Nous avons vu dans l’article précédent ce qu’était une voix en synthèse, et comment elle pouvait réunir plusieurs oscillateurs, sans pour autant que cela signifie que le synthétiseur concerné soit polyphonique.
Polyphonie… et complexité
Comment se définit alors la polyphonie ? C’est la capacité d’un synthétiseur à générer simultanément plusieurs voix, disposant chacune de sa propre chaîne de production (oscillateurs) et de traitement (filtres, amplificateurs, enveloppes) sonore. Le principe en soi peut sembler simple : bah oui, en théorie, il suffit de multiplier une voix unique par autant d’occurrences que l’on souhaite… non ? C’est en fait plus compliqué que cela.
Moog notamment en a fait les frais en 1975 quand ils ont sorti le Polymoog, premier synthétiseur réellement polyphonique, mais qui n’a jamais malheureusement pu devenir le digne successeur de leur synthé monodique phare, le MiniMoog.
Le PolyMoog disposait de 71 touches et d’une polyphonie totale sur l’ensemble d’entre elles. Mais la complexité induite par cette architecture a rendu la production de cet appareil extrêmement coûteuse, et sa tendance à la panne extrêmement élevée. Il a donc fallu trouver d’autres solutions. Et celle qui a été retenue a été la limitation de la polyphonie.
Prenons l’exemple du célébrissime Prophet 5 de Sequential Circuits. Celui-ci ne disposait que de 5 voix de polyphonie, avec 2 oscillateurs par voix. Toutefois, son clavier comportait 61 touches. S’est alors posée une épineuse question : comment définir à quelles touches va être attribué le peu de voix disponibles Pour ce synthé comme pour de nombreux autres, cela n’a été possible que grâce au développement et à l’introduction de la technologie numérique, la seule à la fois économique et efficace à ce niveau de complexité.
Le premier élément est le circuit de scanner du clavier. Celui-ci fonctionne de la manière suivante. Pour un clavier à 61 touches – numérotées de 0 à 60 en décimal - un nombre binaire de six bits peut permettre d’identifier chacune des touches individuellement – en fait six bits permettent même d’identifier 64 touches (de 0 à 63) au total. À chaque touche correspond un numéro binaire qui lui sert alors en quelque sorte de matricule. Par exemple, la touche 0 (le tout premier do du clavier) est identifiée par le code 000000, alors que la touche 7 (le premier sol) porte le « matricule » 000111…et la touche 60 (en fait la 61e, vous suivez?) le 111100. Un compteur fait défiler en permanence les 61 matricules des touches en boucle, « activant » chacune des notes à tour de rôle, mais sans les déclencher. Pour les déclencher, il faut en plus que les touches correspondant du clavier soient enfoncées. Ceci est détecté par un 7e bit, nommé bit d’état, qui renvoie un « 0 » tant que le clavier n’est pas activé, et un « 1 » quand il l’est. La combinaison de ce bit d’état et du matricule de la touche permet d’identifier immédiatement quelle touche a été enfoncée.
Le second élément est le système d’allocation de voix qui permet alors d’affecter les touches enfoncées détectées aux voix disponibles. Lorsque les touches enfoncées sont plus nombreuses que les voix disponibles, on assiste à un phénomène de disparition de notes, les voix auxquelles elles étaient affectées étant réattribuées à d’autres.
Aujourd’hui, les progrès réalisés en matière d’informatique ont permis de très fortement augmenter les voix de polyphonie, qui peuvent aller jusqu’à 128 sur des appareils intégralement numériques.
Paraphonie
Un article sur la polyphonie ne serait pas complet sans parler de paraphonie. Was ist das ? Eh bien, il s’agit d’un système un peu particulier qui a connu son heure de gloire avant l’avènement de la polyphonie réelle et qui est réutilisé aujourd’hui dans certains nouveaux appareils analogiques, tels que le Pulse 2 de Waldorf. Pour simplifier, on pourrait dire que le système paraphonique permet de simuler plus ou moins un système polyphonique à partir d’une architecture monodique.
Nous avons vu dans l’article précédent que nous pouvons avoir – souvent - plusieurs oscillateurs pour une seule et même voix. Dans un système purement monodique, tous les oscillateurs sont déclenchés en même temps par la pression d’une unique touche. Dans un système paraphonique, chaque oscillateur peut être déclenché individuellement par une note différente, par contre les signaux produits suivront ensuite une seule et même chaîne de traitement, comme pour les systèmes purement monodiques.
Par exemple, si l’on joue un Do et que l’on attend que les périodes d’attaque et de déclin de l’enveloppe d’amplification soient passées pour jouer un Sol tout en ayant maintenu le Do enfoncé, le Sol viendra bien se superposer au Do, mais en s’incluant dans la période de sustain de l’enveloppe du Do, sans déclencher de nouvelle enveloppe à son tour.
Multitimbralité
Enfin, pour clôturer ces deux articles sur les voix et leur gestion, il serait impensable de ne pas évoquer la multitimbralité. Cette dernière est la capacité d’un instrument électronique à produire simultanément des sons non seulement de natures différentes, mais dont les enveloppes de filtres et d’amplification pourront également être différenciées. Ah bon, me direz-vous, ce n’est pas déjà la définition de la polyphonie ? Non, pas tout à fait, car dans un synthé uniquement polyphonique (et non multitimbral), si toutes les notes jouées simultanément déclenchent bien individuellement leurs propres enveloppes (contrairement au système paraphonique), les réglages de ces dernières sont strictement identiques entre elles.
L’un des tout premiers synthés multitimbraux a été le Six-Trak de Sequential Circuits (eh, encore eux…). Les sons peuvent alors être superposés pour être déclenchés simultanément, ou bien être répartis sur différentes parties du clavier, par exemple pour s’accompagner d’un son de basse à la main gauche lorsque l’on fait un solo sur un son de piano à la main droite, dans le cadre ici d’un appareil fonctionnant sur une base de samples. Le nombre de voix de polyphonie se répartit entre les différents sons impliqués, plus exactement entre les différents canaux MIDI.
Et ce qu’est le MIDI, c’est ce que nous explorerons dans le prochain article.