Je ressens une curiosité toute pleine à l’égard de ce banc d’essai. Malgré toutes ces années passées à fréquenter le milieu de la guitare, je dois avouer n’avoir jamais eu l’occasion d’essayer un instrument de cette marque. L’histoire de cette compagnie se lit un peu comme un rêve américain.
En 1976, David Schecter devient éponyme de la société qu’il fonde (baptisée plus précisément Schecter Guitar Research). C’est à l’époque un atelier qui fabrique tout ce qu’il faut pour monter une guitare (corps, manche, micros, chevalets…) en se concentrant exclusivement sur le marché de la pièce détachée.
La compagnie fournit alors deux des plus grands fabricants d’instruments électriques (je vous laisse deviner de quels géants il s’agit) en articles variés pour oser sa première conception d’instrument en 1979. L’atelier devient alors « Custom shop » et produit des instruments haut de gamme, largement inspirés des concepts de Fender. En quatre ans, la compagnie est dépassée par un succès assez conséquent pour provoquer son rachat par des investisseurs texans. Le custom shop déménage, devient producteur d’instruments de série tout en restant dans la droite inspiration (on pourrait parler de copie) du Leg de Léo.
1987 marque un retour aux sources de la compagnie, rachetée par le propriétaire de la marque ESP : Hisatake Shibuya. Il renvoie la fabrique dans ses quartiers californiens et lui redonne ses prétentions de custom Shop pour distribuer des guitares de prestige.
En 1996 la marque se détache enfin de son addiction pour le design Fender par la volonté de son nouveau manager Michael Ciravolo qui veut souligner l’identité propre de l’entreprise.
Il ouvre aussi sa production à l’Asie (dans la province d’Incheon en Corée du Sud) où il sous-traite la production d’une gamme d’instruments réservés à un plus large public.
Je ne supposerai rien en affirmant qu’Incheon est le siège de l’usine principale d’un fabricant bien connu sous la marque CORT, dont la sous-traitance se retrouve aux catalogues de nombreuses marques du marché…
Tout ça pour introduire la basse qui nous intéresse aujourd’hui, un instrument au look hybride et original, fabriqué en Corée et monté avec une électronique passive standard :
La Schecter Ultra.
On ne trahit pas ses origines
Quoiqu’en dise le tôlier, cette basse reprend le design mêlé d’une Telecaster et d’une Thunderbird (Gibson). Une sorte de métissage vertical qui pour la tête de manche et le bas du corps concerne la Gibson, alors que le haut de son corps (partie proche du manche) rappelle sans hésiter celui de la célèbre Fender.
L’éclisse de cette basse est donc assez prononcée sous le bras droit, ce qui donne tout son côté décalé à l’instrument : À la fois Rock, rétro et psyché.
Le manche est conducteur, avec trois plis d’érable et deux de noyer. Il mesure en largeur 38 mm au sillet et 62 mm à la dernière frette pour une longueur de 34 pouces (22 cases). Sa touche est en palissandre, assez foncée et tirant presque sur le violet (probablement du palissandre indien).
Dans sa prise en main, on retrouve les repères assez standards de la Jazz Bass à ce détail près que le dos de ce manche supporte un vernis brillant ainsi qu’une peinture.
Ce modèle est Sunburst de la tête au pied, sous deux tons (à l’ancienne !), la tête de manche est donc coordonnée et présente le même chanfrein que la table (repris sur la Thunderbird) dont la partie centrale est surélevée de 2 mm par rapport au reste. C’est très sympa visuellement et pour le coup, bien réalisé !
Les trois parties du corps sont en Acajou et le chevalier cordier séparé en deux pièces. Le sillet est de la marque Black Tusk (ivoire artificiel) et les mécaniques sont des Grover à bain d’huile (à l’aspect un peu cheap).
Côté électronique, la marque a opté pour une paire de pavés EMG HZ, des doubles bobinages passifs contrôlés le plus simplement du monde par deux volumes et une tonalité. Rien de bien prestigieux, avouons-le : bien que de marque US, les séries HZ sont aussi fabriquées en Corée.
Niveau finitions, si on peut se fier à ce que j’ai sous les yeux, le travail est irréprochable.
La peinture en deux tons et le vernis sont posés proprement. Il n’y a aucun nœud disgracieux dans les bois, la pose des frettes est très propre et les parties chanfreinées l’ont été avec soin.
Le poids général de cette basse est assez raisonnable, ce qui est assez surprenant pour un manche conducteur et le gabarit de son corps.
Allez, viens sur mes genoux…
Bah ouais, on n’est pas là pour regarder le défilé. Les jolies basses sont un peu comme les jolies filles : C’est bien beau de les contempler, mais c’est quand même plus sympa de jouer avec ! Sauf qu’il est moins grave de mal jouer de la basse… Ou pas !
Trêve de gauloiserie, j’attaque direct et pose l’instrument pour un petit essai assis. Jusque-là, tout se passe bien. Ma main gauche est confortablement installée pour parcourir tout le manche. Bon, au-dessus de la dix-neuvième ça commence à faire juste, vu qu’on passe sur la table derrière le pan coupé, mais bon, dans l’ensemble c’est pas plus fâcheux que ça. L’équilibre est sympa, l’arrière étant bombé le manche se place bien.
J’ai un tout petit souci pour jouer sur le micro aigu, mon avant-bras droit venant se placer pile-poil sur l’excroissance de l’éclisse qui ne prévoit pas de chanfrein. Il y a donc un point de pression qui vient s’opérer en position assise sur le nerf radial, ce qui peut être désagréable, voire handicapant, sur la longueur. Bon ce point ne concerne ici que moi et ma morphologie personnelle, tout le monde n’aura pas son avant-bras posé à cet endroit précis, dans des conditions similaires.
J’opte donc assez vite pour une position debout, la basse sanglée un peu plus bas qu’à mon habitude et là, plus de problèmes. Il faut même noter que l’équilibre debout est parfait, le cul de la belle est tellement galbé que sa tête s’en trouve redressée !
Le poids est appréciable, on s’attend à bien pire avant de devoir porter cette quatre cordes. Merci l’acajou ! Je reviens sur ce point de la position assise pour dire qu’à force de la jouer tout en persévérant dans cette fainéantise qui me va si bien (désolé, chez moi je joue assis, à la cool et même parfois à demi nu), j’ai pris l’habitude de la jouer un peu plus haut.
Dans le son, ça correspond mieux au caractère de l’instrument.
Parlons-en justement.
Joli minois, jolie voix
Si l’électronique n’a rien de révolutionnaire (un bon vieux système passif), ni de bien sophistiqué (deux doubles identiques au nord comme au sud), le rendu général est très intéressant.
Ça sonne simplement et le jeu fera bien plus appel à la main droite du musicien et à des recettes évidentes en matière de réglage, qu’a une ingénierie électronique tout en préampli et égaliseur.
Les micros EMG sonnent droit. Ce sont des doubles certes (Aimants en Céramique et acier), en cela qu’ils évitent les bourdonnements et rayonnements d’un simple. Mais ils gardent toutefois une finesse dans le grain et ne sonnent pas aussi durement qu’un double de base.
Le son du micro grave est très rond dans sa réponse, son grain est toujours galbé et garde cette rondeur même quand on pousse la tonalité à fond dans les aigus.
Ici, les basses fréquences en berne sont bienvenues de ce côté du duo magnétique, car elles n’imposent pas la contrepartie d’un son mou : ça reste toujours précis et dynamique. Le micro aigu s’impose donc par sa complémentarité, avec de solides médiums qui en fonction de la tonalité générale, peuvent monter haut et descendre suffisamment bas.
Mais question brillance, ce n’est pas Byzance !
Il fallait un peu s’y attendre avec du double bobinage, mais en toute franchise rédactionnelle, je dois avouer que ce point ne dérange absolument pas. Conscient du fait que l’Ultra ne se réserve pas aux slappeurs fous, il ne sera pas difficile de mettre ce style de jeu légèrement de côté pour se faire plaisir avec le reste.
Surtout que dans le fond elle ne sonne pas si mal quand on tape dessus, c’est toujours plus percussif qu’une 4001 ! Bon on est d’accord, ça n’en fait pas une Jazz Bass de 75 mais ça peut faire le boulot quand-même. Par contre, le jeu étouffé au pouce sonne à merveille, les amateurs du son originel du début des sixties apprécieront.
Le son est donc souple ce qui permet une plus grande polyvalence et n’enclavera pas l’usage de l’Ultra au style Rock qu’on aurait pu lui prédestiner de visu.
À mon avis, cette Schecter passera assez facilement de la pop au rock, de la musique caribéenne à la musique latine, du blues à la country. Moi j’aime bien la jouer Motown par ailleurs et il y a un je-ne-sais-quoi qui sent bon les seventies dans ce grain. La nostalgie qu’évoque l’Ultra en moi n’a donc que du bon dans ces références et durant les jours qui ont jalonné son essai, je me suis surpris à jouer dans des répertoires jusque-là pas vraiment parcourus. J’en conclus donc que l’Ultra m’inspire, ce qui fait une qualité subjective supplémentaire à cette basse.
Voici les sons réalisés avec notre ampli TC Electronic RebelHead 450 et le Two Notes Torpedo VB-101.
- rock00:14
- manche et chevalet00:21
- slap00:15
- manche00:28
- chevalet00:15
Mise à prix
Bouclons cet essai par la délicate question du tarif qui affiche un prix public de 1090 €. Une basse fabriquée en Corée du Sud au-dessus des mille euros, ça peut faire mal là où on a généralement l’habitude de s’asseoir.
Mais ce haut du pavé Coréen se rencontre aussi chez la concurrence : Fender, Lakland, Tom Laulhardt, TUNE… La question est de savoir si la Schecter Ultra vaut bien son pesant d’or, en considérant avant tout son rapport qualité-prix.
En soit la finition est très soignée, le son plutôt sympa, le manche est conducteur, le look reste original bien que synthétique (car inspiré par deux autres marques) et l’instrument m’est arrivé parfaitement réglé. Jusque-là rien à redire. Mais à 1000 €, on aurait peut-être attendu un peu plus d’un instrument standard, fabriqué dans un pays où la main-d’œuvre est encore réputée bon marché : de meilleurs micros que ces licences E.M.G, des mécaniques un peu moins légères ou au moins, un bel étui sinon une housse.
Car à ce prix, cette Schecter vous sera cédée dans son magnifique écrin en carton. Eh oui, ça n’est pas une blague et ça fait encore moins passer la pilule des 1090 €. Voilà dans le fond un avis qui reste le mien et qui n’a rien de fâcheux. Je reste confiant dans l’idée que même à ce tarif, cette basse saura intéresser du monde.