Entre looper et STAN, ALK 2 montre qu’il y a encore des choses à inventer pour la musique en live au delà d’Ableton Live, Maschine ou Usine.
Si le principe du looper, dérivé des premiers échos numériques, ne date pas d’hier, cela fait maintenant quelques années qu’on assiste à un retour en force du looper, un appareil qui répond aux besoins d’autonomie des musiciens devant se produire seuls, sans pour autant les contraindre à de fastidieuses programmations ou à un playback figé : couche par couche, on bâtit ainsi l’intégralité d’une musique avec sa seule bouche ou des instruments, pour le plus grand plaisir du public qui d’avère très friand de ce genre de performances. Cette simplicité a toutefois ses limites car dès qu’on ambitionne de réaliser un morceau dont la structure est plus complexe, on se retrouve face à la nécessité d’utiliser des loopers plus sophistiqués pour ne pas dire compliqués, voire des logiciels qu’il faut de nouveau configurer et programmer, tels qu’Ableton Live, assortis des pédialiers MIDI. Bref, tout cela tourne vite à l’usine à gaz en s’éloignant de la force première du concept du looper : sa simplicité. C’est du coup avec grand plaisir qu’on accueille du coup ALK 2 de Zenaudio, un looper logiciel dont l’ergonomie rappelle furieusement celle d’une STAN, ce qui nous change agréablement des matrices de pads. Tiendrait-on là un concept révolutionnaire ?
Gueule de loop ou tête de STAN
L’installation d’ALK 2 ne pose pas de problème particulier : passée l’autorisation en ligne faite par simple numéro de série, le logiciel se lance et effectue un scan des plug-ins puis vous ouvre directement un projet prêt à l’enregistrement.
Ce qui frappe, et qui n’est pas pour nous déplaire, c’est le minimalisme de l’interface. Pas de bouton ou de fader, pas de triple barre d’outils, pas d’explorateur de fichier ou de plug-ins, juste des pistes en vis-à-vis d’une grille et d’un bloc de lecture/enregistrement permettant de changer le tempo ou la signature rythmique, le tout étant complété par 4 icônes servant à tout faire dans le logiciel : une flèche pour tout ce qui touche à la sélection, une loupe pour gérer le zoom et deux crayons.
Avec le crayon rouge, vous tracez les mesures pendant lesquelles le logiciel enregistrera, avec le crayon vert vous tracez les mesures pendant lesquelles le logiciel jouera ce que vous venez d’enregistrer.
De fait, si vous enregistrez la rythmique du couplet de votre chanson, vous pourrez programmer la lecture de toute ou partie de cette rythmique autant de fois que vous le voulez et où vous voulez sans avoir à presser le moindre bouton. C’est d’une telle simplicité que, comme toutes les grandes idées, on se demande bien pourquoi personne n’y avait pensé plus tôt.
Ce système se combine à différentes types de pistes : la piste audio, la piste instrument (pour piloter un unique instruments logiciel), la pistes MIDI (pour piloter un instrument MIDI externe ou encore plusieurs instruments logiciels préalablement chargés sur les pistes instruments), la piste Control (pour enregistrer les automations de contrôleurs continus) et la piste Command (pour enregistrer des commandes de du logiciel, du tempo à la lecture en passant par la valeur de quantisation).
Chaque piste dispose d’un panneau de propriétés qui servira à paramétrer les entrées et sorties de cette dernière, son volume, son panoramique et, quand cela est pertinent, ses effets audio (à choisir parmi vos plug-ins, aucun effet ou instrument n’étant inclus dans le logiciel) ou ses traitements MIDI (quantification et répéteur de note uniquement). Notez d’ailleurs que la possibilité d’assigner plusieurs sorties à une piste vous permettra de réaliser des bus, que ce soit pour bricoler une tranche master, un bus d’effet ou encore un des bus de mixage. Enfin, l’enregistrement des automations passe par un MIDI Learn vous demandant de designer un paramètre puis d’interagir avec le contrôle physique que vous souhaitez lui assigner pour ensuite pouvoir procéder à vos enregistrements.
Et… c’est à peu près tout ! En effet, sorti de sa géniale idée de base, ALK 2 est vraiment très minimaliste… Trop minimaliste même. L’heure est donc venu d’évoquer tout ce qu’on aurait aimé voir dans ce logiciel pour en faire une petite révolution mais qui, hélas, ‘n’y figure pas.
Ce vide entre les boucles
Le premier gros regret que l’on aura tient au fait que si vous pouvez enregistrer des données audio ou MIDI puis les lire, vous ne pouvez en aucun cas les éditer ou les traiter. Une note un peu fausse ou à coté ? Il faut réenregistrer la partie ! Comme sur un looper, me direz-vous. Certes, mais c’est justement sur ce point que le logiciel aurait pu faire la différence. Inverser un enregistrement ou une séquence ? Ce n’est pas non plus prévu. Quantiser l’audio ou extraire le groove d’une boucle pour s’en servir de base au reste la quantisation ? Non plus.
Au niveau de l’interface, on pestera également sur les raccourcis-claviers (non éditables) choisis par le développeur : w pour annuler ? Shift+w pour rétablir ? Le développeur a préféré gardé l’emplacement des touches anglaises sans se soucier des conventions françaises, donnant l’impression d’utiliser un clavier QWERTY. On sera dubitatif également sur les raccourcis par séquences de lettres : tnq pour créer une piste audio (à défaut de tna sur clavier QWERTY), tnt pour créer une piste instrument, tn, pour créer une piste MIDI (là encore, on imagine bien qu’en QWERTY, le raccourci doit être tnm), ts pour mettre une piste en solo… Parce que les touches CMD et ALT sont affectées au crayon rouge et crayon vert, on ne retrouve aucune des conventions en vigueur dans les autres logiciels et c’est un brin pénible à l’usage.
D’autres détails agacent encore comme l’annulation qui ne concerne que les opérations dans la fenêtre arrangement mais aucun des paramètres du logiciel ou des plug-ins, l’impossibilité de redimensionner la hauteur d’une piste ou de choisir sa couleur (sachant que la couleur change visiblement d’après le nom de la piste, ce qui n’a pas grand intérêt), le fait qu’il faille forcément stopper la lecture en court pour pouvoir revenir au début du projet lorsqu’on travaille dessus, le fait que l’import de boucles audio crée systématiquement de nouvelles pistes… Bref, une multitude de petits détails gâchent l’expérience utilisateur.
Précisons-le également : en l’absence d’une console qui permettrait d’avoir une vue globale sur les niveaux, les panoramiques ou encore les effets, ou tout de moins un simple potard et un fader sur les bandeaux de piste comme sur Acid, le logiciel n’est vraiment pas pratique pour les opérations de mixage. Il faut ainsi passer de panneau ou panneau pour procéder à des ajustements, ce qui s’avère vite bien lourd d’autant qu’une fois qu’un panneau est déplié, le seul moyen d’afficher le panneau d’une autre piste est de procéder par défilement ou de replier le panneau pour sélectionner la piste qui nous intéresse.
Mais la chose la plus problématique, c’est que le logiciel est loin, très loin, d’être un foudre de guerre sur le plan des performances.
Tortue géniale ?
Dès son lancement, alors qu’aucune donnée n’est enregistrée ou lue et qu’aucun plug-in n’est utilisé, le logiciel seul occupe déjà entre 20% et 25% des ressources processeur sur un MacBook Pro de 2014 doté d’un Core i7 à 2,5 GHz et de 16 Go de RAM, soit une config qui n’est sans doute pas de dernière génération, mais qui n’a rien d’un veau. Sitôt qu’on ajoute des données, la jauge s’affole : en enregistrant trois piste audio avec une réverb Valhalla VintageVerb sur chaque, je me suis retrouvé avec des pics à 50 %, en enregistrant une séquence MIDI avec automation sur l’Analog Lab 3 d’Arturia, j’ai explosé les 80 % avec les désagrément que cela implique en termes de son (coupures). Histoire de m’assurer que le problème ne provenait pas de mon ordinateur, j’ai réalisé les tests sur deux autres ordinateurs : un MacBook Pro de 2012 et un MacBook Air de 2011. Même constat à chaque fois : au simple fait de lancer le soft, le ventilateur de l’ordinateur se met déjà en sur-régime.
Bref, ALK 2 semble très mal optimisé…
La faute en revient peut-être au moteur graphique qui propose de jolis effets de halo sur certains éléments, même si, visuellement, tout n’est pas irréprochable : on observe ça et la quelques problèmes de crénelage sur les courbes (à plus forte raison sur un écran non retina) et malgré le parti pris vectoriel, le redimensionnement de l’interface lorsqu’on réduit la fenêtre masque certains éléments.
Vous l’aurez en tout cas compris : la facture de la réalisation n’est pas vraiment à la hauteur des belles idées du logiciel et on ne se sent pas super en confiance pour emmener l’ogre sur scène, d’autant que si les plantages sont rares (quelques problèmes sur la détection de plug-ins), les bugs ou approximations ne le sont pas, notamment sur ce qui touche à l’import audio : impossible de lire certains fichiers MP3 par exemple tandis que la mise au tempo des boucles importées est parfois capricieuse… On est loin, très loin, de ce que propose un Live sur ce terrain en termes d’efficacité, et donc d’expérience utilisateur. Et à ce prix là, si bonnes soient les idées et les intentions derrière, on a du mal à fermer les yeux sur ces très nombreux détails qui agacent et qui n’auraient pas dû subsister après un beta testing sérieux.
Conclusion
Il est bien dur de conclure sur cet ALK 2 car on se retrouve partagé entre la volonté d’encourager une idée réellement novatrice et brillante, de soutenir un petit développeur qui parvient à proposer quelque chose de bien plus excitant que ce que nous proposent les cadors du domaine, et le sentiment que le logicel n’est pas, dans les faits, à la hauteur de cette idée sur le plan fonctionnel comme sur celui de la réalisation.
Qu’il s’agisse de la console, de l’édition ou encore de la quantification audio, Il manque en effet beaucoup de choses importantes à cet ALK 2 pour emporter l’adhésion, et comme le peu qui nous est proposé est très loin d’être irréprochable techniquement ou ergonomiquement, on voit mal à la fin ce qui pourrait pousser à investir 200 euros dans ALK2 en l’état actuel des choses, d’où la paradoxe de récompenser d’un Award l’idée de base, mais de sanctionner sa réalisation en octroyant le moyenne tout juste au logiciel. Vu qu’une version d’évaluation limitée à 30 jours est disponible sur le site de l’éditeur, je vous encourage vivement à télécharger cette dernière pour vous faire votre propre idée. Pour ma part, j’espère sincèrement que les prochaines mises à jour permettront enfin d’exploiter l’incroyable potentiel qu’on devine derrière ALK2.