Alors que devraient sortir prochainement deux modélisations logicielles de l'ARP 2600, AudioFanzine revient sur l'Oddity de Gmedia pour le confronter à son illustre modèle : l'ARP Odyssey.
Instrument mythique s’il en est, l’ARP Odyssey a, comme tant d’autres synthés analogiques, sauté le pas du virtuel avec l’Oddity, un plug-in développé par les français d’Ohmforce pour le compte de Gmedia.
Si la réputation de Laurent de Soras et sa bande n’est plus à faire dans le petit monde de l’audio (CF les excellents plug-ins que sont PredatOhm, OhmBoyz, Quad FrOhmage, etc.), il convient toutefois de voir ce que vaut la modélisation en regard du modèle. Or, comme on ne saurait approcher un coucou comme l’ARP Odyssey sans un brin de culture en matière de synthétiseurs, un bref récapitulatif historique s’impose.
Un peu d’histoire
Le synthétiseur « tous publics » est né grâce à Môssieur Robert Moog. Au début des années 60, cet électronicien de formation fréquentait des artistes utilisant des appareils électroniques pour créer des sonorités nouvelles. Mais ces derniers étaient bien compliqués à utiliser…
Moog réfléchit alors à la conception d’un synthétiseur simple d’emploi, pensé pour les musiciens, et ce faisant, imagine un système qui permette de commander par tension l’oscillateur, le filtre et l’amplificateur.
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Il entreprend alors la construction de machines constituées de plusieurs modules, connectés les uns aux autres par des cordons (patches entre les oscillateurs, filtres, amplificateurs, etc.).
La présentation d’un prototype dans un grand salon américain de musique le conforte dans ses intentions : la machine suscite l’intérêt de nombreuses personnes de sorte qu’il décide de se lancer dans la construction d’un nouveau modèle, destiné cette fois à la vente…
C’est en 1967 qu’un Moog est pour la première fois entendu sur un disque, mais c’est « Switched on Bach » de Walter Carlos, enregistré l’année suivante, qui va de toute évidence faire connaître les synthétiseurs au grand public, et en l’occurrence les synthétiseurs Moog.
ARP pour Alan R. Pearlman…
Très vite, d’autres personnes vont se lancer dans la construction de synthés, dont l’ingénieur en électronique Alan R. Pearlman. Sa société, baptisée ARP Instruments en rapport avec ses initiales, va ainsi devenir le leader du marché du synthé pendant toutes les années 70 avec 40% de part de marché.
Le grand rival d’ARP est comme de juste la société Moog. La petite « guerre » qui se déroule entre ces deux constructeurs se devine lorsque l’on observe les machines: Les ARP ont, par exemple, des potentiomètres linéaires alors que les Moog ont des potentiomètres rotatifs et une molette de pitch-bend… Et en 1972, c’est pour concurrencer le Minimoog, best seller datant de 1970, qu’ARP décide de sortir l’Odyssey.
Commercialisé jusqu’en 1981, l’ARP Odyssey existe pour l’essentiel en trois versions :
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Petite précision qui a son importance pour les débutants, l’ARP Odyssey produit des sons via une synthèse soustractive.
C’est la plus ancienne et la plus courante méthode de synthèse jusqu’au milieu des années 80 où Yamaha va remettre les pendules de la synthèse à l’heure de le FM.
Elle consiste en gros à filtrer un signal créé à partir d’un oscillateur, c’est à dire à lui supprimer peu à peu des fréquences (d’où la notion de soustraction).
Le filtrage se fait en général par un filtre passe-bas, qui supprime les fréquences hautes, et parfois aussi avec des filtres passe-haut, passe-bande ou, plus rarement, coupe-bande.
Or, les filtres de l’ARP Odyssey ont aussi leur petite histoire… de plagiat ! En effet, ARP eu des problèmes à cause de son filtre, le 4012, calqué sur le filtre Moog. Après un procès, Robert Moog obtint gain de cause : ARP fut contraint de changer de filtre et de délaisser le 4012 au profit du 4072.
Malgré ses qualités, ce dernier, du fait de mauvais calculs lors de sa conception, connaîtra des problèmes dans les fréquences élevées. Ceci peut toutefois être facilement corrigé par un réparateur compétent qu’on mettra quelques années à trouver… et à payer !
Ces déboires n’ont en outre pas empêché l’Odyssey de faire une remarquable carrière. J’en veux pour preuve cette liste non exhaustive des artistes ayant utilisé le synthétiseur : 808 State, ABBA, Don Airey, Apollo 440 (Ont utilisé un Odyssey mark II), Peter Bardens, BBC Radiophonic Workshop (Ont utilisés un mark I et un mark II), Boris Blank, Brand X, Bomb The Bass, Darius Brubeck, Bob Casale with Devo, Chemical Brothers, Chick Corea, Tom Coster avec Santana, Billy Currie, Curve, Rick Davies – aka 3070 (Cybotron), George Duke, Ian Dury of The Blockheads, ELO, Electronic Dream Planet (a black & gold), The Enid, John Entwistle – des Who, John Evans avec Jethro Tull, Johnny Fingers, Dave Formula, John Foxx – sur « Metamatic », David Freiberg, Gas Chamber Orchestra, Brian Gascoigne, Rupert Greenall, Dave Greenslade, Stephen Hague, HAI…
On citera encore Herbie Hancock, Richard Harvey de Gryphon – « because there are some sounds I just can’t get from the Moog, and I like the sample-and-hold », David Hentschel -sur les premiers enregistrements d’ Elton John (Rocket Man, Funeral for a friend,etc), Tony Hymas des Ph.D., J.M. Jarre – « Oxygene », Jbone Cro of Jaloppy, Jefferson Starship, Kansas, Die Krupps, Chuck Leavell, Ron Levy du groupe de B.B. King, Webster Lewis – la bassline d’ Herbie Hancock sur « Ready or Not », Jon Lord – deux mark I, Duncan Mackay – modifié en rack avec le clavier separé, Dave Macrae, Manfred Mann’s Earth Band – sur « Blinded by the Light », The Mometers sur leur album Meet the Mometers, Gary Numan – jusqu’a sa tournée de 1985 , Nine Inch Nails, Ohio Players -sur « Gold », David Palmer avec Jethro Tull, Jean-Luc Ponty, Andrew Powell, Roger Powell, R.E.M. – sur l’album « New Adventures in HiFi » (sur les morceaux « Undertow » et « Leave »), Andy Richards, Rufus, Florian Schneider de Kraftwerk, Sea Level Bill Sharpe, Klaus Schulze, Tim Simenon de Bomb the Bass, Styx, Tangerine Dream, Tony Thorpe, Pat Travers, Ultravox, Vangelis Blue Weaver, Yello Magic Orchestra, Allan Zavod, Nicolas Moreau et Docteur Küch ;)…
Toujours là ? Tant mieux car, par le bais d’un saut d’une petite trentaine d’années, nous allons maintenant jeter un oeil sur le fils virtuel de l’Odyssey…
Oh dis ! C’est virtuel !
Tournons nous à présent vers la version virtuelle du tandem Gmedia/OhmForce, atsucieusement baptisée Oddity. Comme toute bonne émulation, cette dernière se veut à la fois fidèle et novatrice. Fidèle parce qu’elle reprend toutes les caractéristiques de la machine dont elle s’inspire. Novatrice car les développeurs ont incorporés quelques fonctionnalités qui redonnent un vrai de jeune à l’Odyssey.
Histoire de distinguer l’inné de l’acquis, voici ce qui a été reproduit sur l’ODDITY à l’identique :
- Les 2 oscillateurs accordables sur 6 octaves et synchronisables (signal dents de scie, sinusoïdale, carré, et formes d’onde variable).
- Le générateur de bruit blanc/rose.
- Le Portamento.
- Le Pitch-Bend.
- Un LFO, un VCF et un HPF (filtre passe-haut).
- La modulation en anneaux, le filtre passe-bas résonant et le filtre passe-haut.
- La fonction « Sample & hold ».
- Les 2 générateurs d’enveloppe (ADSR et AR).
- Les nombreuses options de routing/modulation.
- Le respect du code de couleurs des curseurs sur l’interface.
Et les nouvelles fonctions incorporées par les développeurs :
- Un générateur de 440 Hz.
- LFO synchronisable sur le tempo du séquenceur hôte, avec option de re-trigg debrayable.
- Un sélecteur d’étendue pour le Pitch-bend à la place du sélecteur d’octave originel.
- Un Clavier 5 octaves avec glissando à la souris…
- Un switch Duo/Mono.
- Une sensibilité à la vélocité de l’amplitude du signal (VCA) et de l’ouverture du filtre (VCF).
- Une fonction de morphing entre 2 patchs (variable temporelle) développée par OhmForce.
- La fonction « Flying Slider » qui tient compte de la « vélocité » de la souris lorsqu’on manipule les curseurs (les mouvements sont précisément enregistrés dans l’application hôte).
- Une fenêtre très pratique où s’affichent les valeurs des paramètres.
- La gestion de 6 banques de 64 sons accessibles par les boutons load/save et setup.
Le test ultime
La comparaison hardware/software à pu se faire en présence de mon Odyssey perso, un troisième génération avec PPC, l’Oddity étant pour sa part installé sur un PIV 2,42 GHz avec 712 de RAM et équipé d’une RME multiface en guise de carte son. En calquant les réglages de l’un sur l’autre, voici mon verdict :- Les oscillateurs : Là, il faut bien admettre qu’ils ont fait très très fort : c’est la perfection, à ce détail près, qui peut avoir son importance dans la modulation de certains sons type synchro, que la fréquence maximum du VCO est un peu plus élevée sur le hard.
- Le filtre : la fréquence du filtre émulé descend plus bas, il a fallut la remonter un peu pour retrouver l’équivalence du son sur l’ARP, donc on gagne un peu en puissance sur le soft pour les sons de basses. La couleur de ce dernier est respectée :dans des réglages raisonnables, il est impossible, à l’oreille, de dire qui joue du soft ou du hard !!!…La résonance réagit différemment, encore une fois on est très proche, mais le hard est plus brillant, plus pêchu dans les réglages extrêmes (dents de scie avec reso presque à fond, par exemple), si on s’attarde un peu, on est confronté ici au caractère imprévisible de la machine contre celui tout aussi « réaliste » intégré dans les algorithmes de l’ODDITY :question sons chaotiques les deux savent faire !!!
- Le LFO : sur mon ODYSSEY, le réglage mini devrait être 0.2 Hz, mais il semble atteindre des valeurs inférieures puisque au minimum le son n’oscille presque pas contrairement à la version virtuelle.
- Les modulations de fréquence des oscillateurs : l’amplitude est de toute évidence supérieure pour la modulation par LFO sur le hard, en tout cas sur le mien, la module par S&H étant identique dans les effets aléatoires recherchés.
- Les enveloppes : elles sont un peu plus courtes sur l’original et plus linéaires sur le virtuel ce qui crée des petites différences sur les réglages de sons où l’enveloppe joue un rôle prépondérant :c’est bien l’élément le plus éloigné de ma bécane, c’est pour dire à quel point de chipotage on se trouve…
- Le Pitch-bend : Ici la victoire va au hard pour le FUN dans ce cadre(PPC) et au soft pour la PRECISION l’étendue étant réglable alors qu’elle est fixe sur l’ARP.
- Les mémoires de patchs : Sur l’original vous pouvez toujours chercher, pour le soft, lire un peu plus haut .
- Le HPF(filtre passe-haut) : il est sensé aller jusqu’à 15 kHz dans l’interface graphique de l’ODDITY alors que l’original vous fait une coupe à 16 kHz. Encore une fois, à vue d’oreille, on ne vendra pas moins de disques…
N’y allons pas par quatre chemins : le résultat laisse sans voix tant le degré de modélisation atteint des sommets. Restituant à la perfection le comportement de l’ARP original, notamment au niveau de la couleur « acide » du filtre, de la reproduction des forme d’ondes ou même du re-triggage des enveloppes et du LFO à chaque fois qu’une note est pressée. Le mode Duo-phonique, si particulier en situation de jeu, est une véritable merveille du genre…
Pour atteindre une telle fidélité de reproduction il aura bien sûr fallu modéliser un à un tous les composants de la machine, et en comprendre les interactions à l’aide de centaines de samples effectués sur l’original (un Mark II de deuxième génération) et ensuite analysés. Un travail de fou… mais qui a payé : c’est indéniable. Pour ceux que ça intéresse, vous trouverez sur la page suivante quelques presets qui ont servi à ce comparatif. A essayer sur la machine ou sa réplique, dont une version d’évaluation est téléchargeable sur www.ohmforce.com.Presets à l’ancienne
Trouvez ici des diagrammes qui vous permettront de régler votre Odyssey ou votre Odditty pour obtenir les sons suivants :
Ainsi que quelques extraits sonores de l’ARP Odyssey :
Electricbass Screamo-organo Flute Trumpet phasesynchronizedoscillator Trumpetchorus Conclusion
Avec l’Oddity, on peut sans retenue affirmer que le virtuel reproduit avec une précision hallucinante les caractéristiques de l’original, jusque dans ses imperfections sonores qui en font tout le charme.
Or, loin de se cantonner à cette émulation fidèle, le logiciel permet en sus une automation totale des mouvement des sliders (à signaler un bug dans Logic où il ne se passe rien si on les enregistre à partir de l’interface du soft, les paramètres étant dispo par ailleurs dans l’automation propriétaire d’Emagic.), l’intégration dans n’importe quel logiciel de séquence hôte au support VSTi ou DXi, des mémoires de patchs et des fonctions inédites telles que le time morphing ou la vélocité sur le filtre.
Il semble clair que les moins fortunés d’entre nous s’orienteront plus facilement vers la solution software de Gmedia, à la qualité indéniable, alors que les autres, considérant à juste titre d’ailleurs qu’on ne joue pas d’un analogique avec une souris, débourseront sans compter pour acquérir et entretenir l’objet de leur passion. Une passion qui restera pour tout le monde, je l’espère, toujours bien réelle !
[+]La fidélité hallucinante de l’émulation.
[+]Un synthé au son Vintage avec des fonctionnalités modernes (automation et synchronisation MIDI, possibilité de sauvegarder des presets).
[+]Le morphing de patchs.
[+]Le prix ![-]La meilleure des souris ne remplacera jamais de vrais potentiomètre et de vraies touches.
[-]A bien y réfléchir, l’ARP Odysset n’est « que » 5 fois plus cher en occasion.