Le précédent article nous a fait découvrir entre autres que la synthèse FM permettait de créer des sons très riches harmoniquement. Voyons un peu ce qui en régit le spectre…
Des maths et des fréquences
Le spectre harmonique dépend du rapport entre la fréquence de la porteuse et celle de la modulante. Si P/M est un nombre entier, les fréquences produites seront des harmoniques des deux fréquences P et M. Si P/M n’est pas un nombre entier, le spectre sera inharmonique. Le compositeur Barry Truax (voir article précédent) a d’ailleurs classé les différents rapports P/M produits par la synthèse FM en différentes grandes familles de sonorités, afin d’en faciliter l’utilisation.
Après la nature du spectre harmonique du signal se pose la question de sa largeur de bande. Pour rappel, la largeur de bande d’un signal représente l’ensemble des fréquences que celui-ci comporte. Dans le cadre de la synthèse FM, la largeur de bande dépend intégralement de ce que l’on appelle l’index de modulation (« I »). Celui-ci s’obtient par la formule I=D/M où D symbolise la quantité de déviation fréquentielle ou profondeur de modulation appliquée à la porteuse, et M la fréquence de l’onde modulante. Pour faire simple : l’index de modulation traduit le degré de modulation subie par la porteuse.
Enfin, l’amplitude de chaque fréquence au sein du signal est déterminée par une fonction mathématique, dite « de Bessel ». Sans entrer dans des considérations mathématiques qui dépasseraient le cadre de cet article, soulignons seulement que cette fonction, qui intègre l’index de modulation dans l’équation, induit, dans le cadre de la synthèse FM, deux comportements très intéressants du signal sonore. Le premier est que l’amplitude maximale et la puissance du signal n’ont pas à varier avec l’index de modulation. Vous pouvez faire varier « I » autant que vous voulez, cela n’affectera pas le volume global du signal. L’autre caractéristique d’un signal sonore produit par synthèse FM est que, plus on augmente l’index de modulation, plus l’amplitude de la fréquence de P, au sein du signal général, diminue au profit de celle des bandes latérales. Elle peut même disparaître totalement, ce qui rapproche alors la modulation de fréquences de la modulation en anneau (voir article 14), mais avec un nombre de bandes latérales beaucoup plus important.
La synthèse FM – où et quand ?
Comme nous l’avons vu, si la synthèse FM n’est pas inimaginable dans le monde analogique – John Chowning, son « découvreur », a d’ailleurs été le premier, en 1966, à composer une œuvre intégralement exécutée en synthèse FM analogique – c’est principalement dans le domaine numérique qu’elle a trouvé son épanouissement. Et c’est Chowning, toujours lui, qui a été le premier à expérimenter l’implémentation numérique de sa découverte. Après qu’il a déposé un brevet au début des années 70 et vainement cherché auprès des entreprises américaines des débouchés industriels à ses recherches, c’est finalement Yamaha qui se montre intéressé par son travail.
L’entreprise japonaise va développer et améliorer les principes énoncés par Chowning, et va présenter en 1980 le synthétiseur numérique GS 1, puis, surtout, le DX7 en 1983. Son tarif démocratique pour l’époque (autour de 10 000 FF tout de même), son exceptionnelle stabilité due à sa nature numérique ainsi que la totale nouveauté des sons qu’il propose en feront un succès planétaire. On le retrouvera dans nombre de productions des plus grandes stars de l’époque, de Phil Collins à Michael Jackson en passant par Madonna et même notre Goldman national. Yamaha poursuivra d’ailleurs la série avec une demi-douzaine de modèles, dont le plus célèbre sera le DX7–2.
Native Instruments a émulé le DX7 en version logicielle avec son FM7, devenu FM8 depuis 2006. On peut également trouver un émulateur open-source, DEXED.
Enfin mon âme de geek ne résiste pas à l’évocation d’un autre champ d’application de la synthèse FM : celle des toutes premières cartes son, les Adlib et autres Sound Blaster ! En effet la richesse harmonique des signaux que la synthèse FM peut produire se prêtait parfaitement (oui bon, pour l’époque…) à la création de toutes sortes d’effets sonores pour les jeux vidéo.
Sans compter qu’un certain nombre d’entre nous – dont votre serviteur, sur un austère, mais attachant Amstrad PC 1512 – ont également découvert, par ce biais, une MAO qui se libérait enfin de la « tyrannie » des Atari et autres Amiga, non, mais !
Conclusion
La synthèse FM a connu son heure de gloire grâce à la possibilité qu’elle offre de créer des sons extrêmement riches à partir d’un nombre réduit d’oscillateurs/opérateurs, offrant ainsi, elle aussi, une alternative séduisante à la synthèse additive, trop gourmande en ressources.
Or la puissance du matériel numérique ayant augmenté, la synthèse additive est devenue beaucoup plus simple à produire que par le passé, sans parler de la synthèse granulaire ou bien la synthèse par modèle physique que nous étudierons dans les prochains articles.
De plus, la synthèse FM est connue pour être assez peu intuitive, et provoquer des résultats très différents à partir d’infimes modifications de paramètres. C’est l’une des raisons (avec le grand nombre de paramètres à gérer) pour lesquelles la synthèse FM a été très peu implémentée dans des systèmes analogiques : les oscillateurs analogiques (VCOs, voir article 6 de cette série) ne sont pas suffisamment stables pour cette forme de synthèse, capable de « partir en sucette » — comprendre : générer des bandes latérales à foison — à la moindre variation de fréquence de l’un des opérateurs. Mais c’est aussi ce qui pourrait en représenter le charme aux yeux de certains expérimentateurs fous parmi vous, je le sais !
Enfin, rappelons que la synthèse FM ne concerne pas uniquement les instruments dédiés, tels que le DX7, mais également tout synthé analogique dont la sortie d’un oscillateur peut être commutée à l’entrée CV d’un autre… Petite piste de réflexion… Sur ce, je vous donne rendez-vous au prochain article !