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Sujet Le Traité des Objets Musicaux de Pierre SCHAEFFER

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Sujet de la discussion Le Traité des Objets Musicaux de Pierre SCHAEFFER
Bein...voilà,

C'est juste pour savoir ce que vous mensez de ce bouquin et si vous avez de petites astuces à faire connaitre aux autres AFiens par rapport à cette théorie qui conserne le monde de la musique électroacoustaique!!!

Merci
PapyLives
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Oui, aujourd'hui "savante" est perçu négativement, drôle d'époque.
Ceci dit le terme est plus souvent employé par les détracteurs que par les compositeurs ou auditeurs d'icelle musique.
Car on n'a toujours pas trouvé le mot adéquat pour remplacer "classique" manisfestement dépassé (et déjà porteur de deux sens donnant lieu à moult quiproquos).
252
Oui. J'ajouterai toutefois qu'il est toutefois plus facile d'écouter en concert la musique d'aujourd'hui, celle qui se fait actuellement, ce qui est bien, que celle du début et milieu du siècle dernier. Surtout en province. J'ai enfin pu voir en concert "le Marteau sans Maître" il y a quelques mois. D'ailleurs, dans une salle où toutes les générations étaient représentées. Et même, si la partition est assez austère - mais beaucoup plus accessible que les oeuvres antérieures de Boulez - ce fut un réel succès. Et le public s'est rendu compte que la musique contemporaine - paradoxe pour une musique qui a entre 80 et 50 ans - pouvait s'apprécier. Et ce d'autant plus que le Marteau sans Maître prend, au niveau de l'instrumentarium, appui sur les musiques extra européennes. Ce n'est pas du sérialisme pur et dur, que j'apprécie par ailleurs.
253
Oupsss! Je n'étais pas repasser dans le coin depuis un moment et n'avais pas vu ce début de discussion musique savante/"pas(?)" savante.

Moi aussi je suis "client" de la musique classique, contemporaine etc... mais c'est vrai que j'ai souvent eu la sensation d'un réel mépris de la part de ceux qui opèrent au sein de la machine académique à l'égard de ceux qui campent dans les marge tout en poursuivant une démarche de recherche. Il y a eu un échange suscité il y a quelque années par le magasine "Wire" entre Richard D. James et feu Stockausen qui m'était apparu assez significatif:

Citation : In November of 1995, "The Wire" wrote an article entitled "Advice to Clever Children".

A package of tapes containing music from several artists, including Aphex Twin, was sent to the German composer Karlheinz Stockhausen.

Stockhausen commented:

"I heard the piece Aphex Twin of Richard James carefully: I think it would be very helpful if he listens to my work Song Of The Youth, which is electronic music, and a young boy's voice singing with himself. Because he would then immediately stop with all these post-African repetitions, and he would look for changing tempi and changing rhythms, and he would not allow to repeat any rhythm if it were varied to some extent and if it did not have a direction in its sequence of variations."[49]
Aphex Twin responded:

"I thought he should listen to a couple of tracks of mine: "Didgeridoo", then he'd stop making abstract, random patterns you can't dance to."


(https://en.wikipedia.org/wiki/Aphex_Twin)



Pour le coup, je trouve la réponse de RDJ bien plus futée que celle du vieux...

Celà dit, tout ça pose la question passionnante de savoir ce qui différencie ce qui se fait dans l'institution académique et ce qui se fait en dehors, dans les zones les plus chercheuses des musiques dites "populaires". Mais cette question expose la sphère académique à tomber dans le piège "Marcel Duchamp": est musique ce qui est écrit par un compoisiteur de musique; ce qui est désigné comme tel par les pairs du compositeur; bref, est musique ce que Pierre Boulez (en son temps et depuis sa position de pouvoir institutionnel) désigne comme tel...

Je suis convaincu que des lignes de démarcation plus pertinentes existent, mais j'ai du mal a voir lesquelles.

Bien beau sujet de discussion en tout cas qui mériterait sans doute son propre "thread"
254
En socio, PM Menger a réflechit à ce propos : comment la musique contemporaine est-elle perçue ?

 

255
Il me semble que Memger "enfonce le cloup" de la critique d'une musique académique qui serait une sorte de ready-made permanant, mais se voilant de processus d'autolégitimation interne. Pour Menger (c'est d'ailleur non pas son avis mais un résultat d'enquête méthodique), le public "cultivé" n'aime pas cette musique poour les raisons que celles-ci se donnent à elle-même, raison qui restent obscures,même au audoteurs les plus pointus:

Citation : La grande majorité des enquêtés (73 %) estiment difficile (57,3 %) ou très difficile
(15,8 %) de distinguer les divers courants actuels de la musique savante. On ne se
hâtera pas de voir là simplement l’autoportrait d’une sorte d’élite méritante ou distinguée
dans lequel les sujets se qualifieraient eux-mêmes en qualifiant l’objet de leur
consommation par son degré d’inaccessibilité et par les profits symboliques qui s’y
attachent. La hauteur à laquelle est porté cet accord des opinions évaluatives apparaît
d’abord comme l’objectivation la plus élémentaire des apories où se meut la
production musicale contemporaine.
Les travaux de psychologie expérimentale, de psychoacoustique, de sémantique psychologique
et les divers modèles d’analyse psycholinguistique de la musique s’ac-
40
2. Ce qu’on peut certes expliquer par le fait
qu’il n’a jamais fait d’effort pour la comprendre,
voire simplement pour l’admettre, la
considérant d’emblée comme une expérimentation
réservée à une élite, et donc hors
de sa portée. Certains préfèrent toutefois
invoquer le fait de sa faible diffusion — y
compris par des organismes à vocation culturelle
comme la chaîne culturelle de Radio-
Canada — pour expliquer le peu d’intérêt
que lui porte le grand public. Comment, en
effet, peut-on forger l’écoute, habituer progressivement
le public à cette musique et la
lui faire un jour aimer si elle n’est pratiquement
jamais entendue ? Le ferait-on que je
ne suis pas sûr que l’on obtiendrait les résultats
voulus, du moins pas dans les proportions
souhaitées. Il est… ne disons pas dans
la nature de cette musique de ne toucher
qu’une très faible partie de la population (il
en va de même pour d’autres formes d’art,
notamment les arts visuels), mais bien dans
l’orientation qu’elle s’est donnée au siècle
dernier : celle de se porter constamment
vers de nouvelles formes musicales ou
sonores, en d’autres mots d’entrer dans un
processus de transformation continuelle (on
se rappellera que c’est le titre que donnait
Paul-Émile Borduas à l’un de ses textes) qui
n’a rien à voir avec le rythme des changements
sociaux, beaucoup plus lents.
D’ailleurs, l’argument de la diffusion a ceci
de paradoxal qu’il reprend, bien involontairement,
celui-là qu’utilisait jadis une publicité
bien connue : Plus de monde en
mange parce qu’elle est plus fraîche ; elle
est plus fraîche parce que plus de monde en
mange… Changez les termes pour l’adapter
cordent pour souligner l’exceptionnel écart entre les principes de composition contemporains
et l’aptitude de l’auditeur même expérimenté à percevoir clairement la
diversité des codes, à déchiffrer la structure des relations entre les différents paramètres
et niveaux d’écriture. L’accord entre les travaux théoriques et les recherches
empiriques sur la perception musicale est remarquable en ce qu’il interdit d’identifier
ce décalage à un simple retard, à un phénomène d’hystéresis où des oeuvres nouvelles
seraient encore appréhendées par les auditeurs à l’aide d’un équipement
cognitif et perceptif modelé sur un état ancien et dépassé de la production.
L’absence de paradigmes dominants dans la composition, l’extrême fragmentation
de la production sous l’action simultanée de l’individualisation des syntaxes et du
développement gnomique des recherches sur les matériaux sonores, le haut degré
d’autonomie matérielle dont bénéficie aujourd’hui en France le marché assisté de la
musique nouvelle, tels sont quelques-uns des principaux facteurs qui contraignent à
suspendre le schéma téléologique d’une progression isorythmique […] de la création
et de la consommation.
MENGER, P.M. (1986) « L’oreille spéculative. Consommation et perception de la musique
contemporaine », Revue française de sociologie, XXVII,



Encore une fois, si on suit cette logique, la qualité des oeuvre est celle qui est "décidé" par ceux qui ont la légitimité à énoncer cette qualité. Autoréférence purement tautologique: le beau, c'est ce qui est fait par ceux qui ont des diplômes en "beau", et qui est reconnu comme tel par d'autres type qui ont des diplôme en "beau" eux aussi, et qui sont les chefs de ceux qui ont des diplômes en "beau". A

Je suis personnellement sociologue et pourtant je résiste à ce type d'analyse. Il y a qq chose dans l'expérience esthétique vécue qui me semble impossible à résoudre à ces effets de croyance. Cette émotion que je ressens à l'écoute de certain passages des sequenzia de Berio est bien réelle, et personne ne m'a dit que c'était là, sur tel enchaînement de timbre, que je devais être touché. Mais alors, ce quelque chose, c'est "quoi"? Et où, de ce point de vue, réside la démarcation en la musique "savante" (celle qui est faite par des "diplômés en beau" qui font mumuse entre eux), et la musique chercheuse faite par ceux qui ont pas passé d'examen en beau et qui n'ont donc pas, sur le front, le tempon "faiseur légitime de beau"...? Dans le dernier Autechre, il y a des arythmies, du dodécaphonisme, des timbres atonaux, et par moment, c'est super joli!
256
Il y a eu un petit bug sur la citation. Voici la bonne version:

Citation : La grande majorité des enquêtés (73 %) estiment difficile (57,3 %) ou très difficile
(15,8 %) de distinguer les divers courants actuels de la musique savante. On ne se
hâtera pas de voir là simplement l’autoportrait d’une sorte d’élite méritante ou distinguée
dans lequel les sujets se qualifieraient eux-mêmes en qualifiant l’objet de leur
consommation par son degré d’inaccessibilité et par les profits symboliques qui s’y
attachent. La hauteur à laquelle est porté cet accord des opinions évaluatives apparaît
d’abord comme l’objectivation la plus élémentaire des apories où se meut la
production musicale contemporaine.
Les travaux de psychologie expérimentale, de psychoacoustique, de sémantique psychologique
et les divers modèles d’analyse psycholinguistique de la musique s’accordent pour souligner l’exceptionnel écart entre les principes de composition contemporains
et l’aptitude de l’auditeur même expérimenté à percevoir clairement la
diversité des codes, à déchiffrer la structure des relations entre les différents paramètres
et niveaux d’écriture. L’accord entre les travaux théoriques et les recherches
empiriques sur la perception musicale est remarquable en ce qu’il interdit d’identifier
ce décalage à un simple retard, à un phénomène d’hystéresis où des oeuvres nouvelles
seraient encore appréhendées par les auditeurs à l’aide d’un équipement
cognitif et perceptif modelé sur un état ancien et dépassé de la production.
L’absence de paradigmes dominants dans la composition, l’extrême fragmentation
de la production sous l’action simultanée de l’individualisation des syntaxes et du
développement gnomique des recherches sur les matériaux sonores, le haut degré
d’autonomie matérielle dont bénéficie aujourd’hui en France le marché assisté de la
musique nouvelle, tels sont quelques-uns des principaux facteurs qui contraignent à
suspendre le schéma téléologique d’une progression isorythmique […] de la création
et de la consommation.
MENGER, P.M. (1986) « L’oreille spéculative. Consommation et perception de la musique
contemporaine », Revue française de sociologie, XXVII,

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Oui, mais c'est tout la difficulté d'une sociologie des oeuvres.

Citation : Cette émotion que je ressens à l'écoute de certain passages des sequenzia de Berio est bien réelle, et personne ne m'a dit que c'était là, sur tel enchaînement de timbre, que je devais être touché.



Il y a sans doute là une articulation singulière entre la culture, les codes que tu as acquis comme toute personne écoutant ce genre musical, mais aussi le fruit de ton expérience intime, des souvenirs conscients ou inconscients que ce passage éveille chez toi.

Pour Menger, je pense que son idée est surtout que la musique contemporaine participe d'un phénomène de distinction. On se force à écouter Boulez Xénakis et autres, parce que c'est l'apanage des gens "biens", de ceux qui ont le "bon goût" et ceci est d'autant plus fort que l'écoute de ce genre musical n'est pas des plus aisés pour un français lambda.

 

258
En quelque sorte c'est une sorte de suivisme qui permet de se distinguer (je sais c'est paradoxal) et de faire partie de l'élite qui "pense pour tous et qui montre le chemin", Amen!
CDW
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Citation : Pour Menger, je pense que son idée est surtout que la musique contemporaine participe d'un phénomène de distinction. On se force à écouter Boulez Xénakis et autres, parce que c'est l'apanage des gens "biens", de ceux qui ont le "bon goût" et ceci est d'autant plus fort que l'écoute de ce genre musical n'est pas des plus aisés pour un français lambda.



C'est l'approche "bourdivine" classique. Sachant que l'écrit en question est une oeuvre de jeunesse du-dit Menger, peut-être même le résultat de son travail de thèse. Celà étant, Menger (que je connaît mal par ailleur) me semble beaucoup trop talentueux pour n'être que dans la mise en oeuvre de ce modèle. Ce modèle qui nie l'expérience esthétique (ce n'est qu-une "illusion" destinée à voiler la stratégie de distinction...!)quand il est utilisé de manière caricaturale... et la rend problématique quand il est utulisé finement.

Celà étant dit, en niant l'expérience esthétique, ce modèle n'a plus non plus grand chose à dire du processus créatif. Et il se trouve justement que le prochain livre de Menger s'appelera "le travail créateur".

Affaire à suivre...