Le Sacre du Printemps de Stravinsky
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Groupir

Je reviens un instant sur le Sacre du Printemps de Stavinsky qui a été plébicité plus d'une fois tout au long d'un fil consacré à l'oeuvre la plus parfaite.
J'ai eu la curiosité de réécouter cette oeuvre car il me semblait ne jamais l'avoir écouté dans sa totalité.
Je n'ai jamais entendu quelque chose d'aussi hermétique ! Il faut vraisemblablement disposer de clés que je ne possède pas à l'évidence. Certaines oeuvres d'art, musique ou autre, sont directement accessibles et vous parlent spontanément. D'autres oeuvres demandent une initiation, des clés d'accès dont j'ai fait mention ci-dessus. Dans le cas de cette oeuvre de Starvinsky, j'ai l'impression qu'elle est réservée à une caste d'initiés dont je ne fais pas partie. Il me semble que c'est une oeuvre de musicien faite pour des musiciens, et encore, sans doute pas n'importe lesquels.
Je réceptionne cette musique comme un congloméra de sons sans liens entre eux. Le fait qu'il soit déjà impossible d'identifier la tonalité de l'oeuvre m'enlève déjà tous mes repères. Une musique sans tonalité... pour moi cela n'a plus de sens, ce sont les fondements même de la musique qui s'écroulent.
Chaque fois que j'écoute une oeuvre musicale, classique généralement, je suis toujours envahi par des images. Un petit film se déroule dans ma tête qui accompagne la musique que j'entends. Ici, dans le Sacre du Printemps, je ne perçois absolument rien. J'encaisse des sons réellement agressifs et malveillants; rien en tout cas qui puisse évoquer le printemps.
Sincèrement, je voudrais comprendre ce mystère. Sans ironie aucune, j'aimerais que l'un d'entre vous m'explique le cheminement qu'a été le sien pour parvenir à apprécier cette musique. En est-il parmi vous qui ne soit pas musicien et qui apprécie l'oeuvre en question ?
Merci.
Groupir.

Anonyme

J'ai compris à quels genres de musiques tu as fait allusion dans la réponse que tu m'as donnée.
A ce niveau-là, il est nécessaire de tout remettre à plat et de définir le mot "musique". Pour moi, il existe un seuil au-delà duquel on ne peut plus parler de musique mais de bruit.
On doit rester dans les limites de ce qui est écoutable, sauf que ces limites sont différentes d'un individu à l'autre. Personnellement, si on s'aventure trop loin de la musique tonale, je n'y arrive plus.

KoalaMan

Tu peux sans problème écouter de la musique autre que tonale sans que cela ne choque tes oreilles : tu peux prendre de la musique modale (moderne, ethnique ou ancienne), tu peux écouter de la musique micro-tonale asiatique, tu peux écouter de la musique à base de sons non définis (les batucada ou la musique indus)...
N'oublions jamais ce qui a été vrai aux oreilles de nos anciens :
La tierce (surtout mineure) est dissonante, alors que la quarte et la quinte sont harmonieuses.
Le jazz, ce n'est pas de la musique, c'est bien bon pour les nègres.
La guitare électrique, c'est du bruit, surtout avec un son crunch.
Debussy est un malade mental qui ne suit même pas les règles classiques de l'harmonie.
Le rap, ce n'est pas de la musique, puisque le mec fait du Sprechgesang.
Il existe ainsi des dizaines d'exemples de ce qui n'est pas de la musique.
Tout est musique, à partir du moment où l'on veut en entendre (ne parle-t-on pas de la musique du vent ?)
Ca fait maintenant quelques années que je fais de la musique et que j'en écoute, de façon assez analytique, et j'avoue ne pas réussir à définir ce qui EST la musique, et ce qui ne l'EST PAS !

J'admire vraiment ceux qui arrivent à le faire.

On ne voit bien qu'avec les yeux. Le cœur est invisible pour l'essentiel.

Anonyme

Citation : Tu peux sans problème écouter de la musique autre que tonale sans que cela ne choque tes oreilles : tu peux prendre de la musique modale (moderne, ethnique ou ancienne), tu peux écouter de la musique micro-tonale asiatique, tu peux écouter de la musique à base de sons non définis (les batucada ou la musique indus)...
Oui, toutes ces formes de musique ne me choquent pas l'oreille, probablement parce qu'il y a des mélodies, même si certaines utilisent des intervalles plus petits que le demi-ton.
De même, je suis d'accord avec toi sur ton petit inventaire des idées reçues.
Par contre, je ne te suis plus quand tu écris:
Citation : Tout est musique, à partir du moment où l'on veut en entendre (ne parle-t-on pas de la musique du vent ?)
La musique du vent, c'est juste une tournure de langage, comme on dit aussi la musique des mots. Un mot prononcé en parlant n'a pas de hauteur comme une note.
Et puis le mot musique sous-entend pour moi "plaisir d'écoute". Il y a des formes sonores qui n'engendrent aucun plaisir, voire même provoquent un rejet.
C'est quelque part par là que se situe à mon avis la frontière entre ce qui est musique ou pas. Et de plus, j'ai bien précisé que cette frontière fluctue d'une personne à l'autre.
Dans cet esprit, je comprends la réaction de notre ami groupir vis-à-vis du Sacre du Printemps. Je pense qu'il doit encore classer cette oeuvre dans la catégorie musique, mais tout près de sa propre frontière.

KoalaMan

Citation : Un mot prononcé en parlant n'a pas de hauteur comme une note.
Donc les mecs comme Aperghis qui font de la poésie sonore ne font pas de la musique alors ?
Et la musique implique forcément que les notes soient définies ? Quid des musiques "à percussion", du rap et des musique avec récitant (

Citation : Il y a des formes sonores qui n'engendrent aucun plaisir, voire même provoquent un rejet.
Désolé d'être chiant, mais à quoi penses-tu précisément quand tu dis cela ? Est-ce parce qu'un morceau ne me procure aucun plaisir qu'il n'est pas musique ? Dans ce cas, tu risques d'avoir un choc si je te dis que je ne prends aucun plaisir à écouter la majorité des oeuvres de mon pote Wolfgang, et que dès lors il ne s'agit pas de musique...

On ne voit bien qu'avec les yeux. Le cœur est invisible pour l'essentiel.

fullwood

Et quand mon père écoute Coltrane, y dit: ca n'est pas de la musique ça, c'est du "scotchglad" (terme qu'il a inventé, pour définir un ensemble de son ordonné qui doit être de la musique pour les oreilles des autres).

a.k.a

Koala :
Aperghis, Berio, Ferneyhough, Boulez, Barraqué, Dutilleux, Ligeti, etc. :



Pour moi, tous ces gens écrivent de la musique.
Par contre, je n'aime pas trop Mozart, et pour moi, Bach est Dieu le Père.
jl&ric, as-tu entendu parler de ce qui s'est passé dans les années 20 en Italie, de Varèse, de Stockhausen, Schaeffer & Henry ?
Pour en revenir au Sacre, en 1913, Schönberg crée son Pierrot Lunaire, et Debussy, Jeux.
Cocteau était dans la salle pour la répétition générale du sacre, la veille de la première. Aucune émeute à l'horizon...

Groupir

C'est pas que je veuille clore le fil ou avoir le dernier mot, mais je pense qu'il risque d'y avoir autant de définitions que de personnes qui tentent d'en donner une.
J'ai été voir sur Wikipédia leur définition de la musique. Ca commence ceci : "On peut dire que la musique...". Bref, une belle incertitude ! Ils ne se mouillent pas en essayant de trouver le plus petit dénominateur commun afin de mettre tout le monde d'accord et ce faisant, on ne sait toujours pas ce qu'est la musique !
Il faudrait peut-être qu'on s'en tienne aux définitions qui ont été données par des institutions officielles comme l'Académie des beaux-arts et que chacun fasse preuve de sagesse en tenant celles-ci pour les seules valables. Quitte à dire ensuite, je fais de l'art sonore mais je reconnais que ce n'est pas de la musique.
Il y a aussi cette recherche de l'originalité à tout prix. Les grands couturiers actuels par exemple confondent souvent originalité et excentricité.
Autre chose, moi aussi quand on me parle d'art contemporain j'ai envie de dire que c'est le plus beau foutage de gueule de cette dernière fin de siècle. Mais bon, si c'est universellement reconnu... et puis, je ne suis pas obligé d'acheter si cela ne me plait pas !
A+
Groupir.

Anonyme

Ce n'est pas le cas de Prokoviev par contraste (la deuxième symphonie...pour peu qu'elle ne soit pas interprétée à la post romantique EST brutale et iconoclaste).

a.k.a

Citation : dans une tradition presque maniériste(?)...
malgré la marque explicite de ton incertitude, pourrais-tu essayer de me dire quel lien tu voies entre çà et le sacre :

Ton point de vue m'intéresse : je suis presque d'accord avec toi, mais il y a un petit quelque chose qui me retient de donner à cette thèse mon assentiment complet...
Pour moi, ça n'est pas le même excès
Dans le cas du Parmesan (si on veut la jouer histoire de l'art), le maniérisme est un héritage : il se fait presque déjà ressentir dans les peintures de Michel Ange, surtout les fresques de la Sixtine.
Pour le Sacre, ça n'est qu'une étincelle dans l'histoire de la musique : ni aïeux, ni descendants...
Et pour moi, le maniérisme pictural ne dégage pas le même excès que celui qu'on peut trouver dans le Sacre...
Citation : J'ai été voir sur Wikipédia leur définition de la musique. Ca commence ceci : "On peut dire que la musique...". Bref, une belle incertitude ! Ils ne se mouillent pas en essayant de trouver le plus petit dénominateur commun afin de mettre tout le monde d'accord et ce faisant, on ne sait toujours pas ce qu'est la musique !
Ben oui, là est le problème...
Après, on est obligé d'aller faire un tour par là...
Citation : Il faudrait peut-être qu'on s'en tienne aux définitions qui ont été données par des institutions officielles comme l'Académie des beaux-arts et que chacun fasse preuve de sagesse en tenant celles-ci pour les seules valables.
Je n'aurais pas l'impression de faire preuve de sagesse en m'en remettant aux acadéiciens pour décider à ma place de ce qu'est l'art ou non...

fullwood

La scénographie était de Roerich, un artiste basant son oeuvre surle folklore Russe très influencé par Gauguin.
La scénographie suit les directives Modernistes d'Adolphe Appia, qui est un révolutionnaire de l'espace théatral, et cette oeuvre pérénise un travail qui changera totalement l'acte scénographique, l'espace théatral en général.
La collaboration entre les musiciens et l'univers théatral était ténu (la première fois que l'on éteint la lumière dans un théatre, pour la représentation, c'est à Bayreuth, pour les opéras de Wagner par exemple).
Un croquis de Roerich pour le premier acte du sacre:

Et une image des costumes:

A l'époque à Paris, on est en plein dans la découverte des arts orientaux et russes orthodoxes, on s'intéresse aux premières civilisations, à l'art japonais etc....
Ca a beaucoup choqué les bourgeois dans la salle ( et il devait y en avoir un paquet ce soir là!).
Donc, le sacre est un des évènements artistiques majeurs-j'ai découvert le sacre au travers de mes études théatrales, monsieur Lebat!
C'est pour dire que cette représentation à eu des fortes résonnances!
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