en 2 parties : effets d’insertion et effets maîtres. Les effets d’insertion comportent une chaîne modulation en anneau + distorsion + Analog Boost + phaser + chorus + EQ. La modulation en anneau permet de moduler le programme avec une source audio interne ou externe, par exemple une boucle. Vient ensuite une distorsion à 11 algorithmes (douce, dure, numérique, réduction du signal, Shaper, filtre…). L’Analog Boost renforce le niveau de certaines fréquences permettant de rendre les basses plus chaudes et plus mordantes. Vient ensuite un phaser stéréo à 6 stades de toute beauté, commandé par un filtre en peigne 24 pôles. Les effets obtenus sont très proches de certains phasers analogiques, nos compliments ! Puis c’est au tour du chorus, qui partage sa vitesse avec le phaser. En bout de chaîne, l’EQ offre 3 bandes dont 2 bandes extrêmes semi paramétriques et 1 bande centrale paramétrique. En mode multitimbral, chaque canal dispose de ses propres effets d’insertion, ce qui fait 96 effets d’insertion simultanés, yeah !
Les effets maîtres sont constitués de différents algorithmes de délai et réverbération. Les réverbérations offrent 4 types de d’ambiances différentes, avec ou sans feedback (2 types), basés sur des halls ou des pièces. On peut en régler la couleur, l’atténuation des hautes fréquences, le pré délai (avec calage au tempo), la durée et l’intensité. Les résultats sont assez métalliques si on ne coupe pas suffisamment les hautes fréquences, ce qui limite un peu l’utilisation. En mode délai, on dispose d’un vingtaine de motifs mono, stéréo ou multitap, d’un temps synchronisable, d’une couleur, d’une régénération et de 5 formes d’onde ; tout à fait complet. En mode multitimbral, les effets maîtres disposent d’un départ séparé par canal. Tous les effets peuvent être copiés vers le mode multitimbral, ce qui facilite bien les choses. Rappelons pour terminer que la plupart des paramètres d’effets sont des cibles de la matrice de modulation, merci encore !
Traitements audio
Depuis le Virus, les produits Access disposent de possibilités de routage des signaux audio hors du commun et pas toujours suffisamment décrites. A commencer par les entrées stéréo qui permettent d’envoyer un signal externe vers les filtres, l’ampli puis les processeurs d’effets, tout cela en stéréo. Une fonction suiveur d’enveloppe permet d’analyser le volume du signal entrant et d’appliquer les résultats à une destination au choix. Ceci permet d’obtenir des effets de filtre ou de panoramique en tempo à partir d’un motif rythmique. Mais le plus fort, ce sont les 2 bus audio internes stéréo, capables de recevoir n’importe quel programme. En mode Multitimbral, on peut ainsi router un signal interne ou externe vers 2 autres canaux et ainsi faire passer un signal à travers 6 filtres résonants dynamiques complètement indépendants. Franchement, cela commence à faire ! Il n’y a qu’à demander aux utilisateurs de Kurzweil K2600 ce qu’ils pensent du Triple Mode, permettant le même type de manipulation (mais au détriment de la polyphonie).
Ultime traitement audio et rencontre plus ou moins romantique de 2 signaux, le Virus C dispose d’un puissant vocodeur 32 bandes. Il fait appel à (donc mobilise) la section de filtrage. Pour contourner cette restriction, il suffira de passer en Multi. On peut régler le nombre de filtres utilisés (1 à 32) suivant l’intelligibilité attendue et la réduction de polyphonie acceptable (jusqu’à 4 voix, neutralisées 10 secondes de plus que leur temps d’utilisation), la fréquence de coupure globale, le suivi de clavier, la balance entre les fréquences basses et hautes, le décalage des formants, la résonance, l’enveloppe de suivi (attaque et déclin) et la balance entre les signaux. Les LFO peuvent également intervenir (LFO 1 agissant sur la résonance et LFO2 sur la fréquence des filtres d’analyse et de synthèse). Hélas, les fonctions du vocodeur ne sont pas sérigraphiées sur la façade, ce qui en complique l’utilisation. A tel point qu’Access conseille de partir de programmes existants. Mwouais, bon… Heureusement, l’intelligibilité est excellente, l’honneur est donc sauf.
Multitimbralité
Le Virus C est capable de regrouper 16 programmes au sein d’un Multi. La mémoire renferme 128 Multi utilisateur. Chaque partie dispose d’un canal Midi au choix, d’un accordage, d’un niveau, d’un panoramique, d’une tessiture et d’une sortie audio. Cette dernière est soit l’une des sorties physiques de la machine, soit l’un des 2 bus internes stéréo. Il manque des possibilités de filtrage Midi et des fenêtres de vélocité. Dommage, car en émission, les Virus C (Indigo, Redback ou KC) s’en sortent plutôt bien. De même, il est impossible de sauvegarder des offsets de réglages d’effets de chaque partie au sein d’un Multi. C’est dommage, car un programme dans un contexte multitimbral n’a forcément pas les même réglages d’effets qu’en solo.
En revanche, il est possible d’éditer un programme dans son contexte multitimbral, ce qui est une excellente nouvelle. Pour se faire, il suffit d’appuyer simultanément sur les touches Multi et Single, pour passer en mode Multi Single. Biblique ! On modifie alors tous les paramètres voulus et une simple pression sur « Store » sauvegarde alors le programme. On peut même éditer un paramètre donné en faisant défiler les 16 canaux les uns après les autres. Une palette sonore façon Roland, mais en modèle géant !
Virus redoutable
Le Virus C est une étape majeure de la propagation des Virus dans tous les studios et home studios. Plus puissante, plus ergonomique, la machine est devenue tout à fait complète. Les performances ont encore été améliorées, que ce soit dans la matrice de modulation, la section effets ou des boni tels que le Pure Tuning. Rarement il nous est arrivé de prendre la machine en défaut : le fait que les filtres n’entrent pas en auto oscillation, l’absence de manque de kits de percussions, la réverbération un peu métallique et le mode Multitimbral perfectible sont les seuls véritables griefs à reprocher au monstre. Tout le reste, le Virus C le fait parfaitement bien et sa déclinaison en Indigo II / Redback est tout à fait réussie. Par ailleurs, le site www.access-music.de est excellent. Quant au son, il est vraiment à la hauteur. Mortel !