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Pédago
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Métro, radio : bobo - La Loudness War, 5e partie

Suite de notre dossier sur le volume, ses conséquences sur la musique, le son et nos oreilles.

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Fran­ci­liens, vous souve­nez-vous de cette publi­cité placar­dée naguère sur les murs du métro et des bus d’Île-de-France ?

La Loudness War

 

Cette pub m’a fait réagir dès sa publi­ca­tion. D’abord parce que je ne connais pas beau­coup de personnes capables de tenir une conver­sa­tion via un portable à 86 dB en continu. Les commer­ciaux de la RATP et les pubards à l’œuvre pour cette affiche ont-ils seule­ment conscience de ce que repré­sente un son à un tel volume ? Mais ça fait bien de placer un terme tech­nique, non ? Ensuite, parce que la réponse à la ques­tion finale du précé­dent article, les utili­sa­teurs, les clients, les usagers de la ligne 2 (Nation-Porte Dauphine, voire l’in­ver­se…) la connaissent (et vous aussi main­te­nant). 

Notre bonne régie auto­nome fait donc d’un côté la leçon sur la conver­sa­tion (un problème de civi­lité, qui existe, qui est très pénible, certes, mais l’on peut douter de l’ef­fi­ca­cité de la méthode rete­nue) et de l’autre tue litté­ra­le­ment les oreilles présentes sur les quais à l’ar­ri­vée des trains, via les cris­se­ments épou­van­tables des freins (revoyez les chiffres dans le précé­dent article). Pour­tant, ce qui, à mon sens, est le plus drama­tique, c’est que je ne vois que très rare­ment les gens se proté­ger de ces bruits, avec les mains, des bouchons ou un casque. Mais oui, un casque intra-auri­cu­laire protè­gera vos oreilles de ces freins de l’en­fer, en atté­nuant suffi­sam­ment leur volume pour qu’il soit accep­table. Un circum-aural et d’autres types de casques aussi, bien sûr. À condi­tion de ne pas envoyer un volume encore plus domma­geable dans vos conduits audi­tifs. 

La Loudness War

Prenons un simple exemple avant de déve­lop­per plus tard le sujet : vous souhai­tez écou­ter une musique ayant 20 dB de dyna­mic range (si, si, ça existe enco­re…) dans le métro, avec un casque ne propo­sant pas d’an­nu­la­tion du signal ambiant (on revien­dra sur le sujet). Savez-vous que la plupart du temps, le volume moyen dans un wagon (surtout les lignes les plus anciennes) est compris dans une four­chette de 80 à 85 dB ? Si vous souhai­tez écou­ter votre musique au casque, et en parti­cu­lier ses nuances les plus faibles, il va falloir être plus fort que le bruit du métro, en rajou­tant du volume pour créer un effet de masquage (entre 6 et 10 dB). Faites les comptes : bruit de fond moyen + volume ajouté + niveau crête de votre musique. À combien arri­vez-vous ? Inquié­tant, non ?

Voici l’oc­ca­sion de parler des chan­ge­ments énormes appor­tés dans la façon dont nous écou­tons de la musique, et notam­ment en ce qui concerne l’écoute nomade, qui est une des causes de la course au volume.

Plus fort, nom de ?Ù∆$*∫√¢£ !

Un rappel des origines de ces chan­ge­ments de para­digme s’im­pose. On se souvient que la pratique de la compres­sion a commencé dans les radios (voir précé­dent article). Eh bien, la course au volume vient aussi des stations musi­cales.

La Loudness War

Dans son passion­nant livre Perfec­ting Sound Fore­ver (je recom­mande plutôt la version anglaise, la traduc­tion française montrant des lacunes et des inco­hé­rences, notam­ment au niveau des termes tech­niques), Greg Milner raconte comment, selon lui, tout a commencé en 1974 : Larry Berger, le direc­teur des programmes de la radio WPLJ (fondée en 1948, à ne pas confondre avec le tube « W-P-L-J » des Four Deuces, repris plus tard par Frank Zappa, qui lui signi­fie « White Port & Lemon Juice »), s’éton­nant du petit volume de sa station comparé à celui de ses concur­rentes, a eu l’idée d’uti­li­ser le DAP et ses fonc­tions de limi­teur-crête multi­bande (il s’agit d’un module créé par l’in­gé­nieur Mike Dorrough, le 310 DAP, le premier à propo­ser trois bandes sépa­rées de compres­sion) pour écra­ser tota­le­ment la dyna­mique du signal diffusé. 

Avec l’aide de Dorrough et de l’in­gé­nieur Bob Deutsch, ils ont telle­ment compressé « Benny And The Jets » d’El­ton John, leur premier test, que les aiguilles du VU-mètre ne bougeaient quasi­ment plus ! L’au­teur lui deman­dant s’il se rendait compte des problèmes créés, notam­ment en termes de fatigue audi­tive, Berger lui a rétorqué : « Naan, c’est des conne­ries ! [Nay, that’s bull­shit] ». On a, comment dire, l’en­vie d’être aussi poli et de lui répondre sur le même ton…

Et cheu nous ?

Voilà donc un premier coupable iden­ti­fié, en fait un duo de bouchers, puisque Dorrough a appa­rem­ment regretté son inter­ven­tion assez rapi­de­ment. Évidem­ment, la course au volume était lancée, et tout un chacun derrière sa console radio de trou­ver des astuces pour sonner plus fort que le voisin, allant d’as­sem­blages hété­ro­clites de proces­seurs jusqu’à la surmo­du­la­tion (en théo­rie, et selon la loi, inter­dite).

La Loudness War

Mais, me direz-vous, c’est bien beau tout ça, mais ça se passe aux USA ! Eh bien, il s’est passé exac­te­ment la même chose en France, peu de temps après l’ar­ri­vée des radios libres (1981–1982), époque bénie pour l’in­ven­ti­vité radio­pho­nique, ayant malheu­reu­se­ment dégé­néré : quoi de commun entre le NRJ de main­te­nant et les Carbone 14, Ici et Main­te­nant ou Radio Nova de l’époque ? Rien. Mais ça n’est pas le sujet (quoique). À l’époque, il a fallu mettre de l’ordre, les radios ayant très rapi­de­ment engagé une course à la puis­sance. Car, déjà, il fallait montrer qui était le patron (en termes de volume), prin­ci­pa­le­ment auprès des annon­ceurs, afin de collec­ter les plus grandes parts de la manne publi­ci­taire, trop divi­sée entre tous les impé­trants. Mais ça n’est pas le sujet (quoique).

Souve­nons aussi de quelque chose d’im­por­tant : dans les années 70–80, si la chaîne Hi-Fi commence à rentrer dans les foyers, elle reste rela­ti­ve­ment chère. La plupart des radios sont donc écou­tées non pas sur un tuner dernier cri et une chaîne à la hauteur, mais sur des postes (les tran­sis­tors…) de petits et moyens formats, dotés de haut-parleurs d’as­sez mauvaise qualité, et la plupart du temps mono. Le son impor­tait peu, alors, l’es­sen­tiel étant de pouvoir rece­voir son émis­sion préfé­rée. Les choses ont évolué, bien sûr, et la qualité des récep­teurs aussi. Mais l’on subit toujours le para­doxe déjà évoqué : des outils de plus en plus perfor­mants pour écou­ter/produire un son de qualité toujours décli­nan­te…

Actuel­le­ment, toutes les radios utilisent un « process antenne » qui donne un « son » parti­cu­lier, une signa­ture, même si la majo­rité de ces radios ne propose plus qu’une bouillie sonore surcom­pres­sée, sursa­tu­rée. Il reste encore quelques OVNIs, notam­ment parmi les radios de service public, qui évitent de trop trai­ter le signal émis (tout est rela­tif…). Faites le test : essayez d’écou­ter fort sur un bon système d’écoute, des radios comme NRJ, Skyrock, Ouï FM, RFM, RTL2 et compa­gnie…

Pour­tant, des choses bougent, notam­ment en ce qui concerne la diffu­sion via inter­net, chez YouTube ou iTunes et ses radios par exemple (on y revien­dra).

On commence un peu à comprendre ce qui a justi­fié cette course au volume, et l’as­pect nomade n’y est pas pour rien. Ah, excu­sez-moi, on sonne, je reviens…

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