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Interview / Podcast
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Interview de Jean-Felix Lalanne et Vincent Chevalot - L'histoire d'une musique de film : de la partition à l'écran

Comment nait une musique de film ? Comment passe-t-elle de l'esprit du compositeur à l'écran ? Des questions qu'AudioFanzine et Avid sont allés poser, caméra à la main, à Jean-Félix Lalanne et Vincent Chevalot, deux experts en la matière.

Si l’on imagine faci­le­ment comment peut naître le thème d’une musique de film, on a en géné­ral peu conscience de toutes les étapes qui seront néces­saires avant que cette dernière vienne soute­nir les images d’un long métrage. De l’idée à la parti­tion, de la parti­tion aux program­ma­tions MIDI, des program­ma­tions à la maquette, puis de la maquette à l’en­re­gis­tre­ment d’un orchestre réel, et à son mixage, le chemin est aussi long que passion­nant. Ce chemin, Jean-Félix Lalanne et Vincent Cheva­lot ont accepté de le refaire avec nous en partie, en reve­nant sur leur travail pour le film Nos plus belles vacances de Philippe Lellouche.

Inutile de dire qu’on est fier de vous présen­ter cette copro­duc­tion entre Avid et Audio­Fan­zine. Certes, même du haut des 42 minutes qu’elles tota­lisent, ces deux vidéos sont encore trop courtes : on est donc revenu auprès de Vincent Cheva­lot pour du rab de préci­sions, d’où la petite inter­view que vous trou­ve­rez en complé­ment, ci-après.

Jean-Felix Lalanne : la compo­si­tion avec Sibe­lius

 

Vincent Cheva­lot : la mise en son avec Pro Tools HD 10

 

Inter­view de Vincent Cheva­lot

Homme-orchestre au sens litté­ral du terme, Vincent Cheva­lot est l’al­ter ego musi­co­tech­nique de Jean-Felix Lalanne. Comme on le découvre dans les vidéos ci-contre, c’est à la fois lui qui se charge de mettre en forme la parti­tion origi­nale pour en faire une maquette desti­née à convaincre le réali­sa­teur et l’équipe de produc­tion du film, mais c’est aussi lui qui super­vise ensuite les phases d’en­re­gis­tre­ment, de montage, et de mixage. Un homme impor­tant donc, dont la config infor­ma­tique tout-terrain ou dont les nombreuses casquettes appe­laient, dans le sillage du repor­tage, quelques ques­tions supplé­men­taires.

 

La première chose éton­nante, c’est la mixité de ton parc infor­ma­tique : pourquoi un PC et un Mac plutôt que 2 Mac ou 2 PC ?

D’abord parce que je préfère utili­ser Pro Tools sur Mac, en grande partie pour des ques­tions d’af­fi­ni­tés person­nelles avec l’OS : stabi­lité, ergo­no­mie, faci­lité de main­te­nan­ce…

Concer­nant le PC, j’ai toujours eu une machine en plus pour répar­tir la puis­sance des sessions orches­trales et pour élar­gir ma palette de plug-ins. Par contre je me limite volon­tai­re­ment à 2 machines, car il existe bien sûr des config qui me donne­raient encore plus de puis­sance, mais cela me prend déjà beau­coup de temps en terme de main­te­nance et de renou­vel­le­ment, et je ne veux pas faire que ça… Et puis, ça me permet d’avoir la possi­bi­lité d’uti­li­ser un outil audio qui ne serait porté que sur MAC ou sur PC, d’où l’in­té­rêt de conser­ver ces 2 plate­formes. Il y a enfin une ques­tion de coût, mais dans une moindre mesure.

 

Comment ça marche exac­te­ment ? Quel est l’hôte sur le PC ? Quelle est l’ap­pli­ca­tion ou le hard­ware qui permet ça ?

J’ai « Vienna Ensemble Pro » sur le PC, qui est un hôte VST (avec fonc­tions de mixage avan­cées). Les serveurs VEP 32 bit et 64 bit sont lancés au démar­rage du PC, et le plug-in RTAS dans Pro Tools les voit auto­ma­tique­ment. VEP intègre égale­ment une fonc­tion qui permet de garder une instance ouverte si on l’uti­lise dans plusieurs sessions. Ce qui fait que l’on peut passer d’une session Pro Tools à l’autre sans avoir à rechar­ger les VI déjà utili­sés sur le PC. Cela suppose par contre que l’on a sauve­gardé la session « VEP server » sur le PC.

 

Quid de la latence ?

C’est assez impres­sion­nant, car la latence est très faible, et on peut même la dimi­nuer direc­te­ment dans le plug-in VEP en RTAS dans Pro Tools, si les ressources des machines le permettent. Main­te­nant, VEP5 gère même la compen­sa­tion de délai au niveau de son mixeur, ce qui est une fonc­tion parfois utile, mais qui peut induire un peu de latence supplé­men­taire en fonc­tion de ce que l’on a utilisé. Pour ma part, je n’ai pas encore eu à l’uti­li­ser, donc je garde une latence très faible. Je ne pensais pas que la bande passante du RJ45 permet­trait cela (Giga­bit), et j’ai été très bluffé ! Par contre, les machines sont reliées en direct, et j’ai choisi un contrô­leur réseau Marvell, connu pour sa robus­tesse, sur le PC.

 

Et quelles sont les carac­té­ris­tiques du PC : SSD ? RAM ? Proces­seur ?

– Carte mère ASUS P6X58D-E
- Core i7 950 3GHz
- 12 Go de RAM DDR1600
- Disque Système : SSD Vertex2 60Go
- Disque Samples : HD 7200Rpm de 1 To (que je compte bien­tôt rempla­cer par un SSD…)

Pas de carte son !

 

Est-ce que le PC lit toujours les banques en temps réel ou est-ce qu’il est néces­saire de faire des bounces et des freeze ?

En fait, c’est assez impres­sion­nant ce que ça peut lire en temps réel. D’ailleurs la session template pour ce film est assez modeste comparé à ce que les machines peuvent faire. Bien sûr, à partir d’une certaine charge CPU (Mac et PC), il faut que je commence à mettre un buffer plus grand dans Pro Tools. Et puis le Mac est aussi mis à contri­bu­tion, puisque j’uti­lise beau­coup d’ins­tru­ments virtuels en RTAS direc­te­ment dans Pro Tools.

Pour info, c’est un Mac Pro Quad Neha­lem 3GHz avec 12Go de RAM, 1 HD système, 1 HD sessions, et 2 HD de 1To chacun pour les samples.

Concer­nant le système Pro Tools, j’uti­lise la version HD10 avec une carte HD_Native et une inter­face HD_Omni. J’ai choisi ce système car la latence de base est très faible grâce à la carte PCIe, et j’ai privi­lé­gié la souplesse du natif par rapport à la puis­sance de trai­te­ment supplé­men­taire qu’au­raient pu m’ap­por­ter des cartes DSP. En plus, avec le format AAX, certains plug-ins qui étaient unique­ment compa­tibles TDM sont deve­nus égale­ment natifs, tel que la Revibe, et du coup cela accroît la compa­ti­bi­lité des systèmes DSP avec les systèmes natifs.

Donc mon setup est assez puis­sant pour tout lire en temps réel !

 

Quit­tons l’in­for­ma­tique pour reve­nir au projet : combien de temps prend la mise en sons à partir du moment où Jean-Félix four­nit son projet Sibe­lius jusqu’au bounce final qui sera envoyé au réali­sa­teur ?

Cue de film ?

Dans le jargon de la musique de film, on appelle Cue une séquence du film à mettre en musique. De fait, le compo­si­teur dispose égale­ment d’ une « cuesheet » pour savoir sur quelles séquences du film il doit mettre de la musique.

Pour les premiers Cue, c’est bien sûr plus long, et on va de plus en plus vite au fur et à mesure du projet (car on s’est fixé dès le départ un setup orchestre que l’on a essayé de respec­ter sur tous les Cues orches­traux). Pour les premiers Cues, ça peut aller jusqu’à une grosse jour­née par Cue, et pour les derniers, ça peut être deux heures en tout, ce qui inclut la program­ma­tion et le mixage.

 

Mixes-tu le projet avant de le soumettre au réali­sa­teur ou est-ce quelqu’un d’autre qui s’en charge ?

Je m’en occupe, même si c’est davan­tage pour des ques­tions de rapi­dité et d’ef­fi­ca­cité dans le work­flow. Et puis grâce à ma template, cette étape est rela­ti­ve­ment faci­li­tée.

Par contre, pour des ques­tions de recul, je ne voulais pas tout mixer jusqu’à la fin du projet. Pour le mixage final, j’ai donc préparé tous les prémix 5.1 à mon studio, et j’ai fait appel à mon ami Jérôme Devoise – très bon mixeur, notam­ment de B.O. – pour que nous fina­li­sions le mixage ensemble à Omega.

A poste­riori, je suis très content d’avoir choisi cette option, car le fait que Jérôme apporte sa fraî­cheur sur le projet a été très confor­table pour JF et pour moi.

 

Vu ton parc hété­ro­gène de plug-ins, comment gères-tu le fait d’avoir une pièce cohé­rente à la fin ? Est-ce que tu les utilises dry pour les envoyer dans une réverbe ou est-ce que ce n’est pas néces­saire ?

Ça dépend… Si j’uti­lise seule­ment LASS pour les cordes, et que j’uti­lise PLAY pour les bois et les cuivres, je vais mettre une réverbe sur LASS pour matcher avec les sons de PLAY. Cette même réverbe servira d’ailleurs au besoin sur les autres instru­ments. Par contre il se peut que je « gonfle » le son des LASS avec SYMPHO­BIA, voire PLAY en plus de SYMPHO­BIA (soit 3 banques qui jouent en même temps). Après je dose pour avoir une phase cohé­rente, et tout se joue ensuite dans la program­ma­tion car les banques ne réagissent pas de la même façon aux contrô­leurs MIDI et aux vélo­ci­tés. Donc ça peut vite deve­nir compliqué, mais c’est la seule façon d’avoir un son rela­ti­ve­ment réaliste, ce que me donne rare­ment une seule banque.

 

Qui est le chef d’or­chestre pendant l’en­re­gis­tre­ment ?

C’est Jean-Félix qui dirige.

 

Dirige-t-il avec l’image et est-il influencé dans sa direc­tion par les maquettes ?

Il dirige avec l’image, et je contrôle en cabine avec l’image égale­ment (nous avons chacun notre écran).

Pour ce qui est des maquettes, la subti­lité de mon boulot consiste à tenter de donner la dyna­mique la plus proche de ce que l’on voudra obte­nir au final (et tous ceux qui programment savent que c’est l’élé­ment le plus dur à gérer avec des faux orchestres). Bien sûr, lorsque c’est bien écrit (et croyez-moi c’est le cas avec JF), tout est déjà très présent dans les indi­ca­tions d’in­ter­pré­ta­tion se trou­vant sur la parti­tion. Du coup, la maquette permet à Jean-Félix de mieux adap­ter sa direc­tion compte tenu qu’il l’a, au préa­lable, entendu prémixé avec le son témoin du film.

 

Certaines pistes du virtuel sont-elles conser­vées à la fin ?

Oui. En l’oc­cur­rence, le célesta, une partie de la harpe, toutes les percus­sions et quelques program­ma­tions orches­trales pour des renforts d’or­chestre.

 

Portes-tu un regard critique sur la parti­tion que te four­nit Jean-Félix ?

Je fais la direc­tion artis­tique avec JF, donc je porte néces­sai­re­ment ce regard. En fait, j’ana­lyse ce qu’il m’en­voie et je lui fais mes commen­taires, en lui suggé­rant d’en­le­ver ou d’ajou­ter des éléments. Mais le truc avec JF, c’est qu’il me donne très peu de travail de ce côté-là, car c’est telle­ment bien écrit que je n’ai pas grand-chose à dire… Je peux aussi rejouer des instru­ments, ou modi­fier légè­re­ment l’ar­ran­ge­ment. Je lui donne ensuite mes modi­fi­ca­tions pour qu’il les intègre aux parti­tions si ça lui convient, car c’est lui qui gère dans Sibe­lius toutes les parti­tions qui vont être données aux musi­ciens. C’est l’avan­tage de bien se connaître humai­ne­ment et musi­ca­le­ment, et d’avoir une grande confiance réci­proque : on obtient un work­flow très effi­cace.

 

Gardes-tu une part de créa­ti­vité pour le chef d’Or­chestre à la fin, où doit-il se confor­mer à tes choix d’ex­pres­si­vité ?

En fait les choix d’ex­pres­si­vité sont faits en grande partie lors de la compo­si­tion (et de l’or­ches­tra­tion puisque JF fait tout en même temps). Et c’est un avan­tage que ce soit JF qui dirige, car c’est sa musique, et il sait néces­sai­re­ment où il veut aller. En fait, mon boulot en cabine lors des prises d’or­chestre consiste à véri­fier que l’on est juste en terme d’in­ten­tions, de tempo, etc., donc il peut arri­ver que l’on refasse une prise si je la consi­dère trop « molle » ou trop « pres­sée » par exemple. On a effec­ti­ve­ment les maquettes en tête, mais elles ne figent pas l’in­ter­pré­ta­tion. Il y a forcé­ment une subti­lité supplé­men­taire d’in­ter­pré­ta­tion appor­tée par de vrais musi­ciens et la direc­tion du chef d’or­chestre.

Ce qui me permet, en cabine, d’al­ler vrai­ment dans le détail et de peau­fi­ner pour avoir le meilleur rendu possible. Et comme je m’oc­cupe aussi des montages Pro Tools derrière, je gère pendant la prise la matière que je veux avoir pour le montage, ce qui est très confor­table pour moi, car si je valide, c’est que je sais que j’ai ce qu’il me faut.

 

Si j’ai bien compris, l’en­re­gis­tre­ment final s’est fait à Prague : pourquoi là-bas ?

Nous avons choisi Prague en grande partie pour tenir le budget, car il y avait beau­coup de Cues orches­traux à enre­gis­trer. Prague est moins cher que la France, la Belgique ou l’An­gle­terre. Cela dit, pour avoir ce que nous voulions, nous avons dû batailler plus que si nous avions enre­gis­tré l’or­chestre à Paris, et ça m’a égale­ment demandé plus de travail de montage.

 

Dernière ques­tion : es-tu crédité comme arran­geur ou non ?

Avec Jean-Félix, je n’ai pas assez de travail en tant qu’ar­ran­geur pour être crédité sur ce poste…

Et puis sinon il faudrait par exemple crédi­ter égale­ment en tant qu’ar­ran­geur les musi­ciens qui ont parti­cipé à la BO, et qui ont à leur manière modi­fié subti­le­ment l’ar­ran­ge­ment.

D’ailleurs pour ce qui est des crédits, c’est assez diffi­cile de trou­ver un terme cohé­rent pour regrou­per mes diffé­rentes tâches dans le proces­sus de créa­tion d’une B.O. (c’est proba­ble­ment le terme anglo-saxon « produ­cer » qui serait le plus proche – en l’oc­cur­rence co-produ­cer avec JF dans ce cas précis car c’est natu­rel­le­ment lui qui fixe le cap – mais il n’est pas utilisé en France).

 

Merci encore à Vincent et Jean-Felix pour leur gentillesse et le temps qu’ils nous ont consa­cré.

 


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