Après l’Andromeda, Alesis attaque le marché des synthétiseurs à modélisation analogique. Avec l’Ion, la firme américaine semble avoir frappé un grand coup. Enfilons notre blouse de chimiste pour voir tout cela de près...

(Test initialement paru en septembre 2003)
Relancé juste après le rachat de la société Alesis par Numark en 2002, l’Andromeda est aujourd’hui le plus puissant synthétiseur analogique jamais construit. Panneau de commandes de rêve, 16 voix de polyphonie et de multitimbralité, sonorités à tomber par terre… Pas étonnant que le constructeur se lance aujourd’hui dans une version à modélisation, techniquement plus simple à dompter et financièrement beaucoup plus abordable. Si l’Ion n’a rien à voir avec l’Andromeda du point de vue moteur sonore, il en emprunte certains concepts tout à fait rares sur une machine de cette gamme de prix : des sections de mixage pré et post filtre, plusieurs filtres, une section de modulation très musclée et une ergonomie exceptionnelle. Si en plus ça sonne, ça va faire mal !
Ergonomie assurée…
Les commandes sont logiquement réparties de part et d’autre d’un LCD 160 × 160 points avec, de gauche à droite : DCO, mixage pré filtre, filtres, mixage post filtre et ampli. Impossible de se perdre. Dès qu’une commande est modifiée, le LCD affiche immédiatement sa valeur, souvent sous forme graphique ; fonction qui peut être désactivée. Les valeurs sont exprimées dans leur véritable unité (hertz, secondes, dB…). Pour l’accordage des DCO, une diode permet de repérer le passage à la fondamentale, bien vu ! A gauche du clavier, on trouve 3 molettes éclairées (pitch + 2 modulations), dont l’intensité lumineuse peut varier en fonction de la position : mieux qu’un Voyager Signature !
… mais finition perfectible
Sur le panneau arrière, la connectique est de qualité. on trouve un trio Midi, 1 prise casque, 2 paires de sorties stéréo, 1 paire d’entrées stéréo, 2 prises pédales à détection de polarité automatique et une fiche 3 plots pour cordon secteur (alimentation interne avec détection de tension automatique, la classe dans cette gamme !). Tous les jacks audio sont au format TRS et flanqués de convertisseurs 24 bits ce qui, là encore, est exceptionnel vu le prix.
La solidité rassure, beaucoup plus que sur un Andromeda : potentiomètres solidement attachés, boutons ajustés au plus prêt, connectique vissée sur le panneau arrière. Tant mieux, car un retour au SAV de l’importateur serait on ne peut plus aléatoire, énervant et coûteux. En revanche, la qualité de finition n’est pas des meilleures : petits défauts de peinture, clavier 4 octaves très bruyant et sans aftertouch laissent une impression cheap, en totale contradiction avec le reste, mais certes en rapport avec le prix très calculé.
A l’aise sur tous les terrains
L’Ion semble à l’aise par tout. Sur les effets spéciaux et les sons de cloches, il répond encore présent. Grâce à sa matrice de modulation, des effets dignes des modulaires sont facilement réalisables. Les enveloppes sont très rapides, surtout en mode exponentiel, ce qui fait, en conjugaison avec les autres sections de la machine, un instrument brut de décoffrage, direct et chaud. Les niveaux audio sont très élevés et il faut souvent ramener le potentiomètre de volume à mi-course pour éviter la saturation sur les accords. Vers les tessitures les plus élevées, l’Ion s’en tire bien mieux que ses concurrents. Il faut transposer de 3 octaves vers le haut pour entendre les premiers artefacts, type aliasing. Dans un mix, l’Ion prend de la place des que l’on pousse la polyphonie. Un synthé aussi impressionnant à regarder qu’à écouter.
Gros moteur sonore
La production sonore est réalisée au moyen de 3 DO. A l’oreille, cela sonne très proche des VCO Moog, à partir desquels les ASIC de l’Andromeda avaient d’ailleurs été conçus. Chaque DO est capable de produire 3 formes d’ondes élémentaires modulables : sinusoïde, dent de scie, rectangle. Un paramètre « Shape » permet de moduler le contenu harmonique de chaque onde : ajout d’harmoniques sur la sinusoïde (jusqu’à une sinusoïde de cinquième rang), passage progressif de dent de scie à triangle, largeur d’impulsion de l’onde rectangulaire. Ce paramètre est une destination de la matrice de modulation, génial !
Mieux, l’Ion affiche la forme d’onde obtenue en haute résolution et en temps réel. Le grain est très épais et même la sinusoïdale semble plus riche que la normale. Il y a une certaine irrégularité sur la transition triangle / dent de scie en fin de parcours, mais Alesis a promis de régler le problème dès la prochaine mise à jour. Les impulsions sont épaisses, avec des transitions très fluides. Les DO constituent incontestablement l’une des grandes richesses de la machine, même si on peut regretter ne pas pouvoir additionner les 3 ondes dans chaque DO.
Modulation des DO
Vient alors la section de mixage pré filtre, qui permet de régler le niveau des 3 oscillateurs, de la modulation en anneau (DO 1 & 2), du signal audio stéréo externe et du générateur de bruit (blanc ou rose). Là où l’Ion enfonce le clou, c’est qu’il permet de régler séparément la balance de chacune de ces sources sonores entre les 2 filtres, ainsi que l’envoi du premier filtre vers le second. C’est aussi puissant que la section filtrage du Q de Waldorf !
Filtres surpuissants
L’Ion dispose par ailleurs de filtres plus élaborés : passe-bas 8 pôles (la boucherie !), double passe-bande 2 pôles, passe-bande 6 pôles, phaser, 2 filtres en peigne (direct et adouci), 3 filtres à formant (« ah » – « oo », « oh » – « ee » et conduit vocal 5 bandes) et un filtre notch 4 pôles. Là où l’Ion enfonce définitivement le clou, c’est dans sa section de mixage post filtres : chaque filtre peut être indépendamment dosé et placé en stéréo. Même le signal pré filtre peut être dosé à ce stade, on croit rêver. Là, on surpasse le niveau du Q ! Pour améliorer la modélisation, Alesis a prévu une fonction Drift très efficace, permettant de recréer l’inconstance des VCO (instabilité, désaccordage, décalage de phase, décrochage…) avec intensité réglable. Enfin, signalons les modes Portamento (continu ou glissando, mono, legato, avec temps fixe ou intervalle constant) et Unisson (2 voix, 4 voix ou dynamique avec désaccord programmable) tout à fait complets.
Enveloppes et LFO
On passe ensuite aux 3 générateurs d’enveloppe très perfectionnés. De type ADSTR (T = temps de Sustain), chaque segment possède une courbe de réponse paramétrable (linéaire, exponentielle, exponentielle négative), ce qui permet de se fabriquer des profils complexes. Les temps varient de 0,5 ms à 30 secondes, avec une excellente rapidité sur les temps courts. Les enveloppes répondent à la vélocité et disposent d’une pléthore de modes de jeu : déclenchement, libre, bouclage et réponse à la pédale de tenue. De quoi créer des modulations précises et variées, en association avec la somptueuse matrice de modulation (voir encadré). Un dernier mot pour signaler la présence d’un sympathique arpégiateur 16 pas possédant 31 patterns et capable de fonctionner suivant différents ordonnancements de notes.
Enter the Matrix
L’Ion possède une superbe matrice de modulation. Ce qui peut être habituellement compliqué sur un synthétiseur regorgeant de possibilités de modulation est ici un jeu d’enfant. La raison, c’est que le constructeur a eu l’excellente idée de regrouper tous les paramètres dans une même section d’édition, où on peut tout voir et tout éditer. On dispose de 12 cordons virtuels permettant de relier, à volonté, 128 sources (les mêmes que le générateur de S&H) à près de 80 destinations. Tout y est : tous les paramètres des DO (Shape y compris), les filtres (séparément, y compris résonances et mixages), les niveaux, les panoramiques, les enveloppes, les LFO et 6 paramètres d’effets. Mieux, la matrice dispose d’un générateur de tracking ultra sophistiqué, permettant de recalibrer l’action d’un paramètre sur 23 ou 31 segments. Une section incroyable de puissance.
Effets simples mais efficaces
Dernier algorithme, un vocodeur 20 bandes (2 sections de filtres à 20 bandes). Celui-ci est on ne peut plus simple sur le plan technique mais fabuleux sur le plan sonore. On peut régler les niveaux audio, le seuil des sifflantes, le déclin global des 40 filtres passe-bande, le décalage relatif des bandes de la section synthèse par rapport à la section analyse et l’origine des signaux audio utilisés par chaque section : envois des effets, bus auxiliaire, entrée audio gauche et entrée audio droite. Très souple. Dommage qu’on ne puisse accéder au niveau de chaque bande. Bonne nouvelle, cet effet ne consomme pas de polyphonie. Nous regrettons juste l’absence de réverbération, d’autant que la société sait les faire assez bien pour pas trop cher.
Multitimbralité
L’Ion est capable de jouer 4 parties multitimbrales distinctes (ABCD). Il faut pour cela passer en mode Setup, dans lequel on trouve 64 mémoires utilisateur. Certaines sont déjà remplies d’usine : Splits basse – nappe, couches monstrueuses, patterns de percussions analogiques… Le panneau de commandes permet très facilement de sélectionner ou éditer, couper ou activer chaque partie, grâce à 2 rangées de 4 touches lumineuses dédiées. Impossible, donc, de se perdre.
Pour chaque partie, on sélectionne le programme, le canal Midi, le mode Local, la tessiture, le volume de sortie, la balance entre les sorties principales et auxiliaires, le niveau d’effet, le panoramique, le filtrage des contrôleurs physiques et la transposition. La fenêtre de vélocité a donc été, comme souvent, oubliée… Attention toutefois à la limite de polyphonie, car si l’allocation des voix est dynamique, il n’est pas possible de définir une réserve de polyphonie par partie. Chaque programme est importé avec ses propres effets d’insertion. Les effets globaux sont en revanche ceux du programme du canal A, puis les départs sont réglés séparément. Côté Midi enfin, L’Ion ne déçoit pas : synchronisation de tout ce qui bouge, multiples possibilités de dump, émission / réception de contrôleurs Midi depuis toutes les commandes du panneau avant et mise à jour d’OS. L’essentiel.