On n’y croyait plus et pourtant le voilà : presqu’une décennie après la version précédente, Acid Pro 8 débarque. Sauf que ce n’est plus Sony qui est en cuisine mais Magix. Reste à voir si la meilleure soupe sort toujours du vieux pot.
Si Magix fut l’inventeur du séquenceur à boucles en 1995, soit 4 ans avant Ableton Live et 11 ans avant Garageband, Sonic Foundry fut incontestablement en 1998 le premier à sophistiquer ce lumineux concept pour en faire un produit plus professionnel nommé Acid. Qu’apportait-Il de nouveau alors ? Le Time Stretching et le Pitch Shifting en temps réel, un format de fichier facilitant la transposition des boucles audio (en inscrivant dans le fichier WAV les informations relatives au tempo et à la gamme utilisée), un moteur robuste capable de gérer un grand nombre de pistes sans broncher mais surtout une ergonomie limpide permettant en quelques clics et quelques touches de bâtir des projets en un tournemain. L’ensemble était alors si probant qu’une génération entière de musiciens au mètre et de DJ plébiscite le logiciel parce qu’il permet de travailler vite et bien, et Sonic Foundry, par ailleurs papa de l’excellent éditeur audio Sound Forge, de continuer à améliorer Acid en y ajoutant des fonctions de mixage, de séquençage MIDI, d’automation et de traitements. Sans qu’on puisse parler encore de technologie Cloud, l’éditeur se pose même en précurseur en ouvrant un site dédié à la communauté d’utilisateurs d’Acid, hébergeant des ressources, des projets et permettant au business de la musique au mètre de s’organiser. Enfin, il applique les recettes gagnantes d’Acid à la vidéo et sort Vegas, un banc de montage qui est tout ce que Premiere, Final Cut et Media Composer ne sont pas : une solution légère et accessible aux débutants.
Il n’en fallait pas plus pour que le géant Sony s’intéresse à la petite compagnie et lui rachète la plupart de ses logiciels dont Sound Forge, Vegas… et Acid. Les logiciels vont dans un premier temps poursuivre leur évolution, en s’ouvrant notamment au VST, au multicanal ou à la quantification audio, mais après quelques mises à jour, il apparaît clair toutefois que seul Vegas intéresse vraiment Sony, de sorte qu’Acid semble peu à peu délaissé, et souffre par ailleurs de la fulgurante progression de ses concurrents directs, qu’il s’agisse de Garageband ou de Live notamment. Sony lâche clairement l’affaire au point que la dernière mise à jour du logiciel remonte à 2008 et que le constructeur nippon finit par vendre le catalogue de logiciels Sony Media Creative à Magix, l’inventeur du séquenceur à boucles : la boucle est bouclée, c’est le cas de le dire.
Plus que la huitième version du logiciel, c’est donc le premier Acid édité par Magix que nous testons ici avec d’emblée pas mal de nouveautés sur la façon dont le logiciel est vendu, comme on pouvait s’y attendre. Alors qu’Acid se déclinait chez Sony en deux versions, soit Acid Music Studio vendu aux alentours de 70 euros et Acid Pro vendu autrefois près de 300 euros mais ramené plus récemment autour des 150 pour compenser l’immobilisme du soft, Magix a choisi de ne conserver que la version Pro à ce même prix, libérant le segment d’entrée de gamme pour le bon vieux Music Maker. C’est là une décision parfaitement cohérente au vu de la popularité de Music Maker, même si Acid Music Studio était sans doute plus pertinent que ce dernier sur le pur plan technique du moteur audio.
Magix profite aussi de l’occasion pour lancer Acid 365 qui vous donne accès au logiciel via un système de location à la double tarification : 8 euros par mois pour un engagement d’un an, ou 10 euros par mois pour un engagement de 3 mois. Si les prix sont standards, notons que l’achat du logiciel a vite fait d’être plus intéressant dès qu’on dépasse l’année d’utilisation. Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle en allant voir sur le terrain quelles sont les réelles nouveautés proposées par cet Acid Pro 8.
Back in black
Passées l’installation et l’autorisation du logiciel en ligne (avec une limite de deux ordinateurs par licence), l’icône d’Acid nous attend sur le bureau : un A vert sur fond noir qui rappelle furieusement l’icône du logiciel Audition. Un double-clic et un scan des plug-ins VST plus tard, l’impression d’être face à l’éditeur audionumérique d’Adobe persiste devant le nouveau look de l’interface qui lâche les blancs, gris clair et les couleurs vives d’autrefois pour du noir, du gris anthracite et des couleurs plus sombres… comme dans Audition. Faut-il n’y voir que la conséquence d’un graphiste en mal d’inspiration ou une volonté stratégique de Magix de cibler les clients du papa de Photoshop : la question se pose, d’autant que l’offre de location va également dans ce sens. On espère en tout cas qu’Acid et Sound Forge resteront pensés pour les musiciens et pas seulement comme des outils de post prod audio subordonnés à Vegas.
Notons qu’au-delà de ce changement de palette très inspiré, certaines icônes ont été redessinées… avec plus ou moins de réussite. Si l’icône Effet est plus parlante qu’autrefois, les icônes Solo et Mute ne sont pour leur part pas beaucoup plus réussies que les anciennes parce qu’elle veulent à la fois correspondre aux conventions en usage partout ailleurs tout en faisant un rappel des choix discutables que Sonic Foundry avait fait autrefois : du coup, au lieu d’avoir un M rouge et un S vert, bleu, jaune ou blanc comme partout ailleurs, on se retrouve avec un M vert flanqué d’un petit panneau d’interdiction de stationner (cherchez le rapport), et un S jaune flanqué d’un point d’exclamation (cherchez le rapport aussi).
Mais le plus embêtant, c’est l’icône qui permet de boucler la lecture audio : une flèche qu’on utilise habituellement pour la commande Redo.
Bref, Acid Pro 8 a changé visuellement mais on ne peut pas dire qu’il y ait eu un gros travail de fait (on est plus au niveau de la skin qu’autre chose), ni même que les changements opérés soient forcément les bienvenus. Loin de proposer une « nouvelle interface moderne ! » comme le précise avec enthousiasme l’équipe marketing sur le site de l’éditeur, Acid demeure ainsi globalement le même qu’il y a 10 ans, avec son petit côté fouillis et ‘so Windows 2000’ mal maquillés par une skin qui n’a pas dû réclamer beaucoup de temps pour être réalisée et qui n’apporte rien au graphisme vieillot de l’interface.
Cependant, on le sait bien : la beauté peut venir aussi de l’intérieur. Et c’est le cas ici puisqu’Acid est enfin un logiciel…
64 bits ! Et compatible VST3 ! (Enfin presque !)
Oui, je mets des points d’exclamation pour marquer le coup artificiellement puisqu’en dehors des modifications graphiques que nous venons d’évoquer, le support du 64 bits et la compatibilité avec le format VST3 sont les seules nouveautés apportées par cette version. A l’heure où quantité d’éditeurs de plug-ins ne supportent plus le 32 bits et où Steinberg abandonne le format VST2, voici bien deux évolutions que Magix devait impérativement proposer pour relancer l’intérêt pour le logiciel et envisager son avenir.
Précisons-le toutefois : le support VST3 n’est pas encore effectif et Magix précise qu’il sera intégré dans une prochaine mise à jour gratuite sans annoncer de date. Précisons-le aussi à l’intention de ce ceux qui utilisent encore un Windows 32 bits : Acid demeure bien proposé en 64 et en 32 bits. Quant aux utilisateurs Apple, soulignons que si certaines versions du logiciel ont autrefois tourné sur Mac via Crossover, je ne suis pas parvenu à lancer cette dernière version d’Acid de cette manière. Il faudra voir si les choses évoluent en sachant qu’à notre connaissance, aucun portage ne semble prévu (et il serait bien suicidaire de le faire d’un point de vue commercial pour se retrouver face à un Garageband gratuit et un Logic Pro autrement plus complet et à peine plus cher).
Voilà, voilà. Si l’on ajoute à cela la possibilité d’avoir des effets au niveau des clips qui était apparue dans Acid Music Studio 10 en 2014, on a fait le tour des nouvelles « fonctionnalités » de sorte qu’il ne nous reste plus qu’à parler des évolutions du bundle…
Comme par Magix
Si le logiciel n’évolue pas, ce qui est somme toute très normal vu que le rachat par Magix est très récent et que les développeurs ne peuvent pas faire des miracles en quelques semaines, l’éditeur allemand propose toutefois quelques nouveautés du côté des boucles et plug-ins accompagnant cet Acid Pro 8, histoire de motiver les utilisateurs des versions précédentes à faire la mise à jour. Précisons-le : tout cela se télécharge et s’installe depuis le logiciel même, et non depuis le site de l’éditeur.
On commencera par les boucles qui sont proposées dans 5 genres différents (EDM, Hip Hop, Metal, Pop Rock et Trap) pour un total de plus de 5500 fichiers occupants plus de 9 Go sur le disque dur. Qu’en dire ? Que comme dans toutes les collections de boucles, il y a dans tout cela à boire et à manger mais qu’en combinant du bric avec du broc, on n’est jamais à l’abri d’une bonne idée. On regrettera notamment, comme souvent avec ce genre de collections, le fait que nombre de fichiers proposent des réverbes très présentes et hétérogènes, compliquant leur usage conjoint au sein d’une même compo, ainsi que certaines facilités (« choeurs » réalisés avec un synthé par exemple).
Par ailleurs, vu que les genres représentés sont pour certains aux antipodes et qu’il y a peu de chance que le musicien EDM s’intéresse aux boucles Metal et vice et versa, on aurait sans doute préféré que Magix nous propose de faire notre marché nous-même sur le site Producerplanet.com (anciennement Acidplanet comme on le voit dans le logiciel qui n’a toujours pas été mis à jour sur ce point). L’éditeur a toutefois la délicatesse de proposer un bon d’achat de 80 € à dépenser sur ce site).
Passons ensuite aux effets qui, en plus des vieux plug-ins Direct-X qu’on trouve depuis toujours dans Acid Pro et qui sont encore de la partie pour des raisons de rétrocompatibilité, rassemblent la suite essentialFX comprenant 11 effets et traitements (Gate, Vocal Strip, Compressor, Tremolo Pan, Chorus Flanger, deEsser, Phaser, TubeStage, Limiter, Reverb, Stereo Delay), ainsi que le compresseur AM|TRACK SE et le simulateur d’ampli Vandal SE (sachant que les abonnés à Acid 365 ont droit à la version complète de l’Analogue Modelling Suite qui comprend, en plus d’AM/TRACK en version non limitée, deux autres compresseurs et un processeur de transitoire). Vu que l’Analogue Modelling Suite comme Vandal ont été réalisé par Sascha Evermeier parti depuis travailler en tandem avec Urs Heckmann chez U-He où il a entre autres réalisé l’excellent Satin, il va sans dire que la qualité est au rendez-vous.
Sans pouvoir faire de l’ombre aux meilleurs plug-ins du marché, l’essentialFX Suite apparue pour la première fois dans Samplitude X change agréablement des vieilleries qui dataient du temps de Sonic Foundry, sur le plan du son comme de l’ergonomie, même si l’on regrettera qu’aucun EQ, aucun filtre multimode résonnant ou aucun processeur à convolution n’en fasse partie. Notons enfin que le logiciel ne propose pas vraiment de multieffet créatif comme on en voit désormais chez beaucoup de concurrents : on reste en effet dans du classique.
Côté instruments, ce sont encore de vieilles connaissances que l’on retrouve puisqu’on a le droit au synthé DN-e1, au ROMpler Vita 2, à Vita Sampler et à 13 instruments issus de la série Vita Solo : Pop Drums, Concert Grand, Urban Drums, Electric Piano, Rock Drums, Drum Engine, Church Organ, Choir, Cinematic Synth, Analog Synths, Vintage Organ, Electric Bass, Jazz Drums (plus Pop Brass et Orchestral Ensemble qui ne sont disponibles que pour les abonnés de la formule 365).
Très probablement basés sur le moteur d’Independence puisque réalisé par Yellow tools (un éditeur autrefois racheté par Magix), les instruments Vita ne rivaliseront peut-être pas avec les cadors du genre mais n’en demeurent pas moins relativement intéressants dans la mesure où ils sonnent correctement pour la plupart tout en étant simple à utiliser. Disons qu’on est au niveau de qualité d’un Sampletank ou de la banque de base d’un Kontakt, ce qui pourra dépanner à l’occasion. Quant à savoir si, en dehors du 64 bits, ces instruments ou les nouveaux effets fournis sont un motif suffisant pour s’offrir la mise à jour depuis la V7, c’est une autre affaire, vu que cette dernière est tout de même facturée 100 euros…
Acid en 2018
Avant de conclure, un point s’impose. Sachant que nous sommes à quelques plug-ins près devant un logiciel qui n’a pas évolué en presque 10 ans, qu’en est-il de sa pertinence face à une concurrence qui, elle, a continué de progresser ?
La liste est longue des choses que les autres font et qu’Acid ne fait pas, que cela concerne l’enregistrement, l’édition, l’arrangement, le mixage ou le mastering. On ne dispose ainsi d’aucun système pour réaliser des prises composites à partir de plusieurs enregistrements (comping) pas plus que d’un correcteur de tonalité avec préservation des formants ou d’une intégration de Melodyne. Si l’on peut évidemment faire une croix sur des fonctions évoluées comme les faders VCA, la piste Accord ou la possibilité de bâtir des multis (combinaisons d’effets ou d’instruments comme on le voit dans Tracktion, Studio One ou Reason), on sera plus gêné par l’absence de fonctionnalités de base devenues courantes ailleurs : pas d’annulation dans les plug-ins ou la console, pas de gel de piste, pas de possibilité de créer des macros pour gagner du temps, de personnaliser la couleur de l’interface, pas d’éditeur batterie ou d’éditeur de pattern… Bref, ces 10 années d’inaction se soldent par de nombreuses lacunes que quelques plug-ins ne suffisent pas à effacer (d’autant qu’il manque encore bien des choses du côté des plug-ins, comme nous l’avons souligné) et même par des problèmes de compatibilités : malgré deux réinstallations, je ne suis pas parvenu à faire fonctionner le Media Manager du logiciel sous mon Windows 10 et les réponses fournies à ce sujet sur le forum de l’éditeur semble indiquer que le problème n’a pas été solutionné. Ca craint ? Oui.
Et pourtant…
Pourtant, quand on s’en tient à jouer avec des boucles uniquement pour composer rapidement de la musique, la magie continue d’opérer : on préécoute ses fichiers depuis l’explorateur, on les glisse dans la fenêtre d’arrangement où elles se mettent automatiquement au bon tempo et en deux coups de cuillère à pot, ou plutôt en trois touches (’S’ pour splitter une boucle à l’endroit du curseur, ‘+’ pour la transposer d’un demi-ton vers le haut et ‘-‘ pour la transposer vers le bas), on s’amuse à bricoler un lego musical qui ne tarde pas à donner naissance à des embryons de compo, voire des compos complètes. Bref, jusque dans ses limites, le logiciel nous rappelle à la puissance créatrice du collage où les plus surprenantes idées viennent parfois de la confrontation d’éléments très hétérogènes.
Et c’est cette simplicité du concept qui fait la vraie force d’Acid, au point qu’il n’est pas sûr que le logiciel y gagne forcément à intégrer toutes les fonctionnalités que nous venons d’énumérer. Après tout, on sent bien que le mixage, la séquence ou l’enregistrement ne sont pas forcément le propos ici. En revanche, on espère le voir progresser sur tout ce qui touche à la composition et l’arrangement et qui en fait un formidable outil de prise de notes et de prototypage rapide : piste arrangement pour définir les sections Refrain, Couplet ou Intro par exemple, piste d’accords pour transposer d’un seul coup plusieurs pistes d’un même passage en gérant les gammes mineures et majeures, outils pour simplifier la recherche dans le corpus de boucles, boucles MIDI, etc.
Bref, il y a du pain sur la planche fonctionnelle et comme il y a quantité de choses à améliorer également sur le plan de l’ergonomie (gestion des effets, table de mixage, etc.), on espère sincèrement que Magix ne va pas se contenter de rajouter les plug-ins issus de ses autres logiciels pour nous bâtir un Acid Pro 9 du feu de dieu.
Conclusion
Il n’y a pas grand-chose à redire sur ce que nous proposé par Magix parce qu’il n’y a pas grand-chose à en dire tout court. Accessible en vente comme en location, Acid est désormais compatible 64 bits, il supportera a priori bientôt les VST3, se voit doté des mêmes instruments et effets qui accompagnent quasiment tous les logiciels de l’éditeur et nous est proposé dans un skin sombre avec quelques nouvelles icônes sans que l’interface ait subi le moindre changement.
Parce que la composition rapide à partir de boucles n’a rien perdu de son ergonomie, parce que sur ce point précis ni Live ni Garageband ne sont parvenus à proposer d’équivalent et parce que l’éditeur allemand vient tout juste de reprendre le bébé, on accueillera cette version 8 avec bienveillance, mais on espère en tout cas que la neuvième mise à jour du logiciel aura à coeur de proposer de réelles évolutions car, dans le placard où l’avait mis Sony pendant dix ans, Acid a accumulé un retard fonctionnel certain et son interface a vieilli sur quantité de points. Probablement conscient de la chose, Magix maintient son produit à un prix très raisonnable, même si l’offre de mise à jour présente un rapport fonctionnalité/prix qui ne convaincra pas forcément les utilisateurs de la v7 s’ils ne valorisent pas le passage au 64 bits.
Affaire à suivre donc, en sachant que la résurrection du logiciel va susciter bien des attentes pour Acid 9. Magix est prévenu.