Setlist, playlist, programme... quel que soit le nom qu'on lui donne, le contenu de ce qu'on va jouer doit être soigneusement préparé. Rien de très compliqué, mais quelques recettes simples peuvent faire une belle différence dans la dynamique de votre concert. Nous verrons qu'il y a des dogmes qu'il n'est pas toujours bon de suivre.
Sur scène, vous serez dans des conditions radicalement différentes de la répétition. La disposition des musiciens, le son, la façon dont vous vous entendrez et entendrez les autres, les éclairages… tout sera très différent. Sans compter la présence du public (on espère). Entre cette situation déstabilisante et l’adrénaline générée par le trac qui va vous propulser vers de sommets, vous allez vivre une expérience à part et, pour la plupart des musiciens, particulièrement jouissive. Pour que tout se passe pour le mieux, un des points essentiels est d’être bien préparé. Et notamment côté enchaînement des morceaux. Pour cela il va falloir…
Sélectionner les morceaux
Avant de déterminer l’ordre dans lequel on va les jouer, il faut choisir les morceaux. À condition d’avoir un répertoire suffisamment étendu pour pouvoir constituer un set complet sans tout utiliser. Si ce n’est pas le cas, allez-vous forcément tout jouer ? Non. Car il faudra se résoudre à laisser de côté les titres qui ne sont pas suffisamment maîtrisés.
La première sélection se fait donc sur la base de la maîtrise des morceaux (voir le volet 1). En effet, sur scène, un des points essentiels est que le groupe joue carré (voir les dossiers précédents et notamment « bien travailler en répétition »). Si vous avez un morceau que vous aimez beaucoup, mais qui est mal maîtrisé, mettez-le de côté. Cela ne veut pas dire que vous ne le jouerez pas, mais vous allez le garder pour la fin du concert, ou mieux encore, pour le(s) rappel(s).
Vous avez fait la liste des morceaux que vous maîtrisez ? Parfait. Attribuez à chacun une petite note indiquant la maîtrise et la difficulté. Des étoiles suffisent largement : 2 pour les morceaux que vous savez sur le bout des doigts, qui glissent tout seul, zéro pour les morceaux un peu limites ou comportant des difficultés qui génèrent parfois des plantages. Si votre liste est trop courte, ne vous inquiétez pas et n’y ajoutez pas de titres que vous aviez d’abord écartés, on y reviendra. Créez un tableau avec un logiciel de tableur (type Excel ou mieux, OpenOffice). Dans la première colonne, le nom des morceaux et dans la seconde, la note attribuée.
S’adapter aux contraintes techniques
Nous allons d’abord considérer la question des instruments. Dans la plupart des groupes, les choses sont assez simples : un musicien = un instrument. Encore que, même ainsi, il n’est pas rare que le ou les guitaristes aient à changer de guitare. Mais il arrive que le set-up soit plus compliqué avec pas mal de changements d’instruments.
Si vous avez d’importants changements entre chaque morceau du concert, je vous prédis l’enfer ! À moins que vous n’ayez une grande maîtrise scénique et au moins un membre du groupe capable de meubler avec talent, tout le monde risque de stresser par la nécessité de faire vite et le public va se lasser. D’autant que les changements d’instruments sont rarement très élégants scéniquement. Et même si vous vous en sortez bien, vous risquez de faire à baisser l’intensité que vous avez générée pendant le jeu. Ne laissez pas au public le temps de se déconcentrer, de sortir de l’univers dans lequel vous l’avez emmené.
Notez donc bien chaque morceau qui implique une disposition particulière, un changement d’instrument, ou tout autre élément pouvant allonger l’enchaînement. Quand on va déterminer l’ordre des morceaux, il faudra grouper au maximum les configurations similaires pour limiter le nombre de changements techniques sur scène. Bien sûr, cela n’a rien de figé. Il n’est pas rare qu’un chanteur prenne ou pose une guitare à chaque morceau, par exemple. Vous pouvez considérer que vous avez quelques dizaines de secondes le temps des applaudissements. De petits changements sont donc possibles, prévoyez la disposition scénique en conséquence avec des instruments facilement accessibles, pas de jacks qui s’emmêlent, etc. Il faut aussi penser, si vous en utilisez, à la configuration des machines, synthés et éventuels logiciels et surfaces de contrôle. Les musiciens qui utilisent de tels instruments doivent organiser leurs patchs pour que la transition entre les morceaux soit fluide. Mais ceci a des limites et il y a souvent un temps minimum nécessaire qu’il faut prendre en compte.
Reprenons notre tableau et ajoutons une colonne dans laquelle nous allons donc noter les aspects techniques évoqués. Faites bref, mais clair. Si vous avez pas mal de changements, n’hésitez pas à faire une colonne pour chaque musicien. Notez éventuellement le temps approximatif nécessaire que vous aurez évidemment chronométré en répétition (en y ajoutant une bonne marge).
Style des morceaux et progression
« Un concert doit démarrer tranquillement, évoluer progressivement pour terminer en apothéose ». Quand je parlais de dogmes auxquels tordre le cou, en voici un. Cette formule, répétée à l’envie au point d’être pratiquement érigée en règle, est pour moi loin d’être une vérité absolue. Si elle s’applique bien aux stars qui jouent devant une salle pleine d’un public impatient de la voir, elle est rarement opportune pour le groupe inconnu face à un public attentiste. Le début de votre concert sera probablement un round d’observation avec de la part des spectateurs une curiosité bienveillante ou suspicieuse selon les conditions de concert. Probablement bienveillante si vous jouez dans un bar ou pub, parfois suspicieuse si vous faites la première partie d’un groupe un peu connu (le public est surtout pressé de voir ses idoles). Et si vous faites une scène en plein air, beaucoup de gens vont passer, s’arrêter « juste un peu, pour voir… », s’apprêtant surtout à repartir vaquer à leurs occupations. Il faut donc accrocher tout ce beau monde tout de suite. Ajoutons qu’il y a aussi votre propre état d’esprit. Premiers concerts signifie souvent grands moments de trac, voire trouille monumentale. Et ne croyez pas que cela dépend du nombre de spectateurs. Je me rappelle, même après pas mal d’années d’expérience, m’être tapé des petits moments de flip intense au moment d’attaquer devant un public de quelques personnes. Allez comprendre !
Un des points essentiels est de bien gérer l’intensité des morceaux au long du concert. |
Bref, si comme c’est probable (et comme je vous le souhaite) vous avez le trac, attaquer par du cool risque de vous paralyser. Le trac est une sensation de stress qui peut être très désagréable s’il est intense (Jacques Brel, une vraie bête de scène, avait tellement la trouille avant de monter sur scène qu’il en vomissait !) Mais il génère aussi une dose d’adrénaline qui va vous transcender et parfois, vous faire faire sur scène des choses que vous n’oseriez pas faire autrement. Le trac, bien géré, va vous mettre un formidable coup de pied au cul qui va vous propulser face au public avec une énergie décuplée.
Revenons donc à nos morceaux. Gros trac + morceau cool = risque de paralysie. Attaquer avec un morceau bien pêchu vous permet de transformer le stress en énergie et vous lancer sur les bons rails pour tout le concert. Vous allez démarrer avec une pêche qui risque d’accrocher le public et de le chauffer, et donc de le conserver. Cela ne veut pas forcément dire rentrer brutalement dans le lard du spectateur. À moins que le concept de votre groupe soit basé sur la violence et la provocation, auquel cas il est excellent d’annoncer tout de suite la couleur. Sinon, n’attaquez pas par un morceau trop difficile d’accès, mais par un de vos morceaux les plus « mainstream » (qui risque de plaire au maximum de gens). Nous allons donc ajouter une colonne à notre tableau et noter pour chaque morceau s’il est cool, groovy, vif, speed, violent, etc. De tous les critères qui vont entrer en contre pour l’ordre des morceaux, celui-ci sera déterminant.
Attention : lorsqu’on parle d’intensité, on ne parle pas seulement de tempo. D’autres critères rentrent en compte : l’émotion générée par le morceau, sa « pèche » qui n’est pas forcément liée à sa vitesse de jeu, mais aussi tout le contenu : si vous faites du rock, vous savez qu’un morceau avec des sons très saturés sera souvent plus intense qu’un morceau avec surtout des sons clairs. Et puis, il y a tout simplement la qualité de la compo (à moins que vous n’ayez que des morceaux géniaux, auquel cas je vous demande de bien vouloir me réserver un backstage lors de votre passage à Bercy dans un an).
Variations d’intensité
Photo : Eric Laforge |
Dans les conseils souvent répétés, vous aurez certainement entendu qu’il ne faut pas qu’un concert soit linéaire. Affirmation parfaitement juste. Il faut jouer avec les émotions du public, mais aussi le ménager. Trop de morceaux énervés où il braillera et bougera beaucoup va l’épuiser, surtout si le concert est long (bar). Trop de cool et il va s’endormir. Introduisez des ruptures, des respirations, mais attention aux changements trop brutaux. Mettre après une balade tranquille suscitant beaucoup d’émotions un morceau violent va la plupart du temps être désagréable pour tout le monde. Il faut remonter en douceur. Pas question non plus de jouer au yoyo genre un morceau cool, un morceau speed, un cool, un speed. Vous allez déstabiliser le public, perdre à chaque fois la pêche que vous avez commencé à lui transmettre et la répétitivité va finir par se voir. Vous pouvez enchaîner plusieurs morceaux cools, surtout si vous en avez pas mal. Mais ne laissez pas retomber la mayonnaise et n’endormez pas le public. Deux morceaux cool à suivre suffisent et on repart sur du plus vif.
Dans la seconde partie, nous verrons l’organisation des sets, que faire des morceaux écartés, la question des rappels et la finalisation de la playlist sur papier. À suivre…