Lauréat d'un Grammy Award, l'ingénieur du son et réalisateur artistique Tony Maserati a travaillé avec nombre d'artistes renommés tels que Beyoncé, Lady Gaga, Alicia Keys, John Legend, Jay-Z, et Jennifer Lopez, pour n'en citer que quelques-uns.
Sa formation théorique s’est faite à la Berklee School of Music, où il a étudié la réalisation artistique et le métier d’ingénieur du son. Aujourd’hui, il est connu pour ses mixages pop et hip-hop et les morceaux qu’il a mixés se sont vendus à plus de cent millions d’exemplaires à travers le monde.
Maserati s’implique aussi dans le développement de logiciels en lien avec la production musicale. Il a collaboré avec Waves à la création du bundle de plug-ins Tony Maserati Signature Series, lequel comporte sept plug-ins émulant ses chaînes de traitements pour diverses situations de mixage. Son studio possède un système hybride analogique/numérique lui permettant d’avoir accès à des traitements analogiques depuis Pro Tools et d’utiliser une sommation analogique.
Maserati a récemment accordé un entretien téléphonique à Audiofanzine et a eu la gentillesse de partager avec nous quelques-unes de ses techniques de mixage.
AF: Sur l’ensemble de ce que vous faites, à combien estimez-vous le pourcentage entre le travail de réalisation artistique et ce qui ne relève que du mixage stricto sensus ?
TM : Je dirais que 90% de mon travail n’est que du mixage.
Mais vous êtes aussi réalisateur artistique ?
Oui. Ces temps-ci, je fais surtout de la co-réalisation. Avec tout ce que je fais, je n’ai pas le temps de me tenir constamment au courant des technologies de programmation et des logiciels nécessaires pour tout faire, donc je prends les petits nouveaux de l’équipe en tant que co-réalisateurs.
OK. En général, quand vous êtes réalisateur artistique sur un projet, en faites-vous aussi le mixage ou est-ce que vous cloisonnez ces deux rôles ?
En temps normal je préfère garder ces deux dimensions séparées. Mais sur le dernier projet que j’ai fait, j’ai engagé un jeune membre de l’équipe comme ingé son et il a fait un super boulot pour tout mettre en place et me le rendre « prêt à mixer ». Du coup, le mixage était plutôt simple. En général, j’engage un ingé son pour faire les prises et les overdubs, et ensuite je mixe le projet.
Je vous ai déjà entendu parler de la façon dont vous utilisiez souvent des réglages différents pour vos traitements entre les couplets et les refrains sur vox mixages.
Je trouve que c’est indispensable pour booster le refrain. Si le chanteur ou la chanteuse envoient plus fort sur le refrain, j’adapte l’égalisation en conséquence. J’automatise aussi le changement d’égalisation pour les synthés, les claviers et parfois la batterie. Parfois je pousse juste un peu le haut du spectre sur les refrains pour donner cette sensation de boost.
Pouvez-vous nous citer quelques morceaux sur lesquels vous avez utilisé cette technique ?
Tous les morceaux de Nick Jonas que j’ai pu faire récemment. Le dernier en date, c’est Find You. Ou n’importe quel gros mixage pop, du genre Stitches ou Mercy de Shawn Mendez, bref, ce genre de titres. Demi Lovato. Sur ce genre de musique pop, je vais toujours pousser le haut du spectre. Et puis il y en a d’autres pour lesquels ça ne sera pas le cas. Je travaille avec Joseph Angel, un nouvel artiste du label Republic, qui est plus dans un genre soul/R&B. Avec lui, je ne vais pas forcément utiliser cette technique, même si sa voix pourra nécessiter une adaptation de l’égalisation vu qu’il la pousse davantage sur les refrains. Je vais me contenter de dupliquer sa piste vocale et utiliser une égalisation et une compression différentes.
Donc vous doublez la piste et sur chaque exemplaire vous mettez les couplets ou les refrains en mode silence, et inversement pour l’autre piste ?
Oui, je coupe le signal sur les autres parties.
Donc plutôt que de devoir automatiser les paramètres sur une seule piste, vous utilisez deux pistes, chacune avec ses propres paramètres.
Voilà. Je sépare les pistes [en fonction des parties de la chanson], et ensuite je créé un bus auxiliaire. Je gère les niveaux, les égalisations et je mets une légère compression sur chaque piste. Ensuite j’envoie tout ça vers le bus sur lequel je mets des effets qui seront communs, et éventuellement un limiteur pour m’assurer que la voix paraîtra cohérente d’une partie de la chanson à une autre.
En regardant votre page Facebook, j’ai trouvé un lien vers un autre titre, Dear World d’Echosmith. Il n’a pas grand chose à voir avec les morceaux pop dont vous parliez juste avant mais a de très belles voix et de superbes réverbes. Vous souvenez-vous du genre de paramètres que vous avez utilisés sur cette chanson ?
J’ai utilisé plusieurs plug-ins ainsi qu’un dé-esseur sur la voix de la chanteuse. Entre autres une automation sur le Pro Q2 de FabFilter. Dans son cas j’ai aussi utilisé un égaliseur GML, un égaliseur numérique. Et aussi le Pro MB de FabFilter, et un égaliseur analogique de chez ITI. Niveau effets, pour créer un effet stéréo donnant l’impression que les deux côtés se répondent l’un l’autre, j’ai utilisé l’EP-34 Tape Echo de chez UAD. J’utilise aussi Altiverb, et Relab LX-480 qui est une émulation de la réverbe 480L de Lexicon. J’ai aussi utilisé un plug-in de réverbe UAD AMS RMX-16.
Utilisez-vous souvent plusieurs réverbes sur une seule voix ?
Oui. J’ai tendance à utiliser plusieurs réverbes différentes pour rendre le son plus riche, avec plusieurs couches. Je ne sais pas comment décrire le résultat autrement que par le mot « profondeur ». Parfois j’utilise une réverbe, l’AMS dans ce cas précis, pour une réverbe qui sonne un peu plus « sombre ». Et ça marche pour le genre de sonorités distantes que je cherche. Et puis la LX-480 est une réverbe plus courte, une réverbe à plaques plus fines qui ajoute à la voix un côté un peu aérien et clair. J’ai aussi utilisé un égaliseur Curve Bender de chez Chandler. Le tout avec une sommation 100% analogique. J’ai une configuration hybride, donc je peux passer facilement d’une sommation interne à une sommation externe, et ma config me permet d’utiliser 32 inserts matériels de même que 32 pistes de sommation analogique.
Quel genre de sommation ?
J’ai une vieille console d’appoint Neve des années 70 ainsi qu’une mini-console de chez Chandler. Et pour ce qui est de l’égalisation et de la compression, j’utilise le Curve Bender de Chandler et le Mastering Compressor de Shadow Hills. Et ensuite, je renvoie le tout dans la STAN via un convertissetr A/N Lavry. J’ai aussi un convertisseur Black Lion. Je passe de l’un à l’autre.
Dans le passé, vous avez dit préférer l’égalisation soustractive. Est-ce votre position de façon générale, ou alors est-ce juste pour obtenir un certain type de son ?
Toujours. C’est ce que j’ai appris. Ça remonte à ma formation à la Berklee School of Music. L’un de mes premiers profs parlait de la façon dont on pouvait gagner de la réserve de puissance en enlevant les éléments qu’on n’aimait pas plutôt que de se focaliser sur les ajouts. Hier, je travaillais sur un mixage pour un groupe australien qui s’appelle Dream. Leur mixage initial était plutôt pas mal mais sonnait un peu brouillon. J’ai dû passer une heure rien qu’à enlever certaines des fréquences qui étaient en cause, et non seulement ça m’a donné plus d’énergie grâce à la réserve de puissance et de profondeur, mais en plus l’ensemble sonnait plus clair et mieux défini.
Mais si vous avez une guitare acoustique qui sonne sans relief, n’augmenteriez-vous pas les hauts-médiums pour obtenir un peu plus de brillance ?
Dans un tel cas, la première chose que je ferais serait de choisir les fréquences à réduire. Et en général, j’utilise des types d’égaliseurs différents pour réduire ou pour booster.
C’est intéressant…
Le plus souvent, pour l’égalisation soustractive, j’utilise un égaliseur entièrement paramétrique, et parfois même automatisable parce que dans le cas d’une voix, au fur et à mesure que le chanteur change de note (ou des fréquence, tel que je vois les choses), un peu d’automatisation peut être utile. Si un chanteur est dans le bas de son registre et qu’il pousse trop sur des fréquences qui sont encore en dessous, je peux contourner les fréquences qui posent problème en automatisant la descente. Et ça me permet d’avoir un égaliseur séparé pour pouvoir pousser des fréquences avec des sonorités différentes, donc parfois je peux utiliser un égaliseur analogique pour booster mais pour enlever, là par contre, j’utilise à coup sûr un égaliseur paramétrique numérique automatisable.
Donc vous n’utilisez pas exclusivement l’égalisation soustractive, c’est seulement votre toute première étape ?
Exactement. Souvent, j’arrive à faire tout ce dont j’ai besoin simplement avec une égalisation soustractive puis en montant le volume de l’instrument en question, mais souvent aussi, surtout quand je mixe de la pop, j’ai besoin de fréquences dans le haut du spectre. Ces fréquences, je peux les obtenir grâce à l’égaliseur du bus, et aussi grâce aux pistes individuelles. Pour booster, soit je passe par un processeur matériel externe, soit j’utilise un égaliseur avec un caractère différent. Ces derniers temps, j’utilise pas mal l’égaliseur Tube-Tech PE de Softube pour pousser les fréquences, mais j’en change. J’utilise le GML, et le Chandler aussi.
Pour la soustraction de fréquences, je suppose que vous utilisez pas mal de filtres passe-haut ?
Il y a des éléments pour lesquels utiliser un filtre passe-haut est une évidence. Les charlestons n’ont pas besoin de fréquences basses. Et puis il y a les basses et les grosses caisses. Je dois m’assurer de tout centrer sur la fréquence à laquelle je veux contrôler les graves. Je mets un passe-haut sur ces éléments, souvent avec une pente à –6 ou –12 dB par octave.
Et les guitares, est-ce que vous les passez dans un filtre passe-haut ? Souvent, elles ont un excès de graves qui ne sert à rien.
Souvent, j’utilise soit le C4 de Waves, soit le Pro-MB de FabFilter. Je les utilise sur les voix, les claviers et les guitares. Si ça monte trop autour de 200 Hz mais seulement sur quelques notes, je règle le seuil comme il faut et ça fait exactement ce que je veux où je veux. Quand j’écoute un enregistrement, je n’aime pas entendre l’effet de l’égaliseur. Je n’aime pas les enregistrements sur lesquels on a abusé de l’égalisation.
Parlons à présent de la compression parallèle. Dans quelles circonstances la choisissez-vous au lieu d’insérer un compresseur sur une piste ?
Ça dépend de la façon dont le plug-in gère l’effet de phase, et aussi de l’insert que j’utilise. Supposons que tout ce que j’ai fait sur la piste en question jusque-là soit un peu d’égalisation soustractive et un passage par le dé-esseur. Derrière, j’envoie cette piste vers mon bus auxiliaire qui regroupe les voix, et c’est là que je fais le boulot, les effets, encore plus d’égalisation, un limiteur etc.
L’envoi peut se faire depuis cette piste audio initiale — nous l’appellerons la piste audio brute. Je peux aussi l’envoyer à mon compresseur parallèle et appliquer un traitement beaucoup plus drastique. Si je cherche à augmenter l’énergie d’une voix, je peux utiliser un 1176 analogique ou numérique, avec tous les boutons activés. Ça la booste, et je peux m’en servir ensuite. J’utilise souvent cette piste quand je veux que cette voix se rapproche ou s’éloigne un peu de l’auditeur.
Vous utilisez donc la compression pour déplacer les éléments dans un mixage de l’avant vers l’arrière ?
J’utilise la compression parallèle pour cela.
OK. Utilisez-vous aussi des ambiances dans ce but ?
Bien sûr. Nous utilisons souvent des délais pour paramétrer la taille de la pièce et en fonction de la manière dont je veux égaliser ces délais, la pièce sera sombre ou brillante. Je me sers de ces paramètres pour traiter des sections spécifiques. Chaque mixage et chaque section diffèrent. J’utilise toujours tous les outils à ma disposition pour contrôler l’espace et la position de la voix. Je viens de mixer un morceau qui s’appelle Perfect pour Beyoncé et Ed Sheeran. C’est l’un de ces mixages qui m’obligent à me creuser la tête afin de trouver le meilleur espace pour les chanteurs, en fonction des sections et même parfois des phrases. Cela est dû au fait que parfois, ils chantaient certaines phrases ensemble, et parfois ils avaient chacun leur partie. Sur certaines phrases, l’interprétation du texte était très puissante, sur d’autres le chant était plus intime et travaillé. Ces différences dans le morceau ont donc aidé à mieux captiver l’auditeur. Évidemment, en procédant de la sorte il faut que je m’assure que ça ne paraisse jamais « truqué », tout doit sonner de manière totalement naturelle.
Vous travaillez sur de nombreux projets en tant qu’ingénieur en mixage plutôt que réalisateur artistique. Comment faites-vous pour qu’un morceau pauvre en arrangements devienne captivant ? Proposez-vous au réalisateur artistique des idées à appliquer au mixage ?
Oui. Cela arrive assez souvent. Je travaille actuellement avec des jeunes. Deux sœurs qui s’appellent Chloe et Halle et qui sont signées chez Parkwood, le label de Beyoncé. Elles ont réalisé ou co-réalisé chaque morceau et enregistré la plupart des voix elles-mêmes. Elles ont fait les programmations, ou co-écrit, et elles n’ont que 19 et 17 ans. Ce sont déjà presque des génies de la musique, mais ce n’est en fait que leur premier album. Et elles n’ont aucune expérience en termes d’enregistrement d’albums ou de marché du disque. Elles m’apportent un morceau, je commence à le mixer et je peux leur envoyer un petit mot disant : « Nous avons besoin de quelque chose pour rehausser le dernier refrain. Auriez-vous une idée ? » je n’essaie jamais de leur dire comment les choses devraient être. Je leur dis simplement que j’ai besoin de quelque chose et je les laisse y réfléchir.
Je vois.
Ou bien, nous avons besoin d’améliorer une transition. Je leur demande d’y penser, qu’il s’agisse d’un fill de batterie, d’une partie vocale ou de toute autre chose. Elles sont aussi ouvertes que moi, donc elles me disent simplement : « Bien sûr, d’accord, on va essayer ». Tant que ça ne pose pas de problème au label, ça nous va. Je suis très transparent sur ces sujets. Je parle ouvertement avec chacun et je m’assure que tout le monde est sur la même longueur d’onde, parce que c’est mon boulot. J’ai récemment travaillé avec une artiste. Au début du projet je lui ai écrit un petit mot pour lui dire : « J’ai l’impression que tu as des problèmes de justesse ici et là, veux-tu que je m’en occupe ? » Et elle a répondu : « Non, c’est ce que j’aime. Je veux que ce soit brut. Je veux que ça sonne comme si je l’avais fait dans ma chambre. » Et c’était la réponse dont j’avais besoin.
Vous avez collaboré avec Waves à un ensemble de plug-ins, la Série Tony Maserati Signature. Comment est-ce arrivé ?
C’est moi qui me suis adressé à eux car j’utilisais à cette époque leur nouveau plug-in API. Je leur ai dit : « Écoutez, j’adore ces traitements. Ils m’aident énormément et j’aimerais faire des presets ». C’est donc comme cela qu’a commencé notre collaboration. Peu de temps après, nous avons travaillé ensemble lors de la sortie du bundle SSL et nous avons parlé de développer des plug-ins pour moi. Ils m’ont demandé quels genres de plug-ins j’aimerais produire. J’ai été très franc avec eux parce que je n’avais pas vraiment l’impression qu’il fallait recréer un 1176 ni d’autres processeurs classiques. Je trouvais que ce n’était pas intéressant.
Que leur avez-vous dit ?
J’ai dit que j’aimerais recréer certaines de mes chaînes de traitements analogiques et numériques, et ce de manière aussi fidèle que possible. Voilà comment a débuté la Série Signature. En gros, ils devaient organiser différentes choses sous le capot, notamment la réverbe et la compression parallèle, ainsi que différents égaliseurs allant dans diverses directions, et d’autres choses qui pourraient être automatisées. Si vous connaissez mes plug-ins, ils offrent des modes pour obtenir des voix diverses en fonction des situations, ainsi que des modes pour différents types de basses ou de guitares acoustiques — des tailles de guitares variées. Nous avons conçu le plug-in de guitare acoustique de manière à ce qu’il ait un paramètre pour les modèles Dreadnought et un autre pour des guitares plus petites, mais aussi des réglages pour différents types de cordes, etc. J’ai toujours essayé de créer des façons de compenser ces éléments de la même manière que je le fais avec mes chaînes de traitement. C’est vraiment ce que j’ai essayé d’obtenir et il nous a fallu huit mois pour y arriver.
C’est énormément de travail.
C’était un long processus. Et ils n’en étaient qu’aux tout débuts avec le concept de série Signature.
Votre Série Signature fut-elle la première ?
Oui en effet. La mienne a été la première et ils ont ensuite décliné ce format à l’ensemble de la gamme Signature. Tous les bundles de Série Signature utilisent cette espèce de réseau de sommations que nous avons créé ensemble. Nous avons fait beaucoup d’essais et d’erreurs durant le développement. Je leur envoyais des échantillons sonores et les paramètres exacts du matériel que j’utilisais. J’utilisais le Q-Clone avec l’équipement pour qu’ils voient la forme d’onde. Ils faisaient des tests, me renvoyaient les résultats et me suggéraient des options. Ce fut un processus très long avec une collaboration très étroite. C’était génial, j’ai adoré ça. J’en suis très content. Il y a en ce moment une chose que j’aimerais aussi créer avec eux, nous verrons si cela se concrétise.
Merci, Tony !
Je vous en prie !