À la fin des années 70, RSF présente le Kobol Expander, un synthé monodique semi-modulaire en rack au son énorme. Plus de quarante ans après, Behringer reprend le flambeau avec une version bien plus abordable…
Le Kobol Expander date de 1979. C’est un synthé analogique monodique semi-modulaire construit par la société française RSF, au format rack 19 pouces 4U, basé sur la carte analogique du Kobol clavier sorti un an plus tôt. Il peut être piloté en tension par le Programmer, un rack 19 pouces apportant 16 mémoires et un séquenceur, comparable à la partie numérique du Kobol clavier. Le son magnifique du synthé est mis à l’honneur par JMJ dans sa tournée des Concerts en Chine, où l’on peut voir un mur de Kobol Expander derrière lui pilotés par le Polyclavier. L’Expander II vient ensuite étendre ses possibilités, avec des modules supplémentaires. L’histoire complète des produits RSF a été mise en lumière par Olivier Grall, qui a réuni tous les modèles de la marque, parfois en plusieurs versions, dans son formidable musée SynthéGrall.
Fin 2019, un échange avec l’équipe de développement de synthés de Behringer m’a conduit à contribuer aux projets Kobol. Je possédais un Kobol clavier de RSF et le synthé faisait partie de leurs priorités. Je leur ai présenté Gilles, un talentueux électronicien, amateur et concepteur de synthés, qui a aussi le bon goût de maintenir mon studio. Il a conçu les schémas électroniques à partir de mon Kobol, j’ai défini le cahier des charges fonctionnel et l’interface utilisateur des modèles clavier et module. Olivier Grall a peaufiné les ultimes réglages pour parfaire le résultat sonore. Quatre ans, un Covid et une crise des composants plus tard, le Kobol Expander est le premier disponible. Voyons ce que ce synthé « Designed in France » a dans les tripes…
Boitier Eurorack
Le Kobol Expander reprend la même physionomie que le Pro-1. Il s’agit d’un module au format Eurorack 80 HP ou 19 pouces 3U (cornières optionnelles). La construction est très bonne : boitier métallique, flancs en bois, potentiomètres résistants (mais pas vissés). Les mini-jacks ne bougent pas, mais ne sont pas non plus vissés à la façade. Cela a été impressionnant de suivre la mise au point de la partie mécanique en plus de l’électronique, pourtant basique au premier abord. Dès les premiers traits de crayon pour dessiner la façade, le département industriel sort des écorchés 3D dans tous les angles avec toutes les couches impliquées (capuchons, boitier, PCB, composants…). C’est fou le nombre de choses à vérifier : position des connecteurs pour la soudure et le montage, encombrement des interrupteurs, parcours des nappes entre cartes, nombre et position des vis, positionnement des composants pour éliminer la pollution sonore… sans parler des ruptures d’approvisionnement ou changements de référence de composants critiques chez les fournisseurs le temps du développement. Mais revenons en surface…
Les commandes sont quasi identiques à celles du Kobol Expander de RSF, à savoir 23 potentiomètres et 33 points de patch. Il y a quelques différences : connecteurs mini-jack au lieu de jack 6,35 permettant de réduire la hauteur de 4 à 3U et d’être compatible Eurorack ; entrée Midi DIN en façade, pratique lorsque le synthé est racké et utile pour le chainage de plusieurs modules ; sortie casque en façade ; sélecteurs additionnels pour la couleur de bruit et les sources de PWM. Les potentiomètres sont un peu plus petits que chez RSF, du coup leur espacement permet une meilleure séparation. La répartition des modules est un peu déroutante au départ, mais la prise en main reste facile : LFO et processeur de tensions à gauche, puis VCO superposés, VCF, enveloppes superposées et volume final. La sérigraphie indique le parcours du signal et les possibilités d’injection/prélèvement dans les différents modules. Tout ne se passe pas qu’en façade puisqu’on trouve un complément de connectique à l’arrière : sortie audio jack 6,35 TS, sélecteurs de canal Midi, Midi Thru DIN, prise USB B (notes, pitchbend, réglages additionnels via l’appli Synthtribe, dont l’intervalle de pitchbend, la priorité de note, le redéclenchement des enveloppes et la mise à jour du micrologiciel – mais pas les CC Midi), mini-interrupteur secteur (gare aux gros doigts indélicats) et borne pour adaptateur externe 12V/1A, type bloc extrême assez cheap.
Du gros son ?
Le Kobol Expander est un synthé semi-modulaire purement analogique. Il ne possède donc pas de mémoires. La conception ne permet pas de connecter directement un éventuel module Programmer en interne, contrairement au modèle de RSF, ou alors il faudrait un programmeur dédié avec des sorties CV. Ceux qui veulent des mémoires pourront se rabattre sur le modèle Kobol clavier, qui sortira après. Immédiatement, le son impressionne : les niveaux sont très élevés (bien souvent, le volume à 50 % suffit largement, comme sur l’original), les VCO grondent avec ce gros son quand on les accorde, les enveloppes déménagent, le VCF sature agréablement dès qu’on monte les niveaux des VCO, la résonance déboite. Les basses grasses, les leads tranchants, les solos expressifs, le Kobol Expander fait tout cela. Les plages de réglages sont vastes, on ne se sent pas limité, tant mieux !
S’y ajoutent les possibilités liées à la semi-modularité, permettant notamment de créer des modulations dans le domaine audio : sortie de VCO vers la modulation de fréquence des VCO ou du VCF, vers la forme d’onde continue des VCO ou le VCA ; modulation des segments d’enveloppes ; injection d’un signal externe dans le VCF. On apprécie également la possibilité de moduler la largeur d’impulsion des VCO par le LFO et/ou l’enveloppe de VCF, amélioration par rapport au Kobol Expander de RSF. On sent le soin particulier mis pour reproduire fidèlement le comportement des différents composants du Kobol Expander. De même, le respect des tensions d’alimentation d’origine en 18V garantit cette patate et ce grain tant recherchés. À vos oreilles !
- Kobol Expander_1audio 01 Saw 2 PWM00:54
- Kobol Expander_1audio 02 Res Bass00:43
- Kobol Expander_1audio 03 Noisemoded Square00:49
- Kobol Expander_1audio 04 Human Voice00:29
- Kobol Expander_1audio 05 Nasty Sync01:18
- Kobol Expander_1audio 06 Noisy Stuff00:30
- Kobol Expander_1audio 07 FM VCF00:47
Voici maintenant quelques extraits sonores concoctés par notre ami AFien Emmanuel C. qui a sauté sur son livreur de bon matin pour lui arracher le carton des mains et enregistrer immédiatement…
- Kobol Expander_1audio EC1 Absolutely Fat00:31
- Kobol Expander_1audio EC2 Chrom Matic00:36
- Kobol Expander_1audio EC3 Slamming Bass00:38
- Kobol Expander_1audio EC4 Future House Bass00:36
- Kobol Expander_1audio EC5 Noise Beat00:38
- Kobol Expander_1audio EC6 Duophonic (Verb)00:41
- Kobol Expander_1audio EC7 Duophonic (Verb + Delay)00:52
- Kobol_Bench_2020 12 01_1 Res Bass00:57
- Kobol_Bench_2020 12 01_2 NoRes Bass00:18
- Kobol_Bench_2020 12 01_3 LFO PWM00:23
- Kobol_Bench_2020 12 01_4 Pure Square00:15
- Kobol_Bench_2020 12 01_5 Big Sync00:38
Discrétion totale
Le Kobol est un synthé monodique doté de 2 VCO, un générateur de bruit, un VCF, un VCA, un LFO, deux enveloppes et un processeur de tensions. Tous ces modules ont été entièrement refaits. En particulier, le pilotage des VCO variables par cinq tensions de commande, le circuit d’exponentiation des VCO intégrant à l’origine le composant obsolète uA726, ainsi que le VCF SSM2040 et les enveloppes SSM2050, entièrement redéveloppés en composants analogiques discrets. Le signal sonore prend sa source dans 2 VCO à ondes variables, passant en continu par les ondes triangle, trapèze, dent de scie, carré puis impulsion. La dernière position est une impulsion à largeur variable, pilotable par le LFO et l’enveloppe de VCF (le dosage fin de la modulation peut se faire en interne via deux ajustables, reliés par un pont diviseur pour éviter l’annulation de la forme d’onde). Les VCO sont accordés en continu sur +/- 4 octaves et désaccordables. Vient ensuite le dosage du volume des VCO. Pousser les niveaux fait saturer le filtre, le son gronde, c’est beau ! Côté semi-modularité, on a des entrées CV vers la fréquence, la forme d’onde et le volume de chaque VCO, ainsi qu’une sortie audio par VCO. Celle du VCO1 ne coupe pas le signal, alors que celle du VCO2 l’interrompt (insertion). Les VCO peuvent être synchronisés, mais il n’y a pas de modulation en anneau. On trouve aussi un générateur de bruit rose ou blanc avec sortie directe.
Les sources internes ainsi qu’une éventuelle source externe connectée à l’entrée idoine attaquent ensuite le VCF. Il s’agit d’un filtre passe-bas 4 pôles résonant, capable d’entrer en auto-oscillation, avec une résonance qui descend très bas. Le filtre discret de ce nouveau Kobol reproduit parfaitement le comportement du SSM2040 à exponentiation. Le choix a été fait de refaire ce VCF en composants discrets plutôt que d’opter pour le récent SSI2140, un choix qui s’avère payant vu le résultat sonore. Le vénérable SSM2040 est l’un des meilleurs VCF du marché ; il équipait les Prophet-5 Rev1 et 2, en plus des Kobol, avant de disparaitre de la circulation. La fréquence de coupure peut être modulée directement par une enveloppe (modulation bipolaire, merci !) et le suivi de clavier (0–200 %). On peut supplanter ces modulations par des CV externes. La fréquence de coupure et la résonance disposent chacune d’une entrée CV. On regrette qu’il n’y ait qu’un seul type de VCF, sans option de compensation, c’est le choix de l’authenticité qui a prévalu. Ceux qui se plaignent de la perte de niveau peuvent toujours remonter le volume final, il y a suffisamment de réserve ! Le signal termine sa course dans le VCA, doté d’une enveloppe dédiée et d’un potentiomètre de volume. Pour encaisser le niveau de sortie, le préampli classique Behringer a été remplacé par une nouvelle conception spécifique, sinon ça saturait au quart du volume !
Semi-modularité
Le Kobol Expander est un synthé semi-modulaire. On peut l’utiliser comme un synthé précablé ou modifier l’ordre préétabli grâce aux nombreux points de patch (entrées/sorties CV ou audio), comme déjà dit. Nous avons précédemment abordé les modules produisant ou déformant le son, voyons maintenant les modules de modulation. On commence par le processeur de tensions, ni plus ni moins qu’un mélangeur à deux entrées (l’une avec atténuation/gain de 0 à « 2 fois », à +10V par défaut au centre jusqu’à +13,8 V en position 2, qui est la tension maximum de sortie de l’AO utilisé, comme sur l’original, l’autre entrée étant directe) et une sortie à gain dosable, avec sortie audio droite et sortie en inversion de phase. On continue avec un LFO analogique, capable de produire les ondes triangle et carré, mais pas S&H (dommage, on avait le générateur de bruit sous la main). Sa fréquence peut monter dans l’audio. Il offre deux sorties, une avec un réglage de quantité, l’autre directe. La première est préroutée sur la modulation du pitch des VCO, mais on peut casser cette liaison en injectant un autre signal à l’entrée idoine.
On trouve aussi deux enveloppes ADSR analogiques (Gate commune), avec segments Decay et Release communs dans chacune. L’une est préassignée au VCA, mais les deux disposent de leur propre sortie CV pour être routées n’importe où. L’autre est préassignée à la PWM (avec commutation en façade et ajustables internes, comme nous l’avons déjà dit) et au VCF (avec modulation bipolaire, répétons-le, ça complique les circuits, mais qu’est-ce que c’est bien à l’usage !). On peut couper les segments de Release (interrupteur DECAY OFF, appellation d’origine volontairement conservée bien qu’impropre). Les segments ADS de chaque enveloppe disposent d’entrées CV, ce qui permet de complexifier notablement les modulations. Ces enveloppes reproduisent fidèlement le comportement des CI SSM2050 qui équipaient le Kobol de RSF, avec des temps allant d’hyper rapide à très long. Bref, elles cognent !
Cocorico Kobol !
La conception d’un synthé représente un travail captivant. Revisiter un classique augmente encore le challenge, avec une inévitable comparaison à l’original, c’est bien normal. La mise au point est délicate, car les exigences sont bien plus fortes qu’on ne se l’imagine. Le nouveau Kobol Expander est un synthé au son authentique, pensé dans le respect du modèle avec l’esprit de ses concepteurs, juste un peu amélioré, pour ceux qui aiment les synthés analogiques semi-modulaires au gros son. Les sonorités le démarquent des autres synthés, comme le Kobol Expander à son époque, tant les niveaux sont élevés, le grain puissant, la saturation dans le filtre spécifique et les enveloppes ultras rapides. Les résultats sonores bousculent aussi certains préjugés sur les composants nouveaux vs vintage, les CMS vs les traversants, les circuits discrets vs les circuits intégrés. Quant au tarif, il est vraiment sans commune mesure avec la cote actuelle de l’ancêtre.
En Bref…
Ce que j’apprécie
Gros son punchy et vintage conforme au modèle d’origine
Conception semi-modulaire
Deux VCO à ondes variables continues
Saturation naturelle des VCO dans le VCF
Générateur de bruit à deux couleurs
VCF chaleureux magnifique avec contour bipolaire
PWM via l’enveloppe et le LFO
Enveloppes analogiques ultras rapides
LFO analogique à fréquence élevée
Entrée audio vers le VCF
Possibilité de chainer plusieurs modules via Midi
Solide boitier métal compatible Eurorack
Rapport qualité/prix
Ce que je n’apprécie pas
Un seul type de VCF
LFO très basique, sans position S&H
Segments Decay/Release communs
Pas de mémoire ni CC Midi
Adaptateur secteur externe cheap