Les lampes c’est un peu l’Eldorado pour tous ceux qui pensent que l’amplification pour basse, c’était mieux avant. Vous savez l’époque folle où l’on faisait l’amour comme on respire aujourd’hui, et cela sans latex s’il vous plait. Ces années où les femmes ne se rasaient pas sous les bras, portant le pantalon dans la rue et la culotte dans le couple, tout en criant mort aux machos ! Cet âge d’or où se dire communiste était tendance, où l’on pouvait aller voir un concert de rock tout à fait nu et en famille, dans une foule de 600 000 spectateurs, sans se faire sortir par le service d’ordre. Il n’y a pas à dire, les trente glorieuses, c’était autre chose !
À tous les nostalgiques, je le dis tout haut : sortez vos pattes d’eph du placard, laissez vous pousser l’afro et les rouflaquettes, sans oublier la moustache, car le tout lampe est bien de retour ! Il suffira de se rendre dans tout bon magasin détaillant de nos plaisirs quotidiens, pour sentir cette tendance fleurissante, tel un bourgeon printanier verdoyant au rayon de nos amplis préférés. Il faut dire que ce retour s’effectue progressivement depuis que le rock revient dans les bacs, employant les vieilles recettes des sixties et seventies, savamment mélangées au grunge de mes seize ans. Je résume vite la chose, car je ne suis pas un chroniqueur éclairé de chez Rock & Folk. Je préfère de loin rester dans mon jus et vous parler de cette nouvelle tête qui célèbre le culte du filament de tungstène : la Bassman Pro 100T.
Γένεσις
Le Bassman a précédé de très peu la sortie de la première Precision Bass, dès 1952. Il était conçu pour supporter les fréquences graves de la première basse électrique, qui avait la fâcheuse tendance d’endommager les combos de l’époque. On peut donc le considérer comme la genèse de l’amplification pour basse. Sous sa forme originale, c’était un combo équipé d’un 15 pouces, fournissant vingt-six watts de puissance avec deux lampes de préamplification, deux de puissance et une dernière pour corriger l’alimentation. Il restera sous cette forme jusqu’en 1954 pour adopter la première configuration d’enceinte en 4X10 de l’histoire et passer à une puissance de 40 watts. C’est au tout début des sixties que les premières têtes Bassman feront leur apparition. Leur venue sur le marché, accompagnée d’une enceinte de 4X10 montée en Eminence, toutes deux vêtues de tweed, fera alors sensation dans le Cosme encore modeste de l’amplification. Le grain qu’elles proposent est alors plus brut qu’à l’origine et le tweed passe vite au noir et à l’argent (Blackface puis Silverface). Très vite les guitaristes s’approprient ce modèle, pourtant réservé aux besoins des bassistes que nous sommes. Non contents de s’approprier toutes les groupies, il fallait que ces faux frères de gratteux viennent piquer notre matos ! D’ailleurs, il est intéressant de noter que la plupart des reissues sorties d’usine depuis 1990 s’affichent au catalogue réservé aux six-cordistes.
Un âne mort, ça dit quoi ?
Mais parlons du retour du tout-lampe en amplification basse. Certains se souviennent peut-être de la tête 300 Pro, déclinée sur le modèle Sunn 300T, rééditée il y a une décennie sans grand succès notable. D’autres ont peut-être eu l’occasion de jouer sur les combos Bassman produits dernièrement pour être discontinués aujourd’hui, tandis que les plus chanceux parmi mes lecteurs ont peut-être la chance d’avoir chez eux un collector de la belle époque.
Pour ma part, j’aurai le plaisir de partager avec vous l’expérience d’un retour aux sources de la marque : deux 12AX7 pour la préamplification accompagnée d’une 12AT7 et quatre 6L6 suffiront à goûter aux plaisirs du son vintage, sans se priver des réjouissances d’un canal dédié aux saturations diverses et variées. De la niaque de fond, appuyant une ligne de basse à la Tim Commerford (voici un second lien qui montre comment l’animal chauffe les lampes de son Ampeg…), jusqu’aux extrêmes d’un signal gerbant et corrosif ; où tout se brouille et se distord, pour le plaisir des plus barbares d’entre nous. Pour ma part, je suis plus du genre class D, car je suis enclin à m’ouvrir aux nouvelles technologies, tant qu’elles ne sont pas accessoires et visent à éviter ce que je déteste franchement dans ma vie de musicien, à savoir porter le matos.
Mais pour avoir testé, il y a quelque temps déjà, une tête de cent watts d’époque, équipée d’un 2X15 de 1967 et m’être retrouvé marqué à vie par cette expérience, je dois avouer une curiosité toute piquée au vif par cet essai.
Deux entrées instrument s’affichent de front, à l’ouest un canal dit « vintage », avec un seul volume, trois bandes, un pousse grave et son équivalent en aigu. À l’est se trouve le canal overdrive, comprenant un gain, un blend (qui fait la balance entre son clair et saturé), un volume dédié, une bande grave (qu’il suffit de tirer pour pousser les fréquences basses), une bande médium équipée d’un semi-paramétrique, un aigu (qui comme pour les graves dispose d’un boost). Enfin, à l’extrême droite se trouve un volume général, qui devient mute si on tire un poil dessus. Le panneau arrière est sérieusement équipé. De gauche à droite, on accède à l’alimentation, au stand-by (élémentaire pour éviter le temps de chauffe après une pause) et aux fusibles (accessibles très facilement) qui sont deux pour protéger le système des défaillances de secteur, tout en couvrant le circuit des lampes de puissance. Il y a tout un module dédié aux sorties HP, qui ne prévoient pas de connectique Speakon (je trouve ça dommage), seulement du Jack. Cependant, deux options s’offrent à l’utilisateur pour rattraper ce petit défaut : un sélecteur de puissance de sortie, passant de cent à vingt-cinq watts (tout en gardant la même définition) et proposant même de se passer des haut-parleurs en connectant l’ampli à une charge de substitution (Silent Record).
Second gros avantage du module HP, il est équipé de quatre LEDs qui témoignent de la puissance de sortie (100W, 25W et Silent Record), le dernier voyant permet quant à lui de prévenir l’utilisateur de tout court-circuit des lampes de puissance. Vous savez, quand vos haut-parleurs font pop et qu’il est temps de changer une ou deux lampes, sous peine de faire saigner les oreilles de votre auditoire à chacun de vos concerts. Un autre sélecteur permet de calibrer l’impédance de la tête en fonction de l’impédance totale générée par vos enceintes. Suivent une sortie accordeur, la connectique footswitch (une position, passant d’un canal à l’autre), une boucle d’effet qui sert aussi de sortie préamp et d’entrée vers l’ampli de puissance (on pourra ainsi mettre plusieurs têtes en série) et la traditionnelle sortie ligne, symétrique et affublée des switchs traditionnels (Pre/post et ground/lift).
La tête pèse à elle seule 22 kilos, ce qui dépasse le poids de mon amplification (tête de 400 watts et enceinte 2X10 comprise) et m’a donné l’impression de perdre dix centimètres de vertèbres la première fois que je l’ai soulevée. Physiquement, je ne fais pourtant pas partie des bassistes les plus fluets de cette planète. On ne reprochera pas à Fender de mettre suffisamment de poignées (ici on en compte trois) mais franchement, vu le poids et l’encombrement (62 × 24 × 27cm), il est difficile d’utiliser les poignées latérales quand on est seul. Et porter autant d’une main avant un concert, très peu pour moi. Je veux bien laisser ça aux autres. Pour ce qui est du design général, l’ensemble est sobre, classieux (tolex noir et grille nylon grise) et a vraiment de la gueule, à l’image de ce que l’on faisait à la belle époque. Tous les réglages sont aisément accessibles et ne poseront aucun problème en cas de manipulation en live sur une scène peu éclairée. Cette tête à physiquement presque tout d’une reissue, pourtant elle apporte son lot de modernité.
L’Auto-bias dans la place
Et pour bien exposer la chose, je réserve tout un chapitre pour vous présenter le système « Auto-Bias » embarqué, la polarisation des lampes faisant partie des contraintes logistiques auxquelles tout amateur de « tubes » doit se plier. Il faut savoir, pour comprendre cet obscur impératif, qu’on ne fabrique pas les lampes comme les cotons-tiges : il est compliqué de les produire en série de manière homogène. En fait leur fabrication relève un peu de la culture du haricot vert : on les produit d’abord, en essayant d’obtenir un certain seuil de qualité et de performance, puis on les soumet à une batterie de tests pour les calibrer. On estime d’abord la qualité de leurs composants (principalement la grille-écran et l’isolation du tube qui doit rester sous vide), puis on les classe en fonction de leurs performances individuelles, en mesurant leur ratio de distorsion. C’est ce ratio qui indiquera d’une part l’influence de la lampe sur la tonalité d’un ampli et la propension de cette dernière à distordre, en fonction de la tension qui lui est appliquée (on peut appeler ça un seuil). Chez Groove Tube, ce seuil est indiqué par une échelle allant de 1 à 10.
Traditionnellement, sur les amplificateurs à lampes (pas les préamplis) il est nécessaire de changer toutes les lampes de sortie en même temps, par des éléments identiques appairés. Si ça n’est pas le cas, un passage à l’atelier devient nécessaire pour qu’un technicien puisse effectuer un réglage de polarisation (dit réglage du bias). En gros, il réglera la puissance générée par chaque paire de lampes, au repos, de manière optimale. Afin d’aboutir à une certaine homogénéité du circuit et déterminer son mode de fonctionnement : du « Warm » (pour un son plus agressif et dynamique mais avec une grosse consommation électrique et un usage prématuré des lampes) au « normal » (un réglage type idéal, autant pour le son que pour la durée de vie des lampes), jusqu’au « cold » (le son est moins agressif et dynamique mais le circuit consomme moins et préserve les lampes).
Avec l’auto-bias intégré, la Bassman 100T dispense son utilisateur de ces opérations. La polarisation de chaque lampe est monitorée et automatiquement ajustée à chaque fois que l’ampli est au repos. Si l’une des quatre lampes vient à mourir, il suffira de la remplacer (sans avoir à investir dans une paire) par une lampe de même classe sans avoir à se soucier des trois autres. Trois LEDs indiquent le mode de fonctionnement de l’ampli et quatre autres témoignent du statut de chaque lampe : quand c’est vert, tout va bien ; si le feu passe à l’orange, il est temps de se préparer à changer la lampe ; si un témoin ou deux sont rouges, alors une ou deux lampes sont en panne et à changer. Ces témoins permettent aussi d’estimer si le temps de chauffe est suffisant : tant que ce dernier n’est pas effectué (il faut rester au moins une minute sur le stand-by avant de commencer les festivités), les LEDs effectuent un balayage de gauche à droite (façon Kitt dans K2000).
Enfin, on règlera très facilement le mode de fonctionnement de l’ampli (warm/normal/cold) : il suffit pour cela d’appuyer sur deux curseurs. Aussi simple que de se servir un café allongé sur une machine Nespresso, pratique non ?
Le pénitent le passe
Avant d’en venir au test, je vous présente mes excuses, car je ne pourrai pas vous faire entendre les enceintes qui accompagnent la sortie de cette tête. Fender propose une multitude de solutions de diffusion, équipées de HP de marque Eminence avec aimant néodyme :
un quinze pouces (Bassman 115 Neo), un 4X10 (Bassman 410 Neo), un 6X10 (Bassman 610 Neo) et un 8X10 (Bassman 810 Neo).
Alors oui je sais, une bonne partie d’entre vous aurait apprécié pouvoir entendre un stack complet mais seul le 6X10 était disponible chez le fournisseur. Me voyant mal trimbaler 65 kilos de matos à bout de bras entre Clichy et la Porte d’Italie, pour pouvoir tester l’ensemble en studio (et me retrouver contraint de remballer le tout pour le rapporter chez moi au huitième étage, même avec ascenseur), je me suis limité à la tête que j’ai testée à la rédaction sur notre module de simulation d’enceinte/micro Torpedo, que vous commencez à bien connaître. J’ai choisi un cab simulé en 2X12 pouces et j’utilise ma Precision Bass Deluxe V pour ce test.
Je vous propose d’abord de découvrir le canal « vintage », avec deux extraits : pour les deux prises, j’ai réglé l’égaliseur selon mon goût personnel, en poussant légèrement la bande grave et médium tout en atténuant un peu les aigus. Pour le second extrait, j’utilise les deux boost (grave et aigu).
- Doigt Prise 200:19
- Doigt Prise 300:19
Un joli grain est ainsi obtenu, à la fois très chaud et grave sans perdre en précision. C’est tout ce qu’un amateur d’ampli à lampes est en droit d’attendre, ça sonne bien rétro mais reste pertinent dans la plupart des styles. Moi j’aime, je suis d’ailleurs plus attiré par ce canal et ce qu’il propose, que celui qui le précède (c’est là une question de genre). Les réglages sont simples, pour ne pas dire évidents et le son obtenu charmera les masses comme l’élite. Les boost sont efficaces sans en faire trop, ce qui a tendance à être rare sur le marché.
Un canal aux petits oignons pour le jeu au doigt, qui m’a moins convaincu en percussion. J’ai pourtant bien poussé les aigus et les graves pour l’extrait qui suit, en modifiant les réglages de l’égaliseur et en utilisant les boost.
Toujours sur le même canal, je teste une petite ligne au médiator en poussant les basses sur 8 (sur une échelle de 1 à 10), les médiums légèrement au-dessus de la moyenne et en descendant les aigus sur 5. Je trouve le son obtenu tout à fait satisfaisant pour ce style de jeu. Et pour varier un peu, je change de jeu au médiator et creuse encore plus le son (égalisateur+filtre) sur un second essai.
- Mediator soft prise 200:18
- Mediator hard prise 200:19
Passons maintenant au canal saturé, avec une légère distorsion à la Mel Schacher. Je pense avoir un peu raté ce réglage, car j’aurais souhaité moins de saturation. Mais il faut savoir que ce canal propose à la fois un volume indépendant du master, un gain et une balance. Il n’est donc pas forcément facile pour tout le monde (moi y compris) de maîtriser d’emblée ses ajustements.
Enfin, pour vous donner une idée de la fonction du réglage de balance entre son clair et saturé, je vous propose un dernier extrait où ce potard est poussé graduellement après avoir poussé le gain à fond et joué de l’égaliseur pour gonfler le son sur à peu près toutes les fréquences.
J’ai fait l’erreur de placer le paramétrique des médiums sur les basses fréquences plutôt que les hautes, du coup, je trouve le signal un peu flou. Dans l’absolu et avec du recul, j’aurais mieux fait de baisser un peu les graves, souligner les hauts médiums et pousser la brillance. Pour ma défense, je vous avoue que je suis un peu largué dans ce style de set-up.
Car quoiqu’on en pense, régler correctement un signal saturé ne se limite pas à jouer les bourrins. Cela demande de la patience et une bonne connaissance du système employé.
C’est le cas de l’emploi du canal saturé de la Bassman 100T qui s’adresse à des amateurs confirmés, autant par la finesse des différents réglages de gain, que par la présence d’un semi-paramétrique sur les médiums qui rentre en ligne de compte pour la distorsion du signal.
Je pense donc, que d’autres feront bien mieux que moi pour tirer le meilleur de cette partie du préampli.
Pour bassiste averti
La Bassman 100T ne s’adresse pas à n’importe qui. On n’accusera pas ses tarifs, qui tout en dépassant le budget moyen d’un amateur, restent dans la norme de ce type de matériel (prix indicatif : 2271 € TTC). Mais plutôt son emploi et ce qu’il implique du point de vue logistique (poids, encombrement, fragilité, temps de chauffe, etc.). Si le canal vintage se règle en deux coups de main, l’overdrive reste quand même sophistiqué, au point d’égarer un testeur qui en a pourtant vu beaucoup d’autres. Il faut donc le gérer avec toute la science d’un alchimiste du son. Je pense que de nombreux amateurs seront ravis de voir la marque revenir sur une classe d’amplis haut de gamme professionnelle, avec tout ce que cela peut impliquer sur un cahier des charges. Je juge donc le challenge réussi puisqu’il concilie un appréciable retour aux sources, tout en proposant quelques modernités non accessoires. En 2012, la concurrence risque d’avoir chaud.