Slate Audio élargit l’horizon, toujours plus loin dans l’innovation, avec un casque qui nous permet d’entendre et de mixer comme si on était dans la control room d’un grand studio, puis d’aller vérifier notre mix dans la voiture ou dans un night club en un clic.
Steven Slate, ça vous dit quelque chose ? Un personnage dans le monde de l’audio, connu pour ses propositions audacieuses ou farfelues, selon le point de vue. D’abord, au début des années 2000, ses premiers produits furent des samples de batteries, puis le tatoué baraqué Steven s’est spécialisé dans la modélisation de matériel analogique pour proposer divers plugins avec sa marque Slate Digital. Mais depuis 2014 et son Virtual Microphone System, Slate ajoute encore une nouvelle dimension à ses produits : il nous vend un micro qui, associé à un traitement numérique, saurait reproduire le son de tous les grands classiques de l’histoire, du Neumann u67 au RCA 44. Plus besoin d’investir des milliers d’euros ni de chasser les bonnes occasions sur le web pour avoir le son légendaire des Beatles et autres ? On peut y croire, accueillir à bras ouverts ces propositions innovantes… Ou bien on peut avoir des doutes.
Head Funs
C’est dans cette ligne que le casque VSX de Slate Audio se situe. La proposition, encore une fois, est audacieuse : ce casque est associé à un plugin, qui nous permet d’écouter avec différentes modélisations de paires de moniteurs de studio, d’autres casques, de systèmes son de voitures, etc. Dans la formule de base appelée Essentials et vendue 299 $, celle que nous avons testée, on nous propose deux studios et leurs différentes paires de moniteurs, deux casques en plus du VSX, un Club à LA (l’ami Steven est installé en Californie), et une voiture SUV. Pour celles et ceux qui en veulent plus, cinq autres studios, plusieurs casques, des voitures, et autres systèmes d’écoutes, sont proposés dans la formule Platinum à 499$, ou bien à l’achat dans différents bundles ou à l’unité. Pour chaque pièce de studio, on a le choix entre les deux ou trois paires d’écoutes présentes, nommées selon leur proximité « near field » « mid field » ou « far field », et c’est bien la pièce qui est modélisée, depuis le point d’écoute avec ses différentes options de moniteurs.
Psychoacoustique et Marketing
Arrêtons-nous un peu sur cette idée : comment un casque peut-il recréer la sensation d’écoute dans une pièce, avec sa profondeur, sa distance aux haut-parleurs ? La marque nous parle d’une « technologie psychoacoustique binaurale », sans plus de détail… Le binaural est une technologie cherchant à reproduire la perception sonore naturelle humaine dans un environnement acoustique donné en la restituant dans un signal stéréo au travers d’un casque. On suppose que les modélisations ont été obtenues à partir de prises de son binaurales enregistrées au point d’écoute. Il existe des solutions de prise de son binaural avec une microphonie intégrée à une forme humaine qui restitue le plus fidèlement possible un système auditif humain médian. Une des différences évidentes avec une écoute casque classique réside dans le fait que chacune des deux oreilles va recevoir un peu du canal stéréo opposé, et l’image stéréo sera en ce sens plus naturelle que celle qu’on perçoit habituellement avec un casque.
Pour le reste, le casque s’appuie sur des transducteurs en béryllium (matériau utilisé par Focal et quelques autres marques pour leurs tweeters) pour les aigus, sur un système appelé Acoustic Ported Subsonic pour les graves, qui dirige un flux d’air dans un circuit bien précis vers les coussins, et nous est vendu comme parfaitement linéaire. La communication de Slate Audio sur la modélisation n’est pas très précise, peu de spécifications techniques nous sont données (ou alors on n’a pas trouvé), ce qu’on regrette un peu d’autant que les arguments de vente mis en avant du type « Car check. No car required » sonnent un peu racoleurs.
Dans les faits, on ne peut pas aller vérifier au Sonoma Studio si la modélisation des enceintes ProAc et Amphion est réaliste, mais on a tout de même pu faire une comparaison : parmi les casques proposés, on a le DT 770 Beyerdynamic. La réplique de VSX est très fidèle et on vous en parlera un peu plus loin, mais évidemment, modéliser un casque dans un casque est un défi moins complexe que de recréer l’acoustique d’une pièce avec différentes paires d’enceintes. Après quelques recherches, la modélisation la plus plébiscitée serait celle du Archon Studio, qui n’est malheureusement pas incluse dans la formule de base, et qu’on n’a donc pas pu tester… à regret.
Une question s’impose à nous, un doute nous traverse : toutes ces possibilités d’écoutes en un clic, est-ce que c’est vraiment pertinent ? Chaque changement d’écoute nous déstabilise pendant quelques instants, et on se dit que ça va un peu à l’encontre du fait de bien connaître son écoute quelle qu’elle soit, de la pratiquer et l’appréhender pour pouvoir bien l’utiliser. Il faudra sans doute choisir pour chaque utilisateur ses deux ou trois écoutes de référence et s’en tenir à celles-là pour travailler. Dans une vidéo sur ce produit, Steven Slate explique bien qu’il déconseille de changer trop fréquemment de modélisation, propose de travailler au moins trente minutes dans une configuration avant d’en changer (nous on dirait plus que ça), et surtout conseille de passer par le silence entre deux réglages.
Le SX, un partenaire fidèle
Pour se mettre dans une situation d’écoute, on ouvre une session dans notre logiciel de MAO, Pro Tools en l’occurrence. On suit les instructions de Steven Slate et on commence par importer des mixes que l’on connaît bien, certains sont les nôtres et d’autres sont des masters de morceaux qui nous servent de référence autant en studio qu’en live.
Le casque est compact, mais il englobe bien les oreilles, il est finalement assez léger, confortable, et on finit par l’oublier rapidement. Une fois le plugin inséré sur le master d’écoute dédié au casque, on rentre les premiers chiffres du numéro de série de notre exemplaire afin que celui-ci implémente un fichier de calibration. L’image se précise drastiquement, les basses sont profondes mais découpées, la stéréo est large et une belle profondeur se dégage sans pour autant faire ressentir de bosse flatteuse dans le haut du spectre.
On ressent donc une linéarité particulièrement étonnante et équilibrée, ça tombe plutôt bien parce qu’on vient de découvrir le preset HD-LINEAR 1. Un deuxième preset linéaire existe (le HD LINEAR 2) et se démarque par une légère différence dans les mediums. On restera sur le premier preset comme écoute de référence sur laquelle basculer à chaque fois que l’on voudra contourner un réglage d’émulation de studio, car il est bien stipulé que le plugin va baisser drastiquement le niveau d’écoute et qu’il ne faut en aucun cas l’éteindre mais utiliser le bouton “level match bypass”, qui va préserver le niveau d’écoute et nous ramener à notre écoute linéaire.
Slate nous explique que cette perte de volume est due au fait que certaines réflexions dans différents environnements sonores augmentent certaines fréquences et transitoires, c’est donc une précaution pour éviter tout risque de saturation numérique en sortie de plugin. La marque nous recommande d’adapter un réglage « ear profile » à notre largeur d’oreille. On part du principe que notre largeur d’oreille est standard et on ne touche pas à ce paramètre dans un premier temps.
Top Modélisation ?
Avançons un peu, et rentrons dans le vif des émulations. On commence par les modélisations de casques, et on est assez stupéfait de la proximité des écoutes en les comparant à nos DT770 et nos earpods réels. La balance tonale est en effet très similaire et les seules différences notables résident dans la forme des casques modélisés, ainsi que dans le volume d’écoute de sortie de plugin. On doit ainsi adapter nos niveaux de sortie respectifs pour pouvoir comparer à niveau égal.
Place aux émulations d’environnement studio. On file donc dans la cabine de mix de notre cher Steven, et on continue de suivre les instructions de Mr Slate à la lettre en enclenchant le mode qui nous permet d’avoir deux secondes de repos auditif entre deux environnements acoustiques différents, ce qui nous paraît être une bien bonne idée.
L’écoute de proximité est Mono (un bon vieux MixCube), mais on se rend vite compte que le vu-mètre de notre master n’est lui pas totalement Mono, les réflexions de la pièce sont donc précisément émulées et sont retranscrites en une légère différence entre l’oreille droite et la gauche. L’illusion est assez bluffante.
La paire de Barefoot MM27 ici utilisée en écoute moyenne nous procure une belle sensation de profondeur, très précise et dentelée dans le haut du spectre et assez généreuse dans le bas. L’image stéréo est néanmoins plus resserrée que dans le mode linéaire, ce qui corrobore le fait que les réflexions de chaque côté sont aussi captées par le côté opposé, mais avec un peu de retard, moins de transitoires et d’aigus, et un aspect un peu plus mouillé. C’est ce que nos cousins anglophones appellent le “crossfeed”. L’image sonore est encore une fois bien travaillée et particulièrement réaliste, par rapport à ce que nous avons pu percevoir de notre seul point de comparaison potentiel que pourraient être les Focal Twin6 (ce sont deux paires de 2 voies et demie, et nous avons eu l’occasion de tester les Focal récemment au studio).
Concernant les écoutes clients “far field” PMC IB1S, en fermant les yeux on ressent un écartement des enceintes plus important, qui correspond à leur emplacement réel. On entend encore plus la pièce qui travaille qu’avec les “mid field”, notamment dans les médiums et les graves, ce qui nous amène à essayer le bouton de « depth », qui consiste à réduire ou accentuer l’effet de profondeur de la pièce. Ayant envie de regagner un peu de précision et de clarté, on diminue drastiquement cette profondeur de champ et on regagne automatiquement en précision dans les fréquences concernées. En accentuant cette profondeur, on ramène beaucoup de bas médium dans les extrêmes latéraux (ce que nous percevons aux extérieurs de la stéréo). C’est assez perturbant de réalisme, comme si on modulait l’absorption des panneaux acoustiques latéraux avec un simple potentiomètre, même si encore une fois nous ne sommes pas dans la « private room » de Mr Slate pour pouvoir comparer. Ce réglage nous paraît agréable et intéressant et nous l’enregistrons dans le « fav 5 », qui nous permettra d’y revenir d’un simple clic.
On change de studio pour aller au Sonoma, et son ambiance boisée, épurée et chaleureuse. Le son est de suite plus sec, avec moins de réverbération, notamment sur la paire d’enceintes de proximité ProAc Studio100, on sent qu’il y a moins de projection, que les deux voies descendent moins grave dans le sub. On rajoute un peu de profondeur afin de gagner un peu de réflexion, mais on manque toujours un peu de grave, ce qui nous permet d’aller toucher au petit module d’égalisation présenté comme léger par la marque. Ce n’est pas cranté, ni chiffré, on va donc devoir faire travailler nos oreilles, pour notre plus grand plaisir. On sent que le grave que l’on rajoute ne va pas inventer des sub harmoniques que cette paire d’enceintes ne sait pas générer, mais juste un soupçon d’assise, et c’est encore une fois assez réaliste et bien senti. En passant sur les Amphion Two18, on rappelle le niveau nominal de notre grave mais on a envie d’aller chercher un peu plus de présence, on teste donc les autres bandes de fréquences qui répondent à leur tour de manière cohérente, mesurée et musicale.
Cars and Clubs
Pour ce qui concerne les environnements automobiles ou de clubbing, nous n’y avons pas particulièrement trouvé d’intérêt. N’étant pas particulièrement experts en mastering et travaillant avec des professionnels de ce domaine, nous sommes tout à fait au clair sur le fait que nos mixes ne sonnent pas sur un système son de voiture, d’autant que nous ne possédons pas de puissant SUV. Et concernant le club, il y a autant de systèmes son et d’acoustiques différentes que de clubs dans le monde. On imagine qu’il peut y avoir un enjeu sur le contrôle des subs et de certaines dynamiques, mais nous n’allons jamais mixer au casque à un niveau qui nous permettra d’anticiper ces problèmes, ainsi que le taux de remplissage du club quand l’heure de notre set viendra.
IN SITU
Nous avons profité de cette période de test pour mettre le casque à l’épreuve sur deux mixes pour le compositeur de musique de film Maxime Hervé. Le premier très orchestral pour une bande-annonce de jeu vidéo, et un autre plus acoustique pour la BO d’un court métrage. L’expérience était plutôt concluante, et le résultat très satisfaisant, tant dans le contrôle de la balance tonale, que dans la profondeur du mix ou dans la spatialisation des éléments et des effets. Après une journée pleine à travailler avec le casque, le confort de celui-ci ainsi que sa linéarité ont été pleinement validés. Même si quelques doutes persistent sur certaines fonctionnalités du produit, nous sommes donc plutôt très convaincus par le cas VSX.