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Pédago
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Tout le monde y passe

La Loudness War, 8e partie

Suite de notre dossier sur le volume, ses conséquences sur la musique, le son et nos oreilles.

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Les épisodes précé­dents nous permettent de donner une première raison à cette course au volume, qui est d’ordre commer­cial, et certai­ne­ment pas artis­tique. Mais il ne faut pas négli­ger l’autre raison fonda­men­tale de l’im­por­tance gran­dis­sante du phéno­mène de maste­ring tel qu’en­tendu actuel­le­ment, et non dans son accep­tion première : la géné­ra­li­sa­tion de l’au­dio­nu­mé­rique, et la possi­bi­lité offerte à tout un chacun de produire de la musique chez soi, avec une qualité parfois très éton­nante ; c’est d’au­tant plus facile si l’on travaille exclu­si­ve­ment « in the box », c’est-à-dire si l’on ne fait aucune prise de son, et que tous les sons proviennent de l’or­di­na­teur (biblio­thèques d’échan­tillons, synthé­ti­seurs, etc.).

Je ne m’en plain­drai certai­ne­ment pas, c’est une richesse immense, qui a permis à de nombreux artistes de s’ex­pri­mer en dehors du circuit délé­tère des maisons de disques et de leurs pratiques qui ont glissé d’une véri­table curio­sité artis­tique (quelqu’un se souvient-il de ce que veut dire « talent scout  » ?) à une démarche exclu­si­ve­ment tour­née vers le profit. 

Mix ou maste­ring ?

Mais cette pratique possible en dehors du circuit tradi­tion­nel a un sérieux corol­laire : il manquera toujours l’élé­ment permet­tant de fina­li­ser la musique ainsi produite, c’est-à-dire l’en­vi­ron­ne­ment acous­tique et maté­riel dans lequel on peut mixer sans subir tous les défauts de sa chambre, de son garage, de sa cave. Certes, il y a des excep­tions, et quelques artistes arrivent à s’en sortir parfai­te­ment. Mais ce sont des excep­tions…

Loudness War

La plupart du temps, le mix présen­tera de nombreuses erreurs dues aux carac­té­ris­tiques de la pièce, au manque de pratique et de connais­sances du musi­cien/compo­si­teur et au maté­riel utilisé (une paire de moni­teurs, fussent-ils d’ex­cel­lente qualité, ne rempla­cera jamais une cabine trai­tée et équi­pée de West­lake, par exemple). On est parfois effaré de décou­vrir que quelqu’un mixe dans une pièce de 10 m2, avec des enceintes surpuis­santes (pour la taille de la pièce) posées sur un bureau, collées au mur et avec un cais­son de basse…

Un des défauts récur­rents est la gestion des basses fréquences, la plupart des moni­teurs ne descen­dant pas assez bas pour qu’elles puissent être émises, sans comp­ter les problèmes (annu­la­tion, addi­tion) dus aux pièces non trai­tées, alors que la tendance est de mettre du bas partout. Et comme il faut beau­coup d’éner­gie pour que ces fréquences soient enten­dues, on rentre dans un cercle vicieux : on booste le bas, on le compresse car on atteint très rapi­de­ment le 0 dB, on remonte le reste car on aime bien quand ça « brille », mais du coup ça manque de graves donc on les remonte, mais il faut alors encore compres­ser, etc. 

Et c’est là, à mon avis, qu’est apparu un défaut de logique : conscients que leurs produc­tions ne sonnaient pas tout à fait comme celles du commerce (le tout est aussi de savoir quelles réfé­rences on prend…), les artistes les ont confiées à des ingé­nieurs de maste­ring afin que ces derniers les améliorent (il me semble qu’il n’y a aucune forma­tion et diplôme pour ce titre, alors que personne ne peut reven­diquer le titre d’in­gé­nieur du son sans en dispo­ser réel­le­ment…). Si un mix ne sonne pas, eh bien il semble logique de l’ap­por­ter à quelqu’un qui pourra refaire ce mix, non ? Donc à un studio de mixage, et non de maste­ring… 

Personne n’est épar­gné

Mais encore une fois, le phéno­mène touche tout le monde, indé­pen­dam­ment des esthé­tiques, ce n’est pas une ques­tion de géné­ra­tion, de style, de genre. Voici une série de captures d’écran de titres assez récents, du jazz à la chan­son, du rock FM à l’elec­tro, de la pop à la fusion, etc.

Il manque à cet ensemble la musique clas­sique (et contem­po­raine), pour l’ins­tant rela­ti­ve­ment épar­gnée, même si elle est confron­tée à d’autres problèmes, à savoir l’en­re­gis­tre­ment des œuvres petit bout par petit bout, passage par passage, au lieu de privi­lé­gier l’exé­cu­tion en continu et le son d’en­semble (le nombre de micros placés sur un orchestre est parfois hallu­ci­nant, avec tous les problèmes que cela suppo­se…). Ce n’est pas récent, pour preuve les quelques lignes consa­crées au phéno­mène dans le très inté­res­sant Dîner Avec Lenny : Le Dernier Long Entre­tien Avec Leonard Bern­stein de Jona­than Cott.

Bref. Retour à notre liste. 

Commençons par le groupe Anti­loops, avec le titre « Michelle », extrait de l’al­bum Elec­tro­shock, 2015. DR de 6 dB.

Loudness War

Aphex Twin, titre « Circlont6a », album Syro, 2014. DR de 3 dB.

Loudness War

Ben L’Oncle Soul, titre « Soul Man », album Ben L’Oncle Soul, 2010. DR de 7 dB.

Loudness War

Björk, titre « Mouth Mantra », album Vulni­cura, 2015. DR de 4 dB.

Loudness War

Daft Punk, titre « Get Lucky », album Random Access Memory, 2013. DR de 8 dB.

Loudness War

David Bowie, titre « I Took A Trip On A Gemini Space­ship », album Heathen, 2002. DR de 6 dB, clips inter­samples.

Loudness War

Depeche Mode, titre « Angel », album Delta Machine de 2013. DR de 4 dB.

Loudness War

Diana Krall, titre « Yeh Yeh », album Wall­flo­wer, 2015. DR de 7 dB, clips inter­samples.

Loudness War

Iamx, titre « Nature Of Invi­ting », album King­dom Of Welcome Addic­tion, 2013. DR de 4 dB.

Loudness War

Ibra­him Maalouf & Oxmo Puccino, titre « Simili Tortue », album Au Pays D’Ali­ce…, 2014. DR de 9 dB.

Loudness War

James Blake, titre « We Might Feel Unsound », album James Blake, 2011. DR de 3 dB.

Loudness War

Kendrick Lamar, titre « Momma », album To Pimp A Butter­fly, 2015. DR de 5 dB.

Loudness War

Marcus Miller, titre « Son Of MacBeth », album Afro­dee­zia, 2015. DR de 7 dB.

Loudness War

Orchestre Natio­nal De Jazz, titre « Je M’Ap­pelle Géral­dine », album The Party, 2014. DR de 8 dB.

Loudness War

Pharell Williams, titre « Happy », album Despi­cable Me 2, 2014. DR de 8 dB.

Loudness War

Prince, titre « Funkroll », album Art Offi­cial Age, 2014. DR de 5 dB, clips inter­samples.

Loudness War

Robin Thicke, titre « Blur­red Lines », album Blur­red Lines, 2014. DR de 9 dB, clips inter­samples.

Loudness War

Selah Sue, titre « Feel », album Reason, 2015. DR de 4 dB. 

Loudness War

Skrillex, titre « First Of The Year (Equi­nox) », album More Mons­ter And Sprites, 2011. DR de 5 dB.

Loudness War 

SLuG, titre « I Wanna Lick Stamps », album Name­kuji, 2012. DR de 5 dB, clips inter­samples.

Loudness War 

Taylor Swift, titre « Style », album 1989, 2014. DR de 5 dB.

Loudness War

Toto, titre « 21 st Century Blues », album Toto XIV, 2015. DR de 6 dB.

Loudness War

Tricky, titre « My Pales­tine Girl », album Adrian Thaws, 2014. DR de 5 dB.

Loudness War

Trilok Gurtu & Simon Phil­lips, titre « Kuruk Setra », album 21 Spices, 2011. DR de 7 dB, clips inter­samples. 

Loudness War 

Au secours.

Avant d’en termi­ner pour cette fois, un petit rappel de la régle­men­ta­tion en cours : « selon l’ar­rêté du 25 juillet 2013 portant appli­ca­tion de l’ar­ticle L.5232–1 du code de la santé publique, […] s’agis­sant des exigences de concep­tion, la puis­sance sonore maxi­male de sortie d’un bala­deur musi­cal ne peut excé­der 100 dB et l’uti­li­sa­teur doit être informé lorsque le niveau sonore dépasse 85 dB. L’écoute d’un bala­deur musi­cal à forte puis­sance peut endom­ma­ger l’oreille de l’uti­li­sa­teur et entraî­ner des troubles audi­tifs (surdité tempo­raire ou défi­ni­tive, bour­don­ne­ments d’oreille, acou­phènes, hyper­acou­sie). Il est donc vive­ment recom­mandé de ne pas utili­ser le bala­deur à plein volume ni plus d’une heure par jour à volume moyen.  »

Car avec n’im­porte quel bala­deur/télé­phone actuel (ne parlons pas du jail­break qui permet à certains télé­phones de monter jusqu’à 130 dB. 130 dB !), une simple écoute en continu d’un seul des albums mention­nés ci-dessus à volume élevé résul­tera en une dégra­da­tion irré­ver­sible de vos oreilles. Pourquoi ? Parce qu’avec un tel manque de dyna­mique, un album écouté fort aura un volume constant bien trop élevé (par exemple 100 dB moins 4 dB de DR, ça fait du 96 dB en quasi continu, repor­tez-vous au tableau sur les durées d’ex­po­si­tion). 

Pas de ques­tion de styles, de modes sonores ou autres consi­dé­ra­tions esthé­tiques. Il s’agit de problèmes de santé publique. De votre santé.

Tout le monde est prévenu.

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