Audiofanzine a rencontré Ryan Loftus, ingénieur chez Telefunken Eletroakustik, pour nous parler des micros haut de gamme que fabrique la marque.
Pour commencer, pouvez-vous nous en dire plus à propos de votre travail chez Telefunken ?
Je suis « Design Engineer » et je travaille avec une autre personne qui a le même poste que moi. Ensemble, nous mettons en place des séries de tests pour les capsules des micros, les transformateurs, afin de bien vérifier que tout fonctionne normalement. On travaille aussi sur le développement de nouveaux produits, on essaie de nouvelles capsules, des nouveaux circuits d’amplification… Notre travail consiste à prendre un prototype que nous aimons et à en faire un produit que nous pouvons fabriquer en série tout en gardant le même son, la même qualité de fabrication.
Combien de nouveaux micros sortez-vous par an ?
On en sort un par an, environ. Mais la recherche et le développement peuvent prendre plus de deux années. Pour le M82, qui est notre dernier micro sorti, nous avons commencé à travailler dessus deux ans avant sa sortie. On a commencé à analyser tous les micros pour grosse caisse du marché, et on a essayé de comprendre pourquoi on en aimait certains et pas d’autres. À partir de là, on a élaboré notre micro.
Ça vous arrive de modifier et améliorer certains micros présents dans votre catalogue ?
On commence toujours avec des pièces détachées qui sont disponibles chez nous, on a des échantillons ou des prototypes qui ne sont finalement pas arrivés en phase de production. Pour le M82, on a pris la structure supérieure du U47, mais au lieu de l’utiliser en side-address, on l’a utilisé en end-address, la capsule est orientée vers le haut au lieu d’être orientée sur le côté. C’était le point de départ pour ce micro. On a essayé des capsules que nous avions sous la main, afin de comprendre quel type de capsule il nous fallait vraiment.
Pouvez-vous nous dire comment Telefunken Elektroakustik est né ?
« Telefunken » est le nom d’une entreprise qui est née en 1903, et qui a fait beaucoup de choses autour de la communication sans fil, de la radio… Ils ont construit notamment des préamplis, des lampes et des micros. « Telefunken Elektroakustik » est né en 2000 sous le nom de « Telefunken North America » puis « Telefunken USA ». On a commencé par recréer des pièces détachées pour remplacer celles qui cassaient sur les micros vintage, comme le sélecteur de polarité pour le 251 ou des parties en plastique qui se détériorent inévitablement. On faisait de la restauration de micros vintage. Quand on a appris que le nom Telefunken n’était pas utilisé en Amérique du Nord, nous l’avons déposé, et on a commencé à faire du « reverse engineering » sur le 251 afin de voir comment il était fabriqué. Cela nous a pris environ deux ans, puis on a recréé toutes les parties qui n’étaient plus fabriquées, comme les grilles, les plastiques, etc.
En 2008, cela faisait 6 ans que nous produisions nos micros, nous avons été contactés par Telefunken de Francfort, en Allemagne. Ils nous ont dit qu’ils aimaient ce qu’on faisait et ils ont voulu que l’on devienne la division mondiale pro audio de Telefunken. C’est à ce moment-là que nous sommes devenus Telefunken Elektroakustik.
Quel était le principal objectif de la compagnie ?
Le premier objectif était de recréer des micros vintage de légende sans aucune concession, à l’intérieur comme à l’extérieur, avec exactement le même son. Nous avons commencé avec le ELA M 251 E, le U47 et le C12, qui correspondent à la série Diamond de notre catalogue. Le problème, c’est que les prix sont assez élevés, nous avons donc développé la série R-F-T, qui comprend le AK-47 MkII, le AR-51 et le CU-29.
Quels sont les profils de vos clients pour ceux deux séries ?
Pas mal d’artistes connus, de clients qui aiment le haut de gamme, des studios qui parfois possèdent les micros originaux et qui veulent les comparer. On a commencé assez rapidement à avoir des fans qui aimaient notre travail. Pour la série R-F-T, la clientèle est forcément un peu plus large, on a un peu plus de home-studistes et d’ingénieurs du son qui commencent dans le métier.
Vous évoquiez le C12 : il existe toujours au catalogue d’AKG et il est moins cher chez eux. Quelles sont les principales différences entre le vôtre et le leur ?
Le C12 que nous fabriquons et une recréation parfaite de celui qui était fabriqué par AKG dans les années 50. À l’époque, à cause de la technologie, ils avaient beaucoup de mal à fabriquer correctement la capsule CK12 qui équipait le micro, et il y avait beaucoup de déchets. C’est pour cela qu’ils ont changé leur manière de faire. Le C12 actuel est un bon micro, mais le circuit est différent et différentes choses ont évolué au fil des ans. Le nôtre reste une réplique exacte de celui des années 50.
Avez-vous rencontré les mêmes problèmes qu’eux dans les années 50 ?
Les premiers temps, nous avons eu les mêmes soucis lorsque nous avons voulu recréer la capsule CK12. On a dû apprendre de nos erreurs, trouver la fréquence d’accordage exacte, la tension parfaite… On construit cette capsule depuis plus de 10 ans maintenant, et on est arrivé à un taux de réussite très proche des 100 %, et même si quelque chose n’a pas été fait correctement, on arrive à le corriger facilement.
Pensez-vous un jour construire autre chose que des micros, comme des préamplis, des casques ou des enceintes de monitoring ?
Oui, on y pense. On regarde les options qui s’offrent à nous. Récemment, nous avons commencé à vendre des lampes sous le nom Telefunken, vu l’histoire de la marque, c’est une bonne idée. Nous travaillons, même si nous sommes encore au tout début du processus, sur des préamplis, des casques. Ce sont des gros marchés et nous prévoyons d’étendre notre ligne de produits ces prochaines années.
Pourquoi tous vos micros sont-ils à lampe ?
Au tout début du microphone, il n’y avait pas le choix. Dans les années 70, les FET sont devenus populaires, et les gens ont même commencé à vendre leurs vieux micros à lampes. Quelque temps après, les gens ont commencé à apprécier de nouveau le son des micros à lampes que l’on peut entendre sur beaucoup de disques des années 60. Nous aimons les micros à lampes, car ils ont un son chaleureux, ils sont plus musicaux que les FET.
Pensez-vous à commercialiser un FET ?
Oui, à la fin de l’année, nous allons commercialiser un FET à petite membrane, assez similaire à notre 260 qui est à lampe. Il s’appellera le M60.
Quelles sont les principales différences entre la série Diamond et la série R-F-T en termes de construction et de son ?
Nos trois séries de micros, les dynamiques, les Diamond et les R-F-T sont fabriquées chez nous, dans le Connecticut. Tout est assemblé et soudé à la main. Sur la série R-F-T, certaines parties des circuits, les transformateurs et les lampes sont les mêmes que sur la série Diamond. Nous avons voulu faire des économies sur tout ce qui n’avait pas d’impact sur l’audio, c’est-à-dire certaines pièces métalliques du corps, qui sont fabriquées ailleurs, en Asie. Pour la série Diamond, tout est fait chez nous, même le corps du micro et toutes les parties métalliques. Toutes les capsules et les lampes sont testées, peu importe la série, les micros répondent aux mêmes exigences, et c’est notre fierté.
La série Diamond recrée fidèlement des modèles de micros bien connus, tandis que les R-F-T semblent adopter des conceptions plus originales. Pensez-vous sortir des versions plus abordables de C12 ou U47 ?
C’est que nous avons partiellement fait avec la série R-F-T. Nous avons pris certaines parties des circuits et des éléments des Diamonds pour les mettre dans les R-F-T. Par exemple, le AR-51 utilise une lampe ECC81 « new old stock », un transformateur T14 et un amplificateur qui sont identiques au C12 et au 251. La différence se situe au niveau de la mise en place de la capsule. Avec le AR-51, nous n’avons pas voulu faire une version moins chère du 251, mais une variation. Pareillement, le AK-47 MkII utilise le même ampli et transformateur de sortie que le U47, la capsule est de type K67.
Pourquoi les micros dynamiques sont-ils moins chers que les micros à condensateurs ?
Il y a moins de tests à faire, du côté des lampes par exemple, même si nous testons les capsules de la même façon. L’assemblage est plus rapide, il y a moins de pièces, et comme le circuit est passif c’est plus facile d’intervenir pour régler un problème. Au niveau du packaging, les micros à lampes ont besoin de leur propre câble, alimentation, suspension, alors que les micros dynamiques sont fournis tels quels.
En parlant de câble, que recommandez-vous ? Est-il nécessaire de dépenser beaucoup d’argent ?
C’est utile d’acheter des câbles de bonne qualité. Nos micros à lampes sont vendus avec leur propre câble 7 points pour les connecter à leur alimentation. Nous travaillons avec un fabricant de câbles américain, et nous commercialisons deux types de câbles 3 points : la série « Stage » pour le live et la série « Studio » plus haut de gamme, avec un blindage et des connecteurs Neutrik de meilleure qualité. On aime nos câbles, mais il y a plein d’autres bons câbles sur le marché.
Pensez-vous fabriquer des micros à ruban ?
En 2006, nous avons fait un partenariat avec une compagnie et nous avons sorti un micro à ruban et nous l’avons distribué pendant une année environ. Ça marchait bien pour nous, mais ce n’était pas notre marché à cette époque, alors nous avons arrêté. Ce n’est pas dans nos plans pour le moment de travailler sur un nouveau micro à ruban.
Les micros de référence sont généralement assez vieux, comme le U47, le C414 ou le SM58. Pourquoi ce marché est-il si conservateur ?
C’est un marché intéressant où les gens ont besoin de temps pour comprendre votre microphone. Comprendre ce qu’il a de différent, comment ils doivent l’utiliser… Quand nous avons sorti le M80 en 2008, nous avons eu de bons bancs d’essai et beaucoup d’utilisateurs heureux. Il s’est bien vendu, mais cela a pris au moins un an et demi voire deux ans pour que les ventes décollent vraiment. Le marché du live est très différent du marché du studio. En live, vous avez besoin de fiabilité, car vous n’avez pas de temps à perdre. Une fois que les gens se sont adaptés au M80, beaucoup de boîtes et de personnes travaillant dans le live ont commencé à demander ce micro.
Est-ce que la technologie actuelle permet de faire de meilleurs microphones qu’il y a 60 ans ?
Oui, d’une certaine manière. Mais c’est amusant de voir que certaines personnes continuent d’aller vers ces micros qui ont été conçus dans les années 50. On peut faire plein de choses intéressantes de nos jours, mais nous gardons une approche traditionnelle, avec du fait main. La technologie à lampe est vieille de près de 100 ans.
Pensez-vous concevoir de nouveaux microphones en utilisant la technologie moderne ?
Nous utilisons des choses intéressantes pour le circuit de notre prochain M60, avec un FET que nous avons sélectionné pour son rapport signal sur bruit excellent et sa distorsion très basse. Cela n’aurait pas été possible il y a quelques années. Mais nous gardons une approche traditionnelle par rapport à d’autres constructeurs qui proposent des solutions numériques, par exemple.
Que pensez-vous justement des micros numériques ?
Je pense qu’ils sont très bien pour leur application. Le micro USB est un marché en pleine expansion et il y a aussi des choses intéressantes dans la catégorie pro.
Pensez-vous que c’est le futur du microphone ?
Je pense qu’il y aura toujours de la place pour les microphones à tube « old school ».
Et pourquoi, d’après vous ?
Je pense qu’il y a quelque chose d’inhérent à l’oreille humaine qui aime naturellement le son des lampes, la distorsion harmonique. On a la même chose avec les amplis de guitare et leur gros transformateur, cette compression naturelle, cette réponse aux transitoires. Les micros numériques peuvent être très propres et clairs, mais ils peuvent parfois manquer de caractère, du moins pour certains.
Un microphone doit-il être transparent ou coloré, d’après vous ?
Les deux. Pour certaines applications, vous avez besoin de micros transparents, si vous avez une superbe pièce, une belle voix ou un magnifique instrument et que vous voulez capturer exactement ce que vous entendez. Mais si vous voulez ajouter du caractère, une certaine couleur… Le but est de représenter au mieux la musique que vous capturez.
Les micros Telefunken sont plutôt dans la catégorie des micros colorés ?
On a les deux, le U47 est connu pour avoir une réponse en fréquence étendue dans le bas du spectre, il excelle pour certaines voix jazz ou soul. Le C12 ou le AR-51 sont plus propres, avec un son plus ouvert qui ne colore pas trop le son. On aime pouvoir proposer les deux.
Pouvez-vous me parler des différences entre le M80, le M81 et M82 ?
Le M80 est sorti en 2008, il a été conçu pour être notre microphone « premium » pour voix. Il est aussi très bon sur les caisses claires. La réponse en fréquence est étendue dans les graves, il a un gros niveau de sortie et reste peu sensible à la repisse des autres instruments. Un pic de présence correspond bien aux voix. Le M81 utilise la même capsule et le même transformateur, mais il n’a pas cette bosse de présence, il a une courbe de réponse plus plate et linéaire. Il est bien pour les instruments, les amplis de guitare, les cuivres. Une version courte est disponible pour les toms de batterie. Nous avons d’ailleurs un pack pour la batterie, avec le M82 pour la grosse caisse. Ce dernier peut aussi être utilisé pour les voix broadcast. Il y a un switch « Kick EQ » pour la grosse caisse, qui atténue à 350 Hz, pour éviter d’avoir un son trop fermé tout en gardant le bas et le haut du spectre. Le switch Hi-Boost permet d’avoir un son de grosse caisse plus moderne, avec plus de batte. En mode broadcast, vous aurez un boost de présence parfait pour les voix. Le prochain M60 dont nous parlions et qui sortira à la fin de l’année sera parfait pour les overheads et compléter le tout.
Êtes-vous intéressé par le marché de l’entrée de gamme, et pourquoi pas faire construire en dehors des États-Unis ?
C’est ce qu’il se passe dans le marché de l’audio actuellement. En dessous d’un certain prix, il devient impossible de tout faire en interne. Pour le CU-29, nous ne pouvons par exemple pas baisser le prix si nous voulons continuer à le fabriquer aux États-Unis et garder cette qualité. On arrive à faire baisser les coûts en externalisant la fabrication de certaines parties métalliques. Nous ne voulons pas délocaliser entièrement la fabrication d’un microphone, même pour nos micros dynamiques comme le M80 qui est entièrement assemblé, soudé et testé chez nous. Nous pensons que c’est important de garder le contrôle qualité en interne. Si vous faites fabriquer à l’étranger, vous n’avez plus le même contrôle.