Il y a un an, à quelques jours près, j’avais rédigé un banc sur la Music Man Classic Stingray. Une saison plus tard, une autre marque d’Ernie Ball, baptisée Sterling, sortait son équivalent à mi-budget. La curiosité de votre serviteur se devait de passer à l’action pour tester l’alternative. Voilà de quoi intéresser tous ceux qui rêveraient de se payer une légende à moitié prix.
Sterling by Music Man
Pour tous ceux que la chose intéresse, il y a une bio de la marque dans le test de la Classic Stingray. Dans les lignes qui vont suivre, nous essaierons de répondre à une question plutôt bête, mais tout de même importante : comment fabriquer et vendre une Stingray à moins de mille euros ? Je sais que la majeure partie d’entre vous a déjà réponse en tête, Ernie Ball n’étant pas la première société à faire appel au procédé que je vais décrire.
Mais l’heure étant à la traçabilité (même si on ne joue pas encore bio), je trouve intéressant de s’interroger sur les tenants du commerce international qui fonde globalement le marché des produits manufacturés, dont ceux qui animent nos bons plaisirs de musiciens. Tout commence avec une société qui se décide à vendre des produits plus accessibles que sa gamme de base. Pour faire simple, nous appellerons cette entreprise Ernie Ball.
Depuis que la compagnie a acheté la marque Music Man (en 1984), elle fabrique des guitares et des basses électriques aux États-Unis. Avec des modèles de légendes tels que la guitare Silhouette, la basse Stingray et une excellente politique d’endorsement, Ernie Ball à réussi à s’établir sur le marché de la guitare de prestige, fidélisant sa clientèle sur un standard de qualité Américain. Tout se passe pour le mieux, jusqu’au jour où les dirigeants de la société décident de ne plus se passer de la clientèle du milieu et de l’entrée de gamme, en tirant ses tarifs vers le bas. Il n’y a pas trente-six manières de faire baisser les prix de vente : la plus évidente étant de revoir les coûts de production à la baisse. Et c’est dans ce dessein que les fabricants cherchent avant tout à réduire le prix de la main d’œuvre. Dans le cas de Music Man, dont les locaux sont implantés au milieu de la Californie, c’est une tâche difficile : le personnel étant qualifié, syndiqué et rémunéré en fonction d’un salaire de base national, on ne peut pas revoir leur fiche de paye comme on changerait le menu de la cantine. En conséquence, Music Man se lance dans la cession de licence pour faire produire par d’autres ce qu’elle ne peut assurer au sein de sa propre chaîne de fabrication. En 2000, elle fait appel à la corporation Hanser (qui manage des marques comme BC Rich, Spector, Traben et Kustom) pour créer l’entité OLP guitars (Officialy Licensed Products) et mettre sur le marché des imitations de Stingray assemblées en Chine, avec des pièces détachées provenant de Corée. Mais l’association ne dure que quelques années pour prendre fin en 2009, avec l’expiration de la licence commerciale. Dès lors, Music Man se tourne vers un nouvel importateur, la société Praxis Musical Instrument, pour gérer les stocks et le contrôle qualité des produits d’une nouvelle sous-marque baptisée Sterling (le prénom du fils d’Ernie Ball, actuellement à la tête de l’entreprise). Les pièces détachées proviennent toujours de Corée pour être cette fois assemblées en Indonésie, une fois les instruments réalisés, ils sont envoyés à Orange (chez Praxis en Californie) pour l’inspection, le stockage et la distribution.
Belle et presque fidèle
On commencera ce banc sous les meilleurs auspices, puisque la basse est vendue avec une housse d’origine, certes souple, mais offerte gracieusement par Madame Sterling. Moi je dis bravo et espère le jour où la générosité se fera norme dans le conditionnement de nos instruments préférés. Un coup de fermeture éclair et zip, voilà une belle quatre cordes !
Jolie, elle l’est assurément. De belles finitions s’offrent au premier coup d’oeil, aucune faute pour la pose du vernis Gloss, aussi bien sur le corps que pour la touche à la teinte légèrement ambrée. Par contre l’application de ladite teinte n’est pas forcément uniforme sur les bords de la touche, ce qui est un tantinet dommage. J’ai entre les mains la finition Sunburst vendue avec un manche à touche érable. Le frêne du corps présente de jolis motifs verticaux (les veinures de cette essence sont généralement esthétiques), parfaitement mis en reliefs par la peinture en trois tons.
L’assemblage des pièces du corps est assez réussi et reste difficilement perceptible à l’œil nu. Comme la Music Man Classic, le corps de cette Stingray reprend ses lignes d’origines et ne présente aucun chanfrein, sur la table comme au dos. Le manche est bien plus fin que sur un standard américain, avec 38,1 mm au sillet au lieu des 41,3 mm habituels, ce qui me convient tout à fait, mais ne siéra pas à tous les bassistes. C’est à très peu de choses près, les cotes d’un manche de Jazz Bass, avec des frettes fines et un radius avoisinant les dix pouces. Le manche est fixement ancré dans le corps par six vis et ses mécaniques sont ouvertes. Le bloc chevalet cordier ressemble à celui d’une Stingray standard, on pourra lui reprocher l’absence des tampons étouffoirs et un chargement des cordes qui ne traverse pas le corps de l’instrument.
J’avais personnellement apprécié les sourdines et le chevalet traversant équipant les Classic series américaines. L’électronique en deux bandes commande le pavé légendaire de la marque : un potard pour les graves, un autre pour les aigus et enfin un troisième pour le volume. La vie est fichtrement simple quand on a une Stingray et cela me plaît. Pour ce qui est du micro, monté avec des aimants ALNICO et un bobinage spécifique à cette série, il a tous les traits d’un pavé Music Man, avec ses plots de 9,5mm et ses trois vis. Le réglage du Trussroad reste au top de ce que sait faire Music Man, c’est à mon goût le système le plus accessible et le plus simple pour corriger la courbure d’un manche. Mêmes louanges pour l’accès à la pile, le tiroir prévu à cet effet étant simple et fonctionnel, tant que l’on n’a pas des quenelles en guise de doigts et que l’on prend le temps de ne pas s’énerver dessus. Dans ma vie de vendeur, combien d’instruments j’ai vu revenir du front, avec un gros bout de chatterton retenant la batterie ? Une blessure de guerre distinctive à l’usage de ce système, arraché dans la précipitation ou tout simplement bousillé par l’usure. Et dans le métier tout le monde le sait : sur une active, quand la pile s’en va, tout fout le camp ma bonne dame.
Le bon grain
Ah le son Music Man ! Même si je n’aurai jamais la classe de Gail Ann Dorsey, je vais tout de même me permettre de jouer quelques notes sur cette Ray 34 CA (pour Classic Active). Voici quatre extraits, d’abord interprétés aux doigts avec les bandes poussées aux trois quarts, puis en effectuant un léger cut dans les aigus. Les parties slappées et jouées au médiator sont effectuées avec les potards à fond, ce qui avec le recul et quelques écoutes du résultat ne rend pas vraiment justice à l’instrument, inséré directement dans l’interface. Sur un ampli, le raccourci fonctionne parfaitement bien, là c’est un peu trop mordant dans les aigus.
- 1 Jeu aux doigts00:28
- 2 Cut aigu00:34
- 3 Slap00:20
- 4 Mediator00:20
Ne serait-ce pas là le grain d’une Stingray ? En tout cas, mes oreilles se sont laissées prendre au jeu. La pêche est bien là, le caractère dynamique est à la fête et la courbe naturellement creuse du signal aussi. Le potard d’aigu est à manipuler avec soin, car il façonne presque le son à lui tout seul, le coté un peu brillant de la Ray 34 CA force à laisser les graves à la hausse. J’aurais adoré avoir une Américaine entre les mains pour faire une comparaison sonore tout à fait objective, mais je ne suis pas encore un collectionneur fou et j’ai pris cette mauvaise habitude de rendre le matériel que l’on me prête, au lieu de disparaître avec dans la nature. Un devoir de mémoire s’impose donc pour pouvoir décrire le contraste entre les deux. De souvenir, j’avais trouvé la Classic Stingray plus pointue dans les hauts médiums, avec un grain laissant plus de place au bois qu’à l’électronique. La Ray 34 CA s’en approche, mais il lui manque encore un peu de transparence pour faire complètement illusion.
Pour résumer, je dirais que l’Indonésienne ne sonne pas aussi naturellement bien que son référent vendu à plus de 2000 €. Je n’aime pas comparer des instruments ne jouant pas dans la même cour (plus de 1000 € d’écart, ça commence à faire beaucoup). Toutefois dans le cas présent, cet exercice prend tout son sens. Il reste que la Ray 34 CA est une basse sonnant superbement bien et suscitera l’intérêt et pourquoi pas la convoitise des fans de Music Man amenés à croiser son chemin. Le pari sonore est pour moi remporté par Ernie Ball, qui réussit à donner le change à une clientèle exigeante (puisque fan de la marque), mais pas forcément à même de s’offrir le catalogue américain.
Yes she can !
Personnellement, je suis épaté par les qualités de la Ray 34 CA. Il y a un petit bout de temps, j’avais testé quelques OLP en magasin. Elles étaient certes moins chères, mais restaient parfaitement médiocres à mon goût. Pour 900 €, on touche du bout des doigts le son d’une Stingray originale pour s’en emparer de manière bluffante. Comme l’originale, la Ray 34 CA est un instrument robuste dont le signal percera n’importe quel mix, sur scène comme en studio. Au niveau des sensations, seule votre main gauche pourra faire nettement la différence avec une Américaine : la finesse du manche s’adressant aux mains les plus menues, les grosses pognes peuvent directement s’intéresser aux standards de la marque qui restent au-dessus des 41mm. L’absence de chanfrein ne m’a pas dérangé pour les quelques temps passés avec, l’instrument demeure confortable à jouer. J’aurais cependant aimé l’essayer quelques heures en studio, jouer debout, pour vraiment me rendre compte de la chose et m’assurer qu’aucune douleur n’apparaîtrait au niveau de l’avant-bras. Mais jusque-là, aucun bobo ni aux bras, ni au dos. Ce test bouclé sur une bonne note, je vous invite à l’essayer par vos propres moyens et à partager vos avis sur la question.