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Interview / Podcast
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Interview de Yoann Veyrat - La passion du son à l'image

Il y a des jours où on se lève et l'on s'aperçoit qu'on ne connait absolument rien à quelque chose. Ce matin-là, je me suis rendu compte avec un certain effroi que mes connaissances en matière sonore se limitaient au petit monde de la musique…

Interview de Yoann Veyrat : La passion du son à l'image

Et le son à l’image dans tout ça ? Que tchi, que dalle, que pouic, nib, nada… Bref, le néant total. Un peu juste mon bon ami, surtout pour quelqu’un d’aussi curieux que toi ! Dans un réflexe très 2.0, je me suis empressé de faire une petite recherche sur la toile, et là, deuxième choc mati­nal : mon site web préféré, pour­tant entiè­re­ment consa­cré au monde de l’au­dio et pour lequel je fais quelques piges depuis bien­tôt 5 ans, ce fameux site web donc, n’en sait guère plus que moi sur le sujet ! Ni une, ni deux, je décroche mon télé­phone :

– Moi : Allo la rédac­tion d’AF, on n’a pas grand chose concer­nant le son à l’image. Qu’est-ce que c’est que cette tisane ?

– Lui : Oui c’est vrai, faudrait qu’on se penche un peu plus sur la ques­tion.

– Moi : OK, « chal­lenge accep­ted » !

Partant du prin­cipe qu’il vaut mieux un qui sait que dix qui cherchent, je me suis dit qu’un entre­tien avec un spécia­liste serait un bon départ. J’ai donc contacté le studio de post-produc­tion Miro­slav Pilon. Pourquoi ce choix ? Les plus pers­pi­caces d’entre vous l’au­ront sans doute déjà compris, les autres devront patien­ter jusqu’à la fin pour en savoir plus… Quoi qu’il en soit, je me suis retrouvé au télé­phone avec le respon­sable de produc­tion, monsieur Frédé­ric Baratte, qui a eu la gentillesse de m’or­ga­ni­ser une inter­view avec le direc­teur tech­nique et ingé­nieur en mixage de Miro­slav Pilon et Pilon Cinéma, j’ai nommé Yoann Veyrat. Quelques semaines plus tard, me voilà donc en route pour Lyon où Yoann m’ac­cueille chaleu­reu­se­ment. Après une visite guidée de toutes les infra­struc­tures, c’est dans le magni­fique studio Pilon Cinéma que nous nous sommes confor­ta­ble­ment instal­lés afin que Yoann comble mes lacunes audio­vi­suel­les…

Pilon Cinema front

Nantho : Est-ce que tu peux me présen­ter en quelques mots les deux struc­tures ?

Yoann Veyrat :  Les deux socié­tés sont des socié­tés de post-produc­tion audio spécia­li­sées dans le travail du son à l’image. Miro­slav Pilon est un peu la maison-mère qui a été fondée en 1988 et qui fêtera donc ses 30 ans l’an­née prochaine. Même s’il y a des passe­relles entre la télé et le cinéma, Miro­slav Pilon est axé sur des travaux télé, alors que Pilon Cinéma est un outil d’abord dédié au mixage cinéma, vrai­ment orienté vers l’in­dus­trie ciné­ma­to­gra­phique. Cette struc­ture est née en 2010 mais le temps de tout mettre en place, le studio est ouvert depuis 2011 en termes d’ex­ploi­ta­tion commer­ciale.

N : Pour­rais-tu nous expliquer ce qu’est la post-prod ?

Y : Il faut savoir que dans un film, quasi­ment tous les sons qu’on entend sont créés ou recréés d’une façon ou d’une autre au moment de l’étape dite de post-produc­tion son. Sur un tour­nage, le preneur de son s’at­tache à nous enre­gis­trer les voix, mais en fait c’est très diffi­cile pour lui, lors du tour­nage de l’image, de nous four­nir autre chose que de très belles voix. Pourquoi ? Parce qu’il va souvent se retrou­ver dans des envi­ron­ne­ments bruyants, avec des sons inter­mit­tents n’ayant rien à voir avec le tour­nage et qui pose­ront des problèmes de raccords lors du montage. Bref, le but du jeu c’est avant tout de capter de belles voix avec le moins de pollu­tion sonore possible. Il enre­gistre aussi des sons supplé­men­taires, en-dehors du tour­nage, qui servi­ront à l’ha­billage des séquences, mais ce ne sera pas la seule source d’ha­billage sonore, loin de là ! Du coup, il va y avoir tout un travail pour recréer le son de chaque séquence du film. Cela paraît évident sur un film d’ani­ma­tion puisque par essence il n’y a rien du tout à la base, mais sur un film tradi­tion­nel c’est presque pareil. Et ça nous amène donc à la post-produc­tion à propre­ment parler avec ses cinq grands métiers.

Le premier, c’est le monteur des directs. Comme son nom l’in­dique, ce dernier s’oc­cupe d’ef­fec­tuer le montage des sources sonores prove­nant direc­te­ment du tour­nage (micros HF des diffé­rents comé­diens, perches, etc.), ce qui implique pas mal de choses :

  • Tri des pistes utiles à chaque instant T ;
  • Gestion des problèmes de phase entre toutes les sources ;
  • Nettoyage des bruits para­sites ;
  • Correc­tion des acci­dents sonores et autres bafouille­ments en allant piocher dans d’autres prises ;
  • Etc.

En résumé, le monteur des directs doit fabriquer une bande-son issue des prises directes du tour­nage qui soit la plus « clean » possible. Il va égale­ment déter­mi­ner avec le reste des équipes ce qui va devoir être post-synchro­nisé plus tard, c’est-à-dire les voix qu’on n’a pas réussi à récu­pé­rer.

À l’is­sue de cette étape, on se retrouve avec une bande son unique­ment axée sur les voix, il manque donc tout le reste. C’est à ce moment-là qu’in­ter­vient le brui­teur. Son travail est beau­coup plus créa­tif puisqu’il travaille en perfor­mance, c’est-à-dire en direct à l’image. Il a un micro, ses pieds, ses mains, des acces­soires, tout un caphar­naüm de choses et il va essayer de réali­ser un maxi­mum de sons avec tout ça : bruits de pas, frot­te­ments de vête­ments (ce que l’on nomme les présences), bruits de mains, bruits de tables lors d’un repas par exemple, etc. Et cela se fait en synchro avec les images qui défilent devant lui.

Troi­sième grand poste de la post-produc­tion son, le monteur son (parfois appelé sound desi­gner). Lui s’oc­cupe des sons qui ne peuvent pas être faits par le brui­teur comme par exemple des explo­sions, le moteur d’un véhi­cule, etc. Il monte les effets sonores, mais il construit aussi le « décor sonore », ces sons que l’on ne voit pas concrè­te­ment à l’image mais qui suggèrent au spec­ta­teur l’am­biance du lieu dans lequel se déroule l’ac­tion : ambiance de campagne, bruit de ville, bord de mer, etc.

Le quatrième poste de la post-produc­tion, c’est bien entendu le compo­si­teur de la bande origi­nale. Mais là, c’est d’une certaine façon un peu à part puisque ça reste avant tout de l’écri­ture et de la produc­tion musi­cale. Ce n’est pas une étape sur laquelle nous inter­ve­nons, on nous livre des musiques qu’on intègre lors de la dernière étape.

Et nous arri­vons donc au dernier grand poste, celui que j’oc­cupe : le mixeur. Chacun des postes précé­dents ne livre pas des sons complè­te­ment bruts, il y a déjà un léger travail de pré-mixage de réalisé. Le mixeur fait donc office de chef d’or­chestre pour équi­li­brer tout ça. Il applique des trai­te­ments si néces­saires, notam­ment sur les voix qu’il va beau­coup travailler pour obte­nir une intel­li­gi­bi­lité maxi­male. Il place les sons de façon à guider le regard du spec­ta­teur. Le son, dans le son à l’image, c’est quelque chose de parti­cu­liè­re­ment incons­cient. Personne ne se rend réel­le­ment compte à quel point le son trans­met des infor­ma­tions et incite le spec­ta­teur à regar­der quelque chose, à suivre quelque chose plutôt qu’une autre. Du coup, ce qui inspire le mixeur, c’est la narra­tion. C’est vrai­ment l’élé­ment central, le fil conduc­teur : que raconte-t-on à chaque instant, quelle infor­ma­tion et/ou sensa­tion cherche-t-on à faire passer ? Le travail du mixeur en post-prod, c’est de faire en sorte que la bande-son soit tota­le­ment au service de l’his­toire qui se déroule à l’écran. Bien entendu, tout cela se passe en étroite colla­bo­ra­tion avec le réali­sa­teur.

Pilon Cinema avec Yoann Veyrat

N : Et tout ça se fait en tenant compte des condi­tions tech­niques de diffu­sion je suppo­se…

Y : Exac­te­ment. Nous venons d’évoquer le côté créa­tif / artis­tique qui n’est que la partie émer­gée d’un iceberg compre­nant une énorme partie tech­nique immer­gée. L’as­pect tech­nique comprend la maîtrise de nos outils (console, etc.) et la gestion du cadre de diffu­sion (ciné, TV, 5.1, 7.1, stéréo, etc.). Par exemple, le spec­ta­teur est beau­coup plus atten­tif au cinéma, il est plus disposé à rece­voir des sons faibles et des sons forts. Du coup, il est possible de travailler sur une plage dyna­mique beau­coup plus éten­due allant du chucho­te­ment le plus doux à la tempête la plus violente. En télé­vi­sion, quand le spec­ta­teur est chez lui en train de faire la cuisine avec le poste TV allumé en fond ou que les enfants dorment dans la chambre d’à côté pendant la diffu­sion d’un film, la plage dyna­mique se doit d’être plus resser­rée afin que l’on puisse tout entendre correc­te­ment dans un cas comme dans l’autre.

N : En parlant tech­nique, j’ai­me­rais bien que tu nous parles un peu de vos outils de travail. Je vois que vous avez très très peu de péri­phé­riques hard­ware analo­giques de types compres­seur, EQ ou autre, alors qu’il y a de très belles surfaces de contrôle dans tous les studios…

Y : Nous travaillons sous Pro Tools (système HDX – N.D.A.) avec des surfaces D-Control, S3 ou D-Command.

N : Le fameux duel analo­gique / numé­rique qui conti­nue de faire rage dans le milieu de la musique n’existe pas dans le domaine de la post-produc­tion audio ?

Y : Oui et non. Disons que les besoins ne sont pas du tout les mêmes que dans le milieu musi­cal. La dualité est plutôt entre les vraies consoles (numé­riques – N.D.A.) vs. surface de contrôle avec Pro Tools.

Dans le milieu du cinéma, l’au­to­ma­tion revêt une impor­tance capi­tale. Il y a une montagne de pistes, des sons qui néces­sitent un trai­te­ment diffé­rent d’un moment à l’autre, il faut que tout soit auto­ma­ti­sable et que l’au­to­ma­tion de tous ces para­mètres soit facile d’ac­cès. Par consé­quent, les consoles numé­riques ont très tôt été adop­tées dans le milieu. D’ailleurs, je n’ai person­nel­le­ment pas connu la période sans console auto­ma­ti­sable. 

Bref, une méthode de travail consiste à utili­ser un Pro Tools unique­ment comme lecteur audio, il sort entre soixante et cent canaux vers une console numé­rique type Eupho­nix System 5, Neve DFC, Harri­son ou autre console orien­tée à l’image, et on mixe là-dedans avec les auto­ma­tions dans la console.

La deuxième façon de faire, que nous avons choisi d’adop­ter, se résume tout simple­ment à un Pro Tools piloté par une surface de contrôle. En fait, la première méthode est aussi liée aux savoir-faire « histo­riques » des mixeurs dans le métier. Aujour­d’hui, le mariage DAW / surface de contrôle, qui est aussi plus mature, est de plus en plus utilisé et accepté.

Après, il y a la ques­tion des trai­te­ments « full in the box » ou via des péri­phé­riques externes. Ici, nous avons fait le choix du « full in the box » avec des plug-ins, même si certains mixeurs viennent parfois avec leurs péri­phé­riques. En son à l’image, évidem­ment que le beau son est impor­tant, mais la narra­tion primera toujours sur tout. Or, lorsqu’on est en train de mixer, on a besoin de pouvoir tester rapi­de­ment des choses par rapport à la narra­tion. Et je pense que plus on a de temps à consa­crer à cet aspect de test / recherche sans se faire des noeuds au cerveau avec le patch de péri­phé­riques analo­giques, plus on peut être au service de la narra­tion et du réali­sa­teur. En fait, le delta entre le temps néces­saire à l’uti­li­sa­tion d’un péri­phé­rique hard­ware et le gain en qualité sonore n’est pas toujours suffi­sant à mes yeux pour que ça en vaille la peine. Je préfère large­ment dévouer ce précieux temps à servir la narra­tion. En plus, quand tu bosses en 5.1, va utili­ser un Tube-Tech qui lui est stéréo… Tu peux ne passer que la centrale bien sûr, mais tu vas galé­rer et ça risque de te bloquer plus tard si jamais le réali­sa­teur te demande un truc qui ne colle plus avec ce patch… 

N : Ce qui m’amène logique­ment à te deman­der ce que vous utili­sez comme plug-ins de trai­te­ment.

Y : J’aime bien le Chan­nel Strip inté­gré à Pro Tools, je le mets un peu à toutes les sauces. Nous avons aussi les suites Waves qui sont histo­rique­ment parmi les plus plébis­ci­tées, même si elles commencent à passer de mode. Les plug-ins Sonnox Oxford sont égale­ment très prisés dans le milieu. On a aussi des produits FabFil­ter qui sont de très bons outils.

N : Après, comme nous en parlions avant l’in­ter­view, vous avez le fameux RX d’iZo­tope.

Y : Ah oui, le RX ! C’est vrai­ment l’ou­til révo­lu­tion­naire de ces dernières années dans le monde de la post-produc­tion audio­vi­suelle puisqu’il nous permet de faire des choses que l’on ne pouvait tout simple­ment pas faire avant. Pour le monteur des directs, c’est un outil extrê­me­ment puis­sant. Mais c’est égale­ment un superbe outil pour le mixeur. Person­nel­le­ment, je trouve que c’est un de-esser redou­table, à condi­tion de trai­ter « s » par « s » avec la fonc­tion « Spec­tral Repair ». Ça peut être long, mais je n’ai pas trouvé mieux pour travailler dans la dentelle. Pour le « de-noising », c’est égale­ment assez génial. Histo­rique­ment, on utilise plutôt le Cedar en cinéma, mais la faci­lité de mise en oeuvre de RX et son coût (par rapport au Cedar) sont en train de chan­ger la donne.

N : Et au-delà des trai­te­ments audio pur et dur, je suppose qu’il y a d’autres joujoux plus « créa­tifs »…

Y : Oui, bien sûr. Par exemple, le Spea­ker­phone d’Au­dio Ease nous permet de simu­ler des haut-parleurs, bien utile pour certains effets comme tu peux t’en douter. Audio Ease a pas mal la cote dans le milieu du cinéma avec sa réver­bé­ra­tion à convo­lu­tion Alti­verb. En fait, on utilise beau­coup de réverbes pour simu­ler des envi­ron­ne­ments acous­tiques que l’on voit à l’image. Pour ça, Alti­verb est un « must » car elle propose des acous­tiques de lieux fabu­leuses, souvent en multi-canal qui plus est. On utilise parfois des réver­bé­ra­tions algo­rith­miques, mais c’est pour faire des effets audio, pas pour les choses réalistes. Pour ça, j’ai la Revibe d’Avid qui est très bonne, sinon j’uti­lise aussi les réverbes des bundles Waves.

Dans le registre gestion de l’es­pace, on a le Span­ner de The Cargo Cult qui est un produit spéci­fique au monde du son à l’image. C’est en fait un « panner » 5.1 bien pratique parce que Pro Tools n’in­tègre malheu­reu­se­ment pas direc­te­ment ce genre de choses.

N : Je passe du phoque à l’âne mais je me deman­dais s’il y avait une certaine poro­sité entre le milieu de la musique et celui du son à l’image. Un tech­ni­cien du son spécia­lisé dans la musique travaille-t-il parfois pour du son à l’image et versa-vice ?

Y : Très peu. Ce sont des savoir-faire très diffé­rents. Tout à l’heure nous avons évoqué les grands métiers de la post-prod audio­vi­suelle et déjà là, la secto­ri­sa­tion des compé­tences ne favo­rise pas vrai­ment le passage d’un métier à l’autre. Alors bien évidem­ment c’est encore plus diffi­cile pour quelqu’un de complè­te­ment exté­rieur. Je ne dis pas que ça n’existe pas, mais c’est tout de même rela­ti­ve­ment rare car très diffi­cile. Et l’in­verse est égale­ment vrai. Il m’est arrivé de travailler sur des albums pour des amis musi­ciens pour rendre service, mais ça m’a pris beau­coup de temps car ce n’est pas mon métier, et le résul­tat était certai­ne­ment moins bon que ce qu’un tech­ni­cien du son musique aurait obtenu en un tour­ne­main. Certes, il y a un socle commun de compé­tences de base, mais lorsque l’on passe de son domaine de prédi­lec­tion à l’autre, on fait quand même un peu tous du « brico­lage » car chaque métier a ses spéci­fi­ci­tés et ça ne s’im­pro­vise pas vrai­ment.

N : Dans le milieu musi­cal, la répar­ti­tion entre tech­ni­ciens du son ayant reçu une forma­tion et « sondiers auto­di­dactes » est assez équi­li­bré. Qu’en est-il dans le monde de la post-prod audio­vi­suelle ?

Y : Les gens sont la plupart du temps issus d’une forma­tion : BTS audio­vi­suel ou Louis-Lumière et la Fémis pour les métiers du cinéma. Thierry Cour­taut et Franck Pitiot, les fonda­teurs de Miro­slav Pilon, n’ont effec­ti­ve­ment pas fait de forma­tion, mais aujour­d’hui, je ne connais personne qui ne travaille dans le milieu sans avoir eu une forma­tion plus ou moins pous­sée. Il y a une base tech­nique essen­tielle à avoir et puis il ne faut pas oublier que l’au­dio­vi­suel fonc­tionne beau­coup sur un système de réseau. Or, il est très diffi­cile d’in­té­grer ce réseau en venant de « nulle part ». Par exemple, il ne nous est jamais arrivé de prendre en stage quelqu’un qui n’avait pas un mini­mum de bagage théo­rique pour comprendre à peu près ce qu’il se passe lorsqu’on est derrière les machines. Si la personne ne sait pas du tout ce qu’est le son, de quelle « matière » il s’agit, comment fonc­tionne un compres­seur ou la station de travail, nous n’avons pas vrai­ment le temps en situa­tion de travail réelle pour lui apprendre ces choses-là.

StudioA 1 Site web

N : Et au niveau des débou­chés, de la concur­rence, ce sont des métiers d’ave­nir ?

Y : J’ai une vision assez parcel­laire de la chose puisque ne connais­sant pas bien le monde musi­cal. Il me semble tout de même qu’il y a moins de concur­rence que dans les métiers de la musique. Par contre, il ne faut pas en déduire non plus que notre secteur d’ac­ti­vi­tés est un Eldo­rado. Ce n’est pas si simple que cela. Déjà, le gros de la profes­sion est centré sur Paris. Sur une zone comme la nôtre (Lyon / Villeur­banne – N.D.A.) qui est beau­coup plus petite à l’échelle de la post-produc­tion française, le turno­ver des gens travaillant dans les diffé­rentes struc­tures du coin est très faible, donc les places sont « chères ». Autant dans la musique, il appa­raît évident qu’il faut que ce soit une passion, mais c’est tout aussi vrai dans le milieu de la post-prod. Ça ne doit pas être une passion que pour le son, ça doit être une passion pour le son à l’image. Les gens qui viennent au son à l’image en pensant que ça va être un pallia­tif pour faire de la musique à côté se prennent souvent un râteau dans la figure parce qu’ils se rendent compte que ça ne marche pas comme ça. Il y a quand même une concur­rence, le métier est exigeant et il n’y a pas tant de places que ça. La concur­rence est telle­ment forte en musique qu’il est tentant de se dire que ce sera plus facile dans le son à l’image, mais il ne faut pas y venir par défaut car sinon on va finir aigri à faire des choses pas inté­res­santes, ce qui n’est bien entendu souhai­table pour personne.

N : Reve­nons à Miro­slav Pilon et Pilon Cinéma. Quels services offrez-vous exac­te­ment ?

Y : Nous travaillons sur diffé­rents types de projets télé et cinéma. Ça va des publi­ci­tés et programmes (fiction & anima­tion) aux docu­men­taires, en passant par les bandes-annonces. Là-dessus, nous effec­tuons diffé­rents travaux comme les voix off, le doublage, fabri­ca­tion et montage son, brui­tage, et mixage.

N : Tiens, ça me fait penser à une chose à laquelle je n’avais jamais réflé­chi mais lorsque vous travaillez sur un projet pour le cinéma, typique­ment un film donc, comment cela se passe-t-il pour les éven­tuelles diffu­sions TV ?

Y : Eh bien, il y a tout simple­ment une adap­ta­tion télé. En fin de projet, on passe entre une et trois jour­nées à faire la version TV du mixage, ce qui est souvent un poil court mais cette adap­ta­tion est abso­lu­ment néces­saire, et ce, pour plusieurs raisons. Il faut adap­ter le programme aux normes de diffu­sion télé qui sont draco­niennes du point de vue de la dyna­mique. De plus, en cinéma, on est en 5.1 alors qu’en télé, même si le 5.1 est possible, on est limité la plupart du temps à la stéréo. Et puis histo­rique­ment, il y a une énorme diffé­rence : le cinéma est en 24 images par seconde alors que la télé est en 25 images par seconde. Et pour passer de 24 à 25, on ne rajoute pas une image, on lit le film plus vite… Donc la version TV est toujours légè­re­ment plus courte que la version ciné ! Du coup, on est obligé d’ac­cé­lé­rer aussi le son.

N : Pour finir, quel est ton meilleur souve­nir dans le métier ?

Y : Les meilleurs souve­nirs, ce sont souvent les rencontres. Par exemple, la rencontre avec Alexandre Astier lorsque je travaillais sur Kaame­lott (Livres IV, V et VI – N.D.A.) a été quelque chose de fantas­tique parce que c’est quelqu’un de passion­nant. Il nous a fait confiance très tôt et nous avons construit une rela­tion de travail sur la durée. Les projets sont à chaque fois capti­vants et c’est vrai­ment un bonheur de travailler avec lui.

N : Et le pire souve­nir ?

Y : Eh bien, je suis mixeur mais égale­ment direc­teur tech­nique. Alors quand une panne survient lorsque tu es avec le réali­sa­teur et qu’il y a déjà de la tension à cause des délais de produc­tion, de doutes créa­tifs ou autre, ce n’est pas fran­che­ment agréable. 

Il faut savoir que le réali­sa­teur est souvent dans une situa­tion psycho­lo­gique parti­cu­lière. Quand il arrive là, ça fait parfois des années qu’il se bat pour son film. Il s’est battu pour l’écrire, pour trou­ver des finan­ce­ments, pour le produire, pour le tour­ner ; il a dû faire des compro­mis sur certaines choses parce que le produc­teur lui a dit que ça coûtait trop cher, etc. Il arrive en mix, il est usé par ces mois de travail et de frus­tra­tion… Et tout ça est là, quoi. Avec parfois le secret espoir tota­le­ment vain que tu vas pouvoir sauver des trucs qui sont « insau­vables », comme si par exemple il était possible qu’un comé­dien qui joue mal se mette à bien jouer grâce à ta façon de mixer. Il espère des fois pouvoir encore camou­fler des trucs à ce stade de la produc­tion…

Yoann Veyrat

N : Oui, mais le Melo­dyne de l’image, ce n’est pas encore ça !

Y : Exac­te­ment ! Bref, il arrive avec tout ce bagage. Et en même temps, c’est la fin. Enfin, c’est presque fini et il est peut-être déjà en train d’écrire le suivant, ou il a la tête dans la promo, les festi­vals, etc. Et puis il y a les person­na­li­tés de chacun, nous avons tous des « angles » et c’est d’au­tant plus vrai dans le milieu artis­tique. Tout ça fait qu’il y a parfois une phase de doute en début de travail de post-prod si les personnes n’ont jamais travaillé ensemble. Et si un problème tech­nique arrive par-dessus ça, c’est diffi­cile à gérer, la bulle du doute explose et la tension est complè­te­ment palpable.

Après, je ne suis pas un homme de conflits. Je suis toujours au service du réali­sa­teur. Et même si ce qu’il me demande ne me plait pas, si je ne trouve pas ça beau, on peut en discu­ter mais ça ne me dérange pas de le faire à partir du moment où c’est faisable et que c’est ça qu’il veut.

N : Je suppose que les « dead­lines » sont très strictes en plus…

Y : Oui, et souvent tout se comprime sur le travail du son qui est la dernière étape. C’est-à-dire que si la dead­line ne peut abso­lu­ment pas être dépla­cée et que les étapes d’avant prennent du retard, c’est sur le son qu’on va compres­ser les plan­nings… Donc il arrive fréquem­ment qu’on travaille en période de tension de livrai­son, parce que ça doit partir à tel ou tel festi­val, parce que ça doit être diffusé à tel moment, etc. Par exemple, le long métrage que j’ai mixé en début d’an­née devait partir au festi­val de Berlin. Eh bien on a fait un pré-mix pour Berlin. On savait qu’on ne pour­rait pas livrer un mix final dans les temps donc on a adopté une stra­té­gie où on a fait le plus gros, on a travaillé énor­mé­ment pour ça, puis on a fini plus tranquille­ment après.

Remer­cie­ments

Je tiens tout d’abord à remer­cier Frédé­ric Baratte sans qui cet entre­tien n’au­rait pas été possible. Je salue égale­ment toute l’équipe Miro­slav Pilon / Pilon Cinéma. Vos studios sont magni­fiques et j’es­père vrai­ment pouvoir un jour reve­nir vous voir à l’oc­ca­sion d’un projet ou simple­ment pour discu­ter de choses et d’autres. Pour ceux qui se demandent encore pourquoi j’ai contacté Miro­slav Pilon, la raison est toute simple en vérité. Si vous me faites l’hon­neur de suivre mes articles sur Audio­fan­zine, vous êtes certai­ne­ment déjà tombé sur des expres­sions du genre « qu’est-ce que c’est que cette tisane ? » ou bien encore « on n’est pas sorti du sable ». Eh bien ces idio­tismes me viennent de Kaame­lott dont je suis un fan absolu. Pas éton­nant donc que j’at­ter­risse dans les studios co-fondés par Franck Pitiot, alias Perce­val. J’ai eu la chance de le croi­ser un petit quart d’heure le jour de l’in­ter­view. Lorsqu’il m’a offert un café et que nous avons discuté du dernier Blade Runner, de musique sur Atari et d’une boîte à rythmes Oberheim, je vous avoue que la grou­pie qui sommeille en moi a eu du mal à ne pas lais­ser échap­per un « c’est pas faux »…

Pour finir, je remer­cie bien entendu chaleu­reu­se­ment Yoann Veyrat, ce passion­nant passionné du son à l’image. Comme il l’a très juste­ment dit au cours de l’in­ter­view, les meilleurs souve­nirs sont bien souvent les rencontres. Et quelle rencontre ! Son enthou­siasme et son amour pour son métier sont vrai­ment beaux à voir. Une telle géné­ro­sité donne clai­re­ment envie d’en décou­vrir encore plus sur la post-produc­tion audio­vi­suelle. Ainsi, dans la plus pure tradi­tion des jeux de mots moisis propres à Audio­fan­zine, je conclu­rai par ceci : Yoann, j’es­père qu’on se re-Veyrat !


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