Alors que de nombreux constructeurs orientent leurs développements vers des produits informatiques, Quantec, marque légendaire de réverbérations depuis les années 80, reste fidèle à elle-même avec son nouveau processeur d'effets, le Yardstick 2402/F.
Petit rappel historique. Quantec, société allemande, s’est fait connaître avec la création en 1982 de la QRS (Quantec Room Simulation). Ce module, qui équipait la plupart des studios de broadcast (télévision, cinéma etc.), fut le premier rival de la Lexicon 224, puis en 1986 de la Lexicon 480. La QRS, réverbération de très haute qualité, permettait de recréer de manière très réaliste des pièces de différentes dimensions. On pouvait lui reprocher de souffler. Avec les progrès de la technologie, nous pouvons espérer retrouver dans la Yardstick 2402/F les qualités de la QRS, le souffle et le prix élevé en moins.
Premier aperçu
Première surprise à l’ouverture du carton : le rack 1U est habillé d’une belle robe bleue anodisée ; poids plume et profondeur record de 4.5cm… Pour seuls contrôleurs, une « roue conique » (appelée Pulsar), et deux boutons orange agréables sous le doigt. Le niveau du signal est déterminé par des LED, les informations du presets étant montrées sur un (petit) affichage à cristaux liquides. A part cela, un commutateur marche/arrêt et c’est tout ! L’arrière du rack comporte seulement une interface AES/EBU (entrée / sortie), trois connecteurs MIDI (les classiques In, Out et Thru), une interface RS-232 (permettant des transferts de données PC), le petit fusible, et un sélecteur de tension (115V / 230V). A l’intérieur de l’appareil, on trouve comme DSP un Motorola DSP 56009.
La 2402/F ne travaille qu’en AES/EBU… L’absence d’interface analogique est un inconvénient certain pour celui qui veut travailler avec du matériel purement analogique. Le traitement se fait sur 16 ou 24 bits et en 44,1 KHz ou 48 KHz (une fréquence d’échantillonnage de 96 KHz aurait été la bienvenue vu le niveau du produit). Le MIDI embarqué servira au contrôle des différents paramètres, de même que la RS-232C.
Programmation
La réverbe propose 17 presets d’usine et 13 utilisateurs : un peu léger ! La sauvegarde n’est possible qu’à l’aide de l’interface RS-232 (même pas une petite carte PCMCIA ou autre support de stockage)… Le petit écran est retroéclairé un peu faiblement. Je trouve dommage que la « Densité », exprimée en %, soit incrémentée avec trop peu de finesse : 16%, 24%, 40%. Pour les temps d’affaiblissement de la réverbe, même punition : on passe de 2 s à 2.24s, à 2.5s, sans pouvoir accéder à des valeurs intermédiaires. Espérons que ces limitations ne soient présentes que dans la version du modèle que j’ai entre les mains et qu’une mise à jour du firmware fasse oublier ces désagréments.
Un petit coup de molette, et on entre dans le mode Edit : seulement 11 paramètres de modification… Mais judicieusement choisis, ce qui permet d’avoir une bonne programmation de ses désirs en simulation d’environnement : on va à l’essentiel ! Il est très aisé d’obtenir rapidement des réverbes assez brillantes (sans pour autant être agressives) ou très larges et mates comme dans une cathédrale. Malgré le minimalisme de la face avant, la programmation est facile, pas déconcertante du tout, et vraiment agréable : on obtient très rapidement le résultat souhaité, grâce à une utilisation très intuitive. Bravo.
Qualité sonore
Ecoute sur un son de trompette
Entrons dans le vif du sujet : après avoir relié les entrées de la carte son de mon PC au 2402/F (sous Nuendo de Steinberg), je commence par écouter les presets d’usine sur une trompette. On sent bien les possibilités énormes de la 2402/F, mais la qualité des presets est indigne d’un appareil de ce prix. On est donc obligé de se programmer un preset « fait maison » au plus vite pour se rendre compte de la qualité des réverbérations. Une minute plus tard, on arrive à créer un preset bluffant de limpidité ! Large, profond, et vraiment transparent. Il faut avouer que la qualité et la précision de la réverbération sont impressionnantes. Il y a 20 minutes encore, j’étais en train de me battre avec une R-Verb (plug-in de réverbération) sans vraiment être convaincu par le résultat, et là, en quelques instants, j’ai été transporté dans un autre environnement ! Rien n’est brouillon, métallique ou étriqué : le son est très soyeux, et on est très loin de ce qui se fait en plug-ins.
Ecoute sur une voix
Nous continuons notre banc d’essai avec une voix masculine. En ajoutant une réverbération de la 2402/F sur la voix du chanteur, le son est immédiatement bien entouré, très large. Les écarts de dynamique envoyés dans le Yardstick sont magnifiquement restitués : les « queues » des réverbérations sont vraiment très jolies. Une couleur sonore ? Non, le son de la Quantec demeure transparent.
Ecoute sur une rythmique
Soumettons maintenant la 2402/F à un test plus dur : en master. J’insère donc le processeur d’effets sur une boucle de batterie « funky » avec un pied assez lourd. La réverbe réglée sur 1.6 secondes permet qu’aucune dynamique ne soit écrasée (comme c’est toujours le cas avec les plug-ins, malheureusement). Et surtout, aucune distorsion ne se rajoute au signal traité (je revis !).
Le contrôle indépendant du bas traité par la Yardstick permet d’unifier un sous-groupe d’éléments de batterie comme rarement. Résultat, ça sonne terriblement bien… Même le bas, donc.
Ecoute sur un orchestre
Je parlais de transparence quelques lignes auparavant. Cela se confirme en traitant un CD de musique classique (Haendel), un peu pauvre dans le rendu de l’espace. Une limpidité extrême se dégage, même sur le Clavecin, qui fait entendre un très joli perlé. La profondeur ajoutée grâce à une réverbe (le 1er preset a été modifié : le temps de réverbe est plus long) permet de mieux identifier chaque pupitre. Je suis assez impressionné par le rendu sonore : c’est large, profond, sonne vrai, très fin… Naturel au possible.
Même sur de longues réverbes, la transparence reste de mise : on entend notamment les très belles queues des réverbes et l’espace est très bien « rempli ». Le même test / preset sur un arrangement personnel avec des violons MIDI/Samplers/expandeurs permet d’ajouter une touche de réalisme à l’ensemble.
Ecoute sur un accordéon
L’écoute d’une réverbération de la Yardstick sur un accordéon (jeu classique sur des oeuvres de Zolotarev, Astier, Albinoni …) a permis de mettre en avant un autre point étonnant. Pour agrandir l’espace stéréophonique de ces enregistrements d’accordéon, j’avais joué sur la phase du signal. Conséquence forcée, le son avait tendance à bouger un peu. Ce problème s’est automatiquement corrigé en passant le signal dans la Quantec. En outre, l’enregistrement de l’accordéon, initialement pris avec un Rode NT2, était assez agressif (ceci étant dû à la courbe de réponse du microphone) : l’ensemble gagne en définition et en placement.
Sans vouloir faire renaître l’éternel débat software / hardware, reparlons un peu de la comparaison entre la Quantec et les plug-ins de réverbération. Sur les différents plug-ins testés, je me plaignais du côté peu réaliste qui se dégageait, de la distorsion qui se rajoutait parfois sur le signal audio traité, de la profondeur et de la largeur ridicules sur certains d’entre eux… Il semble difficile de trouver un son réaliste avec les plug-ins testés pour du mixage de musique classique, même après un long temps de recherche pour doser les paramètres en finesse. Tout ceci est oublié sur la Quantec Yardstick 2402/F … On sent vraiment à l’écoute le naturel du rendu : conçu pour le classique, le mastering, ou encore le broadcast / post-production (film)… Domaine où justement, très peu de produits et même de constructeurs s’imposent.
Démos en MP3
[mp3=207]Texte parlé avec et sans réverbération[/mp3]
L’écoute sur une voix est intéressante, déjà parce que la voix humaine est le son avec lequel nous sommes le plus familier. Mais surtout parce qu’une voix parlée contient une séquence rapide de transitoires qui révèlent sans merci d’éventuelles distorsions de phase. Un quelconque décalage non linéaire de réponse en phase crée une dispersion (dans le temps) des harmoniques. Ce phénomène peut être perçu plus ou moins sur la voix.
[mp3=204]Boucle de batterie dans une chapelle[/mp3]
[mp3=205]Boucle de batterie dans une église[/mp3]
Un drumset (avec une caisse claire et un tom en particulier) représente un signal dont il est très difficile de traiter la réverbération à partir d’un algorithme de simulation de type « room » : d’un côté, on s’attend à une grande densité de réflexion. De l’autre, l’algorithme doit produire un minimum de coloration métallique sur le son. Tout algorithme utilise un nombre de fréquences propres (correspondant aux fréquences de résonance de la pièce simulée), que votre caisse de réverbération soit un processeur d’effets ou une salle de bains… Il faut donc trouver un compromis qui permette de satisfaire à la fois les spécificités de la pièce et le côté non métallique de la réverbération.
[mp3=206]Saxophone dans une cathédrale[/mp3]
Ce solo de saxophone est un bon exemple pour démontrer comment jouer avec la réponse acoustique générée par une pièce. La réverbération semble toujours répondre au son d’origine avec une capacité d’adaptation exceptionnelle, quelque soit le type du jeu du sax (du plus doux murmure au plus fort rugissement). Cet effet est réalisé par la 2402/F en mode « room ».
Conclusion
Comparaison avec diverses réverbes
Réverbes hardware d’entrée de gamme et plug-ins
Certes la comparaison entre la 2402/F et les produits d’entrée ou moyen de gamme a ses limites, puisque ce n’est pas le même prix du tout. L’objet n’est pas ici de dénigrer les produits plus grand public, mais de comprendre ce qui explique la différence de prix entre un produit « amateur » et un produit pro. Les souvenirs laissés quelques semaines auparavant par un petit processeur d’effets hardware (une LXP-1 de Lexicon) d’une part, et par des plug-ins d’autre part, permettent de réaliser véritablement la différence avec une réverbe haut de gamme. Avec la Yardstick 2402/F, le haut du spectre est là, défini, précis, doux, scintillant. En revanche, il est un peu absent sur ledit petit processeur d’effets hardware. Sur les plug-ins, la question est différente puisque pour qu’ils sonnent naturel, il faut souvent couper le haut… Très bas. L’espace est large, et même le mode mono est bien »plein". On oublie presque le coté étriqué et métallique des plug-ins type TrueVerb.
Comparaison avec une TC Electronic M5000
La comparaison avec la grosse réverbération M5000 est réalisée à partir d’un fichier audio enregistré lors d’une séance dans un studio à Levallois (Blue sound/Zone Orange pour ne pas les citer). En ayant gardé les pistes non traitées, je dispose notamment d’une flûte traversière qui balaye bien toute sa tessiture… J’essaye donc de programmer sur la Quantec un environnement similaire à celui créé pendant la session avec la M5000 : une Medium Hall, sans brillance particulière, avec un temps de 1.8 s. Au final, il faut reconnaître que la M5000 est un peu plus soyeuse, large, et les queues de réverbes encore plus précises… Mais la comparaison entre les deux produits tient la route.
Où se situe la Quantec ?
Finalement, en face de quels produits se situe la Quantec ? En premier, de son « prédécesseur » la QRS, qui avait un défaut bruyant : le souffle … C’est maintenant réglé avec la 2402/F… Qui d’autre ? La TC Electronic M3000, la Lexicon PCM 91, le (redoutable) plug-in Altiverb, et certains processeurs très hauts de gamme signés Sony ou Yamaha. Il est vrai que l’on ira plus loin dans le détail et l’édition avec les grosses Lexicon ou TC, et ces dernières offrent une interface plus complète : entrées / sorties analogiques et numériques, quantité de presets d’usine de qualité, des mémoires utilisateurs et encore plus de contrôles. Certes, pour la Quantec, la qualité audio est impressionnante de naturel, mais les défauts sur l’équipement embarqué peuvent constituer un frein à l’achat : mémoire limitée, interfaces A/D & D/A inexistantes, pas de programmation vraiment poussée (quoique on l’oublie à l’usage tellement la réverbe sonne rapidement !). Dédiée et conçue pour celui qui cherche le maximum de transparence dans le traitement et le rendu final, on est bien loin des plug-ins de base des séquenceurs audionumériques (pourtant bien utiles tant les défauts de ces derniers sont jolis dans bien des cas au mix).
Au final…
Le résultat, saisissant de naturel, est tout simplement extraordinaire. Aucun compromis n’a été fait sur la simulation des divers environnements (églises, salles de concert et d’autres lieux bien réels). Le prix est certes élevé (2 900 € TTC, une « Rolls » de l’audio) pour l’utilisateur amateur ou semi-pro, mais le jeu en vaut vraiment la chandelle si l’on considère la qualité audio offerte. Si en revanche, on considère le même rack avec ses interfaces (E/S analogiques par exemple), le manque d’autonomie par rapport à la mémoire de stockage des presets utilisateurs (qui manquent), le prix a plus de mal à passer.
De mon côté, je la laisserai branchée à la carte audionumérique de mon PC, n’ayant pas besoin de milliers de presets différents (10 bonnes réverbes valent mieux que 512 mauvaises !). Cela me permettra de couvrir toutes sortes de mix, la liaison numérique me garantissant une quasi-transparence pour mon travail. Je dirai à l’importateur que je me suis fait volé cette nuit, et que les assurances feront le reste… Tant pis s’il ne me croit pas, je la garde ! ;-)
Plus sérieusement, on retrouve le son de la légendaire grande soeur QRS, avec cette transparence exceptionnelle, le souffle en moins. La 2402/F est donc une alternative à ce qui existe en haut de gamme notamment chez TC et Lexicon. Nul doute que cette réverbe s’adresse aux professionnels qui évoluent dans l’enregistrement classique, en post-production, et qui sont exigeants en matière de réalisme dans le rendu. A quand un modèle avec des ES analogiques et échantillonnant à 96 KHz avec une communication Firewire ?
Article écrit par Fabien Mary et Philippe Raynaud.
Remerciements à Francis Mandin et son équipe d’Audioland pour leur prêt du matériel.