Dans le vaste monde, les hommes ont depuis la nuit des temps rivalisé d'imagination pour faire de la musique, grattant toutes sortes de cordes, frappant toutes sortes de peaux, soufflant dans toutes sortes de bois. C'est cette diversité qui est au programme de la World Suite d'UVI, qui entend vous offrir un tour du monde sans même que vous ayez à quitter votre home studio.
Si UVI s’est jusqu’ici largement consacré à la réalisation de son épatant moteur de sampling (L’UVIengine qui est au cœur de Falcon) et à la recréation de quantité d’instruments électroniques, qu’il s’agisse de synthés, de sampleurs ou de boîtes à rythmes, l’éditeur français entend bien étendre son catalogue aux instruments acoustiques et électroacoustiques. C’est ainsi qu’après une belle collection de pianos et quelques banques thématiques originales (Gypsy Jazzy, Jassistic, IRCAM Solo Instruments), les papas de Falcon nous présentent Orchestral Suite et cette World Suite qui, comme son nom l’indique, rassemble quantité d’instruments venus des quatre coins du globe : une invitation au voyage qui ne se refuse pas, d’autant que ce genre d’initiative est rare. À part chez EastWest et Best Service, force est de constater que lorsqu’on s’intéresse à autre chose que les sonorités de la musique occidentale moderne, il faut aller piocher chez quantité de petits éditeurs pour trouver des instruments exotiques, quitte à y laisser beaucoup d’argent à la fin.
World Suite est donc le bienvenu même si ce n’est pas à proprement parler un produit complètement inédit. Autrefois développeur du sampleur MachFive, UVI est également l’éditeur qui se cachait derrière les instruments vendus par MOTU : Symphonic Instrument et Ethno Instrument. Et à présent que les deux sociétés ne travaillent plus ensemble, que MachFive n’est plus maintenu au profit de Falcon, les français en profitent donc pour sortir sous leur propre nom une version révisée des banques qu’ils avaient faites pour MOTU. Du neuf avec du vieux ? C’est en quelque sorte le principe, cette World Suite reprenant pour l’essentiel les samples utilisés par Ethno World, mais en les proposant dans de nouvelles interfaces, avec de nouveaux scripts.
Si un petit tour du monde en vidéo vous dit, c’est ici que ça se passe :
Pour les autres, j’ai toutefois prévu un peu de lecture…
Guide du routard
Pesant 28 Go sur le disque dur, la banque propose trois types de contenus : des instruments virtuels d’un côté, des boucles et phrases audio de l’autre, et 7 Travelers au milieu qui consistent en des arrangements de 6 boucles audio prêts à l’emploi. Les boucles et phrasés sont organisés par zones géographiques puis par instruments, sachant que leur nom indique généralement le tempo et la gamme sur laquelle elles reposent. Pour les instruments, deux types de navigation sont offerts : soit par zones géographiques (Asie, Afrique, Occident, etc.) puis par types d’instruments (cordes frettées, percussions, etc), soit par types d’instruments toutes provenances confondues.
Quelle que soit la démarche dans laquelle on se trouve au moment de recourir à la banque, on parvient donc sans peine à s’orienter dans la masse de contenu, même si l’on aurait aimé disposer également d’un classement global par types d’instruments pour les boucles comme c’est le cas pour les instruments. Petite bizarrerie de mon point de vue : en marge de deux Travellers dédiés, toutes les voix font l’objet d’un répertoire spécial qui se divise en deux dossiers : Ambience Vocals, classé ensuite par cultures, et By Region, sous classé par zones.
Précisons que ce test a été réalisé sous Falcon, mais que la banque peut-être lue par l’UVI Workstation, le player gratuit d’UVI. Il n’y a donc pas de frais à prévoir en sus de l’achat de World Suite et vous pourrez l’utiliser sous Mac comme sous PC comme plug-in au format VST, AU et AAX, en 32 comme en 64 bits… La protection se fait par le biais du système iLok en matériel (un dongle USB donc) ou en logiciel, sachant que vous pourrez réaliser 3 activations au total, ce qui est plutôt confortable.
Finissons cette présentation d’ensemble avec les mensurations communiquées par l’éditeur : plus de 50 000 échantillons, 324 instruments et 8463 boucles ou phrases, pour un total de 42 Go compressés sans perte en 28 Go. Un beau bébé !
Embarquement immédiat
Parce qu’un tour du monde complet avec descriptif de chaque étape serait aussi amusant que ces longues soirées diapos que vous assènent vos beaux parents chaque fois qu’ils ramènent 3000 photos de leur dernier séjour au Club Med, j’aime autant m’en tenir aux impressions de voyage globales, aux souvenirs les plus marquants et aux anecdotes. Commençons donc avec les souvenirs visuels en parlant ergonomie et interface.
Tous les instruments partagent plus ou moins la même interface, avec dans la partie supérieure un beau visuel évoquant la région concernée, un menu regroupant les différentes articulations sur la droite (lorsqu’elles sont disponibles) et un bandeau dans la partie basse permettant de configurer le son de l’instrument et la façon dont il réagit. Ce dernier s’organise en panneaux qui sont pour deux d’entre eux toujours les mêmes (réverb à convolution, EQ graphique 3 bandes) et qui, pour les 3 autres, changent en fonction de l’instrument choisi pour s’adapter à son usage. C’est ainsi que sur certains instruments, on dispose d’une enveloppe ADSR quand d’autres proposent un doubleur, ou encore la possibilité de choisir entre legato ou polyphonique, de régler le portamento, le vibrato ou le trémolo, le timbre ou le bruit des frets, etc. Bref, l’interface est à géométrie variable, ce qui n’empêche absolument pas World Suite de rester très simple à utiliser, grâce notamment à son parti pris pour un flat design très épuré et un manuel qui fait l’effort de documenter chaque instrument. En anglais certes, mais ce souci du détail est appréciable quand beaucoup d’éditeurs se contentent parfois d’une doc globale et d’une liste de patches.
En vis-à-vis des instruments individuels, les Travelers partagent eux aussi une interface commune : là encore, la simplicité prime. Chacun des instruments dispose de sa tranche au sein d’un petit mixeur vous permettant de gérer le volume et le pan, complété d’un solo et d’un Mute. Cerise sur le gâteau, un bouton permet de générer aléatoirement de nouveaux arrangements. La fonction est assurément intéressante, car elle est force de proposition et, même si les assemblages réalisés au hasard ne sont pas toujours convaincants, elle n’en constitue pas moins un moyen très intuitif et efficace de plonger dans la richesse de la banque. Hélas, deux détails viennent un peu gâcher cette excellente idée. La première, c’est que ces assemblages sont rigides sur le plan harmonique : si vous avez un ensemble qui tourne en do majeur, vous pourrez certes le transposer, mais sans jamais vous départir du mode majeur. En effet, c’est un bon vieux pitch shifting qui est utilisé pour la transposition et il ne s’embarrasse pas de ce genre de détail. Quant au second problème, il tient aux limites de l’algorithme lui-même, qui a vite fait de produire des artefacts sur certaines boucles dès qu’on s’éloigne de la tonalité de base.
Du coup, le bilan est mitigé concernant cet outil particulier dont on sent bien qu’il pourrait avoir un formidable potentiel s’il reposait sur des boucles MIDI pilotant les instruments plutôt que sur les boucles audio.
Everybody wants to loop the world
Puisqu’on en parle, les boucles qui servent de matière première au Traveler forment un beau petit trésor qu’on ne se lassera pas d’explorer, UVI ayant eu recours à quelques excellents musiciens pour nous proposer des patterns ou des phrasés qu’il serait difficile de programmer en MIDI. De manière générale, la qualité est là même si en plongeant dans l’arborescence de la collection, on regrettera certains défauts. Le premier concerne l’organisation de certains instruments qu’on aurait aimé voir regroupés par morceaux : devoir trouver toutes les boucles qui correspondent à un même morceau est un peu laborieux, comme sur les guitares brésiliennes par exemple. La chose est d’autant plus regrettable lorsqu’on dispose au sein d’un même répertoire d’enregistrements qui ne proviennet à l’évidence pas de la même session. Sur les voix, on a ainsi côte à côte des phrasés avec des ambiances de pièces marquées, puis des voix au son plus direct qu’on se gardera bien de mélanger dans un même morceau sous peine d’avoir des problèmes à faire un mixage cohérent. Enfin, on notera que certains instruments ou certaines cultures sont surreprésentés quand d’autres ne le sont quasi pas : face aux répertoires africains et indiens qui regorgent d’instruments, on s’étonnera de voir la musique d’Australie se cantonne par exemple à la flûte, au digiredoo et à la guimbarde, tandis que le répertoire occidental se résumé à de l’accordéon… de l’accordéon et… de l’accordéon.
Bien évidemment, il s’agit de ne pas juger ces dissymétries sans se soucier de ce qu’on trouve dans les instruments virtuels. Aussi allons-nous nous intéresser à ces derniers, non sans vous avoir proposé quelques assemblages de boucles réalisés sans souci du mixage :
- africaguitar 00:19
- celtic 00:16
- easteuropa 00:09
- sitar 00:19
- orient 00:21
- brazil 00:32
Nature et découvertes
Là encore, il y a vraiment de quoi faire, et après quelques heures passées à jouer avec ces joujoux des quatre coins du monde, le sentiment est globalement très positif car UVI a su trouver dans l’ensemble un bon équilibre entre simplicité d’utilisation et de programmation d’un côté, et réalisme de l’autre, entre propreté du sampling et caractère de l’instrument. Les percussions sont bien sûr à la fête, sous quelque latitude qu’on soit, mais on trouve aussi quantité d’instruments à cordes pincées ou frottées, et quantité de bois en tout genre. Les cuivres sont étonnamment absents de ces sélections, mais on se réjouit de mettre la main sur des guitares flamencos vraiment crédibles, avec tout ce qu’il faut comme compas pour évoluer dans le registre gitan, ou encore de beaux dulcimers, des mandolines avec le trémolo qui va bien, et violons qui, loin de la pureté des occurrences symphoniques qu’on trouve en nombre sur le marché, s’illustrent parfaitement dans les musiques de l’est ou le genre celtique.
Les fautes de goût sont rares, même si l’on regrettera parfois les limites de certains instruments : pas ou peu de round robin, peu de couches de vélocités, voilà qui limitera l’usage des pianos en solo, par exemple, même si dans un mix avec une programmation judicieuse, tout cela pourra faire l’affaire. Bien humblement par rapport aux compositeurs de talents qu’a l’habitude d’employer UVI pour composer ses exemples audio, voici quelques extraits réalisés sans trop de peine, et sans qu’aucun traitement, à part une petite réverb par ci ou par là, ait été utilisé.
- europe 00:10
- flamenco 01:05
- occidental 00:13
- africafreeze 00:24
Avouez que si l’on considère que chaque instrument est vendu moins de 1 euro, ça fait plutôt la blague, non ? Évidemment, les guitares solo, par exemple, sont raides et loin de rivaliser celles qu’on trouve chez AcousticSamples ou Efimov en termes d’articulations comme de réalisme, mais pour une banque généraliste, on aurait tort de crier au scandale, d’autant qu’on trouve dans cette World Suite des choses plutôt rares, même chez des petits éditeurs spécialisés. Le bilan est donc largement positif.
Conclusion
Avec World Suite, UVI propose une banque généreuse qui n’est évidemment pas sans défaut, mais qui permet, à relativement peu de frais en regard du contenu proposé, d’ajouter bien des couleurs à sa palette. Outre les Travelers qui promettaient plus qu’ils ne tiennent en définitive, mais n’en demeurent pas moins une voie intéressante à poursuivre, on notera ça et là quelques manques de cohérence sur le plan du son, de l’organisation des boucles, ou dans la représentation de certains instruments ou culture, trahissant un côté bric et broc inévitable lors de ce genre d’exercice. Mais force est d’admettre que ce qu’on nous propose ne manque pas ni de caractère et d’authenticité, et qu’il y a de vraies réussites dans cette collection, tandis que le rapport quantité/prix est excellent. Le pari est donc globalement réussi de sorte que World Suite est le genre de banque à avoir sur son disque dur pour répondre à une demande d’exotisme lorsqu’on est compositeur sur commande, ou tout simplement pour explorer de nouveaux horizons musicaux. Un très bon plan dans tous les cas.