Si les guitares avec 7 ou 8 cordes sont aujourd’hui monnaie courante, une caractéristique originale s’impose petit à petit sur ce type d’instrument : le multi-diapason. Récemment, c’est Cort qui s’est lancé dans la danse avec la KX500FF, une guitare 7 cordes au rapport qualité/prix alléchant sur le papier. Nous l’avons testée.
La recherche de sonorités toujours plus graves et puissantes, notamment dans la musique métal, a poussé de nombreux guitaristes à ajouter une 7e corde, voire une 8e corde à leur instrument. Vous l’aurez compris, ces cordes supplémentaires sont ajoutées dans les graves, et il n’est alors plus nécessaire d’avoir recours à des « drop » pour pratiquer des musiques plus ou moins extrêmes. Cependant, un problème s’est rapidement posé : les cordes épaisses et graves nécessitent une tension importante pour garder leur rigidité et produire des sons précis. Le diapason d’une guitare étant l’élément idéal sur lequel agir lorsqu’on souhaite travailler la tension des cordes, diverses solutions impliquant une modification du diapason existent.
Nous l’avons vu, lorsqu’on souhaite un son d’une précision chirurgicale dans les graves, le diapason classique d’une guitare, qu’il soit de 24.75" (façon Gibson) ou 25.5" (façon Fender), ne permet pas te tendre suffisamment les cordes. Il faut donc allonger le diapason pour que la tension soit plus importante ! C’est par exemple le principe des guitares barytons qui, aujourd’hui, sont courantes dans le rock et le métal, car leur diapason plus long facilite la vie avec des accords « drop ». Mais cela entraîne un autre problème : les cordes les plus aiguës subissent, elles aussi, une tension plus importante, et il devient difficile de jouer avec aisance dans les aigus tant les cordes sont dures. L’idéal serait donc d’avoir un diapason long dans les graves, et plus court dans les aigus, pour que la tension supplémentaire souhaitée s’applique uniquement aux cordes qui le nécessitent réellement. C’est la fonction du multi-diapason, ou multi-scale en anglais.
Une corde en plus et des frettes de traviole !
Les guitares multi-diapason ont un chevalet et un sillet de tête inclinés. De ce fait, la longueur de corde n’est pas la même tout le long du manche : plus on va vers les aigus, plus elle se réduit. Dans le cas de notre Cort KX500FF, le diapason est de 27" au niveau de la corde de Si grave (la 7e corde), et de 25.5" au niveau du Mi aigu. L’équilibre général de la guitare étant modifié, les micros sont aussi placés de manière inclinée, et, pour assurer une bonne intonation, les frettes sont placées « en éventail ». Cette technique d’incrustation des frettes, appelée fanned fret en anglais, consiste à plus ou moins incliner les frettes le long de la touche. Dans les premières cases, les frettes sont très penchées, puis elles se redressent de plus en plus, jusqu’à être complètement perpendiculaires à l’axe du manche au niveau de la 9e case. Elles s’inclinent à nouveau et de plus en plus sur le reste de la touche, à la manière d’un éventail !
En déballant la KX500FF, nous nous sommes demandé si nous allions être capables de jouer de cet instrument diabolique : l’inclinaison des frettes fait littéralement peur, tant l’aspect visuel déstabilise. Pourtant, la prise en main s’avère étonnement naturelle ! L’inclinaison est en fait réellement prononcée uniquement au niveau des toutes premières cases. Il faut un petit temps d’adaptation avant de jouer des solos, mais ce type de jeu est plus courant vers le haut du manche, là où l’inclinaison est moins prononcée. En ce qui concerne les accords, il suffit de les plaquer de manière très classique. Aucune différence n’est perceptible et, au bout de 30 minutes de jeu, nous avions complètement oublié que les frettes n’étaient pas conventionnelles.
L’adaptation à la 7e corde nous a posé un peu plus de problèmes, en particulier au niveau de la main gauche. Les repères spatiaux sont différents, et l’on attaque souvent la corde de Si grave au lieu de la corde de Mi grave, oubliant ainsi que la première corde en partant du haut du manche n’est plus celle à laquelle nous sommes habitués. On n’élimine pas des années de pratique avec 6 cordes comme cela… En dehors de cet aspect, la 7e corde ne change pas nos habitudes. Par exemple, il est possible de faire des powerchords particulièrement puissants, ou bien de désaccorder le Si vers un La pour s’amuser en Drop A. Différents accordages sont possible, et l’on peut aussi accorder la corde de Sol en Fa# pour jouer les mêmes positions que d’habitude sur les 6 cordes les plus graves. Jouer une guitare avec 7 cordes est une expérience vraiment intéressante : c’est une autre façon d’appréhender l’instrument, le territoire est à la fois connu est inconnu. Mais revenons-en à notre Cort KX500FF, et notamment à sa lutherie.
Déséquilibre
La KX500FF fait partie de la gamme KX de Cort. Il s’agit du tout premier instrument multi-diapason de la marque, et cette dernière a été très ambitieuse. En effet, les caractéristiques de la guitare sont clairement haut de gamme, pour un tarif d’un peu moins de 800 euros. Jugez plutôt :
- Corps en frêne des marais
- Table en loupe de peuplier
- Manche vissé en 5 pièces d’érable et d’amarante, binding noir
- Touche en ébène de Macassar, radius de 15.75”, 24 frettes en éventail
- Diapason de 25.5 à 27”
- Mécaniques bloquantes
- Chevalet fixe avec cordes traversantes
- Deux micros actifs EMG 707
- Un contrôle de volume, un contrôle de tonalité, un sélecteur 3 positions
- Cordes et tirant d’origine : D’Addario YB EXL 110 & NW059
- Fabriquée en Indonésie
Au premier regard la KX500FF détonne. Il y a bien sûr cette septième corde et ces frettes dont nous avons déjà parlées, mais même la finition est étrange. Si les courbes de la guitare et sa prise en main séduisent certainement, le choix des couleurs et le revêtement mate pour lequel Cort a opté diviseront à coup sûr. La table en loupe de peuplier est mise en avant par des finitions Star Dust Green et Star Dust Black ostentatoires. C’est une guitare métal, et il faut que ça se sache ! Malheureusement, Cort ne réussit pas vraiment son coup, notamment à cause du revêtement mate qui fait un peu bon marché. De plus, certaines finitions ne sont pas au niveau d’un instrument à 800 euros. Les incrustations à l’arrière du manche ne sont pas toujours régulières, la jonction du bookmatched au niveau de la table n’est pas propre du tout, et la finition « bave » au niveau de la tête. Certaines découpes au niveau du talon ou de la tête ne sont pas parfaitement aiguisées. Bref, Cort a mis le paquet sur les bois, les micros et l’accastillage, mais aux dépens de certaines finitions élémentaires.
Ces critiques ne doivent pas éclipser les qualités de la KX500FF. La guitare est très ergonomique, elle épouse bien les formes du corps, et elle est équilibrée aussi bien en position assise que debout. Les quelques découpes à l’arrière du corps sont bienvenues, même si une découpe pour le bras au niveau de la table aurait été un plus. L’accès aux aigus est globalement bon, car le talon n’est pas excessivement proéminent. Toutefois, Cort aurait pu s’inspirer d’Ibanez en sculptant son talon de façon à ce que la main l’épouse pleinement lorsqu’il faut atteindre les toutes dernières cases. En parlant du talon, le manche est très peu épais, satiné, on éprouve un grand plaisir à le parcourir. La touche est large, car il y a 7 cordes, mais c’est étonnement jouable. Elle est belle, très plate, et les glissés s’effectuent sans problème. C’est cette fois un sans-faute !
Nous avons aussi beaucoup apprécié les potards de volume et de tonalité. Ils sont très accessibles, et facilement manipulables. Il est par exemple facile de jouer avec le volume de la guitare pour créer un effet trémolo. Quant aux mécaniques, elles sont plutôt précises et la guitare tient bien l’accord pour un instrument qui a voyagé.
Does it djent ?
Écoutons notre guitare ! Tous les extraits ont été enregistrés avec un Kemper Profiler branché dans une interface Focusrite Scarlett 2i2 de seconde génération. Nous avons utilisé différentes modélisations en fonction du type de son souhaité, et vous trouverez le nom de l’ampli simulé dans la description de l’exemple sonore. Le tout premier extrait donne une idée du rendu de la KX500FF dans un contexte d’enregistrement. Nous avons ajouté une batterie et doublé les guitares. Les autres extraits sont bruts.
- 1 – Micro chevalet HG – Diezel Hagen (guitares doublées + batterie)00:59
- 2 – Micro chevalet Clean – Fender Twin Reverb01:21
- 3 – Position intermédiaire Clean – Fender Twin Reverb01:24
- 4 – Micro manche Clean – Fender Twin Reverb02:43
- 5 – Micro chevalet Crunch – JCM 80001:58
- 6 – Position intermédiaire Crunch – JCM 80001:13
- 7 – Micro manche Crunch – JCM 80001:44
- 8 – Micro chevalet HG – EVH 5150 III01:04
- 9 – Position intermédiaire HG – EVH 5150 III01:04
- 10 – Micro manche HG – EVH 5150 III01:02
D’emblée, la guitare marque par sa résonance à vide. Le corps vibre et l’instrument est plaisant à jouer, même lorsqu’il n’est pas branché.
La 7e corde est souvent associée au métal, mais on peut faire de très jolie chose en sons clairs et dans d’autres styles. La corde plus grave permet d’étendre le spectre des sonorités de la guitare et de renforcer les basses sur de jolis arpèges, avec des accords ouverts, etc. Bien entendu, c’est avant tout sur les rythmiques extrêmes que l’instrument prend vraiment son ampleur ! À propos d’ampleur, le micro chevalet EMG 707 manque justement un peu d’épaisseur en son clair, mais fait des miracles en sons saturés grâce à son tranchant. Pour les sons clairs, il faudra donc plutôt privilégier le micro manche ou la position intermédiaire. Le micro manche gonfle tout de suite le son grâce à ses graves, et offre de la dynamique et même du claquant en son clair. Le résultat manque d’aigu à notre goût pour qu’il soit bien utile avec des grosses saturations, mais vous pourrez quand même produire des riffs définis. Si l’on souhaite un son épais tout en pouvant percer un mix, la position intermédiaire est plus appropriée, notamment en son clair. À l’inverse, elle a moins d’intérêt avec les saturations.
La KX500FF nous a donc séduits au niveau sonore, bien que certaines limites se font ressentir. Déjà, pour des registres « crunchy » subtils, on n’y est pas ! La guitare n’est clairement pas faite pour ça, et on ne peut pas le lui reprocher. Si vous achetez cet instrument, vous savez à quoi vous attendre : un son précis, clair, articulé et très moderne. En réalité, c’est surtout la tension de la 7e corde qui nous a interrogées.
En effet, nous n’avons pas ressenti tous les bénéfices du multi-diapason. Si la définition et l’aspect « punchy » de la guitare étaient là avec la 7e corde accordée en Si, le passage en drop A nous a convaincus que les cordes les plus graves mériteraient d’être plus tendues. Un tirant supérieur résoudrait le problème, mais les cordes aiguës étaient déjà suffisamment rigides à notre goût. Il faudrait donc opter pour un tirant hybride.
Conclusion
La Cort KX500FF est le résultat d’un parti pris étonnant. Si la qualité des bois, des micros, et de l’ergonomie est indiscutable, certaines finitions nous ont beaucoup déçus. Finalement, nous aurions parfaitement accepté des caractéristiques plus raisonnables si un plus grand soin avait été apporté à la réalisation de la guitare. Pour autant, le pari de Cort nous semble tenu. La guitare sonne bien et sa jouabilité est excellente.
Surtout, la KX500FF est l’unique offre de son genre à l’heure actuelle. Des marques comme Chapman Guitars ou Solar Guitars, qui sont des marques en vogue, ne proposent pas de modèles multi-diapason. Quant à Schecter, il ne propose qu’un modèle, qui coûte plus de 1400 euros. Chez Jackson, les tarifs débutent dès 600 euros, mais les caractéristiques sont clairement moins haut de gamme (les bois sont plus courants, pas de mécaniques bloquantes, etc.) même sur les modèles à 800 euros. Il en va de même chez Ibanez, qui propose des instruments dès 400 €, mais dont les modèles autour de 800 ont des caractéristiques qui ne rivalisent pas avec la Cort, notamment au niveau du choix des bois. À l’inverse, il est probable que les finitions soient plus travaillées chez ces marques.
La KX500FF marque donc l’arrivée de Cort dans le multi-diapason, et la démarche est honorable bien qu’imparfaite. L’offre en multi-diapason est encore rare sur le marché des instruments, et on espère la sortie très prochainement de modèles Cort avec autant de qualités, mais plus équilibrés.