Même s'il n'a pas suivi de formation académique pour devenir ingé son, le réalisateur artistique et ingénieur Billy Bush a appris les arts de l'enregistrement et du mixage de deux des plus grands spécialistes en la matière : Butch Vig, de Garbage, et le producteur de légende Rick Rubin. Ingé son attitré de Garbage depuis les années 90, Bush peut se vanter d'un CV sur lesquels figurent les noms d'artistes tels que Snow Patrol, Jake Bugg, Dweezil Zappa, The Naked & Famous, Fink, Neon Trees ainsi que The Boxer Rebellion.
Billy Bush a grandi dans le Kansas. Guitariste à l’origine, il a toujours eu un penchant pour les aspects techniques : « j’étais fasciné par le processus de réalisation des disques », nous dit-il. « J’étais le gars avec son quatre pistes qui voulait enregistrer nos répètes, enregistrer le groupe et ce genre de choses ».
Après avoir déménagé au Texas et joué dans des groupes à l’Université du Texas Nord, ses connaissances en matière de technique ont continué à progresser. « Je cherchais toujours à comprendre comment faire pour qu’une guitare marche comme il fallait, pour qu’elle reste accordée, pour qu’elle sonne bien. À comprendre comment fonctionne un ampli. J’ai toujours aimé comprendre comment les choses marchent ».
Ces prédispositions lui ont permis de se voir proposer le rôle de technicien guitare lors d’un concert pour un groupe en tournée, le menant au final jusqu’à la consécration en travaillant avec Garbage. C’est justement là que nous commençons la discussion.
Comment avez-vous eu l’opportunité de travailler sur un concert de Garbage ?
On m’a appelé pour me proposer de travailler sur leur toute première tournée. J’avais déjà la réputation d’être capable de gérer des scénarios particulièrement complexes, et de m’en sortir quel que soit le cas de figure. Et leur tourneur m’a appelé en disant qu’ils avaient vraiment un mal de chien à trouver comment faire ce qu’ils voulaient en live. Quelque chose comme : "C’est vraiment compliqué avec plein de sampleurs, de synthés et de choses comme ça, est-ce que vous pouvez nous aider ?", et moi j’ai répondu : "Ouais, pas de problème !". J’y suis allé et je les ai aidés à mettre tout ça en place, puis on est parti en tournée. Et Butch a noté que j’étais à l’aise avec tout ce qui est technologies, et que je savais utiliser un ordinateur. À l’époque, vers 1995–96, tout cela commençait à peine, avec la popularisation des premiers ordinateurs portables, bien avant que tout le monde n’ait de téléphones portables.
Ça ne date pas d’hier ! [rires]
Il disait : "On va faire un autre disque, et je tiens vraiment à ce qu’on fasse appel au numérique dans notre processus d’enregistrement. Et si tu allais chercher ce qu’il y a de mieux et de plus cool, que tu l’achetais, que tu apprenais à t’en servir et que tu revenais nous montrer comment ça marche ?". C’était une époque où personne ne connaissait Pro Tools. Il avait déjà bossé avec les multipistes numériques de chez Sony et avec Sonic Solutions, et je sentais qu’il voyait ça comme une façon de se simplifier la vie et qu’il aimait manipuler les signaux audio. Je crois qu’il comprenait qu’on était à la veille d’une véritable révolution des pratiques liées à la technologie. À l’époque, Pro Tools venait juste de sortir, j’ai pris l’avion pour aller voir les gars de chez Digidesign et ils m’ont montré ce qu’ils faisaient, ce qu’ils prévoyaient de faire et ce que, nous, on pouvait en faire. Du coup, j’ai acheté l’une des toutes premières configs Pro Tools, je l’ai ramenée au Kansas et j’ai appris à m’en servir.
C’était après la décision de Digidesign de changer le nom de Sound Tools pour Pro Tools ?
Ouais.
Et donc, c’était du multipiste ?
Je crois qu’ils venaient de sortir la version de 24 pistes. Quand on a commencé à l’utiliser, ce n’était pas du 24 bits mais du 16 bits. Ça restait assez limité, et l’idée de Butch était : « J’aimerais avoir quelque chose qui me permette d’éditer des boucles et des pistes de batterie, y ajouter des voix compressées et ensuite tout renvoyer sur bandes ». C’est un peu comme ça qu’il voyait les choses. Donc j’ai appris à l’utiliser et on a commencé à s’en servir comme un outil de composition quand le groupe s’est mis à travailler sur Version 2.0. Ils se sont rapidement mis à apprécier ce système du fait de la rapidité d’écriture, de la facilité d’édition et tout ça. Et en cours d’écriture de l’album, qui a dû durer un mois dans la banlieue de Seattle, Butch s’est rendu compte qu’il voulait m’avoir à portée de main. Et il disait : "Tu sais quoi, j’ai toujours un ingénieur du son quand j’enregistre un disque, alors je vais te dire, tu viens à Madison, tu nous montres comment utiliser Pro Tools, et moi je te montre tout ce que tu as besoin de savoir en tant qu’ingé son". Quand on vous fait une telle offre, c’est difficile de refuser !
Effectivement ! [rires]
[Rires] J’ai dit : "Bon, il faut que je me pince, mais ça me dit carrément !". Et pour l’enregistrement de Version 2.0, on a passé 14 mois dans le studio, 14 mois consécutifs à raison de 7 jours par semaine. Et c’était génial ! En gros, on était là et on enregistrait tout ce à quoi on pensait, et tout ce qu’on avait envie d’enregistrer. À cette époque, le niveau d’expérimentation était tel que chaque jour on se disait : "Tiens, on a envie d’essayer ça, alors faisons-le !"
Cette durée de 14 mois, c’est en comptant le mixage ?
Oui. Entre le moment où on a vraiment commencé à enregistrer les pistes jusqu’aux mixages définitifs.
Et au final, avez-vous tout fait sous Pro Tools ou avez-vous aussi utilisé des bandes ?
On a fini par tout faire dans Pro Tools, parce qu’on avait pris l’habitude de l’utiliser pour créer. On aimait la flexibilité que ça nous offrait. À un moment, on s’est dit : « On va tout exporter sur bandes et c’est là qu’on fera le vrai boulot », mais ça ne s’est fait qu’au moment du mixage. Quand on a commencé le mixage, on a tout exporté vers deux magnétophones de 24 pistes et on a mixé dessus avec 24 pistes de Pro Tools en playback. C’était vraiment pénible.
Vous synchronisiez les machines en SMPTE ?
Oui. On avait le Micro Lynx, c’est un appareil qui fonctionne parfaitement pendant une période et puis tout d’un coup, sans raison apparente, plus rien ne marche !
Pendant cette période, vous avez dû apprendre beaucoup de Butch…
Oui, à l’époque, à chaque fois qu’on enregistrait quelque chose, j’avais carte blanche en termes d’approche. Il m’expliquait : "Bon, voilà comment j’enregistre une batterie, mais toi, tu fais comme tu veux !" J’ai appris sa façon de faire et l’approche qui est la sienne, et les raisons de cette approche. J’ai aussi eu la possibilité d’expérimenter, par exemple je me disais « tiens, j’ai lu dans [le magazine] Tape Op que sur tel disque Glyn Johns a enregistré la batterie de telle façon, j’essaierais bien de faire comme ça ». Et parfois, Butch disait « sur cette section de 8 mesures, là, je veux un son de batterie complètement différent », alors on enregistrait la batterie d’une toute autre façon.
Parlons justement de la captation de la batterie et des techniques que vous avez utilisées pour Garbage. Combien de micros avez-vous utilisés, y avait-il beaucoup de micros d’ambiance ?
Butch aime quand le son est vraiment sec, très direct, quand il vous arrive en pleine figure. Il n’aime pas utiliser trop de micros d’ambiance. Il aime bien quand les overheads sont juste là pour capter les cymbales, plutôt que la batterie dans son ensemble. Il s’agit moins de capter le son de la batterie que celui des cymbales avec toutes les nuance et une certaine discrétion. En général, la configuration consistait en un micro dédié à l’intérieur de la grosse caisse, puis un FET47 [NDR: Neumann U 47 FET] à l’extérieur. Parfois, on utilisait une espèce de tunnel en mettant une autre grosse caisse avec une couverture reliant les deux, comme ça on pouvait reculer un petit peu le micro extérieur sans pour autant capter les cymbales. Pour Butch, l’essentiel était de séparer les signaux. Il voulait s’assurer que la piste de caisse claire contienne aussi peu de charleston que possible, et qu’il n’y ait que le minimum de son de la cymbale crash qui soit capté par les micros des fûts. Pour y parvenir, il s’agissait surtout de soigner le placement et le choix des micros.
Comment s’y prenait-il en général pour capter la caisse claire ? Avec un seul micro, ou alors un au dessus et un en dessous ?
Un au dessus, un autre en dessous.
Des SM57 ?
Oui, il travaillait essentiellement avec des 57. Je passais mon temps à mettre d’autres micros à la place pour voir ce que cela rendrait. Ces temps-ci, mon préféré, c’est le nouveau Telefunken. C’est un micro pour voix, mais il sonne très bien sur une caisse claire.
C’est un micro dynamique ?
Oui. Donc pour résumer, il avait autant de rejet du signal du charleston que possible. Il plaçait le micro de façon à ce qu’il soit dirigé à l’opposé du charley. Alors que le placement habituel d’un 57 sur une caisse claire, c’est juste au dessus du cercle et dépassant sur le dessus de la caisse claire, Butch préférait un placement plus haut et formant un angle de 30 ou 45 degrés en direction du centre de la peau.
Et comment aimait-il placer les overheads ?
Ça dépendait de leurs sonorités. En général, une paire espacée, les micros dirigés totalement vers le bas, l’un du côté de la cymbale crash du côté du charleston, et l’autre tout à la droite, du côté de l’autre crash. Et puis on en rajoutait pour la ride et pour le charley.
Et évidemment, vous faisiez particulièrement attention aux questions de phase ?
Bien sûr. On vérifiait la phase entre les overheads et la caisse claire, et aussi entre les overheads et la grosse caisse. Et entre la caisse claire et la grosse caisse. Et on bougeait ce qu’il fallait de façon à ce que tout fonctionne bien ensemble. Et pareil pour les polarités. Aujourd’hui, c’est quelque chose qu’on peut faire facilement avec Pro Tools, on se dit : « Tiens, celui-là est inversé, inversons-le, et puis reculons celui-là juste un petit peu et ça sera nickel ».
Pouvez-vous nous citer une ou deux techniques de prises de son intéressantes que vous avez apprises de Butch ? Quelque chose qui vous aurait marqué, qui vous aurait fait vous dire : « waow, quelle super idée ».
Une chose vraiment très importante qu’il m’a apprise dès le début, c’est « n’enregistre pas de façon claire et neutre, 'à l’aveugle’. Trouve plutôt un son que tu aimes et tiens-toi à ce son pendant l’enregistrement, n’attends pas la phase de mixage pour l’y ajouter ». Si on veut que la guitare ait un autre son, il faut le faire dès la prise. Si à l’arrivée on vise un son qui atomise tout, il ne faut pas être trop prudent en enregistrant une guitare de façon neutre et passe-partout.
Évidemment, ça implique d’avoir déjà au départ une vision précise de la sonorité souhaitée au final.
Une des choses que j’ai toujours ressenties, c’est qu’enregistrer c’est un peu comme construire une maison. Il faut tout visualiser avant même de commencer à poser les fondations. Sinon, on risque de faire quelque chose qui ne va pas tenir debout. Il faut connaître la chanson et ce que son esprit va être. Et quand on commence à enregistrer, c’est-à-dire quand on pose les fondations, il faut que la basse et la batterie marchent bien ensemble mais qu’elles le fassent d’une façon qui laisse à la fois de la place, de l’espace en termes de mouvement et de la puissance au reste des instruments de l’arrangement. Et les autres instruments doivent aussi bien marcher entre eux, et laisser de la place pour les voix tout en les appuyant. D’une certaine façon, chaque élément vient s’ajouter en prenant les autres comme support.
Sur les albums de Garbage, les sonorités des guitares sont vraiment cool. On dirait qu’elles ont été filtrées pour enlever beaucoup de graves, et peut-être un peu d’aigus aussi.
Effectivement. Encore une fois, dans le même ordre d’idée, même si les guitares doivent « sonner gros » et très fort, on ne peut pas les laisser prendre tout l’espace parce que sur beaucoup de chansons il y a plein d’autres instruments. C’est vraiment facile de mettre tout le reste de côté pour permettre à la guitare de sonner de façon super cool lorsqu’il n’y a pour ainsi dire qu’elle sur le morceau, par contre, si on veut qu’elle sonne de manière sympa, agressive et féroce mais qu’en même temps on a 64 pistes de batterie et percus, 18 autres pistes de guitare et 12 pistes de voix empilées, alors il faut que les guitares s’adaptent au reste. C’est une des choses qu’on a toujours faites. Pour le son de guitare, on cherchait quelles fréquences on pourrait avoir, de quelles fréquences on aurait besoin pour en transcrire l’attaque et l’aspect mélodique et harmonique, mais aussi celles qui permettraient de reproduire l’impression de puissance. Et parfois, au final, les guitares avaient l’air énormes quand on écoutait la chanson, mais quand on les isolait, elles ne paraissaient pas non plus maigrichonnes. On entendait une sorte de gros filtrage passe-bande, et une fois ajoutées à tout le reste elles semblaient trouver leur place au millimètre près parmi les autres pistes.
Comment faisiez-vous pour identifier ces fréquences ? À l’oreille ?
Oui, à l’oreille. Un peu comme à l’instinct. Notre approche de l’enregistrement était toujours la même dans le sens où on faisait comme si on mixait en même temps. Il y avait des éléments qui se recoupaient, donc il fallait leur donner forme, leur donner un sens. On ne pouvait pas laisser des approximations à régler au moment du mixage. Et durant tout le processus, qu’il s’agisse des prises de guitares, de voix ou de n’importe quoi d’autre, on écoutait de façon à avoir une idée d’un mix qui tienne vraiment la route. Donc oui, on pouvait dire si un élément prenait trop d’espace ou entrait en conflit avec telle ou telle autre piste.
Et je suppose que toutes ces choses apprises au début de votre collaboration avec Garbage se sont révélées utiles pour la réalisation artistique ou dans votre travail au service d’autres groupes, n’est-ce pas ?
Bien sûr. Déjà, cette méticulosité et cette attention au détail que j’ai pu apprendre à l’époque me sont très utiles quand je suis avec des groupes qui ont l’habitude de travailler bien plus rapidement. Et je n’ai jamais été confronté à un autre cas où il fallait un an pour faire un album. Franchement, je n’aime pas quand ça prend aussi longtemps. Mais ça m’a appris qu’il y a certaines choses que je suis capable de faire pour obtenir ce niveau du détail, mais pour ça je n’ai pas besoin que ça prenne si longtemps.
Aujourd’hui, personne n’a le budget pour de tels délais.
Exactement, et la plupart des groupes n’ont pas le temps d’y consacrer un an de leurs carrières. Il leur faut boucler un album rapidement, et derrière repartir en tournée.
Évidemment, ça dépend de la qualité d’enregistrement, mais de façon générale que devez-vous faire pour rendre meilleur et plus « gros » les sons enregistrés en home studio ?
C’est incroyable. Les choses les plus compliquées qui me viennent à l’esprit, ce sont la batterie et les voix. Très bien enregistrer la batterie, et très bien enregistrer les voix avec de bonnes prises qui sonnent bien, ça fait partie des choses avec lesquelles on ne peut pas faire illusion en utilisant des micros, des préamplis et un matériel bas de gamme. Ce sont pour moi les deux éléments les plus difficiles à travailler. Si quelqu’un enregistre une basse en DI, ça va, je peux faire en sorte que ça sonne. Et souvent, les guitares enregistrées « in-the-box » ont un son intéressant et sympa. Si c’est un groupe, il est important de faire en sorte que ça sonne comme si ça avait été enregistré dans un véritable espace.
Bien sûr, il n’est pas possible de recréer ou de simuler l’énergie d’un groupe jouant dans la même pièce, mais si vous voulez faire en sorte que quelque chose qui a été enregistré en plusieurs couches sonne comme si toutes les prises avaient été faites dans la même pièce, comment faites-vous ? Vous mettez de la réverbe ?
Parfois, c’est exactement ce qu’il faut faire. Tout a besoin d’une dose subtile d’espace défini. Alors j’utilise la [réverbe] Bricasti, ou parfois Altiverb pour ajouter cette sensation. Parfois, un tout petit peu de réverbe va absolument tout changer.
Vous avez l’une de ces réverbes en rack de chez Bricasti Design?
Oui. C’est étonnant. Pour je ne sais quelle raison, ses sonorités de pièces et de studio ont un rendu tellement réaliste que c’est effrayant. Il n’y a même pas besoin d’en mettre beaucoup. Juste un petit peu, et elle donne assez d’air pour donner l’impression d’enregistrer dans une véritable pièce.
Vous utilisez beaucoup de plug-ins de chez Waves aussi, parlez-nous de quelques uns de ceux que vous aimez.
Chez Waves, j’adore plein de modélisations parmi celles qu’ils ont faites. Comme les traitements du studio Abbey Road qui sonnent super et sont vraiment utiles. De la réverbe à plaques au J37 en passant par l’égaliseur [passif], le RS56. Je trouve que tout ça sonne merveilleusement bien. La H-Reverb est sympa aussi. On peut vraiment manipuler la réverbe et ses caractéristiques de temps et d’espace, et on peut pousser les premières réflexions ou les queues de réverbe, et créer des réverbes réalistes si on veut. Je trouve que c’est une vraie source d’inspiration pour faire des choses qui s’approchent du design sonore.
Quoi d’autre ?
Il y a un plug-in de chez Waves qui m’a vraiment étonné, et je ne sais ni comment il fonctionne ni ce qu’il fait exactement mais j’arrive à en tirer des sons intéressants et cool, c’est le Scheps Parallel Particles. C’est bizarre, je prends ce truc et ça donne à n’importe quoi un son vraiment crédible. C’est incroyable cette façon avec laquelle il permet à tout de sonner mieux, quoi qu’il fasse.
Quels autres genres de plug-ins utilisez-vous principalement ?
J’adore tous les trucs de chez Soundtoys. Ce sont vraiment mes bases pour donner de l’intérêt à une piste. Ils donnent un son sympa, ils ajoutent un peu de réalisme à certains trucs. Les délais, Crystallizer, EchoBoy et Filter Freak, je les utilise à chaque session, d’une façon ou d’une autre.
D’autres plug-ins que vous aimez particulièrement ?
Les trucs de chez Universal Audio. J’adore tout ça. Leurs réverbes, comme la BX-20, j’adore vraiment. J’adore aussi l’Eventide H910, et les échos à bande. Leur 1176 et leur Pultec sont aussi employés à chaque fois. Et leurs nouvelles modélisations d’amplis, l’Ampeg et les autres, sont tout simplement fantastiques.
Votre façon de mixer a aussi été influencée par Rick Rubin, avec qui vous avez travaillé sur le projet de Jake Bugg. Pouvez-vous nous en parler ?
Rick compte parmi les personnes qui m’ont vraiment le plus permis de m’améliorer en termes de mixage. Ue chose intéressante à son propos, c’est que lui ne voulait absolument rien entendre qui ressemble à un effet, c’est-à-dire l’exact contraire de ce que je faisais dans l’univers de Garbage où il fallait que tout sonne comme quelque chose d’unique et d’absolument jamais entendu.
Quand vous dites qu’il ne voulait pas entendre d’effets, vous voulez dire que quand vous en utilisiez, il fallait qu’ils soient subtils et que le son soit naturel ?
Oui. Il ne voulait pas entendre de réverbe. Un peu de renvoi d’écho ça allait, un peu de réverbe à ressorts à la rigueur, mais à part ça il ne voulait rien entendre qui ne paraisse pas naturel. Il s’agissait de véhiculer des émotions. Je mixais quelque chose, il revenait avec des notes et ses notes étaient un peu absconses, et il me fallait quelques instants avant de comprendre ce qu’il voulait dire. Habituellement, les notes qu’on reçoit en retour d’un mix, c’est du style « sur le refrain, est-ce que tu peux augmenter la voix de 1,5 dB et pousser vers les 4kHz » ou des choses dans le genre, mais avec lui c’était plutôt : "Il faut que ça soit un peu moins tendu au pied, juste autour du pied". Et vous vous dites « non mais qu’est-ce qu’il veut dire là ? ». Mais si vous y réfléchissez en écoutant la chanson, vous vous dites « OK, je vois, la grosse caisse est trop forte et la caisse claire manque de volume, et il veut davantage entendre le contretemps et ce qui lie le tout mais moins entendre le boum-boum-boum-boum ». Mais au delà des mots, il s’agissait surtout de transmettre une sensation. Et le moment où j’ai travaillé avec lui correspond au moment où j’ai commencé à appréhender la façon dont, aujourd’hui encore, je comprends qu’un mix est terminé, c’est-à-dire quand je ressens quelque chose, quand j’ai une émotion forte après l’avoir écouté. Si après avoir écouté une chanson des centaines de fois en la mixant j’arrive à un moment à me dire « wow, OK, là j’ai vraiment ressenti un truc », je sais que j’y suis presque.
On dit toujours qu’à la fin d’une longue session de mixage, c’est dur d’avoir encore le recul nécessaire. Mais il semble que les très grands pros du mixage connaissent moins ce genre de problème.
C’est dur, parce que le plus difficile, c’est de ne pas se faire de fausses idées à un moment donné. L’une des choses à faire, c’est prendre assez de pauses afin de ne pas rester là huit heures d’affilée à se taper la tête contre les murs. Parfois, il me faut quelques jours pour mixer un projet, mais je passe pas 14 heures par jour, deux jours de suite à mixer sans bouger. Non, je cherche à varier les systèmes d’écoute, les enceintes, le casque, et puis je prends des pauses et j’y retourne pour écouter avec les oreilles reposées. Quand j’en arrive au point où j’ai l’impression d’avoir perdu ma concentration, je sors, ne serait-ce que pour promener le chien, ou autre.
Et vos oreilles sont de nouveau opérationnelles en quoi, une demi-heure, sans avoir à attendre plusieurs heures ?
Tout à fait. En cinq minutes. Je passe un coup de fil, ou je vais au Starbucks prendre un café et je reviens. Je vais prendre l’air et le soleil, et puis je m’y replonge.
Travaillez-vous avec Garbage ces temps-ci ?
On s’apprête à repartir en tournée, donc ça nécessite quelques préparatifs. Et j’ai pas mal bossé sur les archives dans l’optique de ressortir Version 2.0 dans une version coffret.
Avec des morceaux supplémentaires ou des versions inédites ?
Normalement oui. Je transfère beaucoup de choses provenant des bandes, et ça prend du temps parce que comme elles sont restées sans être utilisées pendant près de 25 ans, je dois les restaurer avant d’en transférer le contenu. Ensuite, éditer le contenu et rassembler les différentes versions. On avait fait ça il y a deux ans environ pour le premier album, c’était à la fois long et amusant de passer en revue tous ces enregistrements pour trouver les versions originales, les transférer et les archiver, de manière durable espérons-le, en 24 bits / 96 kHz.
Parlez-nous du processus de restauration des bandes.
Oui. Après pas mal de recherches, il s’avère que ce qui marche le mieux, ce sont les appareils qu’on utilise pour faire des chips, en gros des déshydrateurs alimentaires. Il y a quelques modèles qui font à peu près la même taille que des bandes de 2" ou d’un demi pouce, donc vous le réglez à une température donnée, vous mettez les bandes dedans et vous laissez agir pendant 10 ou 12 heures. L’effet de la restauration, c’est que ça réactive en quelque sorte les composants chimiques qui permettent à la bande de rester solidaire. Si vous ne le faites pas, beaucoup de bandes tendent à se désagréger.
Vous voulez-dire qu’elles partent en lambeaux ?
Exactement. Elles partent littéralement en morceaux. Mais avec ce processus, c’est génial parce que d’une certaine façon, ça rajeunit les composants chimiques qui permettent à l’ensemble de tenir. Et ensuite, tout est parfait à l’écoute.
Merci Billy !
De rien!