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Soft_Knee Soft_Knee

« Canif en Forme de Cran d'Arrêt »

Publié le 22/07/18 à 15:27
Rapport qualité/prix : Excellent
Cible : Tout public
màj 27/07/18

Sérendipité

J'étais passé au magasin voir le Model D, et par pur hasard de sérendipité, je suis reparti avec le Neutron. Quelle bonne idée!

Ma référence aux synthés est celle des polyphoniques des années 80 (analogiques comme numériques, à l'époque et aussi dans le contexte contemporain), et dans les mois passés j'ai vendu un 01/W (pourtant extra pour ses nappes à waveshaping), retourné un Deepmind12 (trop chimique), tiré un trait sur le Rev 2 (trop sage), et fait la moue devant le Prologue (trop froid). Je n'ai pas d'expérience du modulaire, et j'ai fait une découverte fortuite et bienheureuse du JX-3P en 2018 (le vrai avec la résonance qui peut auto-osciller.) Assez pour le background du point de vue.

Cru et Sauvage

Le Neutron frappe immédiatement par le caractère cru et sauvage de ses oscillateurs, au point qu'il est très facile de se méprendre et de trouver que ça sonne brouillon et crado. C'est très acide très vite, d'autant que le circuit d'overdrive, le délai BBD, et surtout la résonance du filtre, apportent beaucoup d'harmoniques en excédant, sous différentes formes de distorsion et de salissure du signal.

Dial back

Lors de l'essai dans le magasin, je ne me suis pas tellement inquiété du fouillis sonore sur lequel je suis arrivé très vite en manipulant les boutons du Neutron, ni de la difficulté à en sortir, je sais d'expérience qu'il est souvent plus facile de faire mal sonner un synthé analogique en tripotant ses boutons sans le connaître encore, que l'inverse. Au casque, j'ai trouvé des timbres très gras, un filtre à la résonance grosse de clipping assourdissant, un délai (très) mono immédiatement dans le territoire du dub, et une overdrive qui permet de ranger au placard toute idée de coller une overdrive en sortie (à peine peut-être un chorus stéréo peut-il s'avérer utile parfois) - le Neutron a tout ce qu'il faut en lui-même pour tenir l'autonomie.

Une fois rentré à la maison, les paramètres remis à plat et tout baissé d'un ton, dans l'air à travers les moniteurs, un tout autre caractère qu'au casque s'est manifesté : les modulations du LFO, des enveloppes, dégagent une richesse sonore impressionnante, à mesure que le LFO part vers la modulation de fréquence et que l'on ajuste le filtre, oublier réverbe et toute idée de processeur annexe, l'autonomie se confirme, grosse sensation physique, et le gros son, avec toute la réserve des différents artifices pour le magnifier, le grossir davantage, jusqu'à faire hurler le Neutron.

Décisions Heureuses du Design

Je note quelques caractéristiques qui ressortent très vite (au moins pour ce qui est de mon expérience) :

màj- les variables SHAPE de formes des ondes des oscillateurs, par le caractère fluctuant des oscillateurs (même à minima), permet d'obtenir un subtil battement, presque un LFO, qui rend le son vivant quoi que l'on fasse. Il n'y a pas de PWM sur la façade du Neutron mais l'ATTENUATOR 2 est câblé en interne par défaut pour faire varier les deux largeurs d'impulsion (WIDTH) des oscs sur le ryhtme du LFO, indépendamment du MOD DEPTH, ce qui donne une sorte de PWN cyclique. Comme ils croisent sur le zéro des phases des oscs entre eux, on obtient ainsi très facilement des motifs de battements selon diverses courbes en fonction des formes d'
ondes sélectionnées, avant même d'avoir commencé à toucher au filtre et aux modulations. Appréciable.

- Le mode paraphonique ouvre un territoire de jeu au clavier, impossible sur un monophonique pur, puisque l'on peut travailler les variations harmoniques du son lui-même (filtre, résonance, interaction des oscs), à partir d'une diaphonie. Le Neutron est une sorte d'accordéon diatonique dans ce sens, c'est tout de suite plus riche, et on s'emploie en contrepoints, à la fugue, à des tensions, et leur résolutions : il y a de quoi faire pour le claviériste.

- Le VCA BIAS est un paramètre qui permet de contrôler la quantité totale du son qui sera affecté par l'enveloppe 1 (VCA), autrement dit poussé à fond le Neutron sort tout le son qu'il crée en bypassant l'enveloppe d'amplitude, ceci permet d'en "jouer" même sans clavier, et en dosant, d'enrichir le jeu de cet arrière fond sonore dronesque. C'est une sorte de fonction HOLD variable et progressive.

- Le TONE de la section OVERDRIVE fait office de filtre passe bas de sortie, il est très utile comme il permet de tamiser les crètes (clipping) de l'overdrive et de la résonance du filtre, et d'éviter de se retrouver tout le temps avec des éclats de verre tranchant dans les oreilles, tout en maintenant le niveau souhaité d'harmoniques apportées par ces enjoliveurs sonores. En fait, l'ensemble de la section OVERDRIVE fonctionne vraiment comme une section de préampli de guitare avec overdrive, gain et volume, indépendamment du volume master. Çà tombe bien parce que c'est la seule façon d'obtenir des sons drivés sans exploser le volume sonore général.

- Le générateur de bruit NOISE est très efficace même quand le contrôle TONE et le filtre sont réduits, de sorte que NOISE devient vite un osc auxiliaire qui s'offre à merveille aux transitions et autres inflexions d'un drone ou d'une séquence.

- Le LFO descend très bas et monte très haut dans les tours. Tout en bas on est dans le domaine bien dessous du Hz, et en haut on déboule dans le domaine de l'audible largement, de sorte que l'on puisse faire chanter le Neutron comme un robot façon talkbox, ou obtenir des timbres métalliques typiques de la FM. Une des fonctions cachée permet d'avoir un continuum de variation de la forme du LFO (au passage, la même fonction existe pour la forme des oscs) plutôt qu'un toggle, et cette fonction est modifiable à la volée sans devoir éteindre-rallumer le synthé (et reste activée au rallumage.)

- Le délai BBD est une petite merveille. Il est plutôt très crado, mais tout dépend de ce qui y entre. Il bouffe vraiment toute la partie pointue du spectre sonore, et donne immédiatement une patine roots et dub au son, et aussi vintage si l'on veut. Sur des valeurs courtes il permet de placer le son dans l'espace à minima, de sorte que le synthé ne sonne pas sec même sans réverbe/délai externe. Sur des valeurs longues on déboule dans un monde de feedback jusqu'à saturation complète du buffer, et comme cette saturation du buffer est liée au temps du délai, elle est modulable, on peut allonger le temps pour remplir le BBD, puis le vider en raccourcissant le temps, et le regonfler en le remontant - tout ceci lors même que le synthé ne sonne plus : le délai dispose d'un buffer qui peut s'auto-entretenir pour donner tour à tour, selon l'usage, une sorte d'oscillateur bis, un LFO extérieur, le moteur d'une séquence, ou le contrôle ultime et progressif d'un drône, qui peut prendre le relai de façon à modifier le patch sous-jacent sans interruption, une sorte de "patch remain" manuel et analogique, et qui ne demande pas d'effort de prise en main, on y est tout de suite!

- La résonance du filtre est très riche, la plupart du temps à partir de mi-course on en obtiendra une saturation naturelle, et qui nourrira l'overdrive de la plus belle des façons. Le KEY TRACK de la résonance, qui permet de faire suivre chromatiquement la résonance, offre encore un boost en quelque sorte, puisqu'il déborde le voile sourd à travers le plafond de la fréquence du filtre, de sorte que l'on puisse se servir de ce toggle KEY TRACK pour atteindre un pallier plus haut vers l'extase au fil d'un patch évolutif, par exemple.

Instrument du Live

D'une manière générale, s'il y a mille usages d'un tel synthé, bien sûr il peut servir de façon traditionnelle pour alimenter un sampler, quand on enregistre un à un des éléments d'un kit de drums électro, ou bien encore pour un tracking précis dans un séquenceur, quant on enregistre les parties une à une.

Mais le Neutron met à disposition bien mieux que cela pour le jeu live et la construction de séquences, et leur évolution vers des paysages de crêtes harmoniques. C'est LE point fort qu'apportent une série de décisions bienvenues dans le design de ce synthé à mon avis. Souvent sur des synthés analogiques en ce sens on ne dispose pas d'une très grande marge de manoeuvre pour créer des paliers, une fois le filtre ouvert, le LFO en place, la résonance engagée, souvent il ne reste plus qu'à redescendre, ou alors basculer en gate, ou bien il faut des traitements externes.

Avec le Neutron, tout l'inverse, si l'on commence doucement avec une interaction des oscs via le SHAPE, puis que l'on monte suivant l'ordre plus ou moins des paramètres que je viens de décrire, et en tirant avantage de leurs apports respectifs, on peut franchir palier après palier, et partir très loin sans devoir faire machine arrière, d'autant plus qu'en sortie, il y a encore l'OVERDRIVE qui peut repousser plusieurs fois le mur du son, comme on la réajuste à mesure des nouveaux plateaux établis.

C'est cela la force de ce synthé : la tessiture sonore et dynamique est très très, très large, la générosité des oscillateurs (+ paraphonie), la gestion des enveloppes (VCA BIAS et ENV DEPTH), du LFO (ATTENUATOR 2 et MOD DEPTH), la latitude du filtre et de la brillance (FREQ, RES et TONE), fournissent au couple OVERDRIVE et DELAY (ensemble ou séparément), tout le matériau nécessaire à de vastes progressions séquentielles.

Ailleurs, au loin le Pouët-Pouët

A vrai dire, je n'ai pas encore passé beaucoup de temps dessus, mais au moins en quelques dizaines de minutes je peux dire ceci : en lui-même et de façon autonome ce synthé apporte une grande réserve de possibilités pour faire décoller l'auditoire (à mes oreilles au moins), et l'emporter vers ailleurs.

Dans le contexte d'un set avec d'autres synthés, son autonomie sonore et son caractère cru et sauvage, en font une lame pour trancher au dessus d'une nappe ou d'une atmosphère, même d'une atmosphère déjà lourdement chargée en overdrive et saturation, délais et réverbes ultra longues. Il coupe à travers les nuages, et si ses leads ne sont pas aussi polis et propres que ceux d'un Model D par exemple, au moins ont-ils le mérite de ne pas se noyer dessous la vague ambiante.

Le Neutron surnage, il écrête au dessus de la vague, c'est un synthé ultra expressif dans ce contexte quand il faut ajouter une forme au dessus d'un paysage existant, on l'entend facilement (et sans devoir réduire le reste pour y parvenir.)

Mais il est aussi un synthé rythmique qui s'anime dès que l'on commence à lui brancher des câbles.

R2D2 dans la Baie d'Acapulco

La patchbay, via le module Sample&Hold, est un abime délirant de création aléatoire (et hasardeuse..) Pour l'instant je m'y perds, je branche, j'essaie de piger ce que je fais, et le Neutron part très vite au large dans la baie, dans une grande conversation avec lui-même et la contingence de l'univers. Très intéressant, cf. l'extrait "musical", où je me suis contenté d'allumer l'enregistreur (il y a un chorus stéréo sur la sortie du Neutron, c'est tout.) A ce stade il me reste 2 câbles patches fournis sur les 6. Il est évident que le moindre mouvement sur le clavier ou sur les paramètres bouleverserait cet équilibre en roue libre d'autant, introduisant pour le coup une vraie créativité musicale. Tout un monde.

Le patch de l'extrait : S&H -&gt; Osc2
Osc2 -&gt; Delay Time
LFO Uni -&gt; LFO Shape
LFO -&gt; Osc1+2

Désincarcérateur de K.Dick

màj- Je n'ai pas beaucoup parlé du patchbay, ni (quasiment) des 3 sections à gauche de celui-ci. D'autres s'en chargeront. Le patchbay à lui tout seul, plus que parfait, est un gage d'évolutions multiples, y compris sur le long terme, et les 6 câbles offerts permettent de faire monter la sauce encore au cube. Ce qu'il faut comprendre avec le patchbay, pour débuter, c'est qu'il s'agit de prendre le signal ici pour le porter là, et ensuite de ce nouveau point de départ, le porter encore ailleurs. C'est à dire que souvent il ne se passe rien si l'on ne connecte qu'un seul câble, out le fun est dans les combinaisons à partir de deux. Le manuel fournit des exemples et des astuces utiles, et à mesure que l'on comprend ce qui se passe, viennent des idées de nouveaux patches. Un contre-exemple de patch qui produit des effets avec un seul branchement, la sortie S&H vers l'entrée FREQ MOD, qui permet de faire usage du module Sample & Hold du Neutron (ce module n'est accessible que par le patchbay du reste, et il est la base de beaucoup du fun de la modularité, parce qu'il introduit de l'aléatoire.) On s'inquiète au début de la limitation des câblage, mais plusieurs entrées/sorties sont dédiées à la démultiplication des signaux, et c'est juste une question d'imagination et de savoir faire pour trouver comment réaliser l'idée de routage complexe que l'on a en tête (avant éventuellement de devoir utiliser des dédoubleurs de câbles par exemple.) Une sortie assignable enfin permet notamment d'introduire vélocité et aftertouch (mais pas les deux ensemble.) C'est vraiment très complet, et avec d'autres modules en dehors, les possibilités s'ouvrent encore davantage.

màj- Le Neutron est aussi ouvert sur l'audio, via une entrée Audio IN à l'arrière qui prend des signaux plutôt chauds (pour en tirer le meilleur souvent +6 à 12dB, fonction du niveau et de l'impédance du signal.) Il faut ouvrir le filtre et l'enveloppe pour laisser passer le signal audio, et il faut donc accepter des compromis entre le son du synthé et le résultat de l'audio entrant, si l'on veut les jouer ensemble. Sur une BAR ou un dispositif rythmique, l'audio IN est vraiment intéressante et permet de jouer le synthé en même temps, via une séquence ou au clavier. Pour traiter le signal seul, il faut porter les OSCs en dehors du spectre audio, tout en bas ou tout en haut, une fois cela établi, l'ensemble des commandes du Neutron (hormis la section OSCs donc) est dédié au traitement du signal audio entrant. Autres entrées audio dans le patch bay, le VCF IN, l'OD IN, le DELAY IN, qui shuntent le synthé d'autant, mais qui sont plus souples et permettent des routages à la carte.

Un mot sur la finition et les aspects matériels : j'aime le bouton de volume du casque à l'arrière, indépendant du volume de sortie (qui permet de cherche un patch dans son casque sans devoir le faire publiquement, idéal sur scène!), la sortie MIDI THRU qui évite un hub USB, les DIP switches à l'arrière qui permettent par combinaison de régler le synthé sur un canal MIDI de 1à 16 (sans devoir passer par l'envoi de SYSEX par exemple.)

Voilà, bon, je me suis encore laissé emporter par l'enthousiasme! Le Neutron ressemble comme ça de loin à un petit canif qui ne paye pas de mine avec ses deux oscillos et son prix d'ami, mais il se révèle à l'usage un cran d'arrêt à la lame luisante, au dos en dents de requin, que dis-je, une machette!, la pince à désincarcérer des pompiers, quoi mais non! Plutôt la tête foreuse de la mine du Cartel B. sur la Mars aux moutons électriques d'un K. Dick!

Fichiers audio liés à cet avis

R 20180722 164744
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