Après avoir exploré dans les derniers articles les méthodes de synthèse ouvrant les portes vers les mondes sonores les plus extravagants, je vous propose aujourd’hui de revenir vers un terrain audio au premier abord plus conventionnel : celui de la reproduction artificielle de timbres acoustiques connus, première raison d’être de la synthèse par modèles physiques.
Nous verrons toutefois que cette dernière peut se détacher rapidement de cette fonction première pour proposer elle aussi des sonorités inouïes.
Si nous nous replongeons dans les premiers articles de cette série, nous nous rappelons de quoi le son est principalement constitué : de vibrations ! En règle générale, le principe de base du fonctionnement d’un instrument de musique est le suivant. On ajoute de l’énergie à un instrument, ce qui entraîne une vibration, laquelle est amplifiée grâce à un résonateur qui transmet à son tour l’énergie amplifiée à l’air ambiant qui permet l’audition du son. Et ce sont précisément les caractéristiques vibratoires des objets que la synthèse par modèles physiques se fait fort d’émuler.
Principes de base
Un principe fondamental de la modélisation physique réside dans le rapport qui existe entre un excitateur et un résonateur. L’excitation est une action (pincement de corde, souffle dans une trompette, coup d’archet…) qui provoque des vibrations, et la résonance est la réponse du corps de l’instrument à ces mêmes vibrations. L’intérêt de la synthèse par modèles physiques est sa capacité à simuler toutes les interactions entre excitateur et résonateur.
La synthèse par MP implique de définir les dimensions et les constantes de l’instrument que l’on souhaite modéliser (entre autres, masse et élasticité), afin notamment de définir le type d’excitateur utilisé : anche, corde, membranes… etc. Ensuite, on précise l’état initial de l’objet vibrant, ainsi que les conditions limites auxquelles il sera contraint. Elles peuvent être réalistes ou non. On peut ainsi définir qu’une corde ne reviendra jamais à une position de repos, par exemple !
La troisième étape consiste à définir la relation entre l’excitateur et le résonateur. Dans un instrument acoustique, celui-ci peut être entre autres la caisse de résonance en bois d’une guitare ou bien le tuyau en métal d’une trompette. Mais, là non plus, rien n’empêche de s’amuser et d’inverser les matières, par exemple !
Un autre aspect important de la modélisation est la prise en considération de l’impédance, soit la résistance naturelle des matériaux modélisés et du milieu dans lequel le son va se propager. Enfin, l’on peut également simuler les caractéristiques de diffusion du son de chaque mécanisme producteur de son.
Masses et ressorts
Lejaren Hiller et Pierre Ruiz ont été, à la fin des années 60, les premiers à avoir appliqué les principes de modélisation physique à la simulation d’instruments. Pour émuler les vibrations sonores, ils ont établi un système mathématique fait de simulations de masses reliées entre elles par des ressorts.
Exemple : une masse va être excitée par un apport d’énergie extérieur. Elle va se déplacer en comprimant le ressort attaché à elle, qui va lui-même ensuite transmettre l’énergie reçue à la masse suivante, et ainsi de suite. Un juste paramétrage des masses et du niveau d’élasticité des ressorts permet de représenter correctement tout type de comportement vibratoire.
On peut appliquer ce principe à des cordes, des surfaces de tambour, des caisses de résonance… bref, à tout ce que l’on souhaite. On peut même simuler l’apport d’énergie extérieur par ce biais.
La synthèse modale
Si le mode de représentation « masse-ressort » est relativement simple à appréhender, l’on peut rapidement obtenir des modèles mathématiques assez touffus, et peu utilisables par des musiciens. Aussi, dans les années 90, les ingénieurs ont-ils cherché à rendre la chose plus accessible en divisant les éléments à modéliser en un certain nombre de « sous-structures » (par exemple les cordes, les chevalets, les peaux de tambour…).
Chacune de ces sous-structures possède ses propres caractéristiques, et chacune de ces caractéristiques a déjà été amplement étudiée et transformée en modèles mathématiques par le passé, dans le cadre notamment du développement d’applications industrielles. Il suffit alors de s’appuyer sur ces travaux et de masquer leur complexité par un modèle plus simple pour proposer une sorte de boîte à outils aux créateurs sonores.
Cette boîte à outils peut être par exemple le logiciel « Modalys », développé à l’IRCAM par Jean-Marie Adrien et Joseph Morrison.
La synthèse McIntyre, Schumacher et Woodhouse (MSW)
Il s’agit d’une autre forme de synthèse tendant elle aussi à rendre la modélisation physique plus accessible aux musiciens. Sauf que cette fois-ci, ce ne sont plus des sous-structures, mais des instruments entiers qui sont modélisés. La synthèse MSW se base sur le comportement temporel du signal sonore. Elle se montre particulièrement apte à reproduire le comportement des attaques musicales, et plus spécifiquement au niveau des instruments à anches (clarinette, notamment) et à cordes frottées. Elle se révèle par contre trop simpliste en ce qui concerne les autres éléments de comportement de l’instrument.