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Art et société

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Sujet de la discussion Art et société
Salut,
Je propose un nouveau thread-fleuve ( :mrg: ) sur la rapport qu'entretiennent mutuellement l'art et la société. Pour ça, je vous suggère de partir de quelques textes d'Adorno qui, avec son pote de l'école de Francfort Max Horkeimer, forge l'expression d' "industrie culturelle" dans leur Dialectique de la raison (1944).

Citation :
Le changement de fonction de la musique touche aux éléments constitutifs du rapport de l'art et de la société. Plus le principe de la valeur d'échange prive inexorablement l'homme de la valeur d'usage, plus la valeur d'échange cherche à se faire passer pour un objet de plaisir. On s'est demandé quel était le ciment qui faisait encore tenir la société marchande. Ce transfert de la valeur d'usage des marchandises de consommation à leur valeur d'échange peut contribuer à créer une situation dans laquelle le plaisir, s'émancipant de la valeur d'échange, finit par représenter des caractères subversifs. L'apparition de la valeur d'échange dans les marchandises a très précisément assuré la fonction d'un ciment.



Citation :
Mais l'art et les oeuvres d'art sont menacés de déclin, non pas seulement parce qu'ils sont hétéronomes, mais parce que jusque dans la formation de leur autonomie qui confirme la constitution sociale de l'esprit, isolé du reste par la division du travail, ils ne sont pas seulement de l'art. Ils sont aussi quelque chose d'étranger à celui-ci, quelque chose qui s'y oppose. Au propre concept d'art est mêlé le ferment de sa suppression.



Citation :
Car seulement sous l'empire de la nécessité, que représentent monadologiquement les oeuvres d'art unies, l'art peut faire sienne cette force de l'objectivité, qui finit par le rendre capable de connaître. La raison de cette objectivité, c'est que la discipline, imposée au sujet par l'oeuvre d'art, unie, transmet l'exigence objective de toute la société, de laquelle celle-ci sait aussi peu que le sujet. Elle est critiquement érigée en évidence à l'instant même ou le sujet brise toute discipline. Cet acte est un acte de vérité seulement s'il renferme en soi l'exigence sociale qu'il nie.



Voilà pour ces textes. Après lecture (et éventuellement relecture...), quelle est votre réflexion (et pas votre opinion) sur les rapports entre art et société ? Pour Adorno, l'art est manifestement le lieu où s'opère la contradiction entre la société et lui-même.
On peut bien évidemment axer cette discussion sur la musique (puisque c'est ce qui est censé nous unir), mais on peut tout à fait débattre de l'art en général.

A vous de jouer ! :clin:
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
2

Citation :
Pour Adorno, l'art est manifestement le lieu où s'opère la contradiction entre la société et lui-même.


l'art était... Le Louvre étant désormais une marque commerciale :(
3
Ca fait trop longtemps, il me semble, qu'on identifie l'art aux musées, alors c'est ceux la même qui réifient l'art et l'aliènent.
Merci de ta participation ! :bravo:
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
4
Moi, je me demande comment on peut lire Adorno et dormir sans transpirer la nuit :mdr:

Sinon, le rapport de l'art (mettons la musique) avec la société a évolué au cours des siècles et n'a pas exactement le même rapport d'une société à l'autre. Dans une société "traditionnelle", l'art est souvent l'expression d'éléments mythiques. Dans une société où le sens du mythe s'est perdu, l'art n'est (plus) qu'une relation au plaisir (je crois que c'est à peu près ce que dit Adorno dans ton 1er lien, mais avec ses mots à lui :8) et sans référence à la tradition et aux mythes. Sa valeur "d'usage" est mal définie ici. Il faudrait savoir ce qu'il entend exactement par là.).
5

Citation : Moi, je me demande comment on peut lire Adorno et dormir sans transpirer la nuit


On finit par s'habituer...

Quelle finesse d'esprit, ADT, tu as vu tout à fait juste (à moins que tu ne lises la Théorie esthétique en cachette ?).
En réalité, l'art glisse progressivement vers une hétéronomie sociétale parce qu'il est peu à peu "privé de ses fonctions cultuelles". Adorno est un digne héritier de Hegel et Marx et attache une place importante à la dimension historique des oeuvres d'art. Il écrit dans sa Philo de la nouvelle musique "le matériau, c'est de l'esprit sédimenté".
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
6

Citation : "le matériau, c'est de l'esprit sédimenté".



C'est le genre de phrase qui tue :lol:
Non, je ne lis pas la théorie esthétique en cachette :clin: mais je me suis pas mal intéressé à la métaphysique et donc aux sociétés dites "traditionnelles". Ses sociétés avait un rapport au sacré et l'art était l'expression du sacré. Le glissement du sacré au plaisir s'explique assez facilement par la perte de la symbolique du sexe. Le cas de la danse est probant sur ce plan, probablement plus qu'avec les autres formes artistiques.

Je ne suis pas certain qu'Adorno se place exactement du point de vue de la métaphysique. En tant qu'héritier de Hegel ou de Marx, j'en doute sérieusement. Note ici que je ne parle pas de la métaphysique au sens de Kant mais de Guenon par exemple ou, pour ce qui est de la sexualité, de Julius Evola. Tu connais ?
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Citation : la métaphysique au sens de Kant


Qui s'empresse de la bannir de la philosophie !!

Citation : mais de Guenon par exemple ou, pour ce qui est de la sexualité, de Julius Evola. Tu connais ?


Absolument pas, c'est pourquoi je n'avais pas compris ce bout de phrase :

Citation : je me suis pas mal intéressé à la métaphysique et donc aux sociétés dites "traditionnelles"


Vas-y, dis m'en plus !
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
8
Difficile d'en parler sans risquer d'être abscons. Disons, pour faire simple et bref, que la métaphysique, au sens de Guénon, est l'étude des principes, lesquels s'expriment par les mythes. Les mythes sont des représentations symboliques qui vont se refleter dans la manifestation (cad le monde "physique" ). En d'autres termes, le mythe "utilise" le temps pour dérouler l'espace dans un sens tel que ce qui arrive est, d'une certaine façon, "toujours arrivé". Au sens strict, rien ne se fait sans référence au mythe. Ce n'est pas du déterminisme ou quelque chose qui s'apparenterait au destin mais plutôt une verticalité qui peut se dérouler dans le temps (dimension horizontale) de multiples façons. Pour bien comprendre ça, je pense que la musique modale est assez significative. Si on part du principe qu'un mode est une structure verticale dense avec des échelles particulières, son déroulement mélodique utilise les échelles du modes et son expression "sensuelle" de multiples façons. Ainsi, le mythe est vertical et la manifestation (temporelle) l'exprime toujours, quelle que soit sa forme. Ca n'étonnera personne si je dis que la musique modale est une musique traditionnelle.

Les sociétés traditionnelles sont "tournées" vers les principes en ce sens que rien ne se fait sans relation intime avec la "verticalité". Si on fait un parallèle (très rapide) entre un phalus comme symbole de cette verticalité et la dérive vers le plaisir comme perte du symbole parce que réduit simplement à cela, on comprend que l'art ait dérivé de son sens initial, sacré, pour n'être réduit qu'à une sensation de plaisir.
9
Je trouve 'achement pertinente ton image du symbole phallique, au passage.
Flag caché.
10
Donc on peut considérer que lorsque deux êtres font l'amour, c'est devenu de l'art. Le monde est rempli d'artistes. L'art n'est donc pas une chose excptionelle. Pourquoi toute ces questions alors, juste pour le plaisir? Mais le plaisir c'est de l'art...non?
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Le point important qui me semblait soulevé par Adorno (pour ce que j'en ai compris mais je me suis peut-être planté :lol: ), c'est la dérive de la valeur "d'usage" vers la valeur "d'échange". Il dit explicitement

Citation : Plus le principe de la valeur d'échange prive inexorablement l'homme de la valeur d'usage, plus la valeur d'échange cherche à se faire passer pour un objet de plaisir



Je n'emploie pas du tout cette terminologie. Pour moi, cette dérive résulte d'une perte de symbole dans l'évolution de la société traditionnelle vers la "civilisation" (dont Guénon disait que c'était là une sorte de "diplôme" que l'homme moderne s'était attribué au mépris des valeurs traditionnelles). Perdre le symbole, c'est évidemment perdre le sens "premier" (principe) de l'acte (ou de l'art). Dans la symbolique sexuelle, le sens premier du rapport amoureux est évidemment l'amour. Un rapport amoureux sans amour n'est plus qu'un plaisir d'échange (parfois onaniste).

Certaines rencontres musicales se font parfois dans cet esprit onaniste. Les prises de chorus très longues, parfois au mépris de la musicalité de l'ensemble, sont significatives sur ce plan (dans certains "boeufs" en particulier ou chacun joue pour soi)
12

Citation : Disons, pour faire simple et bref, que la métaphysique, au sens de Guénon, est l'étude des principes


C'est pareil chez Aristote, on n'est pas si loin de la philosophie en fait.

Citation : Donc on peut considérer que lorsque deux êtres font l'amour, c'est devenu de l'art. Le monde est rempli d'artistes. L'art n'est donc pas une chose excptionelle. Pourquoi toute ces questions alors, juste pour le plaisir? Mais le plaisir c'est de l'art...non?


:mrg: :mrg:

Je pense qu'il faut prendre ici le terme "valeur" dans son acception strictement économique. En fait, il dit un peu plus loin que lorsque la plupart des gens vont à un concert de musique classique, c'est parce que le chef d'orchestre, c'est machin, ou parce que le violon solo joue sur un stradivarius. En ce sens, la place de concert se change en place-pour-aller-voir-un-stradivarius-ou-un-"grand"-chef. Cela prouve à quel point la société donne des modèles commerciaux qui se répercutent dans l'art.
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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Citation : C'est pareil chez Aristote, on n'est pas si loin de la philosophie en fait.



La philosophie sans la métaphysique, c'est un peu comme des maths sans axiome.
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Ouais, ça dépend chez qui...
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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:up:
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Flag
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Yeah !
Prends-toi un fauteuil en cuir, et fais comme chez toi...
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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Hors sujet : Et toujours pas de section dédiée :frown:
Bon allez à+ !

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Hors sujet : Hélas non, mais ça finira peut-être par venir...

"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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Je signale l’existence d’un livre (que je lis en ce moment) : La musique, un art du penser ? Il est question - dans plusieurs chapitres - des relations qu’entretiennent la musique et la société. Dans le chapitre « Sur l’homologie entre musique et société, et pourquoi on est pas obligé d’y croire », un des auteurs – Esteban Buch - cite Adorno (Théorie esthétique) :

Citation : La configuration des éléments de l’œuvre d’art qui en forment la totalité obéit de manière immanente à des lois apparentées à celles de la société extérieure à l’œuvre. Les forces de production sociales, comme les rapports de production, reviennent dans les œuvres d’art, formes pures, libérées de leur actualité, parce que le travail artistique est un travail social […] On ne trouvera guère dans les œuvres d’art une action ou un produit qui n’ait pas son modèle, aussi latent soit-il, dans la production sociale.


Cette citation reflète assez bien le propos de Buch : il semble possible de faire l’hypothèse qu’il se joue dans la musique, dans ses normes, des éléments qui apparaissent au niveau de la société.
Je conseille la lecture de ces quelques pages...




PS Lien pour le boquin :
http://www4.fnac.com/Shelf/article.aspx?PRID=1905487&OrderInSession=1&Mn=1&Mu=-13&SID=67fef063-babb-dd9f-e046-9875cf67bbe6&TTL=160220071529&Origin=FnacFR&Ra=-1&To=0&Nu=1&UID=096ECB1D9-22E1-D92B-4EE8-A9B2DD13E027&Fr=0
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Oui, j'ai également ce bouquin, et l'article de Buch est très bien (d'autant plus que ce type partage son bureau du CNRS avec mon directeur de recherche, et que ses travaux portent précisément sur les rapports entre la musique et la société. Il a également écrit un bouquin passionnant intitulé Le cas Schönberg, naissance de l'avant-garde musicale)
Il est souvent question chez Adorno de la société, et de la réification immanente qu'elle fait subir à l'art. On trouve aussi cette thèse dans la Dialectique de la raison, co-écrit avec Max Horkeimer.
Un autre grand classique pour la lecture d'Adorno est Adorno et la modernité, vers une dialectique négative de Marc Jimenez, le traducteur français de la Théorie esthétique, mais là, c'est déjà un peu plus costaud...
J'ai momentanément égaré La société du spectacle de Guy Debord, mais il y a des choses à dire, là aussi...
"C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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Ah merci pour ces références.

On peut peut-être alors essayer de discuter du point dont traite l'article de Buch.

En fait, si la configuration des éléments d'une oeuvre peut s'apparenter à une configuration de la société, il est intéressant de trouver comment elle s’y apparente. Ceci nécessiterait d’étudier largement différentes sociétés et les musiques qui s’y jouent. Ceci permettrait peut-être déceler de nouvelles homologies.

Mais cela répondrait-il à la question du pourquoi y a-t-il des homologies ? Peut-on déceler une causalité de l’une vers l’autre, ou au contraire configurations des éléments sociaux et des éléments musicaux sont-elles conséquentes d’un autre phénomène plus profond (plus latent). Il faudrait pour cela répondre auparavant à deux questions :

  • 1- Comment la société change-t-elle la musique ?
    Comment par exemple le Rap (pour prendre un exemple de musique actuelle) peut-il être apprécié comme une forme musicale de la réaction des Noirs à leur condition sociale. L’homologie serait le résultat de la symbolisation des actions sociales dans la musique, de l’évitement des contraintes sociales par la liberté d’une action musicale symbolique. Le sampling en ce sens serait une forme d’arrachement de sons librement réarrangés : ce serait cette libre réappropriation qui serait homologique au sentiment de privation d’un groupe sociale.


  • 2- Comment la musique peut-elle changer la société ?
    Comment par exemple un art peut-il s’« engager » ? Comment les tensions d’une oeuvre musicale peuvent-elles se réactiver socialement ? Cette possibilité est donnée (donnée d’ailleurs comme une nécessité) par Platon : « Introduire en effet une nouvelle forme de musique, c’est un changement dont il faut se garder, comme d’un péril global : c’est que nulle part on ne touche aux modes de la musique sans toucher aux lois les plus importantes de la Cité » (République). Cette faculté de la musique à déteindre sur la société semble un peu énigmatique car elle stipule que la transmission d’un affect peu engendrer des perturbations sociales. Est-ce à dire alors que la stabilité d’une société est donnée par la canalisation des affects ? Cela semble envisageable dans une société totalitaire, mais qu’en est-il dans la notre ? Peut-être par la reconnaissance d’un groupe social via la musique. Je ne suis pas sûr mais on peut y réfléchir.


  • Qu'en pensez-vous ? (notamment sur le dernier point)
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    Ah, enfin un membre d'AF intéressant, c'est pas tous les jours !! :bravo:
    Pour le moment, j'ai du boulot, mais je relis l'article de Buch bientôt, et on en discute ici !
    "C'est blazman legacy ici" (Apocryphe) / Live music / Soundcloud
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    Honoré que je suis :oops:
    Pas de problème : réponds quand tu as le temps.
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    Le bout que tu cites jungle dom sous-entend - à défaut d'être ultra explicite - que l'art ne se façonne que grâce à la société qui l'entoure (ou une société extérieure à celui qui est l'auteur de l'oeuvre d'art).

    Citation : le travail artistique est un travail social


    Y a-t-il une demi-mesure dans la suite de sa réflexion, ou selon Buch, art et société sont-ils au fianl vraiment indissociables ?

    On peut facilement le penser en faisant corréler au départ l'apparition de l'art et des premières formes de communautés, au même moment, dans un mouvement global(lié quoi).

    Alors on peut se demander aussi si l'art sans société (antisocial> le punk lol ptdr mdr ouaich) existe, ou est possible.
    Le punk bien sûr, c'est des conneries, sans la société, il ne peut pas y avoir d'antisocial, donc d'art antisocial.

    Abordé dans un autre sujet, je pensais que l'art pouvait être détaché de la société, des communautés huamines, et je le pense encore. Alors à quelle échelle ou mesure ?