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Pédago
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Comprendre nos oreilles - La Loudness War, 4e partie

Suite de notre dossier sur le volume, en nous attardant cette fois-ci sur nos petites esgourdes.

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Qu’avons-nous entendu la dernière fois ? Quelque chose d’in­sup­por­ta­ble… Le résul­tat d’une course au volume initiée au début des années 90, grâce aux possi­bi­li­tés offertes par l’au­dio­nu­mé­rique en termes de compres­sion dyna­mique et d’usage inten­sif de limi­teurs, résul­tant en un volume moyen bien plus élevé que celui d’un morceau dont on aurait gardé la dyna­mique d’ori­gine. Et ce contre la musique, donc, et contre notre système audi­tif (oui, je sais, je me répète). 

Et pourquoi ? Tout simple­ment pour que le son soit fort même si l’on écoute à faible volume (hein ?). En dehors de cet évident para­doxe, si l’on veut écou­ter fort, on dispose d’un outil extrê­me­ment sophis­tiqué, à la mise en route extrê­me­ment complexe, deman­dant des années de pratique : j’ai nommé… le bouton de volume du système d’écoute !

Avant d’abor­der les possibles causes de cette course (si tant est que l’on puisse y voir une quel­conque ratio­na­lité), commençons par parler de notre oreille. Outil formi­dable, tota­le­ment méconnu de, et maltraité par, la plupart d’entre nous. Je ne rentre­rai pas dans les défi­ni­tions médi­cales, physiques et physio­lo­giques. Mais notre oreille est réel­le­ment formi­dable : durant toute l’évo­lu­tion humaine, elle s’est spécia­li­sée dans la recon­nais­sance de la parole ; l’homme étant devenu un animal sociable, le prin­ci­pal souci de notre système audi­tif a été de faci­li­ter la compré­hen­sion de son inter­lo­cu­teur. 

Comprendre

Il se trouve que les fréquences fonda­men­tales pour la discri­mi­na­tion de la parole (compré­hen­sion des mots) sont concen­trées dans les fréquences médiums (entre 200 et 5000 Hz, en moyenne). Figu­rez-vous que l’oreille agit comme un filtre en fonc­tion du volume global : plus ce dernier est faible, et plus l’oreille « coupe » les fréquences graves et aiguës afin de privi­lé­gier les médiums.

Loudness War

Faites le test : sur votre système d’écoute, lisez une chan­son bien produite (je me sers pour ces démons­tra­tions de produc­tions du type Steely Dan, ou d’un autre titre de pop West Coast des années 80) et deman­dez à quelqu’un (afin de garder la distance avec vos enceintes) de bais­ser progres­si­ve­ment et assez lente­ment le volume d’écoute (ou placez le morceau dans votre STAN préfé­rée et effec­tuez une auto­ma­tion de volume linéaire et lente). Vous devriez litté­ra­le­ment entendre des effets de palier, pendant lesquelles la voix vous paraît rester au-dessus alors que la musique vous semble bais­ser. Cela peut néces­si­ter plusieurs écoutes, mais persé­vé­rez. Et si vous conti­nuez à entendre d’autres instru­ments, c’est tout simple­ment que leurs fréquences sont aussi concen­trées dans le médium.

Ce phéno­mène est parfai­te­ment connu (via les courbes isoso­niques, contro­ver­sées suivant les époques…), et sert notam­ment à cali­brer les cabines d’écoute à un certain volume de réfé­rence, censé être le plus linéaire en termes de percep­tion des fréquences. Une appli­ca­tion aussi connue est le réglage Loud­ness que l’on trou­vait naguère sur toutes les chaînes hi-fi, qui permet­tait de rajou­ter les graves et aigus manquants à faible écoute, et qu’il fallait bien entendu désac­ti­ver lorsque l’on remon­tait le volume. 

Résu­mons : il est tout à fait normal d’en­tendre moins d’ai­gus et de graves à faible volume (on y revien­dra).

Nos oreilles

Loudness War

Autre phéno­mène parti­cu­lier : vous l’au­rez constaté, nos oreilles ne disposent pas de l’équi­valent de paupières. Il est donc diffi­cile pour elles de se proté­ger contre toute agres­sion sonore externe. Pour­tant, ce qu’elles encaissent natu­rel­le­ment est impres­sion­nant (le rapport d’in­ten­sité entre les sons les plus faibles et les plus forts audibles est de… mille milliards !). Et, par chance, elles sont plus sensibles aux varia­tions du volume moyen qu’aux tran­si­toires. Encore heureux, parce que la diffé­rence entre les deux peut être telle­ment grande que sans cette capa­cité, nous serions obli­gés de nous boucher les oreilles à chaque son percus­sif. À l’in­verse, enle­vez les tran­si­toires d’un morceau, et l’oreille vous dira immé­dia­te­ment que votre son est mou, sans dyna­mique, sans pêche.

L’oreille dispose cepen­dant d’un système de protec­tion très perfor­mant, mais hélas aussi très sensible, et non conçu pour de grandes durées (préci­sons qu’il est très rare que des sons longs et forts soient produits dans la nature, ils sont quasi systé­ma­tique­ment le résul­tat de l’évo­lu­tion indus­trielle). Il s’agit du réflexe stapé­dien, exercé sur un muscle de l’oreille interne (muscu­lus stape­dius, en latin, et pas de cuisine), le plus petit de tout le corps humain (un peu plus d’un milli­mè­tre…), qui, entre autres, atté­nue les trop fortes pres­sions acous­tiques pendant un temps donné (il y a cepen­dant une latence dans le déclen­che­ment du réflexe, d’à peu près 90 ms, le temps, hélas de lais­ser passer des crêtes fortes). 

Ses capa­ci­tés d’at­té­nua­tion peuvent ainsi durer un quart d’heure pour un volume de 100 dB, et seule­ment quelques secondes pour un volume de 120 dB, avant que l’oreille ne soit défi­ni­ti­ve­ment abîmée. 

Loudness War

Pour rappel, la norme actuelle défi­nis­sant la durée suppor­table d’un volume sonore au travail est de 80 dB (A) pendant huit heures. Le (A) accolé à dB corres­pond à une pondé­ra­tion (pondé­ra­tion A de la norme CEI 61672–1), une tenta­tive de repro­duc­tion de la réponse moyenne en fréquences de l’oreille humaine, pour chaque bande de fréquences. Toute mesure effec­tuée avec cette pondé­ra­tion sera donc consi­dé­rée comme reflé­tant la façon dont la plupart des oreilles humaines aurait perçu le son mesuré.

Regar­dons le tableau suivant, qui indique clai­re­ment le temps maxi­mum pendant lequel vous pouvez suppor­ter un volume déter­miné (la règle est simple, dimi­nu­tion de moitié du temps à chaque augmen­ta­tion de 3 dB). Il existe des appli­ca­tions très perfor­mantes pour smart­phones (Alpine, pour n’en citer qu’une, gratuite), et évidem­ment vous pouvez aussi utili­ser des déci­bel­mètres ou sono­mètres profes­sion­nels, et il faut prendre l’ha­bi­tude de mesu­rer régu­liè­re­ment le bruit autour de vous, et d’ef­fec­tuer des audio­grammes complets (à faire faire par un profes­sion­nel) si vous tenez à garder le plus long­temps possible votre prin­ci­pal outil de travail : vos oreilles. 

Tableau d’une Expo­si­tion (au volume)

Niveau sonore en dB (A)

Durée d’ex­po­si­tion maxi­male

80

8 h

83

4 h

86

2 h

89

1 h

92

30 mn

95

15 mn

98

7 mn 30 s

101

225 s

104

112,5 s

107

56,2 s

110

28,1 s

113

14 s

116

7 s

119

3,5 s

122

1,7 s

 

Loudness War

Petite ques­tion pour en finir avec cette quatrième partie : qu’est-ce qui fait subir tous les jours à des milliers de personnes un balayage de fréquences comprises entre 3000 et 7000 Hz, à un volume compris entre 100 et 103 dB (A) durant deux à trois secondes, sans qu’elles ne réagissent ?

 

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