Il y a des jours où on se lève et l'on s'aperçoit qu'on ne connait absolument rien à quelque chose. Ce matin-là, je me suis rendu compte avec un certain effroi que mes connaissances en matière sonore se limitaient au petit monde de la musique…
Et le son à l’image dans tout ça ? Que tchi, que dalle, que pouic, nib, nada… Bref, le néant total. Un peu juste mon bon ami, surtout pour quelqu’un d’aussi curieux que toi ! Dans un réflexe très 2.0, je me suis empressé de faire une petite recherche sur la toile, et là, deuxième choc matinal : mon site web préféré, pourtant entièrement consacré au monde de l’audio et pour lequel je fais quelques piges depuis bientôt 5 ans, ce fameux site web donc, n’en sait guère plus que moi sur le sujet ! Ni une, ni deux, je décroche mon téléphone :
– Moi : Allo la rédaction d’AF, on n’a pas grand chose concernant le son à l’image. Qu’est-ce que c’est que cette tisane ?
– Lui : Oui c’est vrai, faudrait qu’on se penche un peu plus sur la question.
– Moi : OK, « challenge accepted » !
Partant du principe qu’il vaut mieux un qui sait que dix qui cherchent, je me suis dit qu’un entretien avec un spécialiste serait un bon départ. J’ai donc contacté le studio de post-production Miroslav Pilon. Pourquoi ce choix ? Les plus perspicaces d’entre vous l’auront sans doute déjà compris, les autres devront patienter jusqu’à la fin pour en savoir plus… Quoi qu’il en soit, je me suis retrouvé au téléphone avec le responsable de production, monsieur Frédéric Baratte, qui a eu la gentillesse de m’organiser une interview avec le directeur technique et ingénieur en mixage de Miroslav Pilon et Pilon Cinéma, j’ai nommé Yoann Veyrat. Quelques semaines plus tard, me voilà donc en route pour Lyon où Yoann m’accueille chaleureusement. Après une visite guidée de toutes les infrastructures, c’est dans le magnifique studio Pilon Cinéma que nous nous sommes confortablement installés afin que Yoann comble mes lacunes audiovisuelles…
Nantho : Est-ce que tu peux me présenter en quelques mots les deux structures ?
Yoann Veyrat : Les deux sociétés sont des sociétés de post-production audio spécialisées dans le travail du son à l’image. Miroslav Pilon est un peu la maison-mère qui a été fondée en 1988 et qui fêtera donc ses 30 ans l’année prochaine. Même s’il y a des passerelles entre la télé et le cinéma, Miroslav Pilon est axé sur des travaux télé, alors que Pilon Cinéma est un outil d’abord dédié au mixage cinéma, vraiment orienté vers l’industrie cinématographique. Cette structure est née en 2010 mais le temps de tout mettre en place, le studio est ouvert depuis 2011 en termes d’exploitation commerciale.
N : Pourrais-tu nous expliquer ce qu’est la post-prod ?
Y : Il faut savoir que dans un film, quasiment tous les sons qu’on entend sont créés ou recréés d’une façon ou d’une autre au moment de l’étape dite de post-production son. Sur un tournage, le preneur de son s’attache à nous enregistrer les voix, mais en fait c’est très difficile pour lui, lors du tournage de l’image, de nous fournir autre chose que de très belles voix. Pourquoi ? Parce qu’il va souvent se retrouver dans des environnements bruyants, avec des sons intermittents n’ayant rien à voir avec le tournage et qui poseront des problèmes de raccords lors du montage. Bref, le but du jeu c’est avant tout de capter de belles voix avec le moins de pollution sonore possible. Il enregistre aussi des sons supplémentaires, en-dehors du tournage, qui serviront à l’habillage des séquences, mais ce ne sera pas la seule source d’habillage sonore, loin de là ! Du coup, il va y avoir tout un travail pour recréer le son de chaque séquence du film. Cela paraît évident sur un film d’animation puisque par essence il n’y a rien du tout à la base, mais sur un film traditionnel c’est presque pareil. Et ça nous amène donc à la post-production à proprement parler avec ses cinq grands métiers.
Le premier, c’est le monteur des directs. Comme son nom l’indique, ce dernier s’occupe d’effectuer le montage des sources sonores provenant directement du tournage (micros HF des différents comédiens, perches, etc.), ce qui implique pas mal de choses :
- Tri des pistes utiles à chaque instant T ;
- Gestion des problèmes de phase entre toutes les sources ;
- Nettoyage des bruits parasites ;
- Correction des accidents sonores et autres bafouillements en allant piocher dans d’autres prises ;
- Etc.
En résumé, le monteur des directs doit fabriquer une bande-son issue des prises directes du tournage qui soit la plus « clean » possible. Il va également déterminer avec le reste des équipes ce qui va devoir être post-synchronisé plus tard, c’est-à-dire les voix qu’on n’a pas réussi à récupérer.
À l’issue de cette étape, on se retrouve avec une bande son uniquement axée sur les voix, il manque donc tout le reste. C’est à ce moment-là qu’intervient le bruiteur. Son travail est beaucoup plus créatif puisqu’il travaille en performance, c’est-à-dire en direct à l’image. Il a un micro, ses pieds, ses mains, des accessoires, tout un capharnaüm de choses et il va essayer de réaliser un maximum de sons avec tout ça : bruits de pas, frottements de vêtements (ce que l’on nomme les présences), bruits de mains, bruits de tables lors d’un repas par exemple, etc. Et cela se fait en synchro avec les images qui défilent devant lui.
Troisième grand poste de la post-production son, le monteur son (parfois appelé sound designer). Lui s’occupe des sons qui ne peuvent pas être faits par le bruiteur comme par exemple des explosions, le moteur d’un véhicule, etc. Il monte les effets sonores, mais il construit aussi le « décor sonore », ces sons que l’on ne voit pas concrètement à l’image mais qui suggèrent au spectateur l’ambiance du lieu dans lequel se déroule l’action : ambiance de campagne, bruit de ville, bord de mer, etc.
Le quatrième poste de la post-production, c’est bien entendu le compositeur de la bande originale. Mais là, c’est d’une certaine façon un peu à part puisque ça reste avant tout de l’écriture et de la production musicale. Ce n’est pas une étape sur laquelle nous intervenons, on nous livre des musiques qu’on intègre lors de la dernière étape.
Et nous arrivons donc au dernier grand poste, celui que j’occupe : le mixeur. Chacun des postes précédents ne livre pas des sons complètement bruts, il y a déjà un léger travail de pré-mixage de réalisé. Le mixeur fait donc office de chef d’orchestre pour équilibrer tout ça. Il applique des traitements si nécessaires, notamment sur les voix qu’il va beaucoup travailler pour obtenir une intelligibilité maximale. Il place les sons de façon à guider le regard du spectateur. Le son, dans le son à l’image, c’est quelque chose de particulièrement inconscient. Personne ne se rend réellement compte à quel point le son transmet des informations et incite le spectateur à regarder quelque chose, à suivre quelque chose plutôt qu’une autre. Du coup, ce qui inspire le mixeur, c’est la narration. C’est vraiment l’élément central, le fil conducteur : que raconte-t-on à chaque instant, quelle information et/ou sensation cherche-t-on à faire passer ? Le travail du mixeur en post-prod, c’est de faire en sorte que la bande-son soit totalement au service de l’histoire qui se déroule à l’écran. Bien entendu, tout cela se passe en étroite collaboration avec le réalisateur.
N : Et tout ça se fait en tenant compte des conditions techniques de diffusion je suppose…
Y : Exactement. Nous venons d’évoquer le côté créatif / artistique qui n’est que la partie émergée d’un iceberg comprenant une énorme partie technique immergée. L’aspect technique comprend la maîtrise de nos outils (console, etc.) et la gestion du cadre de diffusion (ciné, TV, 5.1, 7.1, stéréo, etc.). Par exemple, le spectateur est beaucoup plus attentif au cinéma, il est plus disposé à recevoir des sons faibles et des sons forts. Du coup, il est possible de travailler sur une plage dynamique beaucoup plus étendue allant du chuchotement le plus doux à la tempête la plus violente. En télévision, quand le spectateur est chez lui en train de faire la cuisine avec le poste TV allumé en fond ou que les enfants dorment dans la chambre d’à côté pendant la diffusion d’un film, la plage dynamique se doit d’être plus resserrée afin que l’on puisse tout entendre correctement dans un cas comme dans l’autre.
N : En parlant technique, j’aimerais bien que tu nous parles un peu de vos outils de travail. Je vois que vous avez très très peu de périphériques hardware analogiques de types compresseur, EQ ou autre, alors qu’il y a de très belles surfaces de contrôle dans tous les studios…
Y : Nous travaillons sous Pro Tools (système HDX – N.D.A.) avec des surfaces D-Control, S3 ou D-Command.
N : Le fameux duel analogique / numérique qui continue de faire rage dans le milieu de la musique n’existe pas dans le domaine de la post-production audio ?
Y : Oui et non. Disons que les besoins ne sont pas du tout les mêmes que dans le milieu musical. La dualité est plutôt entre les vraies consoles (numériques – N.D.A.) vs. surface de contrôle avec Pro Tools.
Dans le milieu du cinéma, l’automation revêt une importance capitale. Il y a une montagne de pistes, des sons qui nécessitent un traitement différent d’un moment à l’autre, il faut que tout soit automatisable et que l’automation de tous ces paramètres soit facile d’accès. Par conséquent, les consoles numériques ont très tôt été adoptées dans le milieu. D’ailleurs, je n’ai personnellement pas connu la période sans console automatisable.
Bref, une méthode de travail consiste à utiliser un Pro Tools uniquement comme lecteur audio, il sort entre soixante et cent canaux vers une console numérique type Euphonix System 5, Neve DFC, Harrison ou autre console orientée à l’image, et on mixe là-dedans avec les automations dans la console.
La deuxième façon de faire, que nous avons choisi d’adopter, se résume tout simplement à un Pro Tools piloté par une surface de contrôle. En fait, la première méthode est aussi liée aux savoir-faire « historiques » des mixeurs dans le métier. Aujourd’hui, le mariage DAW / surface de contrôle, qui est aussi plus mature, est de plus en plus utilisé et accepté.
Après, il y a la question des traitements « full in the box » ou via des périphériques externes. Ici, nous avons fait le choix du « full in the box » avec des plug-ins, même si certains mixeurs viennent parfois avec leurs périphériques. En son à l’image, évidemment que le beau son est important, mais la narration primera toujours sur tout. Or, lorsqu’on est en train de mixer, on a besoin de pouvoir tester rapidement des choses par rapport à la narration. Et je pense que plus on a de temps à consacrer à cet aspect de test / recherche sans se faire des noeuds au cerveau avec le patch de périphériques analogiques, plus on peut être au service de la narration et du réalisateur. En fait, le delta entre le temps nécessaire à l’utilisation d’un périphérique hardware et le gain en qualité sonore n’est pas toujours suffisant à mes yeux pour que ça en vaille la peine. Je préfère largement dévouer ce précieux temps à servir la narration. En plus, quand tu bosses en 5.1, va utiliser un Tube-Tech qui lui est stéréo… Tu peux ne passer que la centrale bien sûr, mais tu vas galérer et ça risque de te bloquer plus tard si jamais le réalisateur te demande un truc qui ne colle plus avec ce patch…
N : Ce qui m’amène logiquement à te demander ce que vous utilisez comme plug-ins de traitement.
Y : J’aime bien le Channel Strip intégré à Pro Tools, je le mets un peu à toutes les sauces. Nous avons aussi les suites Waves qui sont historiquement parmi les plus plébiscitées, même si elles commencent à passer de mode. Les plug-ins Sonnox Oxford sont également très prisés dans le milieu. On a aussi des produits FabFilter qui sont de très bons outils.
N : Après, comme nous en parlions avant l’interview, vous avez le fameux RX d’iZotope.
Y : Ah oui, le RX ! C’est vraiment l’outil révolutionnaire de ces dernières années dans le monde de la post-production audiovisuelle puisqu’il nous permet de faire des choses que l’on ne pouvait tout simplement pas faire avant. Pour le monteur des directs, c’est un outil extrêmement puissant. Mais c’est également un superbe outil pour le mixeur. Personnellement, je trouve que c’est un de-esser redoutable, à condition de traiter « s » par « s » avec la fonction « Spectral Repair ». Ça peut être long, mais je n’ai pas trouvé mieux pour travailler dans la dentelle. Pour le « de-noising », c’est également assez génial. Historiquement, on utilise plutôt le Cedar en cinéma, mais la facilité de mise en oeuvre de RX et son coût (par rapport au Cedar) sont en train de changer la donne.
N : Et au-delà des traitements audio pur et dur, je suppose qu’il y a d’autres joujoux plus « créatifs »…
Y : Oui, bien sûr. Par exemple, le Speakerphone d’Audio Ease nous permet de simuler des haut-parleurs, bien utile pour certains effets comme tu peux t’en douter. Audio Ease a pas mal la cote dans le milieu du cinéma avec sa réverbération à convolution Altiverb. En fait, on utilise beaucoup de réverbes pour simuler des environnements acoustiques que l’on voit à l’image. Pour ça, Altiverb est un « must » car elle propose des acoustiques de lieux fabuleuses, souvent en multi-canal qui plus est. On utilise parfois des réverbérations algorithmiques, mais c’est pour faire des effets audio, pas pour les choses réalistes. Pour ça, j’ai la Revibe d’Avid qui est très bonne, sinon j’utilise aussi les réverbes des bundles Waves.
Dans le registre gestion de l’espace, on a le Spanner de The Cargo Cult qui est un produit spécifique au monde du son à l’image. C’est en fait un « panner » 5.1 bien pratique parce que Pro Tools n’intègre malheureusement pas directement ce genre de choses.
N : Je passe du phoque à l’âne mais je me demandais s’il y avait une certaine porosité entre le milieu de la musique et celui du son à l’image. Un technicien du son spécialisé dans la musique travaille-t-il parfois pour du son à l’image et versa-vice ?
Y : Très peu. Ce sont des savoir-faire très différents. Tout à l’heure nous avons évoqué les grands métiers de la post-prod audiovisuelle et déjà là, la sectorisation des compétences ne favorise pas vraiment le passage d’un métier à l’autre. Alors bien évidemment c’est encore plus difficile pour quelqu’un de complètement extérieur. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais c’est tout de même relativement rare car très difficile. Et l’inverse est également vrai. Il m’est arrivé de travailler sur des albums pour des amis musiciens pour rendre service, mais ça m’a pris beaucoup de temps car ce n’est pas mon métier, et le résultat était certainement moins bon que ce qu’un technicien du son musique aurait obtenu en un tournemain. Certes, il y a un socle commun de compétences de base, mais lorsque l’on passe de son domaine de prédilection à l’autre, on fait quand même un peu tous du « bricolage » car chaque métier a ses spécificités et ça ne s’improvise pas vraiment.
N : Dans le milieu musical, la répartition entre techniciens du son ayant reçu une formation et « sondiers autodidactes » est assez équilibré. Qu’en est-il dans le monde de la post-prod audiovisuelle ?
Y : Les gens sont la plupart du temps issus d’une formation : BTS audiovisuel ou Louis-Lumière et la Fémis pour les métiers du cinéma. Thierry Courtaut et Franck Pitiot, les fondateurs de Miroslav Pilon, n’ont effectivement pas fait de formation, mais aujourd’hui, je ne connais personne qui ne travaille dans le milieu sans avoir eu une formation plus ou moins poussée. Il y a une base technique essentielle à avoir et puis il ne faut pas oublier que l’audiovisuel fonctionne beaucoup sur un système de réseau. Or, il est très difficile d’intégrer ce réseau en venant de « nulle part ». Par exemple, il ne nous est jamais arrivé de prendre en stage quelqu’un qui n’avait pas un minimum de bagage théorique pour comprendre à peu près ce qu’il se passe lorsqu’on est derrière les machines. Si la personne ne sait pas du tout ce qu’est le son, de quelle « matière » il s’agit, comment fonctionne un compresseur ou la station de travail, nous n’avons pas vraiment le temps en situation de travail réelle pour lui apprendre ces choses-là.
N : Et au niveau des débouchés, de la concurrence, ce sont des métiers d’avenir ?
Y : J’ai une vision assez parcellaire de la chose puisque ne connaissant pas bien le monde musical. Il me semble tout de même qu’il y a moins de concurrence que dans les métiers de la musique. Par contre, il ne faut pas en déduire non plus que notre secteur d’activités est un Eldorado. Ce n’est pas si simple que cela. Déjà, le gros de la profession est centré sur Paris. Sur une zone comme la nôtre (Lyon / Villeurbanne – N.D.A.) qui est beaucoup plus petite à l’échelle de la post-production française, le turnover des gens travaillant dans les différentes structures du coin est très faible, donc les places sont « chères ». Autant dans la musique, il apparaît évident qu’il faut que ce soit une passion, mais c’est tout aussi vrai dans le milieu de la post-prod. Ça ne doit pas être une passion que pour le son, ça doit être une passion pour le son à l’image. Les gens qui viennent au son à l’image en pensant que ça va être un palliatif pour faire de la musique à côté se prennent souvent un râteau dans la figure parce qu’ils se rendent compte que ça ne marche pas comme ça. Il y a quand même une concurrence, le métier est exigeant et il n’y a pas tant de places que ça. La concurrence est tellement forte en musique qu’il est tentant de se dire que ce sera plus facile dans le son à l’image, mais il ne faut pas y venir par défaut car sinon on va finir aigri à faire des choses pas intéressantes, ce qui n’est bien entendu souhaitable pour personne.
N : Revenons à Miroslav Pilon et Pilon Cinéma. Quels services offrez-vous exactement ?
Y : Nous travaillons sur différents types de projets télé et cinéma. Ça va des publicités et programmes (fiction & animation) aux documentaires, en passant par les bandes-annonces. Là-dessus, nous effectuons différents travaux comme les voix off, le doublage, fabrication et montage son, bruitage, et mixage.
N : Tiens, ça me fait penser à une chose à laquelle je n’avais jamais réfléchi mais lorsque vous travaillez sur un projet pour le cinéma, typiquement un film donc, comment cela se passe-t-il pour les éventuelles diffusions TV ?
Y : Eh bien, il y a tout simplement une adaptation télé. En fin de projet, on passe entre une et trois journées à faire la version TV du mixage, ce qui est souvent un poil court mais cette adaptation est absolument nécessaire, et ce, pour plusieurs raisons. Il faut adapter le programme aux normes de diffusion télé qui sont draconiennes du point de vue de la dynamique. De plus, en cinéma, on est en 5.1 alors qu’en télé, même si le 5.1 est possible, on est limité la plupart du temps à la stéréo. Et puis historiquement, il y a une énorme différence : le cinéma est en 24 images par seconde alors que la télé est en 25 images par seconde. Et pour passer de 24 à 25, on ne rajoute pas une image, on lit le film plus vite… Donc la version TV est toujours légèrement plus courte que la version ciné ! Du coup, on est obligé d’accélérer aussi le son.
N : Pour finir, quel est ton meilleur souvenir dans le métier ?
Y : Les meilleurs souvenirs, ce sont souvent les rencontres. Par exemple, la rencontre avec Alexandre Astier lorsque je travaillais sur Kaamelott (Livres IV, V et VI – N.D.A.) a été quelque chose de fantastique parce que c’est quelqu’un de passionnant. Il nous a fait confiance très tôt et nous avons construit une relation de travail sur la durée. Les projets sont à chaque fois captivants et c’est vraiment un bonheur de travailler avec lui.
N : Et le pire souvenir ?
Y : Eh bien, je suis mixeur mais également directeur technique. Alors quand une panne survient lorsque tu es avec le réalisateur et qu’il y a déjà de la tension à cause des délais de production, de doutes créatifs ou autre, ce n’est pas franchement agréable.
Il faut savoir que le réalisateur est souvent dans une situation psychologique particulière. Quand il arrive là, ça fait parfois des années qu’il se bat pour son film. Il s’est battu pour l’écrire, pour trouver des financements, pour le produire, pour le tourner ; il a dû faire des compromis sur certaines choses parce que le producteur lui a dit que ça coûtait trop cher, etc. Il arrive en mix, il est usé par ces mois de travail et de frustration… Et tout ça est là, quoi. Avec parfois le secret espoir totalement vain que tu vas pouvoir sauver des trucs qui sont « insauvables », comme si par exemple il était possible qu’un comédien qui joue mal se mette à bien jouer grâce à ta façon de mixer. Il espère des fois pouvoir encore camoufler des trucs à ce stade de la production…
N : Oui, mais le Melodyne de l’image, ce n’est pas encore ça !
Y : Exactement ! Bref, il arrive avec tout ce bagage. Et en même temps, c’est la fin. Enfin, c’est presque fini et il est peut-être déjà en train d’écrire le suivant, ou il a la tête dans la promo, les festivals, etc. Et puis il y a les personnalités de chacun, nous avons tous des « angles » et c’est d’autant plus vrai dans le milieu artistique. Tout ça fait qu’il y a parfois une phase de doute en début de travail de post-prod si les personnes n’ont jamais travaillé ensemble. Et si un problème technique arrive par-dessus ça, c’est difficile à gérer, la bulle du doute explose et la tension est complètement palpable.
Après, je ne suis pas un homme de conflits. Je suis toujours au service du réalisateur. Et même si ce qu’il me demande ne me plait pas, si je ne trouve pas ça beau, on peut en discuter mais ça ne me dérange pas de le faire à partir du moment où c’est faisable et que c’est ça qu’il veut.
N : Je suppose que les « deadlines » sont très strictes en plus…
Y : Oui, et souvent tout se comprime sur le travail du son qui est la dernière étape. C’est-à-dire que si la deadline ne peut absolument pas être déplacée et que les étapes d’avant prennent du retard, c’est sur le son qu’on va compresser les plannings… Donc il arrive fréquemment qu’on travaille en période de tension de livraison, parce que ça doit partir à tel ou tel festival, parce que ça doit être diffusé à tel moment, etc. Par exemple, le long métrage que j’ai mixé en début d’année devait partir au festival de Berlin. Eh bien on a fait un pré-mix pour Berlin. On savait qu’on ne pourrait pas livrer un mix final dans les temps donc on a adopté une stratégie où on a fait le plus gros, on a travaillé énormément pour ça, puis on a fini plus tranquillement après.
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Frédéric Baratte sans qui cet entretien n’aurait pas été possible. Je salue également toute l’équipe Miroslav Pilon / Pilon Cinéma. Vos studios sont magnifiques et j’espère vraiment pouvoir un jour revenir vous voir à l’occasion d’un projet ou simplement pour discuter de choses et d’autres. Pour ceux qui se demandent encore pourquoi j’ai contacté Miroslav Pilon, la raison est toute simple en vérité. Si vous me faites l’honneur de suivre mes articles sur Audiofanzine, vous êtes certainement déjà tombé sur des expressions du genre « qu’est-ce que c’est que cette tisane ? » ou bien encore « on n’est pas sorti du sable ». Eh bien ces idiotismes me viennent de Kaamelott dont je suis un fan absolu. Pas étonnant donc que j’atterrisse dans les studios co-fondés par Franck Pitiot, alias Perceval. J’ai eu la chance de le croiser un petit quart d’heure le jour de l’interview. Lorsqu’il m’a offert un café et que nous avons discuté du dernier Blade Runner, de musique sur Atari et d’une boîte à rythmes Oberheim, je vous avoue que la groupie qui sommeille en moi a eu du mal à ne pas laisser échapper un « c’est pas faux »…
Pour finir, je remercie bien entendu chaleureusement Yoann Veyrat, ce passionnant passionné du son à l’image. Comme il l’a très justement dit au cours de l’interview, les meilleurs souvenirs sont bien souvent les rencontres. Et quelle rencontre ! Son enthousiasme et son amour pour son métier sont vraiment beaux à voir. Une telle générosité donne clairement envie d’en découvrir encore plus sur la post-production audiovisuelle. Ainsi, dans la plus pure tradition des jeux de mots moisis propres à Audiofanzine, je conclurai par ceci : Yoann, j’espère qu’on se re-Veyrat !