Partie essentielle de nos instruments « électriques », les micros sont entourés d’une aura de mystère, de nombreuses rumeurs et gris-gris. Pour certains, le bois et la lutherie de l’instrument font l’essentiel (vibrations des cordes transmises dans le corps et le manche) et les micros ne font que capter ces vibrations et les retransmettre plus ou moins fidèlement. Pour d’autres, la coloration du circuit électronique est majeure et sur un instrument dit « solid body », la part du bois est minime.
Des tests innombrables tendent à prouver l’un ou l’autre, depuis les différences fondamentales qu’il y a entre un corps en frêne ou aulne sur un instrument de type Fender, jusqu’aux tests de micros montés sur un instrument en contreplaqué Ikea… Dans cette série d’articles, nous nous efforcerons de… ne rien démontrer du tout au sujet de ce débat, mais plutôt de vous apporter quelques éléments techniques sur les micros en tant qu’objets, notamment leur construction et fonctionnement. Chacun de ces éléments, pris individuellement, est important pour le rendu final. Dans quelle proportion ? Impossible de le savoir, et c’est de toute façon tellement subjectif…
Principe général de construction et de fonctionnement des micros magnétiques
Les micros magnétiques montés sur les instruments électriques (guitare ou basse, ou même piano électrique type Fender Rhodes) fonctionnent selon un principe assez simple. À la base du dispositif, il y a un (ou plusieurs) aimant(s), qui génère(nt) un champ magnétique. Cet aimant est entouré d’une bobine de fil conducteur, avec deux fils en sortie (dont l’un est une masse, c’est à dire une connexion à un point de référence de valeur nulle, et l’autre appelé « point chaud »). L’ensemble du dispositif aimant + bobine émet un champ magnétique au-dessus de sa surface. Au repos, la valeur de ce champ magnétique est fixe.
La corde (fabriquée dans un matériau sensible au magnétisme, d’où l’incompatibilité des cordes en boyau ou nylon sur un instrument électrique) passe dans le champ magnétique. Lorsque la corde est jouée, elle oscille avec une vibration (dont la fréquence se mesure en Hertz) qui dépend de la masse de la corde et de la longueur de la partie qui vibre. Ces deux paramètres déterminent la fréquence de vibration de la corde et donc la note (une note de musique est une vibration de l’air à une fréquence donnée, par exemple le La de référence est à 440 Hertz).
Le mouvement de la corde dans le champ magnétique perturbe celui-ci, cette perturbation génère une différence de potentiel électrique entre les deux extrémités de la bobine qui entoure l’aimant (force électromotrice, selon la loi de Lenz-Faraday) et donc un courant dans la bobine (un courant électrique, en très simplifié et généralisé, est une différence de potentiel entre deux points connectés entre eux). Cette faculté qu’a une bobine de convertir une perturbation de champ magnétique en courant électrique (ou réciproquement) s’appelle l’inductance, elle se mesure en Henry (H).
À ce stade, le courant électrique est très faible, de l’ordre de quelques dizaines de millivolts. Le point intéressant, c’est que la valeur de ce courant (intensité et tension) est proportionnelle à la valeur de la perturbation du champ magnétique (selon une loi qui s’écrit avec une horrible équation mathématique que je vous épargne), et que cette perturbation magnétique est elle-même proportionnelle à la fréquence de vibration de la corde (selon une autre loi tout aussi horrible pour qui n’aime pas les maths).
Avec ce dispositif simple, dont les fondamentaux théoriques datent du XIXe siècle, on a donc inventé un moyen de convertir le mouvement d’une corde en matériau métallique, en une variation de courant électrique mesurable et proportionnelle au mouvement de départ de la corde.
Saluons ici les inventeurs en question : à partir d’un premier brevet en 1909 et diverses tentatives dépourvues de succès (par exemple la marque Stromberg-Voisinet en 1928, qui n’a jamais décollé, car s’ils avaient les guitares avec micros, en revanche il manquait les amplis dignes de ce nom…), c’est Paul Tutmac qui équipe une guitare hawaïenne de chez Rickenbacker en 1932, tandis qu’en 1936, Gibson, après plusieurs prototypes bizarroïdes, commercialise une guitare de type archtop montée avec un micro signé de Walter Fuller, et adoptée par le guitariste Charlie Christian qui laisse son nom au modèle de micros et de guitare.
Cette technologie est donc différente de celle d’un microphone qui capte un son, c’est-à-dire une variation de pression de l’air ambiant. Pour cette raison, l’appellation en anglais est « pickup » ce qui correspond au mot français « capteur », tandis qu’un microphone en anglais se dit « microphone » (avec l’accent ça fait « maï-kro-fonn »). En français, c’est un abus de langage d’appeler « micro » les micros d’une guitare électrique !
Notons ici tout de suite les défauts du procédé, sur lesquels nous reviendrons ensuite pour voir comment on tente de les résoudre :
- sensibilité aux parasites électromagnétiques : un dispositif basé sur de très faibles variations d’un champ magnétique est éminemment sensible aux perturbations magnétiques d’origine extérieure. Les ondes provenant des tubes cathodiques, des signaux de la radio et de la télévision hertzienne, ou WiFi plus récemment, sont autant de bruits de fond susceptibles d’être captés involontairement par les micros et se traduire en bouillie de fréquences par-dessus le signal de la guitare.
- sensibilité aux parasites sur le courant électrique : le signal transporté par le câble sortant de la guitare est d’un voltage et d’une intensité très faible, ce qui le rend vulnérable aux interférences électriques, à commencer par le « bruit de fond » électrique dû à une mauvaise isolation par rapport au courant d’alimentation général qui est un courant alternatif : en Europe c’est du 220 Volts et la fréquence est 50 Hz, aux États-Unis c’est du 110 Volts et du 60 Hz. Dans un cas comme dans l’autre, malheureusement une oscillation à 50 Hz ou 60 Hz correspond à une fréquence audible (aux environs d’un La d’une basse électrique qui est à 55 Hz). Si ce signal se superpose malencontreusement au signal sortant de la guitare (par exemple en raison d’une masse mal raccordée quelque part dans le circuit), vous aurez un joli ronronnement dans les graves par-dessus le son de votre instrument.
Par ailleurs, aucun dispositif électrique n’étant aussi parfait dans la vraie vie que le voudrait la loi mathématique qui le décrit, le nombre de tours de fil (ou spires) des bobines est loin d’être négligeable, et l’accumulation de ces tours finit par générer une capacitance, c’est-à-dire une accumulation de charge électrique dans la bobine. L’ensemble du capteur aimant + bobine se comporte donc à la fois comme une source d’énergie et comme une résistance au passage du courant qu’il génère…
À partir du principe exposé ci-dessus, on peut explorer l’ensemble des évolutions de chacun des composants pris individuellement. Affaire à suivre !