Nous avons vu dans les précédents articles tout ce qui constituait la chaîne sonore de base d’un synthétiseur : les oscillateurs, suivis d’un filtre et d’un amplificateur accompagnés eux-mêmes des enveloppes pour les piloter.
Nous avons également vu qu’un oscillateur peut produire une onde sonore, plus ou moins chargée en harmoniques, mais toujours basée, pour les ondes périodiques, sur un seul son fondamental – dont la fréquence peut, dans bien des cas, correspondre à celle d’une de nos notes du système occidental. Mais alors, qu’en est-il lorsque nous souhaitons produire plusieurs notes à la fois, un accord par exemple ? Et plusieurs sons de natures différentes ?
C’est à ces deux questions que nous allons tenter de répondre dans le présent et le prochain articles.
À une ou plusieurs voix
Tout d’abord, il s’agit de bien différencier les notions de poly et monophonie… oups pardon « monodie ».
Eh oui, c’est le terme consacré, même si presque tout le monde fait l’erreur aujourd’hui d’employer « monophonie » dans ce contexte. La « monophonie » s’oppose à la « stéréophonie » et concerne le nombre de canaux des systèmes de diffusion audio. Elle n’a donc rien à voir avec ce qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir le nombre de notes exécutables simultanément sur un instrument. La confusion est toutefois d’autant plus excusable que l’opposé de la monodie n’est pas la « polydie », mot inventé, mais bien la polyphonie. Bref, la langue française et sa logique…
Pour en revenir à notre sujet, on pourrait être tenté de simplifier en affirmant la chose suivante : la monodie, c’est quand il n’y a qu’un seul oscillateur, la polyphonie c’est quand il y en a plusieurs… Et l’on serait complètement à côté de la plaque ! Car la différence entre monodie et polyphonie ne se situe pas au niveau du nombre d’oscillateurs, mais bien à celui du nombre de voix.
Avant d’aller plus loin, il est donc important de définir ce qu’est une « voix » (ou voie) en jargon « synthésiste ». Une voix peut tout d’abord être considérée comme la chaîne sonore de base citée en introduction de l’article : oscillateurs, filtre et amplificateur avec leurs enveloppes respectives. Mais c’est bien plus que cela !
Quand vous actionnez une touche de synthé, vous actionnez en plus trois autres éléments simultanément : un « pitch trigger » (signal de hauteur, également appelé « pitch CV » pour Pitch Control Voltage) qui renseigne l’appareil sur la touche que vous enfoncez, un « envelope trigger » qui va activer les différentes enveloppes concernées, et un « gate » (portail en anglais) qui restera « ouvert » tant que la touche restera enfoncée, et qui servira donc à indiquer au système à quel moment la touche est relâchée.
Comme vous pouvez le constater, une « voix » est donc constituée de bien plus d’éléments que simplement d’un oscillateur. D’ailleurs, revenons une seconde à la définition donnée plus haut : « Oscillateurs, filtre… »… Attendez une minute, « oscillateurs » au pluriel ? Pour une seule voix ?
Oui, car la plupart des synthétiseurs proposent plusieurs oscillateurs par voix, ceci afin de produire des sons plus riches. Ainsi le récent Little Phatty de Moog, monodique, propose-t-il 2 oscillateurs, capables de produire simultanément chacun une forme d’onde différente et même d’être désaccordés entre eux, sans toutefois que cela en fasse un synthétiseur polyphonique, les deux oscillateurs étant déclenchés par une seule et même touche, et leur signal étant traité par une seule et même chaîne d’éléments (filtre, amplificateur, enveloppes, etc.). Le fait que ce synthé soit capable par contre de produire simultanément deux sons de nature différente en fait un synthétiseur dit « multi-timbral ».
Monodie et priorité
Bien, maintenant que nous avons défini ce qu’est une voix, penchons-nous à présent sur ce qu’est la monopho… pardon, la monodie (décidément, la tentation est grande !). La monodie est le fait de ne jouer qu’une seule note ou voix à la fois (même si cela peut englober, comme nous venons de le voir, des sonorités différentes !).
Mais alors, que se passe-t-il si le musicien plaque à deux mains un magnifique accord de 8 notes, ou plus simplement laisse « traîner » une note sur une autre pendant l’exécution d’une ligne mélodique ? Comment un appareil monodique définit-il, parmi toutes les notes enfoncées simultanément, laquelle doit être jouée ?
Lorsqu’une telle situation se présente, un système de priorité entre en jeu pour déterminer quelle est la note qui doit être conservée parmi toutes celles enfoncées. Les principaux choix qui s’offrent, différents selon les synthés, sont alors les suivants : priorité à la note la plus basse (option la plus courante), priorité à la note la plus haute, priorité à la dernière note et — beaucoup plus rarement – priorité à la première note.
Dans les années 70, les synthés américains et les synthés japonais se différenciaient entre autres par le fait que les américains préféraient donner la priorité à la note la plus grave, alors que les japonais favorisaient la plus aiguë, entraînant des différences de techniques de jeu dans la gestion des transitions mélodiques entre les notes. La prise en compte de ces spécificités et la maîtrise des techniques de jeu associées peuvent s’avérer extrêmement intéressantes lors de l’exécution de riffs mélodiques.
Dans le prochain article, nous traiterons de la polyphonie comme annoncé plus haut, mais également d’un principe moins connu, la paraphonie…