Un piano VST conçu grâce à la modélisation et tenant sur quelques mégas, voilà ce que nous propose aujourd’hui Modartt, un jeune éditeur français. À l’heure du gigantisme des grands expandeurs de piano VST, cela semble un peu cheap, non ? Alors, méfiez-vous des a priori, car ce poids plume pourrait nous réserver bien de lourdes surprises !
La modernité, c’est beau, hein, personne ne peut le nier ! Enfin probablement pas vous, qui en ce moment même, souris à la main, avez les yeux qui dégoulinent sur les surbrillances hertziennes de votre écran plat, toutes les fentes synaptiques connectées à l’Univers via un modem presque aussi indispensable à votre organisme que la plus petite molécule de vos neurotransmetteurs…
Donc, si en plus vous êtes pianiste, ce qui arrive lors de certaines manipulations génétiques, comme le goût du suicide ou la pédophilie, paraît-il, vous n’avez pas pu passer à côté de la question fondamentale du nouveau siècle : pourquoi prendre un crédit sur 2000 ans en défonçant les murs de ma piaule avec un Steinway double queue, alors que je peux le caser tranquille dans mon portable en m’offrant pour quelques boules le résidu numérisé du prestigieux dinosaure ? Bref, en craquant pour l’un des innombrables VST que nous proposent aujourd’hui les non moins innombrables éditeurs en matière de piano?
|
C’est sûr, si t’assures, ce n’est pas dur. Cela dit, non seulement on n’est pas entièrement convaincu de la finesse de la sensation obtenue (enfin ça encore, en ces temps de plastique indispensable, on peut encore s’y résigner !), mais en plus, je ne sais pas si vous avez remarqué, mais désormais, faire rentrer un piano virtuel sur un disque dur, ça demande autant de largesse que d’installer un Bechstein dans une chambre de bonne, tant les banques aujourd’hui proposées sont gargantuesques. Des tas de gigas partout qui asphyxient les capacités de stockage de nos bécanes, voilà ce que, malgré leurs indéniables qualités, représentent pour le clavier maoïste tous ces Ivory, Virtual Grand, NI Acoustik, et autres géants de la digitalisation.
Maux d’elle…
C’est en partant de cette réflexion qu’un nouvel éditeur français, Pianoteq, a décidé d’aborder le problème sous l’angle de la modélisation. En effet, ce procédé, qui a été déjà utilisé sous plusieurs angles par quelques concepteurs, par exemple Arturia avec Brass, ou Synful avec Orchestra, permet de reconstruire la sonorité d’un instrument acoustique grâce à des formules mathématiques complexes permettant de calculer en temps réel les comportements harmoniques et dynamiques de celui-ci. La tâche, on s’en doute, est particulièrement complexe, mais offre l’indéniable avantage de se dispenser du sampling (ou d’y avoir très peu recours, comme le fait Synful qui se sert de phrases musicales enregistrées pour donner du réalisme à ses algorithmes), et donc de proposer des instruments n’exigeant que très peu de place sur le disque.
Pianoteq utilise donc cette technologie, et nous propose aujourd’hui déjà une version 2 de son piano acoustique, que vous pouvez télécharger facilement en démo sur le site de l’éditeur, puisque celui-ci tient seulement sur… non, ce n’est pas une faute de frappe… 8 mégas! Cela donne presque envie de ressortir les disquettes !
Léger, léger…
Avec un poids plume pareil, l’installation ne fait pas plus de dégâts que la caresse du sirocco sur le sommet d’une pyramide, et mis à part l’éternelle demande d’autorisation qui nécessite une connexion Internet, mais qui se fait en l’occurrence le plus facilement du monde, on peut commencer à sortir les partoches au bout d’une minute et demie. Le soft se présente avec 2 déclinaisons, la version VST et la version Standalone. Cette dernière propose un petit bonus : un lecteur de fichier midi, et un petit séquenceur Midi une piste pour enregistrer à la volée vos performances du moment, plus un convertisseur au format audio wav pour concrétiser ce cher Midi.
Côté interface, on est encore dans le domaine aérien, puisque celle-ci apparaît particulièrement simple, n’étant constituée que d’une seule fenêtre à partir de laquelle on a accès à tous les paramètres regroupés en 2 sections principales, l’une dédiée aux caractéristiques classiques du piano acoustique (tuning, harmonisation, conception) et l’autre consacré à la modification du son (EQ, réverbe, courbe de réponse en vélocité…).
Commençons donc par construire un peu notre nouveau piano…
Dessine-moi un piano !
Malgré la simplicité de l’interface, Pianoteq offre la possibilité de déterminer le caractère fondamental de l’instrument. Tout d’abord au niveau de la facture, dans la section design, qui permet de paramétrer les qualités acoustiques de la table harmonique comme l’impédance (durée du son), la fréquence de coupure (richesse en harmoniques aiguës), le facteur Q (décroissance des harmoniques aiguës). On peut jouer ensuite sur la longueur du piano, (donc longueur des cordes), la résonance globale de l’instrument, l’intensité des résonances sympathiques, et l’effet quadratique qui souligne plus ou moins la réponse aléatoire des cordes en fonction de la dynamique.
La section harmonisation permet quant à elle de régler la dureté des marteaux, le profil spectral (intensité des 8 premières harmoniques du tuyau), la quantité de percussion des marteaux, l’irrégularité des intensités harmoniques, et le degré d’adoucissement de la soft pedal. Enfin, la section accord permet à son tour de régler le diapason entre 415 et 466 Hz, de choisir parmi différents tempéraments proposés (Equal, Zarlino, Pythagore, Mesotonic, bien tempéré, et Werckmeister) ou d’importer un fichier au format Scala pour les gammes microtonales. On a accès aussi au réglage de l’accord de l’unisson des trois cordes de la note, à l’étirement des octaves (rapport harmonique de 2 plus ou moins augmenté) et à la durée du son direct. De quoi donc conter fleurette aux mouches, pour rester poli !
Encore un peu de tweak !
La seconde section de paramètres donne d’abord accès à un éditeur graphique qui permet de régler un égaliseur paramétrique et une courbe de réponse en vélocité du clavier. On y distingue ensuite la représentation graphique des 4 pédales (una corda, harmonique, sostenuto et forte), grâce à laquelle on peut changer les assignations de commandes midi. Sont également présents des curseurs pour le volume, l’amplitude dynamique (la différence de force entre la note la plus faible et la plus forte) et le panoramique.
Quelques réglages machine sont ici aussi accessibles, comme la fréquence d’échantillonnage (de 11025 à 44100 Hz), la polyphonie, la sauvegarde des presets que l’on édite, le bruit de la pédale de sustain ou de la touche relâchée… de la vraie dentelle ! Vient enfin une réverbération proposant 3 réglages : quantité, longueur et amplitude. Un paramètre supplémentaire permet de déterminer l’ouverture du couvercle : ouvert, demi-ouvert ou fermé. Quelques configurations de base donnent les principaux types d’ambiances classiques : studio, auditorium, chambre… Là encore, malgré la simplicité, une efficacité remarquable, permettant d’obtenir des ambiances très ‘wet’ sans sombrer dans le bris de glace sanglant.
Du preset
Bien entendu, tous ces paramètres sont regroupés sous forme de presets, et l’éditeur nous en fournit une petite vingtaine pour nous faire profiter instantanément des joies du jeu sans prise de tête. Et là, oh volupté, nul besoin d’attendre 20 minutes que votre disque dur ait régurgité les 30 Go d’échantillons de la banque : à peine après avoir cliqué, le son jaillit des monitors comme un cristal pur : Grand C1 ou C2, grand M1… les principaux styles de piano sont ici représentés (jazz, honky, classique, rock…), ainsi que quelques « claviers » éclectiques, comme le marimba, le pianorga ou le métallophone. De plus, on peut aller télécharger de nouvelles programmations sur le site de l’éditeur, avec notamment une petite collection de 4 pianoforte historiques, le Schöffstoss, le Schmidt, le Schantz ou le Graf. Enfin, une sympathique fonction « Random » permet de se lancer dans la recherche acoustique facile en déterminant de façon aléatoire tous les paramètres d’édition : on s’amuse bien, et en plus on s’aperçoit de la puissance de création sonore mise à disposition par le soft.
Gros buzz
Même avant de laisser courir ses gros doigts sur le clavier pour voir si ça décolle, on ne peut s’empêcher d’être impressionné par le buzz instantané qui se fait autour de ce nouvel accordéon du riche. Car à peine sorti de l’œuf, on doit avouer que PianoTeq fait grosse sensation ! En effet, musiciens aux styles très différents, mais réputés pour leur exigence aussi bien niveau toucher que production, de nombreux pianistes et compositeurs lui réservent d’ores et déjà un accueil enthousiaste. De Dave Stewart (Eurythmics) à Mike Barson (Madness), en passant par Hugh Sung (interprète classique) ou Miles Black (Pianiste de jazz et auteur de méthodes de piano jazz excellentes), les harmoniques intelligentes du petit (par la taille) soft français semblent briller sur l’horizon des instruments virtuels comme la queue d’une comète gigantesque éclairant sur son passage des décennies d’obscurantisme électro-pianistique. Ça dégage, et les témoignages dithyrambiques pleuvent comme les déclarations d’impôt début mai : « révolutionnaire… extraordinaire… simplissime… presque comme un vrai… versatile… très expressif… l’avenir du piano numérique… Arrêtez ! On n’en peut plus ! Ce panégyrique, c’est un peu comme si toute la frustration accumulée depuis 2 décennies par les pianistes obligés pour des raisons diverses (encombrement, prix, facilité de production…) de bredouiller leur talent en se cassant les doigts sur un billot avaient enfin le pouvoir de briser leurs chaînes et de s’exprimer enfin libre sans passer pour d’affreux rétrogrades et intransigeants acoustiques.
Du son…
Et bien il faut avouer que dès les premières notes effleurées sur le clavier maître connecté à notre piano, on comprend immédiatement pourquoi une telle mobilisation est en marche autour de notre cocorico plug. Dire « impressionnant » serait presque encore manier la litote, tant la sensation de réalisme est intense. La réactivité est impeccable, et l’on est tout de suite à l’aise dans ce son, retrouvant la juste traduction de toutes les nuances de toucher, quelle que soit la rapidité des traits joués. Sur toute la tessiture, on se régale par la chaleur des différents groupes harmoniques, qui, placés de gauche à droite depuis les basses jusqu’à l’aigu, développent ici un bain de fréquences fluides et pétillantes. Les tenues ne sont pas métalliques dans les médiums, et le dessin des extrêmes aigus est d’une précision jamais atteinte même sur des lecteurs d’échantillons. Sans être acides, ces derniers ont une présence redoutable, raffermie par la présence subtile de l’action des marteaux, si difficile à synthétiser à partir de C6.
Enfin, les basses sont à leur tour profondes, douillettement enveloppées sans jamais être boueuses, et l’on peut sans problème utiliser ici les mêmes voicings qu’avec un piano acoustique, sans perdre aucune précision dans le dessin harmonique des accords. Les tierces tiennent en effet très bien jusqu’au C2, et les septièmes restent parfaitement claires jusqu’au C1, voire même au-delà, si l’on ne force pas trop sur la dynamique. Les amateurs de cluster dans les basses ne perdront donc pas ici leurs lunettes dès le premier petit glissement à gauche, et même si l’on peut éventuellement reprocher un tout petit manque d’attaque dans les extrêmes basses, qui ne bénéficient pas de la même précision de marteau que les aigus, le trait reste pur, et d’une courbure irréprochable.
De plus, le cross fade entre les différentes tessitures s’avère beaucoup plus homogène que sur la plupart des grands pianos VST, démontrant ici la supériorité incontestable de la modélisation en matière de linéarité instrumentale. On peut ainsi parcourir tout le clavier sans entendre le moindre saut de dynamique ou de fréquence.
T’es sympa, comme résonance
La prise en compte des résonances sympathiques, qui est ici, probablement pour la toute première fois dans l’histoire du piano numérisé, véritablement concrète et mesurée, apporte avec netteté la rondeur du son qui a fait pendant longtemps la faiblesse de la virtualisation. On peut ainsi sans s’embourber tenir les notes et utiliser même avec un peu d’emphase la pédale de sustain : tout baigne dans la clarté !
Certes, cette particularité si caractéristique du piano, qui consiste à entendre les résonances d’une note tant que celle-ci est tenue enfoncée et que l’on en joue d’autres, n’est pas aussi riche que sur un véritable instrument, dont les désaccords infinitésimaux entre les cordes (quoique Pianoteq permet d’introduire de tels décalages avec le paramètre d’accord de l’unisson) créent un véritable chaos de fréquences, et la tenue peut, si on la teste à froid (avec une seule note enfoncée pendant assez longtemps), paraître un peu monolithique. Mais dans un contexte de jeu normal, l’apport en souplesse et en chaleur est impressionnant, et fait effectivement passer Pianoteq dans une autre catégorie d’instrument.
Et des économies !
|
Côté CPU, on reste aussi dans la performance, puisque malgré la puissance de calcul que nécessite la technologie de modélisation, Pianoteq s’avère plutôt économique. En effet, comme on peut le constater sur la capture d’écran, en utilisant à fond la polyphonie de 64 notes (il faut tenir la pédale de sustain enfoncée tout en faisant une gamme chromatique sur 4 bonness octaves du clavier !), et en faisant tourner notre piano en Vst dans Live 6 d’Ableton, on ne dépasse pas les 50% de charge CPU, le test étant réalisé sous XP, avec un Dual Core 4300 1.8Ghz et 1 Go de Ram.
Ainsi, sur une partie de piano courante, même avec des voicings chargés, nous avons rarement dépassé les 20–22% de charge. Que les interprètes de Rachmaninoff se rassurent cependant, le soft offre plusieurs réglages de la polyphonie, et permet d’obtenir jusqu’à 256 notes simultanées. Notons aussi que 2 modes automatiques (optimistic et pessimistic !) permettent de décider pour vous de ce réglage en fonction des performances de votre bécane.
Conclusion
Bon, vous l’avez peut-être légèrement ressenti, Pianoteq ne laisse pas de glace. Grâce à la technologie « True Modelling » mise au point par l’éditeur français, celui-ci réussit la performance d’offrir à notre avis l’un des meilleurs sons de piano virtuel du marché et de le présenter contenu dans une jolie petite boîte de 8 mégas tout mouillé ! Inutile de dire qu’à ce poids-là (et également à ce prix-là, 249 euros, ça va encore !), c’est une performance qui, si elle a déjà fait beaucoup parler d’elle, risque en plus de remettre les pianistiques pendules VST à l’heure en matière de qualité : réalisme du toucher, sensibilité sur toute l’échelle dynamique, précision du trait harmonique, foisonnement des résonances sympathiques, puissance polyphonique et sobriété en besoin de ressources CPU, profondeur des niveaux d’édition… Il ne vous reste vraiment plus qu’à télécharger la démo et à craquer comme tout le monde !
[+] Le poids, le son, le réalisme de jeu, les résonnances sympathiques
[-] Un léger manque de définition de l’attaque dans les extrêmes basses