Native compense l’arrêt du B4II par la sortie de Vintage Organs, son équivalent sous forme de bibliothèque/instrument à base d’échantillons. Y retrouve-t-on les qualités, et défauts, de son aîné ? Comparaison est-elle raison ?
Depuis sa sortie en 2000, le B4 a marqué le monde des instruments virtuels, et a subi de nombreuses évolutions pour culminer avec sa version B4II. On pouvait donc attendre une version III, dans laquelle la simulation d’orgues à tirettes harmoniques et à transistors bénéficierait des dernières évolutions en termes de modélisation d’amplis, de cabines Leslie, de démocratisation de la convolution, etc.
C’est pourquoi l’arrêt de son développement a surpris ses utilisateurs, devant faire une croix sur une future version 64 bits. Sans compter les musiciens de scène qui pourront être handicapés par la gestion d’un échantillonneur (Kontakt 4 ou sa version gratuite Kontakt Player) au lieu d’un instrument virtuel léger et moins gourmand en ressources, RAM et accès disque.
Voici donc Vintage Organs, bibliothèque d’échantillons de la série Powered By Kontakt. Le son est-il différent, en mieux, en moins bien ? Les fonctionnalités sont-elles similaires, plus ou moins simples d’accès ? Et quid de la réponse en temps réel de ce qui est quand même le point fondamental : les tirettes ? Réponses.
Introducing Vintage Organs
Disponible via téléchargement ou sur DVD, la banque regroupe 1,42 Go d’échantillons, et propose cinq orgues différents, les Hammond B3, C3 et M3 ainsi que les Vox Continental et Farfisa Compact. Le manuel (pas de version française) propose un petit historique suffisant pour comprendre la philosophie sonore de chaque orgue, ainsi qu’un topo sur le principe des tirettes (drawbars), nettement plus court que celui du B4II, qui avait l’avantage d’être en plusieurs langues…
On peut déjà constater l’absence de l’harmonium, des trois variations du Continental, du mode Boost du Farfisa et des différentes “versions” d’état d’usure du B3 (de Pure à Trash) ainsi que d’accord général (10 choix de 436 à 452 Hz). Il n’est pas dit qu’on ne les retrouve pas grâce aux réglages disponibles. Ainsi, un simple regard sur les interfaces (très réussies, comme l’ensemble des graphismes) montre les switches All Booster et Multitone Booster sur le panneau du Farfisa.
Mais avant cela, premier gros problème : alors que les quatre orgues (M3, C3, Farfisa et Vox) sont accordés à un diapason de 440 Hz, le B3 semble à l’oreille bien au-dessus, ce qui sera confirmé à la fois par la comparaison avec le B4II et via le tuner de Logic (même s’il n’est pas très précis, l’important étant de constater un écart). Selon ce tuner, le B3 de Vintage Organs est accordé à 445 Hz (voir illustration : 1-B4II, 2-Vintage Organs, 3-Vintage Organs avec changement de diapason du tuner). Ce qui est pour le moins gênant…
Fonctionnement
La banque propose plusieurs presets, dont les versions “de base” des Hammond (nommées Tonewheel Organ B3, etc.) et des Vox et Farfisa (nommées Transistor Compact, etc.).
Les instruments (on peut légitimement penser que chaque preset est un instrument complet) comprennent entre trois et quatre fenêtres : une belle vue en situation (sans autre utilité), une page nommée Organ, qui propose les réglages de l’instrument, une page Amp (on y reviendra) et une page Settings. Cette dernière permet d’assigner les contrôleurs externes à diverses fonctions (l’aftertouch sur le Swell, l’expression, est une excellente idée, pas évidente au début, mais excellente), à définir les canaux Midi et la note de Split pour le clavier maître, et des options pour les tirettes. Une d’entre elles permet de muter les tirettes inactives, ce qui libère le CPU et la Ram/streaming, mais du coup empêche aussi les modifications en temps réel sur des tirettes se trouvant sur la position 0. C’est-à-dire qu’il faudra au moins tirer une fois les drawbars concernées, puis jouer une note pour rendre leur action possible en temps réel.
À ne pas oublier donc. Cette fonction aurait néanmoins pu figurer comme une fonction globale, avec choix d’un mode par défaut (voir aussi plus bas)… Notons aussi la possibilité de router les pédales vers une sortie séparée, de les faire contourner l’ensemble Ampli-Rotor-Cabinets et de régler leur durée (Sustain).
Autre option, fondamentale et ne concernant que les Hammond, celle qui mute la sifflette (tirette 1”) quand la percussion est enclenchée. Fonction activée par défaut.
Une autre, moins capitale, est la possibilité, au détriment du réalisme, de rendre la percussion polyphonique (inactive par défaut). Pour rendre ces fonctions permanentes, il faudra sauvegarder les presets après modification.
Le chargement d’un preset permet de regarder comment l’éditeur a construit ses instruments virtuels. D’abord chaque note pour chaque réglage de tirette semble bien avoir été échantillonnée, et est évidemment bouclée (on peut voir les points de bouclage dans le Wave Editor). Ensuite ses échantillons ont été répartis/réunis au sein de groupes.
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Pour limiter le nombre d’échantillons et donc le poids de la bibliothèque, l’éditeur a eu recours à quelques astuces : d’abord les groupes de release et de percussion reprennent en fait les mêmes échantillons que ceux des tirettes. Pour les releases, le point de lecture commence alors à la fin du fichier. Pour ceux de percussion, une enveloppe très rapide est appliquée sur les échantillons de 2e ou 3e harmoniques. Pour gérer tout ça, les scripts entrent en action (voir encadré).
Quant aux différents vibratos et chorus, c’est un mélange de LFO qui est appliqué aux échantillons. Au final, le B3 pèse à peu près 465 Mo, sachant que les 2852 zones des 55 groupes sont loin de correspondre à autant d’échantillons différents. À noter, ceux-ci sont en 24 bits/44,1 kHz.
Ensuite, toute la partie “amplification” sera effectuée via modélisation / algorithme / convolution, les réglages étant disponibles dans la page Amp.
Amp et compagnie
Chaque page Amp comporte cinq sections. Organ regroupe des réglages de réponse à la vélocité, d’attaque et de release, pas vraiment utiles dans ce contexte, mais pourquoi pas… Tube Amplifier propose deux types d’ampli, Vintage (relativement doux) et Modern (plus agressif). Tone et Drive permettent de modifier la réaction au jeu, et un EQ trois bandes complète la section. Rotor offre un bypass, les réglages de vitesse de la trompe (Accel-Hi) et du tambour (Accel-Lo), et Balance le rapport entre les deux. Un interrupteur Fast/Slow est rajouté dans cette section pour les deux orgues à transistors.
Cabinets permet de choisir entre 10 modélisations de “baffles” (et pourquoi pas de convolutions façon Speakerphone ?), des Leslie à la boîte de direct, en passant par les Vox AC-30 et autres Fender Tweed (parfaits pour les orgues à transistors). On finit avec la réverbe à convolution, permettant de choisir entre Plate et Spring, courte ou longue et d’ajuster le taux de réverbe (voir aussi encadré).
Bref, que du terrain connu quand on vient du B4II. Y a-t-il des changements par rapport à ce dernier ?
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La réponse est oui. D’abord, disparus les réglages de Keyclick et de Leakage. Quel dommage. Pour qui aime avoir un son avec beaucoup d’attaque, ou une attaque sans enclencher une percussion, Keyclick était indispensable (01-B4IIkeyclick). Reste la possibilité de jouer sur le Treble du Tube Amp, mais le résultat et le son ne sont pas semblables (02-VOtreble). Quant au Leakage qui reproduit la repisse des micros des Tonewheels, eh bien, on le regrette aussi, car il permettait de simuler un B3 vieillissant (03-B4IIleakage+keyclick)… Le seul moyen de “salir” le son des orgues reste donc la distorsion de la simulation d’ampli à lampes.
Écoutons voir ce que tout cela donne…
- 01-B4IIkeyclick00:08
- 02-VOtreble00:08
- 03-B4IIleakage+keyclick00:16
- 12-Lesliecomp01:01
Du son, en voici en voilà
Commençons par le B3, avec un réglage 88–8004–005, reproduit à l’identique sur Vintage Organs (VO à partir de maintenant). Un peu de Drive (pour VO, Vintage d’abord, Modern ensuite), toujours en D.I. et un comportement qui diffère déjà. Notamment sur VO, puisque Drive en version Vintage applique maintenant un limiter de façon assez violente. Précision : sur tous les exemples de comparaison, le B4II sera toujours en premier. De toute façon, VO étant accordé plus haut, il ne sera pas difficile de l’identifier…
Le résultat parle de lui-même. La distorsion était déjà un des points faibles du B4II, on peut légitimement dire que ça ne s’est pas amélioré avec VO, en tout cas en utilisation D.I. Bien sûr, un accord tenu n’est pas le plus simple à traiter, alors passons à un phrasé solo, cette fois avec Leslie fermée : là, on ne peut que reconnaître que VO s’en sort mieux. On continue avec le même exemple bénéficiant d’une réverbe (Spring longue) :
Passons à un exemple d’utilisation des deux pupitres Upper et Lower. Malgré la puissance du Mac de test, un simple rajout de pédales sur cet exemple a commencé à faire entendre des craquements. Il faut dire qu’en toute logique de lecture d’échantillons, une seule note utilise 9 voix. Et par défaut, l’éditeur a prévu 500 notes de réserve. Car cela va très vite : un simple accord de sept notes en ne mutant pas les drawbars inactives peut demander jusqu’à 150 voix de polyphonie !
À la décharge de VO, la gestion du multicœur par Logic n’est pas optimale (euphémisme…). Les choses se passent un peu mieux en utilisation standalone, mais VO reste quand même gourmand. Donc attention sur scène…
Puis, relativement décisif, le fait de monter tirette par tirette, d’abord en version D.I, puis avec Leslie et C2. Comportement relativement différent, avec en plus des disparitions étranges dans la version VO…
À titre de comparaison, voici un même exemple appliqué à chaque Hammond de VO, dans l’ordre B3, C3 et M3, reprenant bien entendu les réglages les plus proches possible, en utilisant les pédales, et les deux claviers. Un rappel, le M3 a une tessiture plus resserrée, et son pupitre Lower comporte moins de tirettes que ses aînés (pas de 16’, de 5 1/3’).
Mais VO ne se limite pas aux Hammond. Qu’en est-il des deux orgues à transistors ?
96 variations ?
Si les Hammond ont mérité leur juste place dans l’univers rock, pop et jazz, les Vox et Farfisa ne sont pas en reste, et ont marqué les oreilles à défaut d’avoir systématiquement la reconnaissance de leur utilisation. Ainsi des Doors à (Question Mark) And The Mysterians, de Nino Ferrer à Rick Wright, de Benmont Tench à Suicide, Vox Continental et Farfisa Compact ont apporté leurs sonorités plus fines (voire aigrelettes) à de nombreux hits.
VO a d’abord réussi les interfaces graphiques. Puis les fonctions sont bien plus parlantes que dans la version B4II, qui ne modifiait pas son interface quand on chargeait les Tonewheels, et dont il fallait imaginer ou reconnaître à l’oreille quelle tirette correspondait à quelle tirette du Continental ou, plus compliqué, à quel switch du Farfisa… Sans compter que les vibratos ou autres effets n’étaient pas forcément les mêmes non plus.
D’emblée, le son est totalement différent. Si l’on reste sur un seul registre ou tirette, cela reste ressemblant, mais dès que l’on en rajoute, les différences s’accentuent très rapidement. Voici quelques exemples de sonorités du Vox (10-Voxcomp, version B4II d’abord, comme d’habitude) et du Farfisa (11-Farfisacomp). Il est ici plus complexe d’effectuer des réglages semblables, puisque, comme déjà mentionné, les contrôles sur le B4II sont difficilement identifiables.
- 10-Voxcomp00:59
- 11-Farfisacomp01:03
Bilan
Petit dilemme au moment de conclure : concernant le son de façon globale, la définition et la clarté de VO sont à son avantage. Du côté des orgues à transistors, sa supériorité ne se discute même pas. Et les C3 et M3 sont loin d’être anecdotiques. Dommage cependant pour l’harmonium qui s’est évaporé…
Mais concernant les fonctions et les possibilités de traitement, VO reste en retrait par rapport au B4II, même si de ce côté, l’ensemble est bien plus performant et souple qu’un Charlie, par exemple, qui mêlait déjà échantillons et instrument virtuel. La Leslie par exemple perd beaucoup dans la version VO. Dommage aussi que Native n’ait pas prévu, en plus des 100 presets d’usine, une banque reprenant tous ceux du B4II, ce qui aurait permis un échange standard dans des projets l’utilisant.
Surtout, sa gourmandise en ressources peut être problématique pour les musiciens de scène, voire sur des machines pourtant puissantes, lors de projets copieux en instruments et plugs, en attendant il est vrai, une meilleure gestion du multicœur de la part de nos DAW préférés.
Si l’on souhaite passer au 64 bits, tout en restant chez Native, de toute façon, il n’y a pas d’autre alternative. Si l’on veut garder le principe de la modélisation plutôt que l’échantillon/rompler, d’autres développeurs ont des solutions.
Reste que le son est de très bonne qualité, le tarif raisonnable (99 €, et surtout un rabais de 50% en cas d’upgrade) et le player nécessaire gratuit (à partir de Kontakt Player 4.1). Pas de démo téléchargeable (et pour cause…), en revanche les démos audio sur le site de l’éditeur sont assez révélatrices des possibilités purement sonores de l’instrument.