Terminons aujourd’hui le tour d’horizon des différentes variantes de la synthèse par modélisation physique, et voyons ensuite comment elle a été implémentée.
La synthèse par guide d’onde
Un guide d’onde est un montage mathématique qui tend à modéliser le milieu dans lequel les ondes vont évoluer, souvent une corde ou un tube de métal ou de bois, et qui va donc servir à « guider » l’onde. Un guide d’onde est essentiellement composé d’au moins une ligne dite « à retard ». Il s’agit d’un dispositif virtuel servant à simuler d’une part le temps qu’une onde met pour aller d’un point à un autre, et d’autre part le comportement de ladite onde quand elle atteint l’extrémité de la ligne à retard (simulation de chevalet dans le cas d’une corde virtuelle) ou bien quand elle rencontre une autre ligne à retard (dans le cas d’un réseau de lignes, simulant des environnements plus complexes qu’une corde).
L’exemple le plus classique pour illustrer simplement ce que sont un guide d’onde et une ligne à retard est la simulation du comportement d’une corde de piano. Celle-ci est frappée en son centre par un marteau. Aussitôt, deux vibrations naissent au point d’impact et partent en sens opposés l’une de l’autre le long de la corde, jusqu’à atteindre chacune le chevalet correspondant à la fin de son parcours. Là, une part de l’énergie de l’onde sera absorbée par le chevalet, et l’autre sera renvoyée en retour le long de la corde. Les deux ondes se retrouveront au point d’impact et généreront éventuellement des interférences ou des phénomènes de phase.
Dans l’exemple cité, les lignes à retard simulent le comportement des deux ondes qui partent du point d’impact du marteau, et le guide d’onde est l’ensemble du dispositif simulant la corde de piano.
La synthèse Karplus-Strong
C’est en 1983 qu’apparaît cette forme de synthèse, nommée ainsi d’après ses deux principaux découvreurs et théoriciens. Son mode de fonctionnement emprunte beaucoup aux deux formes de synthèse précédemment citées, la MSW et celle par guide d’onde, et repose sur le principe suivant. Le signal excitateur est envoyé dans une ligne à retard fermée sur elle-même. À chaque tour de boucle, un filtrage passe-bas est effectué, de sorte que les hautes fréquences sont petit à petit atténuées avant de totalement disparaître. Ceci représente le comportement typique d’une corde en vibration, ce qui fait de l’algorithme Karplus-Strong un modèle particulièrement adapté à la reproduction des cordes, et plus spécialement encore à celle des cordes pincées. Mais il se révèle également tout à fait efficace en ce qui concerne la reproduction des tambours.
Et concrètement… ?
Comme nous l’avons vu, la synthèse par modélisation physique se distingue surtout par sa capacité à recréer les conditions de production et de diffusion d’un signal sonore déjà préalablement connu, tels que le son d’un piano ou celui d’une trompette. C’est donc principalement sur les plates-bandes de la lecture d’échantillons que cette forme de synthèse est venue marcher. Et elle dispose pour cela de deux atouts majeurs.
Le premier est précisément de n’être pas basé sur des échantillons, mais sur des algorithmes. Il devient alors possible de reproduire précisément chaque intention du musicien. Prenons l’exemple d’un paramètre de jeu tel que la vélocité (voir article 12). Dans le meilleur des cas – et largement encore du domaine du fantasme – la lecture d’échantillons utilisera un sample par niveau de vélocité. La synthèse par modélisation physique ne connaît pas ce genre de limitation.
Le second atout – qui découle du premier – est que la synthèse MP permet de dépasser les contraintes physiques des instruments et environnements sonores classiques. Nous pouvons alors créer toutes sortes de « chimères », telles qu’un cor de 25 mètres de long, ou un piano dont les cordes seraient déclenchées par un souffle, par exemple… ou encore des choses bien plus étonnantes. On peut même simuler l’instrumentiste lui-même, sa dextérité, son degré de fatigue, etc.
Comme pour la synthèse FM, nous retrouvons les laboratoires Bell à l’origine des premières applications concrètes de la synthèse par modèles physiques, notamment en faisant interpréter dès les années 60 une chanson par un ordinateur modélisant une voix humaine (ce qui n’est pas sans rappeler une scène particulièrement célèbre du film de Stanley Kubrick, 2001, l’Odyssée de l’Espace).
De nos jours, un certain nombre d’appareils hardware utilisent la modélisation physique. Après avoir promu la synthèse FM dans les années 80 (voir les articles 21 et 22), Yamaha a de nouveau fait preuve d’esprit pionnier en produisant, dans les années 90, les premiers appareils grand public utilisant la modélisation physique, à savoir les VL-1, VP-1 et VL-7. Les autres principales machines basées au moins partiellement sur cette technologie sont les Roland V-Piano, Clavia Nord Modular G2 ou encore les Korg OASYS et Prophecy.
En ce qui concerne les logiciels, outre Modalys évoqué plus haut, nous avons également CORDIS-ANIMA, créé à la fin des années 70 par L’ACROE (Association pour la Création et la Recherche sur les Outils d’Expression). Celui-ci se présente comme un outil « multi-sensoriel », à retour d’effort (comme les joysticks, amis gamers parmi vous…) et proposant de mettre les techniques de modélisation physique aussi bien au service du son (CORDIS) que de l’image (ANIMA).
Dans un domaine plus récent et plus « grand public », nous trouvons notamment le fameux Pianoteq de Modartt, qui permet d’accéder à tous les paramètres de réglage de différents types de pianos acoustiques et électriques, ainsi que Brass d’Arturia pour les instruments à vent. On retrouve également la synthèse par modèles physiques dans une bonne partie des instruments virtuels livrés avec Ableton Live, à savoir Tension, Electric, Collide et Corpus. Et, bien évidemment, elle est représentée au sein des environnements modulaires tels que Reaktor, de Native Instruments, ou encore de la plateforme de développement MAX/MSP de Cycling’74.