Après avoir goûté à la meilleure basse fretless de sa catégorie et laissé transpirer quelques notes sur la Cort Arona, j’ai le plaisir de tester pour vous la petite dernière de la marque allemande qui s’offre un nouvel horizon commercial.
Si les quelques lignes qui suivent vont d’emblée intéresser ceux qui en causent déjà sur notre forum, il est fort probable qu’elles capteront aussi l’attention des bassistes qui bavent sur les productions de nos amis germains, en attendant d’avoir le budget conséquent pour pouvoir s’offrir leurs services.
Germaine coréenne débridée
Vous vous rappelez peut-être des jolis mots que j’ai eus sur le compte de l’Arona, un instrument de la marque coréenne Cort dessiné par l’équipe d’Holger Stonjek. Eh bien l’Electra est tout aussi métissée que l’Arona, mais dans une tendance inverse. Puisque c’est maintenant aux Coréens de travailler pour les Allemands. En soit, le processus de fabrication et de commercialisation de l’Electra me rappelle une certaine Ray 34 CA précédemment testée. Fabriquée en Indonésie, assemblée en Corée et envoyée pour contrôle qualité aux USA avant d’être distribuée. La Ray 34 présentait une “reissue” intéressante pour la moitié du prix de l’original. La marque allemande suit cet exemple en faisant fabriquer les pièces détachées de l’Electra dans une usine bien connue d’Incheon, mais assure elle-même l’assemblage dans ses locaux près de Cologne. Le but ? Faire baisser les coûts de production en déplaçant le gros de la main d’œuvre et ainsi faire tomber le prix de revente. Car si ses grandes sœurs Allemandes vendent leurs services sur une tarification gravitant autour des 1500€, l’Electra VS4, quant à elle, affiche un prix environnant les 600€. Payer moins cher est une chose certes appréciable, mais me voilà investi d’une mission capitale : estimer si l’on sort véritablement gagnant de cette économie en tant qu’acheteur final. Tant de marques se sont fourvoyées à produire du low-cost, les citer serait bien fastidieux puisqu’en soi, les plus grosses s’y sont toutes employées depuis trente ans, avec plus ou moins de succès. Sandberg prenant du poids et des parts de marché depuis plus de dix ans pour devenir un fabricant de poids à l’international, la compagnie ne pouvait pas échapper à cette ouverture de son catalogue vers les premiers prix.
Basse à infuser
Le corps de l’Arona est en Tilleul (basswood). On retrouve cette essence sur pas mal de productions en entrée de gamme puisqu’à la base, il s’agit d’un bois utilisé pour remplacer l’aulne sur les instruments d’étude. Pas franchement jojo à l’œil, on le retrouve la plupart du temps caché sous une épaisse couche de peinture. Sur l’Electra, vous avez même le droit à plusieurs couches, puisque cette basse ne se propose qu’en Brown Sunburst (2 tons). Le vernis est mat, ce qui n’est pas tout à fait en accord avec mon goût personnel. Je préfère généralement le brillant ou les finitions huilées.
Si les Égyptiens réservaient ce bois pour un usage sacré (ils façonnaient les masques funéraires et les sarcophages dans cette essence) et si les jeunes pousses de cet arbre, consommées en infusion, sont connues pour calmer les nerfs du troisième âge, on ne reconnaîtra qu’une seule qualité à son utilisation dans un atelier de lutherie : ce bois est peu coûteux. D’ailleurs il présente un caractère acoustique neutre, puisque son emploi ne favorise aucune tranche de fréquences en particulier. Il faut donc l’employer sur des instruments qui proposent une électronique de caractère, ce qui est le cas de l’Electra. Car même si le kit micro et les contrôles de cette basse restent élémentaires, elle donne le change une fois branchée (nous verrons ça un peu plus bas).
La VS4 est équipée d’un kit Precision s’inspirant librement du double Delano équipant la California VS, avec ses plots de 9,5mm. L’Electra dispose d’un égaliseur à deux bandes, d’un volume général et d’un actif-passif. Pour ceux qui s’attendent à une tonalité passive, passez votre chemin et intéressez-vous aux “grandes” de la marque.
Le manche de 22 frettes et de 34 pouces est rattaché au corps par six vis de fixation. C’est un bon rostre, assez fin au niveau du sillet (38 mm) et bien élargi à la douzième (56mm) de forme classique (type C). Il est composé d’un dos en érable et d’une touche en palissandre indien. L’intervalle entre les cordes est assez large, pour faciliter un jeu musclé à la main droite et favorisera les mains gauches les plus imposantes qui trouveront un certain confort en bas de touche (perso, c’est un peu trop pour moi). Derrière le sillet en plastique, on retrouve la frette zéro qui équipe toutes les basses de la marque pour consolider le son des notes jouées à vide. Le bloc chevalet-cordier ressemble de très près au chevalet Sandberg, à première vue, il ne s’agit pas d’une imitation, mais bien de la véritable pièce employée sur les séries California. Du point de vue ergonomique, même si cette basse dispose d’un corps de Precision invitant un jeu à l’aise dans toutes les positions, on appréciera un confort tout particulier une fois debout, en la jouant bien bas, à la manière d’un bassiste de rock. Car la VS4 se réserve aux plus énervés d’entre nous.
Les détails qui fâchent
Un petit chapitre rien que pour vous en parler. Ça n’est pas parce que la VS4 reste le modèle le moins cher du catalogue qu’on ne va pas se plaindre : nous sommes en France, cela fait partie intégrante de notre identité nationale de peuple de râleurs insatisfaits. En tout cas, à la lecture de ce qui va suivre, vous rendrez certainement légitime ce petit encart, car je suis surpris par certains points relevés ci-dessous.
Les potards présentent peu de correction sur deux tiers de leur course (surtout l’égaliseur). Il est donc difficile d’avoir une approche nuancée de l’égalisation.
C’est certainement la Precision la plus bruyante que je connaisse, même avec les aigus en berne. Ce qui relève du paradoxe pour une basse équipée en double bobinage. En studio comme en répétition, j’ai eu affaire à de petits soucis de masse et quelques parasites statiques quand je poussais les bandes à fond.
Et le détail qui déçoit franchement : Sur la touche, j’ai eu la surprise de trouver un trou ! Tout petit certes, il n’y a pas de quoi perdre son auriculaire. Mais assez large pour faire passer un petit ver de bois (voir photo). Je crois qu’en dix-huit ans de fréquentation assidue des manches de basse en tout genre, dont cinq ans passés en tant que vendeur de basses et trois chez un fabricant d’instruments, je n’avais jamais vu ça. C’est une première et je m’interroge encore sur les raisons pour lesquelles je me retrouve avec ce vilain défaut de fabrication sous les yeux. J’ai bien attendu que le ver insolent pointe le bout de son nez entre deux croches pour lui passer un savon, mais ce trou était probablement là avant l’usinage de la touche. Ce qui en soi est parfaitement blâmable : comment une chose pareille a-t-elle pu passer de multiples contrôles pour venir se présenter à mes yeux ? (Le truc du ver est un mot d’humour pour dédramatiser la situation, l’origine de ce trou étant encore tout à fait obscure…). Que les Coréens laissent passer la chose est déjà surprenant, mais que dire des Allemands, qui sont censés se charger de l’assemblage des pièces détachées pour superviser le contrôle final ? Une fois que l’on constate ce genre de vice de fabrication sur un instrument, il est assez difficile de présenter une synthèse positive sur ce dernier.
Le son est-il salvateur ?
Pour une partie de notre communauté, je pense que oui. Pour les autres, je suis obligé de répondre par la négative. Si vous cherchez une basse pêchue, simple à utiliser avec un énorme gain de sortie et un son qui pousse la dynamique à son paroxysme, une quatre corde pour jouer du gros rock au médiator, avec un signal qui growl et fera transpirer des groupies tout de noir vêtues, tatouées et pas forcément vaccinées, cette basse pourrait être pour vous. Je trouve que le grain et l’ergonomie de l’Electra font d’elle une basse idéale pour le Punk ou le Rock bien échaudé. Par contre, si vous cherchez un grain standard de Precision Bass, passez simplement votre chemin. Mais attention, si elle ne sonne pas comme un standard, la VS4 n’en demeure pas moins intéressante.
Voici une collection d’extraits, qui, je pense, illustrera mes propos. Les prises sont réalisées en branchement direct dans mon interface Novation.
- doigt bass+treble 00:21
- boost bass+treble 00:26
- cut aigu 00:32
- slap 00:20
- mediator 00:32
On retrouve de loin le son de base d’une PB (reprise de Lady Madonna) en coupant tout à fait les aigus, mais la ressemblance s’arrêtera là. Les plots de 9,5 mm apportent leur lot de gain et de dynamique, ce qui arrangera les bassistes en quête d’un rendu agressif. Mais ils ont tendance à rendre l’attaque aux doigts un peu « caverneuse », avec ce micro unique en position médiane. Il suffira, néanmoins, de pousser un peu les aigus et d’attaquer au plus près du chevalet pour compenser la chose.
Je trouve le son de slap pas vraiment pertinent et trop sec à mon goût (ce qui est normal pour cette configuration, ne comptant pas sur un micro aigu pour appuyer la percussion). Le rendu au médiator est quant à lui au top, à l’étouffée ou sur un jeu plus ouvert et énervé. À l’écoute, je trouve le grain de la VS4 assez pertinent. Le caractère très dynamique de l’électronique active et du type de micro employé permet de sortir des sentiers battus de la configuration en micro Precision unique. Et ça, c’est appréciable.
Peut mieux faire…
Loin d’être négative, mais tout de même mitigée, ma conclusion fera certainement débat chez les amoureux de la marque (dont je fais toujours partie). La VS4 a bien le mérite d’intéresser les moins fortunés, mais je suis plus convaincu par le rapport qualité/prix des productions 100% allemandes de la marque. Je pense que les défauts précédemment cités suffiront à légitimer le soupçon de déception qui se dégage de ce test. Il faut cependant saluer cet investissement de la compagnie pour proposer un milieu de gamme de caractère et considérer cette VS4 comme un premier essai à améliorer. Je serai curieux de voir ce que donne la version Jazz Bass (modèle TT4) de cette nouvelle série et espère que cette histoire de touche défectueuse reste une exception au regard de l’ensemble des instruments mis sur le marché. Ce qui ferait de la VS4 une solution tout de même attractive pour les bassistes en quête d’un son raillant et d’un design standard pour un prix accessible.