Dernière version virtuelle en date du Hammond B-3, le B-5 Organ signé par le développeur français Acousticsamples regroupe nombre de caractéristiques qui, sur le papier, semblent très prometteuses. Qu’en est-il après test ? Réponses.
Conçu en 1955, le vénérable Hammond B-3 (et quelques-uns de ses dérivés), instrument indissociable de nombreuses esthétiques musicales, reste un rêve pour beaucoup de joueurs de claviers, mais l’envie de ces derniers est souvent freinée par deux paramètres : le prix d’un instrument en bon état (qui peut flirter avec les 10 000 euros), la fabrication s’étant arrêtée en 1974, et le poids d’un ensemble complet, sans compter la cabine Leslie, qui avoisine les 200 kg. De plus, une 122, la plus recherchée de ces cabines, rajoutera près de 2000 euros au budget de base…
L’instrument va ensuite connaître de nombreuses incarnations virtuelles (tiens, un oxymore…), sous forme purement logicielles (destinées à être utilisées sur un ordinateur), ou… sous forme purement logicielles (embarquées dans un instrument meuble). Dans les deux cas, en effet, les techniques utilisées font appel à de la synthèse, qu’elle soit additive, soustractive, à modélisation, à base d’échantillonnage ou un mélange de plusieurs d’entre elles.Si quelques facteurs ont proposé un reconditionnement dans un boîtier plus léger (comme l’allemand Bertram, par exemple), le poids reste important, le pédalier disparaît la plupart du temps, et le prix reste élevé pour le commun des mortels (5000 à 6000 euros)… On peut certes essayer de trouver des A100 ou C3, moins chers, et dont les caractéristiques sonores sont strictement les mêmes, mais ils restent eux aussi assez rares, et leurs heureux possesseurs ne sont la plupart du temps pas vendeurs. On les comprend. Hammond lui-même a commencé à essayer de produire des clones électroniques (c’est tout le système des roues phoniques qui pèse, lourd comme un cheval mort), avec le B3000, par exemple, hélas peu convaincant.
Du côté matériel, on peut mentionner Hammond lui-même qui, après son rachat par Suzuki, a offert diverses versions XB et XK, ou Korg, avec les CX, Oberheim/Viscount avec l’OB•32 qui m’a rendu de fiers services sur scène pendant des années, Roland avec les VK, Clavia avec les différents et quasi incontournables Nord Electro et Stage (et la première incarnation de tirettes… à boutons poussoir, erreur industrielle à notre avis), Kurzweil avec la très bonne émulation KB3 disponible depuis les K2500, et plus récemment Yamaha avec le Reface YC (au bilan plutôt mitigé). Non testé, on peut aussi mentionner le Mojo de Crumar, dont les quelques démos semblent très convaincantes et le tout récent Hammond XK-5 dont la vidéo présente dans la page Best Of Namm 2016 d’AF m’a quelque peu influencé pour un des exemples audio du test.
Côté logiciel, l’offre est tout aussi pléthorique. L’un des plus souvent mentionnés est le défunt B4 de Native Instruments sorti en 2000, puis sa déclinaison en B4II, que l’on a pu retrouver sur de nombreuses productions ; l’organiste Emmanuel Bex, pourtant utilisateur d’un Bertram, n’hésitant pas à y faire appel. La nouvelle proposition de Native, les Vintage Organs, malgré la variété sonore proposée, n’est pas aussi réussie, même après corrections des erreurs de jeunesse (le B3 n’était pas accordé à la même hauteur que les autres types d’orgues proposés, et il reste toujours un sérieux problème de polyphonie, 18 voix pour une seule note en mode « Full Stops »…). UVI avait aussi proposé en son temps Charlie, dont le son était très réussi, mais dont l’implémentation logicielle à base de présets uniquement, sans possibilité de modifier les réglages de tirettes en temps réel allait à l’encontre de l’usage habituel de l’instrument (autre regret, la percussion était « désactivée » par un truc d’édition, la forme d’onde du sample ayant été coupée après la disparition du son de percu…). La banque a depuis été déclinée en Retro Organ Suite, non testée. Autre exemple, l’evb3 intégré dans Logic, Mainstage (et sous une version simplifiée dans GarageBand) qui, s’il peut rendre des services, n’est pas la plus réussie des modélisations, malgré le nombre très important de paramètres permettant de modifier le son. Non testés, on mentionnera aussi les dernières nouveautés d’Arturia pour sa V-Collection V5, le DB-33 d’Air Music Technology, le VB3 de Genuine Software/GSi, l’Organ3 de LinPlug ou encore le Hammr+ de Pendle/Sound Dust.
Acousticsamples, avec le B-5 Organ, nous propose une nouvelle version de l’instrument, mêlant synthèse et échantillonnage.
Introducing Acousticsamples B-5
Le logiciel est conçu pour être utilisé avec l’UVI Workstation (à partir de la version 2.6.5), lecteur gratuit ou UVI Falcon, la station complète de l’éditeur, et est donc disponible pour Mac (10.7) et PC (Win7), 32 et 64 bits, en version autonome, et en plug aux formats VST, AU et AAX. L’éditeur propose même de le contacter pour une utilisation sur des systèmes plus anciens, avec une version adéquate de l’UVI Workstation.
La banque est au format Flac, et pèse 275 Mo (560 Mo en équivalent non compressé), nécessite une autorisation sur iLok (la clé n’est plus indispensable, et le produit peut être autorisé trois fois, via le iLok License Manager), la version testée ici est la 1.2, bénéficiant d’ajouts et modifications, on y revient. Le test aura été effectué avec le Falcon. Voyons ce qui se cache sous l’interface graphique, assez réussie.
Constitution robuste
La présentation est soignée et en même temps familière, car l’utilisateur a besoin de s’y retrouver facilement, pour récupérer ses réflexes, d’un passage du vrai au virtuel ou d’un modèle concurrent au B-5 Organ. L’éditeur a d’ailleurs songé à ce dernier cas, car l’implémentation des contrôleurs Midi est la même que celle par défaut du B4II.
L’instrument est organisé selon quatre pages, celle par défaut regroupant tirettes, percussion et effets, la deuxième donnant accès à « l’amplification » (options de choix de cabines, amplis, EQ, etc.), la troisième offrant des réglages personnalisables (permettant de dépasser les réglages types de l’original) et la dernière contenant les assignations de contrôleurs Midi.
On retrouve la configuration attendue pour les deux claviers Upper et Lower, à savoir neuf tirettes harmoniques, graduées pour le volume de 1 à 8, suivant la répartition harmonique habituelle en pieds, de gauche à droite : « sous-octave », quinte de l’octave normale, octave « normale », octave, quinte, octave, tierce, quinte et octave. Les basses offrent une tirette supplémentaire, deux octaves au-dessus de la plus grave, pas vraiment d’une grande fidélité à l’original, mais pouvant parfois à aider à « sortir » le son au-dessus de registres très fournis main gauche, main droite.
Les tirettes réagissent tout à fait normalement, avec montée incrémentale du volume de chaque hauteur de l’onde sinus : rappelons que ce principe de création sonore est un des ancêtres de la synthèse additive (mis en place dès le Model A en 1935), qu’il dépend de 91 générateurs (roues phoniques) et que le rapport harmonique est… faux ! Car tempéré, alors que les harmoniques naturels sont tout sauf parfaitement justes.
Le principe retenu par l’éditeur est d’ailleurs l’échantillonnage des 91 générateurs, y compris pour les six réglages de vibrato/chorus (activation indépendante pour clavier haut, Swell et bas, Great), associé à un gros travail d’alignement de phase, principal problème des précédents orgues virtuels basés sur l’échantillonnage. C’est ensuite le travail de l’éditeur d’avoir par synthèse/modélisation reproduit les caractéristiques mécaniques (foldback, keyclik, etc.), la Leslie, les simulations d’ampli, etc.
Ce qui nous amène à la percussion, l’une des caractéristiques sonores du B-3 et du C-3, puisque les modèles précédents n’en disposaient pas. Le principe est celui du « vol » d’une tirette (normalement la sifflette, 1’, mais l’éditeur a offert la possibilité de choisir laquelle est utilisée), qui n’est donc plus utilisable dans les registres, afin de produire le deuxième ou troisième harmonique (octave ou quinte, donc), avec deux choix de volume qui décroit de façon plus ou moins rapide. Ceux qui ont pu assister à des concerts de Benoît Sourisse, par exemple, l’auront parfois entendu jouer uniquement avec la percussion, toutes tirettes poussées (donc sans aucun volume des sinusoïdes). Eh bien, le B-5 Organ permet l’effet, bravo, tout en respectant le fait que la percu ne passe pas par le vibrato de l’orgue. Autre comportement normal, la percussion est polyphonique (si on joue un accord, on l’entend), mais ne se redéclenche pas tant qu’une note reste appuyée. Jusque-là, tout va bien…
Enfin on peut régler le volume du KeyClick (une vraie réussite sur le B-5 Organ), rajouter du bruit de fond (moteurs, craquements, grâce à Acous Volume), pousser la saturation à lampes (beau résultat) et ajuster le taux de Reverb (hélas, c’est le seul paramètre disponible, pas moyen de retoucher quoi que ce soit, le programme étant de plus verrouillé, c’est-à-dire ne donnant aucun accès à ses composants, échantillons ou modules).
Du supplément
La page Speaker Prefs nous amène dans le domaine de l’amplification, avec choix du système (Leslie, bien sûr, mais aussi depuis la dernière version tout un assortiment d’amplificateurs bien venus pour d’autres esthétiques musicales). Au menu des Leslie, on peut régler le volume de la trompe et du tambour, ainsi que leur vitesse de rotation, la modulation de hauteur et l’effet de l’EQ trois bandes fourni (Air). On dispose de sept modèles au total, dont les mythiques 122 et 760, et la possibilité de les entendre reprises en mono ou stéréo indépendamment pour chaque source sonore (Drum, Horn). Un très performant bouton Distance permet de simuler une résonance plus ou moins marquée de pièce, allant d’un son très sec à un effet de « bois » plus marqué, on a vraiment l’impression d’entendre la cabine résonner à côté de soi…
Côté ampli, le choix fourni est assez varié, voir la capture d’écran, et l’on peut aussi totalement contourner le système inclus afin de traiter la bête par d’autres simulations d’amplis ou de Leslie (le PSP L’Otary est un beau candidat au titre de Leslie de remplacement).
La page Advanced Prefs va permettre de configurer très précisément l’instrument selon ses propres goûts, de l’utilisation en multicanal ou en Split, du placement du doublage basse sur l’un ou l’autre clavier, du temps de chute, de recharge, de la tirette « volée » de la percu, ainsi que d’un réglage Paradise d’après le son de Jimmy Smith sur son album *Groovin’ At Small Paradise*, Blue Note BLP1585 sorti en 1958, dans lequel le réglage de percu ne fonctionnait pas comme d’habitude, ne décroissant pas (le son est très particulier, puisqu’en dehors de la tenue, il y a un effet de dédoublage intéressant, la percu ne passant pas par le scanner vibrato).
On peut aussi régler le volume de chaque tirette, et, allons encore plus loin, celui de chaque roue phonique. On peut choisir d’utiliser ou non la troisième tirette pour les pédales, et activer l’option String Bass, que personnellement je n’affectionne pas trop. Enfin, des options de gestion des présets sont proposés, et l’on trouve l’accès à la page d’assignation des contrôleurs Midi, indispensables si l’on veut retrouver les possibilités d’expressivité temps réel de l’original.
Bilan
La page de l’éditeur contient plusieurs démos audio et vidéo de l’instrument réalisées par quelques pointures (je vous laisse découvrir les noms…), j’en ai modestement rajouté trois ici, qui montrent quelques facettes de l’instrument. Pas la peine d’en rajouter, et, pour le dire en quelques mots : *exeunt* Vintage Organs, B4II, evb3 et compagnie, le B-5 Organ est devenu l’outil de référence de mon set-up.
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On lui attribue un Award Valeur Sûre bien mérité, et je vous recommande chaudement l’instrument si vous êtes à la recherche d’un très bon B-3 virtuel. Sachant quand même que pour bien profiter en live de l’instrument (dans le cadre d’utilisation dans une Stan, aucun souci, tout s’automatise à merveille), il vous faudra un contrôleur Midi adapté, offrant la possibilité d’agir en temps réel sur les tirettes, la percu, etc., voire une configuration à deux claviers.
Une belle réussite, bravo Acousticsamples.