Dès sa création au début des années 80, le protocole MIDI a certainement dû faire naître pas mal de jalousie dans le cœur des musiciens allergiques au clavier. En effet, le pilotage de modules sonores iconoclastes via cette norme était dans un premier temps limité aux « pianoteurs » en herbe. Il n’a cependant pas fallu attendre longtemps pour que quelques savants fous inventent des solutions permettant de « MIDIfier » toutes sortes d’instruments, notamment la guitare.
Cette ouverture de la 6 cordes vers de nouveaux horizons musicaux a été exploitée à plus ou moins bon escient depuis — les 80's en portent d’ailleurs toujours les stigmates, mais là n’est pas la question. Les dispositifs permettant de transformer une guitare en contrôleur MIDI existent donc depuis un bon bout de temps, mais nécessitent une modification relativement lourde de l’instrument (installation de capteurs spécifiques), sans parler du tarif qui est loin d’être à la portée de toutes les bourses. Du coup, lorsqu’un éditeur présente une solution entièrement logicielle à un prix somme toute démocratique (moins de 100 € HT), il y a de quoi aiguiser notre curiosité ! Laissez-moi vous présenter MIDI Guitar 2 signé par l’éditeur danois Jam Origin…
Avant l’heure
MIDI Guitar est donc un logiciel qui se propose de transformer le signal audio provenant de n’importe quelle guitare en données MIDI afin de pouvoir piloter vos instruments virtuels, voire vos périphériques MIDI externes si le cœur vous en dit. Disponible pour Mac et PC (32 et 64-bit) aux formats VST et AU, ainsi qu’en version standalone, il s’installe et s’autorise en trois coups de cuiller à pot. Je suppose qu’à ce stade, les utilisateurs de Pro Tools se disent que l’absence du format AAX les privent d’office de ce joujou. Eh bien figurez-vous que non puisqu’il est possible d’envoyer les données MIDI issues de la version standalone vers n’importe quel logiciel via un port MIDI virtuel. Notez que la version testée ici est la bêta 2.0.10. Cette dernière s’est révélée parfaitement stable et fonctionnelle, ce qui est assez jouissif, surtout lorsque l’on considère d’autres logiciels en version finale qui ne peuvent pas en dire autant…
Une fois le logiciel autonome lancé, la mise en œuvre est relativement simple, d’autant qu’un bouton « Help » affiche une aide extrêmement bien faite, même si elle n’est qu’en anglais. Pour commencer, il convient de brancher votre guitare à l’entrée instrument de votre carte son. Au passage, sachez qu’il faut bien entendu une interface audionumérique digne de ce nom afin de pouvoir profiter d’une latence minimale et donc, d’un confort de jeu « Live » maximal. Il convient maintenant d’indiquer à MIDI Guitar sur quelle entrée se trouve votre instrument, sur quelles sorties vous souhaitez entendre le résultat, la fréquence d’échantillonnage à laquelle vous travaillez, la taille de la mémoire tampon (aussi basse que possible donc), une éventuelle entrée MIDI externe afin d’utiliser en sus un autre contrôleur (pédalier, pads, etc. les données étant mélangées avec les notes MIDI « issues » de la guitare), et enfin, l’utilisation facultative du port MIDI virtuel évoqué précédemment. Tout ceci se règle rapidement dans la colonne située à gauche de l’interface.
Juste en dessous se trouve un espace de visualisation permettant d’afficher plusieurs choses. « Waveform » affiche, comme son nom l’indique, la forme d’onde du signal audio envoyé au logiciel, mais également l’interprétation des notes jouées (notation anglaise). « Chord Wheel » affiche une roue du cycle des quintes et permet d’identifier les accords joués. Enfin, « Poly Tuner » est tout bonnement un accordeur polyphonique. L’ensemble est efficace, mais il est dommage que cette zone ne soit pas redimensionnable, d’autant que le Poly Tuner, aussi performant soit-il, n’est pas des plus lisibles.
Le nerf de la guerre réside dans la colonne centrale puisque c’est ici que l’audio devient MIDI. Il y a d’abord un réglage pour le Noise Gate bien pratique, surtout si comme moi, votre guitare est équipée en simple bobinage, cela évitera la génération de notes à cause du souffle. Il convient ensuite d’indiquer votre accordage afin de faciliter la reconnaissance. Des presets d’accordage permettent de passer en un clin d’œil de l’accordage standard aux « classiques » drop D, Open de La, Sol ou Ré, mais il est également possible de choisir l’accordage corde à corde. Vient alors le choix de l’algorithme de détection, polyphonique ou monophonique.
Juste en dessous, une section permet d’ajuster la conversion de la dynamique de votre jeu en vélocité MIDI. « Velocity Gain » amplifie ou atténue cette conversion, « Velocity Tone » régit l’équilibre entre vélocité des notes graves et des notes aiguës générées, et enfin, « Velocity Curve » permet d’appliquer une éventuelle compression de vélocité. Cette section est vraiment puissante et facilite grandement l’adaptation de votre jeu à l’expressivité de l’instrument MIDI que vous souhaitez piloter.
La section suivante apporte encore un peu plus de contrôle pour plier à votre bon vouloir les notes MIDI produites. Il y a tout d’abord le Pitch Bend débrayable qui offre la possibilité de convertir vos bends en données MIDI de molette de Pitch. Notez que cette option n’est disponible qu’en mode polyphonique. Il est ensuite possible de transposer les notes MIDI générées, soit par demi-ton, soit par octave. Le réglage suivant permet de convertir l’enveloppe dynamique de votre jeu en données Aftertouch. Si l’instrument MIDI que vous pilotez supporte ce type de message, cette option est bougrement intéressante puisque le son généré se rapprochera alors de l’enveloppe sonore de votre jeu de guitare. Enfin, le dernier champ définit le rôle d’une éventuelle pédale de sustain : elle agira soit de manière classique, soit comme un switch pour basculer entre les deux « sorties » du logiciel, mais nous en reparlerons tout à l’heure.
La dernière partie de cette colonne centrale héberge les « MIDI Machines ». Qu’est-ce donc ? Pour simplifier, disons qu’il s’agit d’effets MIDI. Le logiciel en intègre une quinzaine de base (arpégiateur, split de canaux MIDI, delay, filtre contraignant les notes à telle ou telle gamme, etc.). Mais la véritable beauté de la chose, c’est qu’il est possible de créer vos propres MIDI Machines, pour peu que vous soyez à l’aise avec le langage de script libre Lua. Certes, ce ne sera bien évidemment pas intéressant pour tout le monde, mais il faut bien reconnaître que c’est extrêmement puissant.
La colonne de droite gère la sortie du logiciel. Il y a d’abord la partie instrument qui hébergera n’importe quel instrument virtuel VST ou AU. Il est possible de caler un plug-in d’effet (VST ou AU) en sortie de cet instrument et un slider « Gain » gère le niveau de sortie. Juste en dessous, il y a une section « Guitar/Amp » permettant d’utiliser un ampli virtuel. Eh oui, le signal de votre guitare converti en MIDI n’est pas pour autant perdu ! Il peut ainsi transiter soit par l’ampli virtuel intégré (de qualité moyenne, mais qui a le mérite d’être là), soit par un ampli virtuel tiers de votre collection. D’où la fonction de switch de la pédale de sustain, dont je vous parlais plus haut, qui permet de passer du son de l’ampli virtuel au son de l’instrument virtuel. Bien vu !
Le dernier segment de cette colonne est tout aussi intéressant. Il offre la possibilité de mixer le son de l’ampli virtuel et de l’instrument virtuel. Il y a également un slot pour insérer un effet « Master », un autre pour charger une réponse impulsionnelle de HP au besoin, et un dernier pour utiliser une impulsion de réverbération avec dosage « dry/wet ». Enfin, le slide « Gain » pilote le niveau de sortie global de tout ce beau monde.
Pour finir ce tour d’horizon, un mot sur les fonctions de Patch. MIDI Guitar sauvegarde sous forme de Patch l’ensemble des réglages, mais également les éventuelles assignations MIDI, car la plupart des paramètres sont assignables à des messages Control Changes. Le passage d’un Patch à l’autre peut être piloté via des Program Changes. D’autre part, les utilisateurs peuvent s’échanger des Patches sous la forme de fichiers texte. Bien sûr, il faut que les personnes possèdent les mêmes plug-ins/instruments virtuels pour que cela fonctionne sans anicroche.
Bien, toutes ces fonctions sont alléchantes, voyons ce que cela donne à l’usage…
Après l’heure
Dans les faits, MIDI Guitar s’est avéré assez étonnant. La reconnaissance monophonique est tout simplement impeccable. Quant à la reconnaissance polyphonique, même si elle est parfois aux fraises, cela reste tout de même largement acceptable tant le résultat conserve une certaine musicalité. De plus, il faut bien avouer que la plupart du temps lors de mes tests, les problèmes de détection venaient plus d’un manque de précision dans mon jeu sur des passages trop rapides et/ou pas assez maîtrisés que d’un réel problème venant du logiciel. Bref, que ça soit en plug-in ou en version autonome, MIDI Guitar est vraiment très agréable à utiliser et il m’est souvent arrivé d’oublier que je travaillais sur un banc d’essai tant il était planant de piloter mes instruments virtuels préférés directement depuis ma 6 cordes adorée. D’autant que les fonctions de la colonne centrale permettent vraiment de facilement adapter la génération des notes MIDI à l’expressivité du jeu.
Mais alors, Jam Origin aurait-il sorti le logiciel ultime ? Non, mais il n’y a tout de même pas grand-chose à lui reprocher. Quelques fonctions font par exemple parfois sentir leur absence. Je citerai en vrac l’absence d’un Mute lors de l’utilisation de l’accordeur, des boutons solo/mute pour l’instrument virtuel et l’ampli virtuel, ou bien encore d’un réglage de panoramique indépendant, toujours pour le couple instrument virtuel/ampli virtuel. Mais à l’usage, il n’y a rien de vraiment handicapant, surtout si l’on passe par la version plug-in, car le DAW peut alors prendre le relais.
En revanche, il y a quand même une différence de taille entre cette solution logicielle et l’installation d’une solution dédiée pour « MIDIfier » votre guitare : la séparation des cordes. Je m’explique, avec l’installation d’un capteur adéquat, il est possible d’assigner des canaux MIDI différents pour chacune des cordes, ce qui permet par exemple de piloter un synthé basse avec la corde de Mi grave et des nappes avec les 5 autres cordes. Ici, c’est forcément impossible, car la technologie de détection employée ne permet pas de différencier deux notes identiques même si elles sont jouées sur des cordes différentes, par exemple le La de la corde idoine et le même La joué en cinquième case de la corde de Mi grave. C’est malheureux, mais cela ne sera certainement jamais faisable. Pour se consoler, il est toutefois possible d’utiliser une MIDI Machine afin de simuler un split comme cela est possible sur un clavier, c’est-à-dire qu’à partir d’une certaine note, on passe à un autre canal et donc potentiellement à un autre son.
Pour finir ce banc d’essai, voici le résultat de quelques-unes de mes expériences avec la bête. J’ai d’abord utilisé MIDI Guitar afin de piloter un patch tendance 8-bit du synthé virtuel Massive de Native Instruments. Puis, j’ai transformé le son de ma guitare en boîte à musique en utilisant une banque de sons pour Kontakt. J’ai volontairement choisi cet extrait pour le moins bancal, car il montre que la détection polyphonique n’est pas encore parfaite, mais que la musicalité reste présente. D’ailleurs, pour que vous puissiez mieux en juger, le sample suivant présente ce que j’ai réellement joué sur mon instrument, et c’est également loin d’être propre.
J’ai ensuite mélangé le son de ma guitare passant par l’ampli virtuel embarqué avec un son synthétique de Monark pour obtenir un riff bien gras. Enfin, le dernier extrait présente le même riff passant par un ampli virtuel tiers et doublé par un violoncelle virtuel, le tout avec un peu de réverbe et en utilisant le panoramique des pistes de mon séquenceur audio.
- 01 Morning 00:10
- 02 Foe 1 00:22
- 03 Foe 2 00:22
- 04 Whaterbag 1 00:26
- 05 Whaterbag 2 00:26
Je ne m’attarde pas sur les exemples sonores, car MIDI Guitar ne produit pas de son à proprement parler, exception faite de l’ampli virtuel embarqué. Je souhaitais juste vous livrer un petit aperçu des joyeusetés que la bestiole permet de réaliser, et croyez-moi, c’est vraiment « fun » à utiliser !
MIDI à sa porte
Le logiciel de Jam Origin a vraiment de quoi séduire. Facile d’utilisation et diablement efficace, MIDI Guitar invite indéniablement au jeu. Alors certes, il subsiste quelques défauts, mais il ne faut pas oublier que ce soft est encore en version beta. Étant donné qu’à l’exception de la séparation corde/canal MIDI, la majorité des points soulevés ici semblent facilement améliorables, il n’est pas impossible que la version finale frôle la perfection. En tout cas, j’encourage fortement tous les guitaristes intrigués par la question du MIDI à télécharger la version d’évaluation, vous m’en direz des nouvelles, tant en utilisation sédentaire qu’en condition Live !
Téléchargez les extraits sonores (format FLAC)