Cette semaine, on s'attelle à une grosse question technique des amplis de guitare (et basse) : le biasing ! Un sujet sur lequel les faits techniques sont souvent effacés par les opinions très tranchées, voire ésotériques. Alors essayons de débroussailler un peu le sujet.
On continue donc cette série sur les tubes en reprenant le format des questions simples auxquelles nous tentons d’apporter une réponse. Comme d’habitude, cet article n’est pas spécialement orienté « technique », même s’il contient un certain nombre de considérations techniques que j’ai tenté de vulgariser autant que possible.
Pour cet article, on va se concentrer sur un « gros » sujet : le bias. Derrière ce terme anglophone, se cachent à la fois des questions de fonctionnement, de sonorité, de préférence musicale mais aussi de consommation d’énergie et donc d’économie et d’écologie.
Mais déjà, c’est quoi le bias ?
Qu’est-ce que c’est, le bias ?
Réponse : dans un ampli à tubes, le bias définit le point de fonctionnement des tubes de puissance quand aucun signal ne passe par l’ampli. En d’autres termes, il s’agit de l’intensité du courant qui traverse ces tubes hors modulation apportée par le signal sonore.
Comme nous l’avons vu dans l’article précédent, le fonctionnement d’un tube comme élément amplificateur repose sur un courant, généré entre deux électrodes (l’anode et la cathode), courant qui va être contrôlé par une troisième électrode (la grille). L’application d’un signal audio à cette grille (que l’on peut considérer comme l’entrée du tube) va permettre de moduler ce courant. Le courant maintenant modulé permettra de générer au niveau de l’anode (la sortie du tube) une tension, qui sera la reproduction exacte du signal audio à l’entrée du tube, mais amplifiée.
NB : Remarquez que je n’ai pas encore expliqué exactement comment cela amplifie le signal. Je me suis contenté d’expliquer comment ça le reproduit à la sortie. Pourquoi est-ce que le signal est plus fort à la sortie ? L’explication du fonctionnement du tube comme système d’amplification sera pour un prochain article.
À partir de l’explication fournie ci-dessus, on peut conclure la chose suivante : si l’application d’une tension à la grille (dans notre cas, cette tension est un signal audio) permet de contrôler l’intensité du courant à travers le tube, alors cette grille peut aussi être utilisée pour régler une sorte « d’intensité de base » du courant dans le tube : une sorte de point de départ, d’état stable, à partir duquel le tube pourra « travailler » lorsqu’il recevra un signal audio.
C’est ça le bias. Précisons au passage qu’un terme français existe : le courant de repos.
Pour régler cette « intensité de base » du courant dans le tube, on applique à la grille une petite tension négative (petite relativement à la tension d’anode) : par exemple, autour de –2V pour un tube de préamplification (pour une tension d’anode de 200V environ). En vérité, aucune valeur de référence ne peut être donnée sans contexte : la tension de réglage du bias est entièrement dépendante de la tension d’anode – elle se choisit en fonction de celle-ci.
Cette petite tension négative s’appelle : en anglais bias voltage, en français polarisation de grille.
NB : dans un ampli à tubes on règle le bias pour les tubes de puissance, mais bien entendu tous les tubes ont cet « état stable », y compris les tubes de préamplification. Dans leur cas, le bias est réglé par les composants choisis dans le circuit. Modifier le bias reviendrait donc à remplacer certains composants.
Pourquoi régler le bias ?
Réponse : Il y a plusieurs raisons de régler le bias (fastoche comme réponse), alors listons-les. En premier lieu, un tube n’est pas un dispositif au comportement linéaire. Qu’est-ce que cela veut dire ? Pour bien l’expliquer, je vais donner un exemple : un tube de préamplification 12AX7 recevant à son anode une tension de 200 volts sera traversé par un courant d’une intensité de 0,5 milliampère. Si l’on augmente la tension d’anode de 50 volts (250 volts) l’intensité du courant augmentera de 0,9 milliampère (et attendra 1,4 milliampère). Si l’on augmente à nouveau la tension d’anode de 50 volts (300 volts) l’intensité augmentera cette fois-ci seulement de 0,7 milliampère.
C’est bien simple, d’ailleurs, son comportement est représenté sous forme de courbes et non de droites (ici, un tube 12AX7) :
En résumé, toute modification apportée à une des variables ne se reportera pas sur les autres variables selon un ratio fixe. Dans de telles conditions, il est nécessaire de trouver le « point de fonctionnement » où les variations de tension imposées par le signal audio occasionneront des variations de courant les plus égales possibles, permettant une reproduction fidèle du signal.
Il y a une autre raison technique importante : régler le bias permet de choisir la classe de fonctionnement de l’amplificateur.
Explication rapide :
Le courant traversant un tube occasionne une dissipation de chaleur au niveau de l’anode. Plus l’intensité du courant est élevée, plus l’anode chauffera, et dissipera donc une partie de la puissance produite sous forme de chaleur. Cette dissipation peut être considérée comme une perte énergétique : une partie de la puissance générée par le tube disparaît sous forme de chaleur, et non de puissance sonore.
Chaque type de tube à une dissipation anodique maximale. Au-delà, le tube surchauffe (voir l’encadré ci-dessous)
Le réglage du bias permet de décider à quel point le tube travaillera proche de sa dissipation maximale.
Classe A
- En classe A, un tube est proche de cette dissipation maximale.
- En classe A, un tube rendra à sa sortie l’intégralité du signal présenté à son entrée.
- Pour ce qui est des tubes de puissance, en classe A, au moins 50 % (souvent plus) de la puissance développée par le tube sera dissipée (perdue) sous forme de chaleur. Pour cette raison, la classe A souffre d’un manque important d’efficacité énergétique.
- Tous les amplis ne possédant qu’un seul tube de puissance opèrent en classe A.
Classe B
- En classe B, un tube est biasé de façon à ce qu’aucun courant ne traverse le tube, hors présence d’un signal audio. On obtient cela en appliquant à la grille une tension négative assez forte pour couper tout passage du courant dans le tube.
- Lorsqu’un signal audio est appliqué à l’entrée (par exemple une sinusoïde pure) la moitié positive du signal permettra de rétablir un peu de courant dans le tube, tandis que l’autre moitié de la sinusoïde (la moitié négative) n’occasionnera aucun courant.
- Ainsi, en classe B, un tube ne reproduit à sa sortie que la moitié du signal d’entrée.
- On est donc le plus loin possible de sa dissipation maximale. Au contraire même, sans signal, aucune puissance n’est dissipée.
Classe AB
- Les amplis fonctionnant avec des paires de tubes de puissance (en push-pull), travail généralement en classe AB, qui est un mélange de la classe A et de la classe B.
- En classe AB, un peu plus de la moitié du signal est reproduit à la sortie du tube.
- Presque touts les amplis possédant des tubes de puissance par paire travaillent en classe AB. Ce système en push-pull permettra à un tube de reproduire une moitié du signal, et à l’autre tube de reproduire l’autre moitié. Les deux moitiés du signal seront « recomposées » à la sortie en un seul signal audio.
- On comprend facilement que la classe AB permet d’économiser pas mal de puissance, puisque l’on règle le bias pour être entre 50% et 70% de la dissipation maximale.
Qu’est-ce qui sonne mieux ?
Les forums regorgent d’opinions divergentes quant au bon réglage du bias pour un amplificateur : plutôt hot, plutôt cold ? Voici quelques faits.
Un ampli push-pull biasé trop froid peut produire ce qu’on appelle de la distorsion de croisement. Cette distorsion n’existe qu’en classe B, elle apparaît lorsque moins de la moitié du signal d’entrée est reproduit à la sortie (lorsqu’on approche de ce que l’on appelle la classe C). Cette distorsion est particulièrement indésirable, aussi bien au plan technique que sonore.
Un ampli push-pull au bias plutôt « chaud » (vers 70 % de sa dissipation totale, certains osent monter vers 80 %) permettra un maximum de headroom pour l’ampli de puissance (ce qui ne signifie pas que l’ampli ne pourra pas saturer, rassurez-vous). Certains prisent particulièrement la richesse harmonique apportée par ce réglage, qui permet d’obtenir des sons clairs qui restent « chauds », et une distorsion particulièrement « douce » à l’oreille. Toutefois il faut rappeler que plus un ampli est réglé ainsi, plus les tubes vont se fatiguer rapidement. De plus, l’ampli aura une consommation électrique plus importante.
Il existe un compromis entre un biasing « froid » et un biasing très « chaud » : régler un ampli vers 50 % (60 % au maximum) de dissipation permettra de diminuer la consommation d’électricité ainsi que de tube de puissance, tout en assurant à l’amplificateur un headroom adéquat.
Puis-je régler le bias moi-même ?
Réponse : NON. non, non, non.
Et c’est bien dommage, car, si l’on veut bien faire les choses, le bias devrait être réglé à chaque changement des tubes de puissance. Car non seulement un tube n’est pas linéaire, mais chaque tube à sa petite non-linéarité bien à lui.
Alors oui, il existe des appareils très pratiques, qui s’installent sur les supports des tubes de puissance et qui permettent, sur certains amplis, de visualiser le bias sans avoir besoin de brancher un multimètre à l’intérieur de l’ampli. Mais…
Deux difficultés importantes font que cette opération reste largement un domaine réservé aux professionnels. Premièrement, comme on le voit bien dans cet article, le choix du bias ne se limite pas à une préférence auditive. Une certaine connaissance de l’électronique et de ses calculs reste nécessaire pour faire des choix informés en matière de bias. L’autre difficulté, encore plus importante, est qu’un ampli à tube contient des courants et des tensions mortellement dangereux, MÊME UNE FOIS L’AMPLI ÉTEINT ET DÉBRANCHÉ ! Il va donc sans dire que tout réglage qui nécessite l’ouverture de l’amplificateur doit se faire selon une procédure de sécurité.
De plus, il faut le préciser, il y a deux modes d’implémentation du bias dans un ampli : le fixed bias (polarisation réglable) où le réglage se fait grâce à un potentiomètre ; le cathode bias (polarisation cathodique), où le bias se règle grâce au changement d’une ou de plusieurs résistances dans l’ampli.
En résumé, sur ce sujet, faites confiance à un professionnel.