Quand j’étais encore un bassiste novice, je ne rêvais pas de l’ampli idéal. Je fantasmais bien sur les basses, mais je ne me souviens pas avoir particulièrement bavé sur un super combo ou un énorme deux corps. L’amplification était pour moi tout à fait fonctionnelle : on se branchait et puis on avait un son. Et peu importe son ramage, tant qu’on avait le gros volume, on faisait avec. Et puis avec l’âge et les kilomètres, en plus de prendre du niveau technique, on finit par aiguiser un sens des plus essentiels à la pratique de son art : l’ouïe.
Assez vite, j’ai remarqué que les systèmes les plus flatteurs pour mes esgourdes étaient tout à fait hors de ma portée budgétaire. Et parmi les amplis les plus estimés (et donc les plus inaccessibles) figuraient, en tête de liste, les produits David Eden. En ce temps-là, alors que la plupart des têtes de grosse puissance pesaient leurs vingt kilos, peinaient à rentrer dans un rack de deux unités et produisaient un grain bien typé, la firme américaine mettait sur le marché un véritable ovni : la WT 300, mieux connue sous le sobriquet de “Traveler”.
Quinze ans plus tard, j’ai le plaisir de tester pour vous la WTX-500, descendante de la traveler originelle et une enceinte au tout petit format, l’EX110.
Entrée de haut de gamme
Avant de fonder sa propre compagnie, David Nordschow a d’abord fait ses armes comme réparateur en électroménager, pour se spécialiser dans la sonorisation. On aurait pu l’imaginer bassiste, c’est pourtant aux cuivres qu’il s’éclate durant son temps libre. Il joue alors du Tuba, de la trompette et du saxophone dans différents orchestres amateurs. Mais il passe aussi beaucoup de temps derrière la console pour des groupes dont les bassistes sont souvent ses amis. Et à cette époque qui tombe au beau milieu des seventies, les bassistes ne sont pas gâtés par les fabricants d’amplis. L’offre en matière de stacks, pas franchement étoffée, ne brille pas par son évolution sur les décennies précédentes. En gros, c’est un peu la misère pour qui cherche un grain un poil sophistiqué, sortant des sentiers battus des sixties.
C’est en écoutant un camarade jouer sur un Randall, produisant le son le plus vilain qu’il n’ait jamais entendu, que David décide de voler à son secours en lui fabriquant un nouveau caisson. Puis, avec déjà un concept bien établi sur ce que doit être un bon ampli pour basse, il se lance dans la production en série. Il fonde la compagnie Eden Electronics en 1976, pour produire une première série de têtes stéréo en 1978 et quelques configurations d’enceintes, notamment en 2X12 pouces. Il faut dire que le pari est risqué : à part Alembic, peu de fabricants se risquent à ce genre de choses. Il y a donc bien une niche à exploiter, mais personne ne peut alors garantir le succès d’un tel contre-courant.
Profitant de l’avis de nombreux professionnels, le pionnier continue de creuser dans la même direction. La demande du musicien bassiste est simple, quoiqu’opposée à celle d’un confrère guitariste lambda : une reproduction sonore fidèle de son instrument et de son jeu, avec de la chaleur en plus. La compagnie Eden s’emploie alors à répondre à cette demande en fabriquant des stacks sur mesure pour les professionnels, reposant sur des valeurs simples mais innovantes et un cahier des charges emprunté à l’industrie militaire. Les composants doivent être de qualité, afin de garantir une solidité, des performances accrues et leur montage modulaire, pour faciliter les réparations et les mises à jour éventuelles de ces systèmes. La conception des enceintes vise une traduction essentiellement linéaire du signal, appuyée par une bande passante très large, des capacités d’encaissement développées et surtout un temps de réponse permettant de traduire parfaitement tous types de transitoires. Le dessein du concepteur est simple : retranscrire la nature du son d’une basse, qui ne s’apprécie pas tant sur la résonance, mais bien sur la pulsion.
Les amplis de la marque se démarquent donc de la concurrence en produisant des solutions fidèles et offrant pas mal de dynamique. À ce titre, Eden sera parmi les premiers fabricants à exploiter le filon de la configuration en 4X10 pouces, aujourd’hui parfaitement établie sur le marché et proposée par l’ensemble de ses acteurs. Quelques années suffisent à la compagnie pour s’imposer sur le “haut de gamme” pour particuliers et afin de toucher une clientèle plus modeste, la marque Nemesis est fondée avec un succès bien plus relatif. En 2002, la compagnie est rachetée par le groupe US Music Corporation qui laissera David aux commandes de son entreprise. Mais en 2011 le fondateur, à jamais fidèle aux valeurs qui ont fondé son succès, décide de créer une nouvelle compagnie (DNA amplification) pour retourner à ses premiers amours élitistes.
Pas de compromis ?
À moi de mettre à l’épreuve le slogan de la compagnie qui propose avec la WTX 500, une offre pécuniairement plus abordable que la WT 550E (la référence absolue de la marque). La différence de prix reste relativement infime, un peu plus de 100 € séparent les deux têtes au catalogue du fournisseur, ce qui force un peu le bilan comparatif entre les deux modèles. Il y a quand même deux ou trois choses qui font immédiatement la différence au premier coup d’œil : la WTX 500 ne dispose pas d’égaliseur semi-paramétrique et n’est pas estampillée “David Eden”, l’homme ne faisant probablement plus partie de la société lors de sa conception. Et quand on la retourne on peut lire la sentence : « Manufactured in China under Stringent quality standards ». Ce qui, vous en conviendrez, change du traditionnel « Handcrafted in Montrose USA ».
Présentant moins de contrôles que sa consoeur, la WTX 500 présente un format quelque peu réduit (20 × 6 × 23cm) et un poids à la baisse d’à peine deux kilos. Le rapport entre les dimensions, le poids et la puissance de 500 watts RMS en 4 Ohms est donc tout à fait à l’honneur de ce nouveau modèle. Dans un esprit pratique, beaucoup de connexions (Jack 1/4") se font en façade : de l’entrée instrument à la sortie accordeur, en passant par la boucle d’effet et l’entrée auxiliaire en stéréo. À l’arrière on est assez bien lotis avec la DI, une entrée Footswitch, une sortie casque et deux types de sortie pour enceintes (deux sorties Jack et une sortie Speakon). Les contrôles en façade se composent d’un gain d’entrée, un enhancer, trois bandes d’égalisation et un volume général. Cinq potards sur six sont push-pull (seul le volume général ne l’est pas) et permettent respectivement de descendre le gain d’entrée de douze décibels (pour les basses actives), de désactiver le compresseur automatique, de booster les graves, de creuser le son et enfin de placer le signal de sortie DI avant ou après l’égaliseur.
L’enceinte que j’ai sous les yeux est en 4 Ohms, mais se décline aussi en 8 Ohms pour 300 watts. Je suis donc contraint de ne pas pousser trop la tête qui va développer ses 500 watts à plein rendement. Ses dimensions très réduites (32 × 36 × 36cm) présentent bien des avantages en matière de portabilité. Imaginez-vous 300 watts, pour un gabarit aussi menu qu’un combo d’étude ! Comme le bois qui compose les panneaux a tout du massif (sa résonance comme sa densité), cette petite diffusion pèse tout de même ses onze kilos. J’apprécie le placement, certes unique, de la poignée qui est ergonomique pour le transport à pied. Par contre, je ne suis toujours pas fan de la moquette (sous les pieds comme sur un ampli). L’évacuation de l’air se fait en façade, par des évents rectangulaires parcourant la largeur du châssis. À l’arrière se trouve une seule entrée, en Jack, ce qui est fâcheux pour moi qui ne dispose pas de câble HP adéquat (jack/jack ou Speakon/jack). Je suis donc encore forcé de passer du bon temps à Pigalle entre mes amis commerçants et quelques bières, pour pouvoir mener à bien ce test. Que de sacrifices consentis, amis lecteurs !
La qualité des composants utilisés aussi bien pour la tête que l’enceinte est bien palpable. Les potards du tableau de bord de la WTX 500 sont vraiment classe, aucun jeu quand on les tourne et un quart de tour suffit à se rendre compte de leur qualité intrinsèque. J’en dirai de même pour la solidité supposée du châssis, les connexions et autres interrupteurs embarqués. J’ai le même type d’appréciations à énoncer au sujet de l’enceinte, solidement bâtie (caisson et grille), bien pourvue en évents et renforcée là où il faut.
Par contre je suis contraint de soulever un lièvre ou deux (que je vous laisserai tirer) en constatant certains détails de cet ensemble : si les pièces détachées semblent de qualité, je n’en dirai pas de même de l’assemblage et de la finition, qui paraissent un tantinet grossiers. Prenez par exemple les coins en plastique qui servent de renforts à l’enceinte, s’élevant au nombre de huit. Et bien deux d’entre eux ont été fixés de travers, ce qui fâche un peu les yeux, sans toutefois faire saigner les oreilles. Même chose sur la tête : les petits repères de couleurs qui agrémentent les six potards en façade n’ont pas été proprement peints dans le creux de leurs sillons respectifs. ça bave un peu, ce qui fait perdre un peu de sa superbe à l’ensemble.
Voilà, j’ai fait le tour du proprio et dit à peu près tout ce que j’avais à raconter sur le sujet.
Direction porte d’Italie plus précisément au Kremlin-Bicêtre, pour profiter d’une séance studio au complexe MUPSON. Et de pouvoir enfin jouir de l’expertise d’un professionnel en matière de prises de son.
Clubbing to death
Marc UPSON, pour cette séance, m’a enregistré simultanément en prise directe (via la DI) et par repiquage, via un Neumann U87. J’ai toujours ma Precision Deluxe V comme instrument et suis particulièrement bien installé pour cette session. Voici seize prises (soit trente-deux en tout), qui font le tour de l’égaliseur, du contour et de l’Enhanceur dans différents styles de jeu.
Tout d’abord un simple trifouillage de l’égaliseur, en tout bien tout honneur, en commençant par une mise à plat et quelques réglages de base :
- 1. Neutre DI00:37
- 2. Neutre Mic00:37
- 3. Graves 3 med 3 aigus 0 DI00:37
- 4. Graves 3 med 3 aigus 0 Mic00:37
- 5. Grave 3 Med –3 Aigus 3 DI00:36
- 6. Grave 3 Med –3 Aigus 3 Mic00:36
- 7. Grave 4 Med 2 Aigus –2 DI00:36
- 8. Grave 4 Med 2 Aigus –2 Mic00:36
La partie égaliseur est en soi performante. Cependant, je regrette que le fabricant ait amputé le semi-paramétrique sur cette version. Le balayage des fréquences médiums sur les systèmes Eden a toujours été une référence pour moi, pour sa réactivité et son accessibilité. Un petit regret que j’exprimerai donc librement, en adoptant une petite moue enfantine et en feulant entre deux réglages. Maintenant, je rappelle que tout le monde n’apprécie pas forcément ce type de correction et paradoxalement, je fais partie des gens qui s’en passent sans effort. C’était donc juste écrit pour râler un peu…
Voici maintenant un test de l’enhancer en trois réglages, d’abord coupé puis monté de moitié pour être tout à fait ouvert sur les deux derniers extraits.
- 9. Enhancer 0 DI00:25
- 10. Enhancer 0 Mic00:25
- 11. Enhancer midi Di00:25
- 12. Enhancer midi Mic00:25
- 13. Enhancer fond DI00:26
- 14. Enhancer fond Mic00:26
Souvent qualifié de bouton à tout faire par ses utilisateurs, je suis pour ma part assez peu friand de ce type de correction qui affecte la globalité des fréquences. Pourtant au fil de cet essai, je dois reconnaître que les différents grains que produit l’égaliseur se retrouvent assez vite sublimés, si on use un peu de la chose. Moi par exemple, j’aime bien le mettre à mi-niveau pour teinter modérément le son. J’en conclus donc que ce petit potard n’a rien d’anecdotique et qu’il sera nécessaire à l’utilisateur de la WTX-500 de savoir en jouir.
Le contour (appelé aussi “Shape” ou “Mid Shift”) est, comme tout le monde le sait, un moyen de creuser rapidement l’égalisation. Ici, il suffit de tirer sur le potard des médiums pour leur faire perdre deux kilos. Pour pousser le bouchon, j’ai aussi activé le Bass Boost sur les deux derniers extraits.
- 15. Sans le contour general DI00:23
- 16. Sans le contour general Mic00:23
- 17. Bass Boost Med shift et Treeble Boost DI00:23
- 18. Bass Boost Med shift et Treeble Boost Mic00:23
Personnellement, je regrette de ne pas avoir fait cas des deux modules de manière indépendante, sur plusieurs prises. Je sais apprécier un boost grave et un Mid-scoop, mais les deux à la fois ne rentrent pas vraiment dans ma tasse de thé. Cet exemple est donc un peu trop retranché à mon goût. Nonobstant je suis tout de même contraint de retranscrire l’avis de Marc Upson, qui se trouve derrière la table. Ce dernier jugeant ces corrections un poil trop conséquentes sur le niveau de la sortie DI. Un phénomène que je m’expliquerai bien plus tard, en parcourant la notice. Plutôt qu’un pousse-graves standard, le “Bass Boost” est prévu pour être utilisé à faible volume, le but étant de garder une bonne tenue des basses fréquences à faible puissance. J’en déduis donc (bien personnellement) que le gain est probablement affecté par l’emploi de ce dernier.
Pour la mise à l’épreuve du compresseur, j’ai opté pour mon égalisation favorite. Vu que la compression est automatique, elle se passe de réglage : c’est tout ou rien. Voici quatre extraits pour deux prises, les deux premiers sans et les derniers avec.
- 19. Compresseur Off DI00:16
- 20. Compresseur Off Mic00:16
- 21. Compresseur On DI00:16
- 22. Compresseur On Mic00:16
Bon, un compresseur intégré, cela vaut ce que ça vaut. Celui-là ne fait pas de miracle, mais on l’entend quand même travailler. Évidemment, je ne cacherai pas que quelques réglages, même minimalistes (juste un niveau ne mangerait pas de pain), auraient été les bienvenus. Mais comme il en est de même sur la Traveler 550 américaine, je vais arrêter de jouer les râleurs.
Et pour finir, voici un méli-mélo de prises, tantôt slappées et grattées. Pour le slap, j’ai pris l’initiative d’enregistrer en usant de deux types de réglages. Le premier passant exclusivement par l’égaliseur et le second par les filtres (Bass Boost et Mid-Shift). Pour les prises au médiator, je me suis fait plaisir en piquant la Basse de l’ingénieur du son (qui est aussi bassiste et gérant du studio, donc forcément un chic type). L’instrument en question est une belle Précision Lakland, monté avec un kit Franlin Pickups et des filets plats (l’homme a du goût).
- 23. Slap-egaliseur DI00:16
- 24. Slap-egaliseur Mic00:16
- 25. Slap-Contour DI00:17
- 26. Slap-Contour Mic00:17
- 27. Mediator PbLakland DI00:14
- 28. Mediator PbLakland Mic00:14
Conclusion
Je suis personnellement assez conquis par ce que j’ai pu entendre de ce test. Je trouve l’ampli réactif, facile à utiliser et en soi totalement polyvalent. Grâce à une belle dynamique, la WTX-500 pourra séduire dans toutes les cours. Le dix pouces s’en sort bien pour son gabarit, il tient bien le Si grave, ne déborde pas d’infras mais donne le change dans les fréquences qui nous intéressent. Je doute qu’utilisée seule, cette enceinte suffise à sonoriser un grand volume. Mais pour le club, le café-concert en petite formation, l’EX 110 est une solution à la fois abordable (245 € au prix catalogue) et envisageable. Quelque chose me dit qu’un tel ensemble pourrait aussi intéresser les contrebassistes, c’est en tout cas un bon test à envisager pour ceux qui peinent déjà à trimbaler leur instrument. Pour tous les collègues qui cherchent quelque chose de plus conséquent qu’un ampli pour petites salles, je conseillerai évidemment d’utiliser une enceinte complémentaire à celle que je viens de vous présenter.
Ou de choisir une autre référence du catalogue bien fourni de la compagnie. Avec une marque dévouée aux bassistes depuis presque trente-cinq ans, ce ne sont pas les solutions qui manquent !